Conférence - Consensus
La Wallonie au Futur
Namur - 1994

Où en est et où va
le système éducatif en Wallonie ?
Comment le savoir ?

Institut Jules Destrée, Congrès La Wallonie au futur, retour à l'index Forum politique (2/2)

Interlocuteurs du forum politique :

Pierre Beaussart, Administrateur-délégué de l'Union wallonne des entreprises;

Jacques Fostier, Secrétaire général de l'Interrégionale wallonne de la FGTB;

Philippe Mahoux, Ministre de l'Education et de l’Audiovisuel de la Communauté française;

Willem Miller, Président de la Centrale chrétienne du personnel de l'Enseignement moyen et normal libre;

Anne-Marie Straus, Directeur général des Technologies et de la Recherche au Ministère de la Région wallonne.

 

Modérateur :

Jean Rosoux,
journaliste à la RTBF-Liège.

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Jean Rosoux : Le problème qui était posé hier, c'était de savoir si, au delà de ce pluralisme naturel d'une société, il y avait possibilité de fixer un certain nombre d'objectifs à l'enseignement. J'ai vu Monsieur Miller réagir. Il souhaitait visiblement dire un mot sur votre interpellation à vous, Monsieur Fostier. Mais on pourrait revenir à une question de la dernière intervenante du panel, qui se demandait si, finalement, on ne peut pas concevoir un centre d'études, un observatoire, qui ferait l'analyse de notre système d'enseignement, et Monsieur Mahoux répondra à ces questions-là tout à l'heure. Monsieur Miller.

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Willem Miller : Tout d'abord, je n'ai pas récusé aux parents le droit d'être partenaires à part entière. J'ai dit que ce droit ne devait pas occulter celui de leurs enfants surtout lorsqu'ils deviennent âgés. Une autre chose qui me semble devoir être dite, davantage pour mieux éclairer notre problème belge et francophone, c'est qu'il faut cesser de penser que la crise de l'enseignement est particulièrement douloureuse en Wallonie. Elle est, hélas, douloureuse partout. Nous avons l'occasion de nous rencontrer très fréquemment entre ensei-gnants des quatre coins du monde aujourd'hui et nous constatons que la crise de l'ensei-gnement est une expression - qui nous paraît très grave - d'une crise de valeur généralisée dans les pays industrialisés : Amérique du Nord, Europe de l'Ouest et ceux des pays de l'Est, bientôt contaminés. Ils vont rejoindre le peloton des malheureux qu'ils avaient, quoi qu'on en pense, jusqu'ici évité. D'autre part, je pense, avec Monsieur Beaussart, qu'on ne peut pas vouloir, pour les étudiants, des formations trop pointues qui seraient dès lors parfois périmées avant l'emploi.

Mais imaginons le scénario suivant : faisons de la pédagogie-fiction. Par des mesures de bon aloi, nous parvenons demain, non seulement à faire réussir les élèves du petit collège de province - ce qu'ils font tout seuls à mon avis -, mais à faire réussir tous ceux qui sont dans la difficulté depuis leur plus jeune âge, et nous leur donnons à tous un diplôme de qualité. Dans cinq ans, il n'y aura plus un seul échec en Wallonie, mais dans cinq ans, il y aura encore un énorme déficit d'embauche à l'emploi. Donc, si nous avions la capacité de réussite à un point quasiment irréali-sable, nous jetterions sur le marché de l'emploi de remarquables diplômés dont, à l'exception des vingt ou trente mille qui trouveraient des emplois qu'on ne peut pas délivrer aujour-d'hui, la plupart des autres resteraient quand même des chômeurs et des chômeurs diplômés. Ce qui n'est pas plus agréable.

Troisième chose : j'avais noté effectivement, pour répondre à cette intervenante du panel, qu'on a déjà évoqué cette notion d'observatoire au sein du Conseil de l'Education et de la Formation et qu'elle devient même de plus en plus pressante. Nous en avons un urgent besoin dans les écoles, pas seulement les parents mais surtout les enseignants.

Une quatrième chose : c'est un peu d'humeur de ma part, mais, il y a tellement longtemps que la formule "Apprendre à apprendre" est colportée d'école en école. Mon sentiment très clair, c'est que, dans la plupart des cas, c'est un slogan ou une fuite en avant parce que, en réalité, dans les faits, "apprendre à apprendre" ne signifie pas grand chose en terme d'outillage pour la plupart des enseignants qui, jusqu'à présent, n'ont pas encore été formés pour apprendre à apprendre. Donc la formation continue est importante mais il y a un autre impératif, c'est de modifier considérablement la formation initiale, en invitant tous ces futurs jeunes ensei-gnants à correspondre au mieux à ce qui a été échangé aujourd'hui et aussi en d'autres lieux.

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Jean Rosoux : Sur ces deux derniers points - "apprendre à apprendre" et sur la contestation de Monsieur Miller, et surtout sur l'observatoire, Monsieur le Ministre Mahoux, voulez-vous répondre?

Philippe Mahoux : Pour moi, "apprendre à apprendre" n'est pas qu'un slogan. Je vais donner deux exemples. La réforme du premier degré dans l'enseignement secondaire, c'est précisément la concrétisation du fait que l'enseignement qu'on met en application - donc la réforme - est une réforme qui va véritablement dans ce sens. J'ai entendu tout à l'heure, une phrase qui disait qu'il y a des réformes tout le temps, mais je suis frappé par la cohérence des réformes qui sont mises en place. On fait une réforme du premier degré dans l'enseignement secondaire et je constate que ce que je vais faire prochainement dans le cadre de l'école de la réussite - le décret qui va être déposé - va exactement dans le même sens : apprendre à apprendre.

Deuxième remarque qu'il faudrait faire, c'est qu'un décret a été voté l'année dernière pour la formation en cours de carrière. On peut discuter du contenu mais on doit reconnaître quand même que la formation à cette réforme pédagogique y est incluse. Je suis d'accord avec Monsieur Miller quand il dit que, si on parle de formation en cours de carrière, il faut bien évidemment parler de la formation initiale et, quand on parle de formation initiale, on parle surtout de l'école normale mais aussi de l'université. Il faut se demander si, par rapport à la fonction d'enseignant, il ne faudrait pas centrer sa formation sur la pédagogie plutôt que sur la spécialisation dans une matière bien déterminée.

Sur le problème d'un organisme qui piloterait, je voudrais d'abord dire que j'ai une conception d'école qui n'est pas du tout utilitariste. L'école doit déboucher sur des emplois, mais cette vision de l'école qui serait une préparation à des métiers ne me paraît pas une conception défendable. Quand on définit les objectifs de l'école, il faut qu'on se mette d'accord aussi sur ce à quoi l'école doit servir. Est-ce une école qui est gratuite pour tous, est-ce une école qui doit s'adresser à l'ensemble des élèves ? J'ai entendu des réflexions qui concernaient une école pour l'élite, où des efforts ne seraient pas faits de la même manière pour l'ensemble des élèves quelles que soient leurs capacités ini-tiales. Je dis et je répète que, quand on parle de la réforme du premier degré et du passage par cycle, c'est bien de cela qu'il s'agit. On tente de mener chaque élève à bien, quels que soient ses dons initiaux et ses capacités initiales, et je pense que c'est un problème de démocratie fondamentale, un problème d'organisation de la société au maximum de ses possi-bilités. A propos de l'organisme de pilotage, il faudrait d'abord définir ce qu'est le pilotage. Dans le texte de l'Institut Jules Destrée, on parlait de pilotage. Il y a plusieurs définitions et l'une d'elle dit que le pilotage c'est bâtir sur pilotis. C'est une boutade, mais, attention, les pilotis sont finalement une structure sur des structures stables. Le pilotage, c'est la possibilité de conduire un bateau en pleine mer ou le long des rives. Qu'est-ce que ça implique ? Premièrement qu'on définisse le cap : quels sont les objectifs de l'école, y a-t-il un consensus par rapport à cela ?. Deuxièmement, cela veut dire qu'il faut une boussole. Qu'on se réfère à une série d'indicateurs qui montrent si, ces objectifs, on les atteint ou on les suit. Troisièmement, ça signifie qu'il y a un pilote. Quel est le pilote dans le bateau, y en a-t-il un ? On dit souvent que le Ministre a tendance à se considérer comme le pilote de l'équipage. En réalité, dans un bateau, il y a un équipage et il faut, pour savoir si le bateau va dans la bonne direction, avoir des structures d'évaluation. Il doit donc y avoir des structures externes qui tiennent compte d'infor-mations. Avons-nous toutes les informations sur la manière dont le système scolaire fonctionne ? De manière un peu réductrice, on peut considérer qu'on va évaluer un système d'enseignement ou une école simplement en fonction du nombre d'élèves qui réussissent. Mais qu'est-ce que ça veut dire, un élève qui réussit ? Est-ce que c'est un critère d'évaluation exact de ce qu'est une école ? Est-ce que, évaluer une école, c'est évaluer si les élèves qui en sortent sont performants ou ne le sont pas ? Ce sont là des objectifs de l'école et il faut qu'on puisse les définir. Est-ce que le consensus existe ? C'est une question qui doit être posée et une structure comme celle-ci, que le panel représente - qui peut être élargie, qui peut être multipliée, dont les personnes peuvent être modifiées - est évidemment un outil indispen-sable pour pouvoir continuer avant d'envi-sager de créer une structure représentative, très largement diversifiée, compo-sée d'une série de membres qui apporteraient leur sensibilité personnelle et qui ne constituerait peut-être pas l'élément où la structure d'évaluation externe est nécessaire.

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Jean Rosoux : Merci Monsieur le Ministre. Bien sûr, le panel était présent hier mais il y a aussi des participants : Monsieur le Sénateur Liesenborghs souhaite intervenir sur un point. Et ensuite le Professeur Fourez.

Jacques Liesenborghs : Je voudrais souligner que ce que j'ai entendu hier et aujourd'hui m'intéresse beaucoup et, ce qui m'intéresse le plus, c'est le retour à l'exigence d'un grand débat public. Mais pour que cela ne soit pas une formule molle, il faudrait poser la question de savoir qui va l'organiser, où ce débat va être organisé, qui va le porter, parce que c'était une revendication qui était au coeur du mouvement enseignant en 1989-1990 et ce débat a été depuis lors confisqué, et j'ose le dire avec des journalistes dans la salle, avec les complicités des médias, ce débat a été confisqué par très peu de personnes. Je pense que l'urgence de ce débat est réelle et que, là je crois bien qu'on a raté une occasion avec la réforme engagée au premier cycle du secondaire. Si, dans toutes les écoles, on avait organisé une ou deux journées de débats avec les parents, avec les forces vives qui sont autour de l'école, sur le sens et le pourquoi de cette réforme, et si on avait pris le temps aussi de l'échelonner dans un calendrier un peu moins précipité, on aurait eu là une occasion, sur un point précis, d'engager un véritable débat public. C'est cela le sens du débat public, c'est cela qui est demandé par beaucoup de gens : c'est que l'école change, mais que ce changement soit porteur de sens et que ce sens soit largement à partager au delà de disputes de chapelle ou de discours &laqno jargon ». C'est vraiment un point important.

Deuxième point, le Conseil de la Formation et de l'Education existe. Au moment où il a été mis en place, j'ai émis beaucoup de réserves. Aujourd'hui, je constate qu'il travaille bien avec très peu de moyens. Si on veut avancer dans le sens des revendications du panel, il faut très sensiblement renforcer les moyens du Conseil de l'Education et de la Formation et, comme le suggérait hier André Krupa, élargir quelque peu sa composition.

Troisième et dernière intervention. Dans la journée d'hier, ce qui m'a paru le plus frappant, le plus voyant, c'est un transparent présenté par Bernard Delvaux où l'on voyait les écoles de la Région bruxelloise et où l'on voyait que le système n'est pas en train de devenir dual, qu'il est profondément dual, que le système scolaire l'est depuis le début des années '80, en s'amplifiant et que la situation devient de plus en plus catastrophique, tel un système d'apartheid scolaire. Il y a donc urgence. Il faut des observatoires, il faut travailler à moyen terme - et je regrette beaucoup que, ces deux dernières années, on ait travaillé dans la précipitation -, mais il y a aussi, pour moi, une urgence, c'est de mettre le paquet pour arrêter ce système scolaire d'apartheid. Merci.

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Jean Rosoux : Est-ce que quelqu'un souhaiterait revenir sur ce sujet ? Anne-Marie Straus ?

Anne-Marie Straus : Oui, j'ai envie de réagir là-dessus parce que ce qui vient d'être dit reprend en fait, de nouveau, ce que le panel a dit très bien : d'une part, les problèmes fondamentaux, avec une interrogation sur les objectifs, mais aussi - et on ne l'a pas beaucoup abordé, on est resté très au-dessus dans ce débat sur les quatre objectifs que le panel a fixés - le fait que ce sont des mesures pratiques que vous demandez, sur lesquelles on doit s'interroger et qui concernent l'école. Oui, il y a le moyen terme, oui, il y a l'observatoire, les techno-logies, mais de manière immédiate, nier qu'il y ait un problème à l'école, je crois que personne ne peut plus faire cela, sinon il ment. Le débat sur l'ensei-gnement a effecti-vement été étouffé, on n'a pas organisé de débat dans chaque école, on a même peut-être oublié les enseignants parce qu'ils sont directement concernés par les problèmes qui se posent aujourd'hui. Le malaise existe par rapport à l'école et il est profon-dément partagé par la population.

Jean Rosoux : Merci. Monsieur Fourez souhaite intervenir.

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Gérard Fourez : Mon intervention en fait est très proche de celle de Jacques Liesenborghs et je voudrais reprendre ce qu'il a dit en nuançant deux points. Je voudrais reprendre tout d'abord la phrase de Monsieur Thélot qui, je crois, a frappé beaucoup d'entre nous hier, c'est d'arriver à sortir des débats de l'enseignement, de la situation de rumeurs ou de faits divers, et je crois que c'est une nécessité absolue. J'ajouterai que c'est un problème d'institutions et nous n'avons pas pour le moment d'institution qui parvienne à le sortir de cette situation-là. Que ça soit le Conseil de l'Education et de la Formation ou autre chose, mais un lieu qui soit organisé et qui puisse intégrer dans ce débat des éléments techniques de telle sorte que, finalement, on ne parle pas de n'importe quoi à certains moments. C'est-à-dire, non pas donner le pouvoir à des technocrates mais, qu'à certains moments, des éléments techniques puissent intervenir dans la discussion.

Puis je suivrai un peu la remarque de Madame Straus, en disant, effectivement, de ne pas oublier l'enseignant dans cette perspective-là et, là encore, je crois qu'au niveau institutionnel, cela signifie qu'il faut donner, dans la formation initiale et continuée de l'enseignant, une formation pour pénétrer mieux dans ce débat. Beaucoup d'enseignants ont appris à le faire ces dernières années, mais il reste que, globa-lement, ils n'ont pas été habitués à se situer dans la grande société qui dépasse celle de la classe et qu'il y a un travail institutionnel à dépasser, une formation à assurer de ce point de vue-là pour les enseignants.

Jean Rosoux : Monsieur de Landsheere souhaite intervenir.

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Gilbert de Landsheere : Je voudrais revenir au fond du fond du problème, si je peux m'exprimer ainsi. Je crois que nous sommes honorés d'une civilisation que nous voulons digne, une civilisation où, du seul fait de mettre l'homme en droit de vivre dignement tant sur le plan matériel que sur le plan intellectuel, du seul fait d'exister - et Ricardo Petrella l'a dit merveilleusement -, on a droit, par exemple, à une rémunération qui permette de satisfaire ses besoins. Je crois que nous sommes devant un choix : ou bien nous trouverons la façon de faire cela ou bien notre société va voler en éclats. C'est ma conviction profonde. Mais alors, si nous voulons cette société, elle doit être productrice de richesses car, si vous voulez donner de l'argent même à ceux qui ne travaillent pas profession-nellement, il faut aller le chercher quelque part. Et si nous devons produire de la richesse, nous devons avoir des citoyens qui sont armés pour la produire. Et vous voyez, nous voilà dans un cercle. Je pense qu'il faut ramener la problématique à ses racines. L'une des questions - et c'est ainsi que l'on s'est intéressé à la notion de pilotage - c'est de savoir dans quelle mesure nous avançons vers cette situation ou au contraire, si nous régressons, si nous nous éloignons d'une situation, si nous ne pouvons honorer tout être qui est né ou bien si nous allons être de plus en plus empêchés de le faire. D'où l'intérêt de savoir avec la plus grande exactitude possible ce que le système éducatif nous permet .

Maintenant, nous sommes confrontés à la difficulté de nous accorder sur des objectifs. C'est inévitable. Nous sommes dans une société qui se veut libre aussi sur le plan philosophique, mais il faudrait penser que, dans notre jargon d'évaluateur, on parle d'évaluation liée aux objectifs ou bien de l'évaluation indépendante des objectifs. C'est regarder une réalité sans a priori, voir tout simplement ce qu'elle est, voir un orga-nisme qui fonctionne et ce qu'il produit, sans avoir d'états d'âme, mais faire un constat. Au delà de toutes les nuances que l'on peut apporter, il faudrait quand même revenir à ces notions absolument essentielles. Merci

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René Van Santbergen, Inspecteur honoraire : Je voudrais apporter un demi siècle d'expérience et de pratique. C'est étroitement mêlé d'ailleurs à tout ce processus qui a débuté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qui s'est épanoui à un moment donné dans une grande tentative qui a été celle de la rénovation de l'enseignement. Je me suis senti, en écoutant Monsieur Beaussart, dans un bain de jouvence car il a défini des objectifs qui étaient ceux, à ce moment, de la Fédération des Industries de Belgique et qui étaient vus avec beaucoup de circons-pection par la base, par ceux qui comme moi, syndicalistes, étaient réticents. Tout à l'heure le panel a prononcé une phrase, par la bouche de notre institutrice qui est ici présente et qui est vraiment la fleur de toute cette conférence : l'enseignement doit apprendre la vie. Non seule-ment apprendre la vie, mais apprendre ce que c'est la vie. C'est la clé de toute l'éducation et cela implique toutes les conditions néces-saires à l'épanouissement de cette vie : la connaissance de l'homme, la connaissance de l'humanité - c'est-à-dire de l'ensemble des hommes -, la relation des hommes entre eux - c'est-à-dire le civisme - et, enfin, l'acti-vité économique qui est la condition même de toute chose car pour pouvoir vivre, il faut créer, il faut se nourrir - pre-mière condition - et il faut survivre - deuxième condition -.

Je pense que, lorsque Monsieur Miller conteste la nécessité du changement en disant que les professeurs en ont marre des change-ments de programme, il y a une antinomie fonda-mentale entre l'idée de pilotage et l'idée de non changement, car le pilotage, c'est la nécessité du changement continuel. C'est bien comme cela que ça avait été perçu par ceux qui ont lancé l'expérience de l'enseignement rénové, ce qui a multiplié justement les changements de cap en cours de route, et ceux qui ont participé à cette expérience, à l'époque, avaient bien mis en garde ceux qui s'y engageaient sur la nécessité de modifier une réforme permanente, ce qui impliquait nécessairement la modification des instructions au fur et à mesure des expériences faites et des résultats obtenus.

Dernier point, c'est que pour pouvoir être bon pilote, il faut que ces pilotes soient bien formés, il faut qu'ils soient aussi bien informés, disposant de structures fournies avec ces informations. Il faut aussi qu'ils aient une bonne formation, une perception, au départ déjà, de cette interrelation entre les choses et les hommes, entre les hommes et les niveaux sociaux, entre les nécessités de la vie et les possibilités de la nature. Si notre enseignement n'est pas fondé sur cette base fonda-mentale à mes yeux, nous continuerons à errer et, comme on l'a annoncé, notre société éclatera.

Jean Rosoux : Y a-t-il d'autres réactions sur ces deux dernières interventions ? Monsieur Miller.

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Willem Miller : Je ne préconise pas le non-changement. Nous avons d'ailleurs très souvent été associés volontairement et avec beaucoup de plaisir à toute une série de réformes depuis 1970. Ce que je mets en cause, c'est la préparation au changement et le fait que tous les changements ne sont pas nécessairement porteurs de fruits meilleurs. Puisque nous en sommes ici à vouloir partager tout, tous ensemble, je pense que la moindre des choses, c'est que les acteurs désignés du changement dans les classes que sont les enseignants soient informés des intentions du changement, soient formés à le rendre praticable. Ce que je mets en cause, c'est la praticabilité d'un certain nombre de changements. A vrai dire, je ne vise pas spécialement, en disant cela, ce qui est en place pour l'instant et qui est en cours de débat : c'est vrai qu'il y a une articulation meilleure entre deux, trois réformes aujour-d'hui, mais je mets en cause les réformes qui ont été lancées, depuis vingt ans, plus ou moins évaluées ou parfois pas du tout, qui ont été abandonnées puis reprises... Il y aurait un long martyrologue à faire des enseignants qui quatre, cinq ou six fois, ont fait redémarrer la machine toujours dans l'intérêt de l'élève. Il ne s'agit pas du tout de contester le changement, il s'agit de contester la façon dont les enseignants y sont préparés.

Une seconde chose pour revenir à ce que Jacques Liesenborghs disait : ce qui m'effraye de plus en plus - pessimiste ou pas -, je constate que, dans certaines régions, le navire que décrit Monsieur Mahoux va se fracasser sur les récifs et les signes avant-coureurs qui se passent dans ce qu'on appelle des ZEP aujourd'hui sont effrayants, sauf pour la plupart de ceux qui n'ont jamais mis les pieds dans une ZEP. Tous ceux-là, je les invite à suspendre - avec une rémunération s'ils le veulent - leurs activités habituelles, et à passer six mois dans les ZEP; pas comme touristes, mais comme observateurs actifs et, peut-être un jour aussi, avant de parler d'enseignement, comme acteurs pédagogiques. Il y a l'urgence que décrit Jacques Liesenborghs : elle est l'une des conditions de survie du système parce que, si cette partie de l'appareil éclate, l'autre partie en sera gravement atteinte. Si nous ne savons pas être novateurs par générosité, soyons-le au moins par égoïsme. Si l'affaire des ZEP démarre parce que la plupart de ceux qui s'occupent d'ensei-gnement ne proviennent pas de ces milieux-là, n'enseignent pas là, n'habitent pas là, et bien nous gérons non pas un navire mais bien quelques débris et quelques barquettes sur lesquelles se sont réfugiés ceux qui ont les moyens de le faire.

Jean Rosoux : Monsieur avait demandé la parole.

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Un intervenant du public : On peut discuter indéfiniment de tous les problèmes de l'enseignement - on n'en a pas le temps aujourd'hui, ni l'occasion, elle viendra peut-être par après. On a besoin absolument d'un débat idéologique, démocratique sur la société qu'on veut dans le futur. C'est indispensable. Tout le restant doit être lié par après. Monsieur le Ministre, vous avez dit une chose qu'on n'a peut-être pas suffisamment relevé : en somme, des réformes il en faut et, si on fait trop de réformes, tout le monde va arriver avec un diplôme mais on n'a pas assez de place. C'est fondamental parce que ça définit le type de société et je crois que, en fonction du débat idéologique et démocratique qu'on souhaite, on arrivera à un autre type d'éducation.

Jean Rosoux : Monsieur...

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Michel Bonami, Professeur à l'UCL

Voici les deux choses que je voudrais dire. La première, on a parlé de débat démocratique, je pense qu'il se déroule au Conseil de l'Ensei-gnement et de la Formation et que, malheureusement, il n'est pas suffisamment relié au niveau de la société dans son ensemble et particulièrement au Parlement, cela a été rappelé hier. Il y a un vide à combler. Une deuxième chose, c'est un autre vide dans le débat d'aujourd'hui. On a parlé d'observatoire. Je pense qu'il est tout à fait essentiel. On peut le percevoir ou le situer à la fois à l'administration, au niveau du Conseil de l'Ensei-gnement et de la Formation. Mais il est bien évident qu'un observatoire qui se situerait en ce seul lieu, à terme, ne peut intervenir qu'au niveau macro-social. Le lien entre le niveau macro-social et le niveau des classes ou des établissements nécessite des intermédiaires. Ces intermédiaires, on en a peu parlé aujourd'hui. Cela ne peut pas être des intermédiaires de fonctionnariat ni d'inspection. Au sujet de l'inspection, le problème central a été clairement exprimé par Monsieur Magy : il y a, d'une part, l'aspect &laqno contrôle externe » qui peut être repris et il l'a été par le Ministre d'aujourd'hui qui peut être en mesure d'y développer ce qu'on trouve d'externe dans le jeu des partis politiques et dans le jeu des réseaux. Il y a, par ailleurs, le &laqno contrôle interne », c'est-à-dire la stimulation qui est l'autre rôle de l'inspection aujourd'hui. L'inspecteur peut-il jouer effectivement ce rôle-là aujour-d'hui ? Je ne le pense pas, surtout si, à d'autres niveaux, il joue le rôle de représentant du pouvoir organisateur.

Autre chose se joue au niveau des adaptations et des inno-vations locales. Il est important que les directions d'écoles soient des enseignants. C'est la seule manière d'avoir une légitimité par rapport aux collègues. Il est par contre tout à fait impossible qu'ils soient élus par des enseignants, sinon ça rentre dans un tout autre jeu et notam-ment celui d'intro-duire la politique ou les politiques dans ces établis-sements. Mais si l'on veut que les enseignants puissent être non pas des fonctionnaires décentralisés ou déconcentrés à l'écart, mais bien des gens qui puissent piloter, observer et contribuer à prendre des décisions, il y a là un jeu de formation continuée tout à fait essentiel, des outils à créer, des analyses d'établissements à réaliser, pour les compren-dre et développer les innovations. Le directeur d'établis-sement a un niveau trop bas déjà et je rappelle l'importance de développer et de structurer les zones en Communauté française.

Jean Rosoux : Alors là, Monsieur le Ministre, c'est à vous.

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Philippe Mahoux : Première réponse, puisque ce sont des remarques qui appellent des réponses.

Sur le Conseil de l'Enseignement et de la Formation, et de ses rapports avec le Parlement, je dois vous signaler qu'était prévue, il y a dix jours, une réunion de la Commission de l'Enseignement au niveau du Conseil de la Communauté française avec analyse du rapport du Conseil de l'Ensei-gnement et de la Formation, que cette réunion a été reportée et qu'elle aura lieu dans les quinze jours qui viennent. C'est une première réponse.

La deuxième, en ce qui concerne les directeurs responsables, les chefs d'établissements. On a eu l'occasion d'en discuter au Parlement, il y a maintenant une dizaine de jours, à l'occasion d'une diffusion de proposition de loi du Député Hazette. Après une large discussion relativement consensuelle, j'ai proposé de déposer, le 15 juin, les arrêtés qui modifient la formation, le système de formation des chefs d'établis-sements de manière telle que cette formation soit plus simplement centrée sur une connaissance des statuts. C'est important de connaître les statuts - ce n'est pas simple - mais la centrer davantage sur la fonction d'un chef d'établissement dans une école avec un projet péda-gogique, une gestion pédagogique, et la possibilité d'évaluer le travail qui est fait. Je voulais amener ces deux réponses de manière un peu plus large par rapport aux réformes qui sont en cours. C'est vrai que l'on peut consulter. C'est un élément très important : les consultations existent. Il y a beaucoup de travaux d'experts, depuis vingt ans. On en prend connaissance. On peut consulter les enseignants, les parents, les directeurs d'école, l'ensemble de la commu-nauté éducative. Mais, à partir du moment où une réforme est installée, il faut la mettre en place. Ce n'est pas qu'un problème important, mais un problème de calendrier qui me distancie effectivement de Monsieur Liesenborghs et de Monsieur Miller. Sur le contenu de ces réformes, je n'entends pas de reproches fondamentaux et je crois avoir entendu ici - et particu-lièrement par les membres du panel - que, en vérité, les consultations existent.

Ce qui existe probablement moins c'est l'information de ce qui se fait. Je suis frappé, après un mois de fonction, de ce qu'on peut découvrir quand on cherche à savoir ce qui se passe réellement dans les écoles, les réformes qui sont installées, les organes de consultation, le travail des experts, quand on se rend compte de ce qui existe, en fait, on a une vision moins pessimiste que celle qu'on pourrait avoir si la seule source d'informations était la rumeur, parce que cette rumeur a tendance à aboutir à une forme de sinistrose. Comme médecin, je sais que la sinistrose est un état qui a pour effet de renforcer lui-même l'état pathologique dans lequel on se trouve. Je ne dis pas que l'école est malade; je pense que l'école a besoin d'attention, qu'elle doit être resituée à sa place dans la société et qu'un effort très important d'infor-mation doit être fait parce que l'absence d'informations implique la méfiance. On l'a dit tout à l'heure, l'école doit se construire sur la confiance entre les différents acteurs. Quand il y a méfiance, il y a résis-tance. Je suis sensible à cet élément et particulièrement attentif au fait, que, indépen-damment des réformes qu'on peut mener sur l'ensemble des écoles, du travail qu'on peut y faire, on ne peut pas s'empêcher de faire un constat qui existe aussi à l'intérieur du monde des écoles et des inégalités qui sont des vérités frappantes - ce que Monsieur Miller vient d'évoquer -. Cela doit faire partie aussi de notre réflexion, de savoir fina-lement que les situations géographiques ne sont pas les mêmes et qu'il faut un effort soutenu à cet égard. Ceci me permettra de dire, à propos des 400 millions dont on parle dans l'ensei-gnement fondamental, que aucun critère lié à la situation réelle du terrain n'a pu être mis en avant pour savoir comment étaient répartis ces 400 millions. Dans le décret sur l'école de la réussite, je veux voir inscrit l'établissement, et, après concertation, les critères qui permet-tront de déterminer de manière réelle où se trouvent les problèmes et qui permettront d'avoir une approche - y compris budgétaire - de discrimination véritablement positive.

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Jean Rosoux : C'est sur ces perspectives qu'on va clôturer cette première expérience de Conférence-Consensus en Wallonie. Un dernier mot de ceux qui figuraient au coeur de la procédure, du processus, les membres du panel.

 

Une intervenante du panel : Je voudrais simplement remercier l'Institut Jules Destrée de m'avoir invitée en tant que membre du panel parce que je crois qu'il est bon que des citoyens sortent un peu du quotidien et s'ouvrent aux problèmes concrets.

(Mars 1994)

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Page mise à jour le 23-08-2004

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