La
Wallonie, une région en Europe
L'intégration des populations immigrées
en Wallonie - (1995)
Alberto Gabbiadini
Directeur du Centre de formation
Ente nazionale acli instruzione professionale
La présence des
immigrés n’est pas un phénomène temporaire, mais une donnée structurelle dans
notre société...
La tâche des pouvoirs
publics belges consiste donc "obligatoirement" à rechercher et à créer les
conditions d’une société pluriculturelle harmonieuse par le biais de
l’intégration...
Si les affaires sont
moins bien gérées ailleurs, cela ne signifie nullement qu’elles doivent, du
coup, être mal gérées chez nous (1).

Pour peu que l’on soit
coutumier des problèmes posés par la présence de près de 10 % d’immigrés en
Belgique – de près de 12 % en Wallonie –, à Liège on en compte près de 20 % et,
dans le quartier du Nord où se tient ce colloque, on arrive à près de 45-50 %
et, si l’on projette le problème démographique en Wallonie en 2025, on peut
croire que près de 50 % de la population wallonne sera immigrée ou d’origine
immigrée : le mot intégration revient comme panacée capable de résoudre
ces problèmes et de résorber la tension qui existe entre communauté belge et
communautés immigrées.
Très souvent on ne met en
évidence que les problèmes que les immigrés posent au pays. On ne voit pas assez
les problèmes que le déracinement provoque comme traumatisme, comme choc social
et culturel.
Les programmes des
partis, qu’ils soient de gauche ou de droite, sont très clairs à ce sujet :
il faut intégrer ceux qui le désirent, les autres il faut les faire partir.
L’utilisation électoraliste du mot intégration a permis à chacun de faire
valoir les positions les plus divergentes.
Et de citer l’exemple de
la communauté italienne. Mais on oublie de dire que, dès les premiers
recensements de 1890, on en comptait déjà 1.711, que, avant la guerre 40-45, il
y en avait 33.491 dont beaucoup travaillaient déjà dans les charbonnages de
Wallonie et que, en 1996, on commémorera les 50 ans de l’accord belgo-italien
(en Italie on dit italo-belge) du 23 juin 1946 organisant le recrutement de la
main-d’oeuvre italienne pour les charbonnages. Cela fait beaucoup de temps pour
arriver à cette soi-disant intégration, tout en oubliant les quolibets, les
sarcasmes, les insultes dont au début on les accablait. On ne la retrouve plus
dans les études, malheureusement on la retrouve dans les faits divers.
Et l’on voudrait que les
communautés plus récentes, marocaine et turque y aillent plus vite sans tenir
compte de la situation de crise que nous vivons depuis 1973 (crise pétrolière –
dimanche sans voitures, etc.) !
Cette crise crée une
tension telle que la désignation de boucs émissaires permet de tout focaliser
sur des communautés à statut fragile : 25 ans de crise et la crise n’est pas
encore terminée. Et cette crise économique très longue a entraîné une crise de
la société, une crise éthique et une crise des valeurs collectives. Si certains
essaient de sauvegarder leur générosité naturelle, leur don de soi, leur
abnégation, la crise met en péril les valeurs collectives telles que la
solidarité envers les plus démunis, envers le Tiers-monde, l’égalité sociale, la
justice sociale, la liberté des peuples, la fraternité universelle.
La Wallonie a une longue
tradition d’accueil, pour des raisons économiques et démographiques, des
travailleurs immigrés. Depuis la crise économique et l’émergence de l’extrême-droite,
elle a tendance à prendre des positions restrictives, frileuses, surtout face à
l’arrivée des candidats réfugiés. Compte tenu de son expérience et de son
histoire, j’aimerais, quant à moi, qu’elle retrouve son dynamisme, son esprit
d’entreprise, sa volonté d’accueil, qu’elle prenne l’initiative d’une nouvelle
politique d’immigration.

1. Quelle définition
de l’intégration ?
Il est donc important de
savoir de quoi l’on parle avant de porter un jugement sur le degré d’intégration
des différentes communautés.
Si l’on ouvre un
dictionnaire tel que le Petit Robert, au verbe intégrer, l’on voit
qu’il vient du latin médiéval signifiant rendre complet, achever,
qui fait partie intégrante d’un ensemble.
Dans le Larousse,
on le définit comme une opération qui consiste à assembler les différentes
parties d’un système et à assurer leur compatibilité ainsi que le bon
fonctionnement du système complet, voire même une coordination des activités de
plusieurs organes en vue d’un fonctionnement harmonieux.
Si l’on transpose le
terme corps intégré en chimie cela s’entend de deux corps distincts qui
fusionnent pour en faire un troisième. L'exemple le plus courant est le H2O
c’est-à-dire l’eau, fusion de l’Hydrogène et de l’Oxygène.
Comme le dit Michel
Gheute dans le Quotidien des électeurs (2), Tout
ce qui remonte au latin integer
relève de la complétude et de l’achèvement. Ses dérivés, le populaire entier et
le savant intégral, sont synonymes et proches du sens initial... L’intégration,
c’est donc l’action par laquelle un ensemble inachevé devient complet. Ce que
nous dit l’usage politique du mot intégration, c’est que faute d’avoir intégré
ses immigrés, la société se sent incomplète, inachevée. Une part d’elle-même lui
manque, par quoi elle manque à elle-même".
Cette réflexion sur le
sens de l’intégration suppose que la société soit une société ouverte,
plurielle, multiculturelle, multicolore et pluraliste.
La RAI, télévision
italienne, inscrit souvent en exergue cette phrase sur son écran : Non
guardare il mondo in bianco e nero. Rispetta i colori. Di tutti, "Ne
regarde pas le monde en blanc et noir. Respecte les couleurs. De tous."
Si la société n’est pas
accueillante, c’est une greffe qui sera mal supportée et même rejetée.
L’intégration des communautés immigrées est éminemment une question politique et
non un choix individuel. Il s’agit de la part de tous d’un choix de société.
Et ce choix n’est pas à
décider unilatéralement. Il doit être le fruit d’une démarche d’égalité,
définissant les nouvelles normes, les nouvelles conditions de convivialité. Et
comme le disait le Commissariat royal à la politique des immigrés en novembre
1989 : C’est une politique de longue haleine.

2. Quelles conditions
pour une bonne intégration ?
Cette démarche suppose
deux conditions : l’une objective, l’autre subjective.
La condition objective,
c’est l’existence ou l’acquisition de tous les droits sociaux, culturels et
politiques, une égalité totale sans exclusive et une sécurité de séjour qui
stabilise la personne face aux aléas des situations conjoncturelles. Et si on
veut vraiment arriver à cette situation d’égalité, il faudrait même instaurer
des discriminations positives vis-à-vis des personnes et des communautés qui
subissent des inégalités établies par la loi, pour faire accéder plus
rapidement, à une égalité de droit et de fait, toutes les composantes de la
société pour qu’elles puissent participer pleinement à toutes les décisions qui
les concernent.
Tant qu’il n’y a pas
d’égalité de droit et de fait, il n’y a pas d’intégration réelle. Il y a
toujours quelqu’un qui domine et quelqu’un qui est soumis aux décisions des
autres sans qu’il puisse politiquement faire valoir ses droits élémentaires et
légitimes.
L’autre condition
dépendra de la volonté de chacun et des moyens mis en oeuvre pour créer les
conditions de convivialité, abordant tous les domaines de la vie quotidienne
avec l’intention formelle d’aboutir à une cohabitation harmonieuse et trouver
les solutions les plus valorisantes pour chacune des deux parties sans léser, ni
frustrer qui que ce soit : le logement, l’école, la santé, les usages culturels,
la vie de quartier, les lieux de rencontres, etc.
L’intégration sera donc
globale puisqu’elle prendra en compte toute la réalité de la personne, de son
être, sans en exclure une seule partie, y compris son être politique qui le fait
citoyen à part entière. Et sans la sécurité de séjour, il est difficile de
penser qu’il participera entièrement. Il lui restera toujours une hésitation, un
doute : "Et si un jour on m’expulse, à quoi bon". Pour pouvoir subvenir à ses
besoins essentiels, il a dû sacrifier son être politique, social, culturel. Il
faut d’urgence le lui restituer dans sa totalité.
Elle sera collective, car
seul le dialogue de communauté à communauté peut apporter des réponses
valorisantes, en excluant les égoïsmes particularistes, les intérêts de mauvais
aloi. L’individu, à lui seul, ne peut faire valoir son apport; il peut tout au
plus s’adapter, s’insérer, ne pas se laisser assimiler. Le poids de la culture
ambiante risque de l’écraser ou de le marginaliser s’il maintient des
comportements différents. Il ne peut aller à lui seul à l’encontre du milieu
ambiant.
Elle doit être surtout
dynamique car il faudra le temps nécessaire pour harmoniser les différentes
approches des comportements quotidiens, suivre l’évolution des mentalités et des
sensibilités, répondre aux questions du futur, ne pas figer ni fossiliser ni
absolutiser les attitudes du passé comme étant la condition sine qua non
de la vie en commun.

3. Un peu d’histoire
Il faut se souvenir de
l’expérience du Sud espagnol, au XIIème siècle, de la coexistence des trois
communautés juive, chrétienne et islamique qui fut à l’origine de splendeurs
architecturales mais aussi en pléiade de grands esprits dont l’influence est
toujours vivante sur la pensée et la littérature modernes : des poètes, des
mystiques, des penseurs, des géographes, des médecins, des philosophes ont fait
de Cordoue et de Tolède, pendant quatre siècles, les deux cités les plus
opulentes et culturellement les plus riches d’Europe. Expérience qui a cessé à
cause de l’ambition d’une des parties qui voulut occuper tous les pouvoirs et
dominer les autres.
N’est-ce pas un peu ce
qui se détruit en Yougoslavie aujourd’hui, surtout en Bosnie ?
La construction de
l’Europe s’organise autour du concept de l’intégration des pays qui la
composent, tout en sauvegardant les spécificités culturelles de chacun et en
cherchant des règles communes pour une Europe unie. Les langues et les cultures
de chaque pays sont utilisées et valorisées. Chaque pays doit apporter sa
contribution spécifique au bien de l’ensemble.
Il serait instructif
d’étudier le modèle canadien et australien.
Et il serait heureux
qu’il y ait demain un modèle wallon : qui serait fait à la fois de la
reconnaissance politique, de l’apport économique, social et culturel des
communautés, du respect de ceux qui s’appuient sur leurs racines culturelles
pour affirmer leur personnalité et du respect de ceux qui sont à leur recherche,
du respect de l’altérité. Il doit avoir à la base l’affirmation multiculturelle
comme projet de société pour devenir un jour société interculturelle où sera
favorisée, valorisée, organisée, structurée l’approche interculturelle et
refuser qu’il ait des minorités qui risqueraient un jour de s’entre-déchirer. La
Région wallonne et la Communauté française ont des pouvoirs pour gérer au mieux
les situations des immigrés, par exemple l’enseignement, l’éducation permanente,
l’emploi, la formation, etc. Il lui manque de pouvoir décider sur deux aspects
fondamentaux : le droit de vote et d’éligibilité et la sécurité de séjour.
Ne faudrait-il pas
d’urgence, sans attendre l’an 2000, étudier le problème du droit de vote et
d’éligibilité pour tous, sans distinction de la nationalité, pour éviter les
nouvelles fractures que l’on nous prépare ?
La Région wallonne
pourrait être promotrice d'un projet politique nouveau et mobilisateur qui
serait un signe crédible de sa volonté d’intégration des immigrés. La Région
wallonne devrait prendre l’initiative de combler de manière originale ce déficit
démocratique puisque la question est bloquée au niveau fédéral à cause de la
situation de minorité, des néerlandophones à Bruxelles. Il faut réfléchir à
partir du concept de citoyenneté et non pas de nationalité.
Et il ne faut surtout pas
se servir du fait que certains créent des difficultés, ont des objections de
type juridique, que l’opinion publique n’est pas préparée, voire même opposée.
Il ne faut pas utiliser
le principe de réciprocité pour camoufler la non-volonté politique d’aborder le
problème.
Comme le dit le
Commissariat royal à la politique des immigrés (3) :
Le principe de
réciprocité ne peut fournir aucun apport intéressant pour l’aménagement correct
de notre société. Si les affaires sont moins bien gérées ailleurs cela ne
signifie nullement qu’elles doivent du coup être mal gérées chez nous.
Lorsqu’une mesure
déterminée est jugée indispensable à la réalisation d’une société
pluriculturelle harmonieuse sur le territoire de la Belgique, son application,
son développement, en d’autres mots, le résultat recherché – ne peut être
fonction de ce qui se passe d’ailleurs, c’est-à-dire, du sort réservé aux Belges
à l’étranger."
La Communauté française a
opté dans son enseignement (4), pour une pédagogie
interculturelle. Cette pédagogie ne s’adresse pas seulement aux écoles qui ont
un pourcentage important d’enfants d’origine étrangère, mais à l’ensemble des
réseaux scolaires qui doivent devenir un lieu où s’exprime, s’expérimente la
rencontre interculturelle, la connaissance des autres, la valorisation des
cultures, le respect des diversités. La même option a été prise dans son
programme d’éducation permanente.
Il est curieux de
constater que tout le monde s’émerveille et vante les habitants de Wisconsin qui
parlent un namurois ancien, baptisent leur village "Belgium" ou tout autre
personnage tel Crommelinck qui se disait de Liège, ou Simenon que l’on récupère
même dans les hôtels d’Outre-Meuse. Mais lorsqu'un petit marocain ou un jeune
turc cherche à retrouver ses racines, s’obstine à connaître sa langue, son
histoire et son peuple, on le lui reproche. On ne peut s’étonner que ces jeunes
soient réticents d’apprendre sans comprendre que "leurs ancêtres étaient des
Gaulois" et de s’émerveiller à la déclaration de Jules César : "De tous les
peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves" alors que, dans les
petites disputes à l’école, ils viennent de faire peur à leurs petits camarades
belges.
Alain Decaux, en 1989,
alors ministre chargé de la Francophonie en France, disait Celui qui perd sa
langue, perd son âme. Si cela est vrai pour les francophones, cela doit être
aussi vrai pour toutes les autres langues et les autres cultures.

4. La proposition du
Commissariat à la Politique des Immigrés
La proposition de
définition de l’intégration proposée en 1989 par le Commissariat à la politique
des Immigrés (5)
mérite un approfondissement des concepts énoncés :
1. Que signifie
"assimilation là où l’ordre public l’impose ?"
Et si cet ordre public,
ces lois sont discriminatoires, peut-on les accepter sans réagir puisqu’elles
marginalisent, excluent et légalisent des inégalités ?

2. Que signifie :
"insertion poussée conformément aux principes sociaux fondamentaux soutenant la
culture d’accueil et tenant à la "modernité", à "l’émancipation" et au
"pluralisme" confirmé dans le sens donné par un Etat occidental moderne" ?
Tout cela est affirmé
comme vérité absolue, concept intangible, donnée évidente. Affirmer l’absolu de
certaines valeurs sans en définir le contenu, n’est-ce pas fermer le dialogue.
Les affirmations péremptoires excluent tout dialogue et ne favorisent pas le
respect du droit à l’altérité.
Et quand on sait que bien
des Belges ont une attitude critique vis-à-vis des institutions et des valeurs
qui les sous-tendent, on ne voit pas pourquoi les immigrés devraient les digérer
telles quelles sans les confronter avec leurs propres valeurs, sans pouvoir y
apporter le "complément" dont ils sont porteurs parce qu’ils font partie aussi
de traditions culturelles anciennes et riches en valeurs.

3. Par contre si l’on
peut être d’accord sur la notion du "respect sans équivoque de la diversité
culturelle en tant qu’enrichissement réciproque", cela ne doit pas empêcher
une analyse approfondie de ces diversités pour qu’elles soient purifiées de
toutes les déviations que le temps et l’histoire auraient présentées comme étant
intangibles, par exemple : la famille, le respect des anciens, la religion, la
conception de la société, le respect de la vie, la place et le rôle de la femme,
etc.
Et puis qu’est-ce que
la culture ? Culture d’élite ? Culture populaire ? Culture dominante ?
Et si la culture était
cette capacité de comprendre sa vie, son histoire, ses conditions de vie
sociale, sa position sociale, le milieu ambiant et de la prendre en main pour ne
pas la subir mais la maîtriser, il faut d’urgence se donner les moyens
(pédagogiques, mass média, animateurs, ...) pour que chacune des communautés
puisse entreprendre cette rencontre, ce dialogue interculturel.
Mais il s’agit de
vérifier si les valeurs qui ont une dimension collective sont un "plus" à la
construction d’une société interculturelle et pluraliste, si elles
approfondissent la communication, la convivialité ou si elles créent d’autres
ruptures, d’autres fossés. Toute la richesse qu’il a en lui, l’école et la
société doivent l’aider à la découvrir et à en vivre.

4. Il en est de même de
"l’implication structurelle des minorités aux activités et objectifs des
Pouvoirs publics". Cette allusion discrète au droit de vote et à la
participation active aux décisions politiques qui vont organiser la société est
restée en sourdine, mais devrait être réactivée sans tarder. La Région wallonne
pourrait avoir un rôle important dans ce domaine.
Le programme
gouvernemental fédéral de juin 1995 sous le chapitre Une société rénovée et
viable (II A3), est plein d’imprécisions. Après avoir parlé d’une volonté de
poursuivre une politique d’intégration, on ne retrouve plus que le mot
insertion, prévention et intégration par l’acquisition accélérée de la
nationalité. Le reste est plutôt fait de généralités et de mesures
répressives. On aurait pu s’attendre à mieux vu l’urgence des problèmes, les
tensions dans la cohabitation et l’émergence d’une extrême-droite de plus en
plus arrogante. La seule proposition concrète provoque quelques étonnements :
le recrutement des Belges d’origine étrangère dans les services de police sera
intensifié.

5. Quelle option pour
l’immigration ?
Accepter enfin la réalité
sociale, reconnaître l’apport économique et démographique, la richesse
culturelle et le poids politique des immigrés apporterait plus à cette "société
rénovée et viable" que les savants dosages de naturalisation, d'insertion,
d'assimilation. Il faut en faire des partenaires indispensables à la
construction d’une société respectueuse des droits de chacun et à laquelle
chacun apporte toutes les potentialités qui sont en lui. La présence des
immigrés n’est plus à considérer comme un phénomène conjoncturel, mais elle est
une donnée structurelle de notre société. Il faut intensifier une réflexion
approfondie sur le concept de citoyenneté.
Dans un article de l’Echo,
Chris Vandenbroecke, historien et démographe de l’Université de Gand, affirme
que la structure des âges, que le vieillissement de la population et la
dénatalité font que le nombre de jeunes nés en 1980 qui feront leur entrée sur
le marché de l’emploi en l’an 2000 ne compensera pas les départs à la retraite,
que des emplois seront disponibles et qu’il n’y aura personne pour les
occuper... A moins de faire un nouvel appel à l’immigration.
D’ailleurs notre société
est en pleine mutation. Il se peut même que les questions actuelles sur
l’immigration soient déjà dépassées par le problème de métissage. Il faut
réfléchir sur l’augmentation croissante des mariages mixtes. Chaque année plus
de 10 % de mariages sont des mariages belgo-étrangers. Et quel avenir pour
les enfants qui naissent de ces mariages ? Quelle éducation va leur permettre
d’épanouir les bipolarités de leur vie ?
Le métissage s’exprime
déjà dans les arts, la musique, le théâtre, la chanson, la danse, la mode. Par
exemple dans les défilés de mode où, avant, c’étaient les blondes de type aryen
qui triomphaient : maintenant elles sont supplantées par les mannequins
basanées. Si l’on se souvient de l’Eurovision de la chanson en Belgique, il y
eut des voix (racistes ?) qui se sont étonnées de voir un belle métisse
présenter le spectacle.
Reconnaître la
générosité, l’engagement, l’intelligence, la solidarité, la pensée et pourquoi
pas la beauté comme valeurs qui n’ont pas de frontières, qui sont universelles
et se trouvent partout est un pas de plus vers l’acceptation des immigrés
comme partenaires à part entière et indispensables à la vie économique,
culturelle et politique tout en respectant le droit à l’altérité et le droit de
conserver ses racines ou de les récupérer si les circonstances les ont fait
enfouir profondément dans l’inconscient.
J’insiste sur les valeurs collectives plus que sur les valeurs individuelles.
Et puis, il y a toujours
en soi l’envie du retour, le rêve du retour ou l’illusion du retour. C’est une
angoisse existentielle qui peut faire échouer le plan le mieux échafaudé.
Mais n’est-ce pas
sagesse de se poser beaucoup de questions plus qu’apporter des réponses toutes
faites, construites à partir de données statistiques ou sociologiques ?
Chaque être humain est
à la fois un être unique, un être complexe, un mystère. C’est ce qui fait son
attrait et son charme.
D’autres questions
restent en suspens : Intégrer à qui ? Intégrer à quoi ? Pourquoi faire ? Au
profit de qui ?
Toutes questions auxquelles il faut répondre pour mieux clarifier le concept de
l’intégration

6. Quel nom leur
donner ?
Et comme il y a une
petite "guéguerre" des mots pour désigner cet intrus qui vient tout troubler, je
vais me permettre d’y ajouter le mien.
On ne veut plus des mots
"étranger", "métèque", "barbare". Termes que l’on n’emploie plus parce que, au
moins, on reconnaît à ces personnes venues d'ailleurs une participation
importante à l’effort économique du pays et quelques valeurs positives, alors
que "barbare", quelle que soit la définition qu’on lui donne, a une connotation
injurieuse.
On ne veut pas
l’assimilation – sauf pour Emmanuel Todd, dans son livre Le destin des
Immigrés, selon qui celui qui se veut biculturel doit être schizophrène –,
ni le melting pot à l’américaine.
On récuse les mots
"immigré", "travailleur immigré", "émigré" qui, il est vrai ne répondent plus à
la situation actuelle, sauf pour la nouvelle immigration qui se cache sous le
phénomène des candidats réfugiés.
On emploie de plus en
plus l’expression "minorité ethnique" qui rappelle les réserves d’Indiens en
Amérique et les ghettos chinois, italiens, portoricains, parce que si cette
minorité devient trop nombreuse, remuante, elle devient encombrante et trop
exigeante, elle risque qu’on lui fasse subir aussi la purification ethnique,
dramatiquement appliquée en ex-Yougoslavie.

On voit, même dans les
textes officiels, apparaître l’expression "allochtone que l’on doit intégrer."
Et suprême inconscience
même chez certains immigrés, d’accepter de se faire appeler "non-belge" comme si
c’était une excellence que de se définir par une négation, par ce qui n’est pas,
par le non-être belge, aberration de ceux qui n’existent que par la négation de
leur être, qui ne sont rien parce qu’ils ne sont pas. A ceux-là, je souhaiterais
de mettre un maximum de Raguletto dans leur nourriture qui suivant la
publicité est une sauce qui réveille l’italien qui est en vous et de
manger beaucoup de pâtes Buitoni parce que Buitoni, notre Italie,
c’est toi. J’imagine que l’on pourrait se servir des mêmes exemples pour la
paëlla ou le couscous.
Et pourquoi pas remettre
au goût du jour le terme "Aubain" ?
Dans le dictionnaire
Le Petit Robert on lit que "aubain" vient de vieux français "aliban", d’un
autre ban, d’une autre communauté, d’une autre famille.
Dans le Petit Larousse
on lit : aubain : individu fixé dans un pays étranger sans être naturalisé.
Et de ce mot est né
"aubaine" c'est-à-dire, droit en vertu duquel le Seigneur recueillait les biens
que l’étranger non naturalisé laissait en mourant, droit qui a été supprimé en
1869. Et dont le sens est devenu, à partir de 1868, avantage, profit inattendu,
inespéré : profiter de l’aubaine, quelle bonne aubaine, dira le
Petit Larousse.
Et nous, nous dirons que,
bien qu'il soit étranger, métèque, barbare, immigré, émigré, migrant, assimilé,
inséré, intégré, intégrable, adapté, deuxième génération, issu de l’immigration,
gens venus d’ailleurs, non belge, allochtone, quelle aubaine !
Cessons de dicter aux
immigrés et aux communautés immigrées les conditions à remplir pour s’intégrer,
se faire accepter. Cessons de décider de leur destin, pour ne pas dire de leur
bonheur.
Les immigrés, les
communautés immigrées ont suffisamment fait preuve de maturité dans tous les
domaines pour qu’on les considère comme des partenaires dans la construction de
cette "maison commune" que doit devenir notre société.
Je pense tout
particulièrement à tous les délégués syndicaux élus par les travailleurs, non
pas à cause de leur nationalité, mais au nom de leur militance et de leurs
capacité de défendre l’entreprise et les droits de leurs compagnons de travail.
La Région wallonne devrait s’inspirer de l’exemple des syndicats qui dès 1973,
et même avant dans les charbonnages, ont mis sur pied d’égalité tous les
travailleurs, sans restriction de nationalité, et qui ont fait confiance à ces
travailleurs pour représenter leurs compagnons dans les délégations syndicales,
dans les Comités Sécurité-Hygiène, dans les Comités d’Entreprise.
C’est peut-être un rêve,
une utopie, mais cela vaut la peine de commencer ce combat.
Ayant participé, il y a
quelques années aux travaux de la "Commission Immigration" de l’Institut Jules
Destrée, qui par suite de malentendus, ont été malencontreusement interrompus,
puis-je en terminant, souhaiter voir l’Institut reprendre ces projets et surtout
de s’engager à les faire aboutir ?

Notes
(1)
L’intégration, une politique de longue haleine, volume 1, Commissariat royal
à la politique des immigrés, nov. 1989, p.39-40.
(2) N°8 du 15 mai 1995.
(3) L'intégration, une politique de longue haleine,
op. cit., p. 40.
(4) Op. cit., volume 1, p. 5.
(5) Op. cit., volume 1, p. 38.
Alberto Gabbiadini,
L'intégration des populations immigrées en Wallonie, dans
La Wallonie, une région en Europe,
CIFE-IJD, 1997