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Wallons d'ici et d'ailleurs, La société wallonne depuis la Libération - 1996

La Wallonie dans la Belgique fédéralisée, dans l'Europe et dans le monde

La Wallonie dans l’Europe communautaire
De l’intégration économique à la participation au processus décisionnel
- (1996)

Yves Rogister
Assistant en Science politique à l’Université de Liège

Introduction

1. Une Wallonie européenne

L’axe privilégié dans les présentes pages ne fournit sans doute pas les moyens d’une lecture exhaustive de l’insertion de la Wallonie dans l’ordre international durant la période choisie ici comme cadre chronologique (1946-1996); il ne permet pas davantage de saisir les nombreuses retombées ayant affecté la Wallonie, retombées résultant de l’évolution de l’environnement international. Une telle lecture exhaustive serait d’ailleurs impossible et préjudiciable dans le cadre d’une contribution de dimension et d’ambition nécessairement limitées. Ces limites matérielles invitent en effet à la prudence : évoquer en quelques pages un nombre excessif de séquences événementielles et d’évolutions risque de mener à la confusion et à la superficialité.

L’évocation de la dimension communautaire européenne de la Wallonie doit néanmoins permettre d’appréhender une des principales orientations de la présence au monde de la Wallonie. Cette orientation – dont le caractère essentiel est souligné fréquemment – constitue pour la Wallonie un facteur de prospérité et de développement socio-économique qui n’a guère d’égal. Nous n’évoquerons cependant ici que quelques aspects de l’impact du processus de l’intégration communautaire européenne sur le développement socio-économique de la Wallonie.

En outre, sur un autre plan, des évolutions du processus de l’intégration communautaire telles que l’instauration d’un partenariat direct Commission-Régions dans le cadre de la réforme des fonds structurels, la représentation des entités fédérées au Conseil des ministres de l’Union européenne instaurée par le Traité de Maastricht de 1992 ou encore celles attendues de la mise en oeuvre du principe de subsidiarité, sont par ailleurs source d’une reconnaissance politique. Ces diverses évolutions seront également évoquées.

Enfin, développement socio-économique et reconnaissance politique sont autant de gages pour la Wallonie d’un infléchissement du rapport de forces sur la scène intérieure belge.

 

2. Compétences et prérogatives dans l’ordre international attribuées aux entités fédérées dans le cadre du processus de fédéralisation de la Belgique

Si l’intégration dans le cadre communautaire européen apparaît comme un facteur d’émancipation et d’autonomie sur le plan interne belge, elle suppose aussi que la Wallonie se dote de moyens d’expression et de revendications spécifiques, lui garantissant un juste accès à la richesse ainsi produite dans la Communauté européenne. C’est pourquoi on évoquera aussi le processus de fédéralisation de l’Etat belge et la création progressive, dans la foulée, de compétences internationales pour les entités fédérées. Un décalage est cependant constatable entre l’attribution aux Communautés et Régions d’une autonomie grandissante et l’octroi, beaucoup plus tard, de prérogatives dans l’ordre international (cfr infra). Débuté en 1970, ce processus de fédéralisation n’a en effet commencé à attribuer des compétences internationales aux entités fédérées qu’assez tardivement. Quoique ce décalage empêche de conclure à une évolution synchrone des processus de l’intégration européenne et de fédéralisation de l’Etat belge, on peut estimer sans trop s’aventurer que le premier a exercé une influence sur le second.

 

I. Les premières étapes du processus de l’intégration communautaire européenne : naissances de la CECA (1951-1952) et de la CEE (1957-1958)

i. La Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) et l’industrie charbonnière wallonne. De l’ouverture des frontières à la "crise d’adaptation"

1. La CECA : origines et objectifs

Le 18 avril 1951 est signé, à Paris, le traité instituant la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) regroupant la France, la RFA., les pays du Benelux et l’Italie. Trouvant son origine dans une Déclaration du ministre français des Affaires étrangères, Robert Schuman, le 9 mai 1950, la CECA est en fait le produit des réflexions de Jean Monnet. Le contexte international qui voit la création de la CECA est d’abord celui des lendemains d’après-guerre, caractérisés par la réapparition, dans l’opinion publique – notamment française – de la question allemande et le souhait de prévenir une nouvelle guerre civile européenne. La CECA est née de la volonté de dépasser la rivalité franco-allemande par la construction d’une Europe-Unie, en soustrayant [...] l’industrie française et allemande du charbon et de l’acier – la base de l’industrie de guerre et le coeur de la vie économique – aux rivalités nationalistes pour les confier à un organe supranational (1). Ajoutons que l’intégration des secteurs charbonniers et sidérurgiques allemands et français apparaît également à Paris comme un moyen décisif [...] de contrôler l’économie allemande et de neutraliser la concurrence allemande tant redoutée (2). A ces objectifs initiaux, un contexte international de "Guerre froide" et l’éclatement, en juin 1950, de la Guerre de Corée, vont en ajouter un autre : la construction européenne apparaît comme le gage d’un renforcement de l’Alliance atlantique (fondée en avril 1949) face à une Union soviétique dont les vélléités expansionnistes alimentent psychose collective et anti-communisme en Occident (3).

Le projet de CECA est d’emblée ouvert à d’autres Etats européens. Aussi la Belgique est-elle du nombre des signataires du traité instituant la CECA le 18 avril 1951, aux côtés de l’Italie, du Luxembourg et des Pays-Bas.

La Haute Autorité – institution centrale de la CECA – est chargée de promouvoir une croissance régulière de la production de charbon et d’acier, la libre circulation des produits, le respect d’une concurrence loyale et l’amélioration du niveau social des travailleurs employés dans les secteurs de la sidérurgie et du charbon. L’ouverture des frontières dans le cadre de la CECA verra se développer considérablement le volume des échanges intracommunautaires sur le plan du charbon (trente millions de tonnes en 1955). Dans la foulée, on constate une tendance sérieuse à l’augmentation de la production.

2. L’impact du marché commun du charbon et de l’acier sur l’industrie charbonnière et la "crise d’adaptation" des six : le cas des charbonnages wallons

  • l’industrie charbonnière wallonne à la veille de l’ouverture des frontières :

Durant l’Entre-deux-guerres, le charbon s’imposait, aux côtés de la sidérurgie, comme l’une des sources de la prospérité et du développement socio-économique de la Belgique. La part prise par la Wallonie dans l’une et l’autre de ces deux sources de la prospérité belge était essentielle, la Flandre s’avérant alors faiblement industrialisée.

A la veille de l’ouverture des frontières entre les "six" de la CECA, la production charbonnière wallonne atteignait 19 millions de tonnes annuelles. La rentabilité de nombreux puits s’avérait cependant déjà compromise par les effets cumulés de l’épuisement des gisements, d’équipements périmés et de hauts salaires pratiqués en raison d’une pénurie de main-d’oeuvre dans ce secteur d’activité industriel. Sous les pressions des gros industriels – notamment sidérurgistes – consommateurs de charbon, le gouvernement poursuivait sa politique de subsidiation de l’industrie charbonnière, négligeant de recourir à l’instrument de la reconversion. La sidérurgie était alors la bénéficiaire nette du maintien de cette politique de subsidiation (4).

  • ouverture des frontières et crise d’adaptation :

L’ouverture subite des frontières au sein de la CECA provoqua une baisse considérable des prix de vente, le patronnat charbonnier n’osant cependant pas renoncer à la pratique des hauts salaires. En dépit de dédommagements provisoires octroyés par la CECA et l’Etat belge, la réduction importante des recettes affecta l’évolution de l’industrie charbonnière : diminution de la production et fermeture de charbonnages, surtout en Wallonie, figurèrent à l’ordre du jour.

Face à la "crise d’adaptation" qu’ils traversaient, les membres de la CECA adoptèrent un certain nombre de mesures, parmi lesquelles figurait une limitation des importations d’origine hors-CECA – notamment nord-américaines –. Sur ce plan, soulignons que, en 1957, le bassin houiller belge s’avérait encore excédentaire – et donc exportateur – contrairement à plusieurs autres pays membres de la CECA. La Belgique – particulièrement la Wallonie – se trouvait donc plus affectée par la concurrence des charbons nord-américains – et par celle, récente, du pétrole.

Les "six" décidèrent aussi une rationalisation de la production ainsi que l’octroi d’un revenu minimal garanti aux travailleurs licenciés, victimes de la fermeture de nombreux charbonnages conséquente à cette rationalisation. En Wallonie, quelques 5.000 mineurs perdirent leur emploi dans la foulée de fermetures affectant le Borinage, la région du Centre, Liège et Charleroi. L’enveloppe de 46 millions de FB allouée par la CECA pour financer le recyclage du personnel licencié ne permit pas d’éviter l’explosion sociale. Des mouvements de grève éclatèrent en effet dans les régions touchées (5).

3. L’industrie charbonnière wallonne et la concurrence pétrolière

Cependant, si les débuts de la CECA étaient contemporains d’une époque où le charbon constituait encore une source d’approvisionnement en énergie essentielle, on constate, à partir de 1960, une inversion croissante des courbes de consommation du charbon et du pétrole. La possibilité d’obtenir du pétrole brut moyen-oriental en quantité abondante, l’évolution comparée des coûts de production du pétrole – à la baisse – et du charbon – à la hausse – annoncent la fin d’une certaine époque de l’industrie charbonnière. Fin des années 1960, le bouleversement du marché de l’énergie sera complet. Cumulée à celle des charbons étrangers et du gaz hollandais, la concurrence du pétrole provoque un déclin du rendement de l’industrie houillère belge, le rythme de ce déclin s’avérant cependant asymétrique. Il se révèle en effet plus rapide en Wallonie qu’en Flandre, où les mines de Campine ont connu une modernisation récente.

Devant les difficultés d’écoulement, à partir de 1958, la Haute Autorité de la CECA engage des mesures de réduction de la production charbonnière affectant diverses régions du territoire communautaire. Celles-ci seront à l’origine d’entreprises de reconversion et de suppressions d’emplois qui constitueront notamment la toile de fond de l’évolution de la Wallonie pendant plusieurs décennies. Le charbon ayant constitué un secteur-clef de l’industrie wallonne, au départ duquel l’essentiel de la structure économique de la Wallonie s’est développée, l’amorce de son déclin devait, par un phénompène d’"osmose", avoir des conséquences désastreuses pour l’ensemble de l’économie wallonne. Tous les secteurs liés financièrement et techniquement à l’industrie charbonnière en furent affectés (6).

 

ii. La naissance de la Communauté économique européenne(1957-1958)

Le 25 mars 1957 sont signés, à Rome, les Traités instituant respectivement la Communauté économique européenne et la Communauté européenne de l’Energie atomique. La création de la CEE. et de l’"Euratom" procède en fait d’une dynamique lancée lors de la Conférence de Messine, les 1er et 2 juin 1955. L’organisation de cette conférence est née, en fait, de la volonté de relever le défi constitué par l’échec de la Communauté européenne de Défense en août 1954 et de relancer le processus de l’intégration communautaire européenne en panne depuis ce désaveu. Le Comité Spaak, créé à Messine aux fins d’élaborer des propositions pour la "relance", ayant remis son rapport, ce dernier est approuvé par les ministres des "six" le 29 mai 1956. Le 26 juin s’ouvre à Bruxelles la Conférence intergouvernementale chargée d’élaborer les nouveaux Traités. Les "six" adhèrent à l’idée d’une relance du processus de l’intégration communautaire européenne par la constitution d’un vaste marché commun, de préférence à une poursuite de l’intégration sectorielle, secteur après secteur (7).

Entré en vigueur dès le début de l’année 1958, le Traité CEE affectera notamment l’évolution de la Wallonie sur le plan de l’établissement d’un Marché commun. Celui-ci suppose la création d’une union douanière soit, respectivement, l’abolition des droits de douane et des restrictions quantitatives et l’établissement d’un tarif extérieur commun. Cette étape est atteinte dès 1968, du moins pour les produits industriels. Sur le plan des produits agricoles, les choses iront quelque peu moins vite. Dans le cadre de ce marché commun, caractérisé par une organisation de la concurrence intra-communautaire et une protection par rapport à la concurrence extra-communautaire, le volume des échanges va croître rapidement entraînant un développement des capacités productives.

Les retombées pour la Wallonie sont notamment visibles à travers sa place dans les échanges commerciaux intracommunautaires. Un critère de l’intégration dans le cadre communautaire européen, soulignait un observateur en 1976, est fourni par l’évolution du commerce extérieur. Et d’avancer des statistiques évoquant respectivement la croissance, de 1958 à 1974, de l’ensemble du commerce extérieur de l’Union économique belgo-luxembourgeoise (UEBL) et celle des échanges de l’UEBL avec le reste de la Communauté européenne pendant la même période. Sans doute l’absence de statistiques à l’échelon de la Wallonie biaisait-elle quelque peu l’analyse, l’accroissement souligné n’étant pas réparti dans les mêmes proportions entre toutes les régions concernées. Les chiffres avancés n’en permettaient pas moins à cet observateur de conclure à une "identité européenne" bien affirmée de la Wallonie. De 1958 à 1974, le commerce extérieur de l’UEBL avait été multiplié par 7,2, ses échanges avec le reste de la CE étant multipliés quant à eux par 10,8. Si, en 1958, la Communauté européenne absorbait 45 % du commerce extérieur de l’UEBL, en 1974, ce volume atteignait 68 % du commerce extérieur de l’UEB (8).

Dans la conclusion d’une enquête sur Les exportations de la Wallonie publiée en 1996, l’Union wallonne des Entreprises relevait que les firmes wallonnes exportent essentiellement vers les pays européens, plus particulièrement vers l’"Europe des Quinze" laquelle absorbe quelques 73 % des exportations wallonnes. 48 % de ces exportations wallonnes sont cependant destinés aux pays limitrophes (9).

 

II. Le déclin de l’industrie charbonnière wallonne et les débuts d’une politique régionale européenne

i. Le déclin de l’industrie charbonnière wallonne

Au plan belge, les mesures de réduction de la production charbonnière arrêtées dans le cadre de la CECA se traduisirent notamment par une planification de la fermeture des charbonnages wallons – prévue, au plus tard, pour 1981 – et flamands – au plus tard en 1985 –. En 1973, le gouvernement belge offrit même des primes de départ afin d’accélérer la reconversion du personnel employé dans ce secteur d’activité. Les pertes d’emplois frappèrent surtout les charbonnages wallons. La CECA appuya le processus de restructuration et de reconversion, offrant à la Wallonie et à la Flandre des prêts destinés à financer la restructuration des charbonnages existant et la reconversion des travailleurs, prêts qui atteignirent, sur la période de programmation courant de 1973 à 1978, la somme de 451 millions de FB (10).

La crise énergétique survenue en 1979 et l’augmentation des prix pétroliers provoquèrent un bouleversement des décisions arrêtées sur le plan de la restructuration du secteur charbonnier et, plus particulièrement, sur le plan des fermetures de charbonnages. La Commission européenne décida en effet la relance de l’exploitation charbonnière dans la Communauté avec pour objectif d’assurer pour 75 % la production d’électricité par le recours combiné au nucléaire et au charbon, ce qui permettrait de considérables réductions des importations pétrolières. Le processus de restructuration fut donc suspendu et les fermetures de charbonnages différées.

Sur le plan belge, la décision du 28 décembre 1979 d’augmenter la part du charbon dans l’alimentation des centrales électriques – en cela conforme aux orientations tracées par la Commission – permit l’économie d’un million de tonnes de pétrole sur les 27 consommées annuellement.

Ce regain d’activité de l’industrie charbonnière belge ainsi favorisé par la conjoncture énergétique internationale eut lieu cependant essentiellement au bénéfice de la Flandre. Le secteur charbonnier belge dans son ensemble n’en n’était pas moins condamné à plus ou moins brève échéance, cette échéance s’avérant cependant plus rapprochée dans le cas des charbonnages wallons.

Le charbonnage Le Roton , à Farciennes, près de Charleroi, était le dernier puits wallon en activité au début des années 1980. Ayant bénéficié d’un sursis grâce à l’intervention de Jean-Maurice Dehousse, alors ministre des Affaires wallonnes dans le Gouvernement Martens II, Le Roton s’était vu octroyer, de plus, une enveloppe de 1,2 milliards de FB par le gouvernement Martens V (1982). Il est vrai que, dans le même temps, les charbonnages de Campine recevaient une aide de 31,9 milliards de FB, aide destinée à couvrir une période courant jusque 1987. A ce moment, Le Roton n’employait plus que 1.370 personnes, produisant annuellement 350.000 tonnes de charbon. Par comparaison, les mines de Campine employaient alors 19.500 travailleurs, produisant annuellement 6 millions de tonnes de charbon.

Le constat de la faiblesse de cette dernière unité de l’industrie charbonnière wallonne amena donc le Comité ministériel de Coordination économique et sociale (CMCES) à décider – sans consultation préalable de l’Exécutif régional wallon – la fermeture du Roton pour le 30 septembre 1984. L’industrie charbonnière wallonne avait vécu.

 

ii. La création du Fond européen de Développement régional (FEDER) et l’émergence d’une "problématique régionale" à l’échelon de la Communauté européenne

1. De l’indifférence à la prise de conscience de la "problématique"

Le Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne fixait comme objectif, dans son préambule, la réalisation d’un [...] développement harmonieux des économies des Etats-membres en réduisant l’écart entre les différentes régions et le retard des moins favorisées. Les Etats signataires du Traité n’avaient cependant pas jugé nécessaire de "constitutionnaliser" un tel objectif, négligeant de l’inscrire formellement dans le corps du Traité. Aussi le caractère marginal de la politique régionale communautaire et, notamment, l’absence d’un instrument financier spécifique sur ce plan, ont-ils perduré jusqu’au milieu des années 1970. Les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre du Traité de Rome – lequel détaillait expressément, outre l’Union douanière, diverses politiques communes – et l’entreprise de longue haleine que cette mise en oeuvre supposait, constituent l’une des raisons de cet immobilisme. [...] Vu les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre du seul Traité, il était illusoire d’envisager l’établissement d’une politique commune non expressément prévue par celui-ci (11). Par ailleurs, les Etats-membres disposant de leurs propres instruments d’action ressentaient d’autant moins la nécessité d’une politique régionale communautaire. Enfin, la convergence relative des économies des Etats-membres de la Communauté européenne due, respectivement, à une conjoncture favorable et aux retombées du Marché commun, faisait apparaître comme secondaires des disparités intérieures cependant importantes (12).

La premier élargissement (1972-1973) contribua à poser le problème. La Grande-Bretagne et l’Irlande présentaient notamment une situation socio-économique nettement plus défavorable que les six Etats fondateurs de la Communauté européenne.

Des difficultés d’adaptation susceptibles de compromettre tant l’intégration des nouveaux venus dans la CE que la poursuite même de la construction communautaire étaient à craindre. Par ailleurs, la conjoncture économique internationale s’était entre-temps considérablement modifiée et la crise allait, respectivement, sonner le glas d’une période relativement prospère et affecter considérablement le processus de l’intégration européenne (13).

 

2. La création du Fonds européen de Développement régional

La fin de l’année 1974 vit, lors du Sommet européen de Paris, la décision de créer un Fonds européen de Développement régional (FEDER). Entérinée par un Règlement du Conseil des ministres du 18 mars 1975, la création du FEDER ambitionnait de corriger les principaux déséquilibres régionaux de la Communauté résultant notamment d’une prédominance agricole, des mutations industrielles et d’un sous-emploi stucturel. Le FEDER était doté de quelques 65 milliards de FB pour la période 1975-1977, ses aides pouvant intervenir à concurrence de 20 % du coût total de l’investissement (activités économiques) et de 30 % (infrastructures). Il fonctionnait selon un système de dotations pré-réparties entre Etats-membres selon des quotas établis par les Etats eux-mêmes au sein du Conseil des ministres.

La quote-part de la Belgique fut ainsi fixée à 970 millions de FB – 1,5 % des aides du Fonds –, l’affectation des aides entre les régions s’avérant déséquilibrée, notamment au regard de la situation socio-économique respective de ces dernières. Sur le plan d’une comparaison des aides régionales européennes et des régions aidées, d’autres disparités flagrantes dans la répartition sont également constatables. Ainsi, le traitement de la Wallonie dans le cadre des aides FEDER pour l’année 1975 fut de 88 millions de FB soit 0,58 % des aides octroyées dans l’ensemble de la Communauté européenne durant cette année (15 milliards). Il s’agit là d’une quote-part huit fois inférieure à celle des régions britanniques alors aidées (14). Soulignant le préjudice ainsi causé à la Wallonie, Paul Romus y trouvait un argument de poids en faveur d’une attribution à la Wallonie des instruments permettant une défense efficace des dossiers spécifiques. Et de conclure : [...] on peut penser qu’en matière de politique régionale – (belge et) européenne – une véritable régionalisation constituera le seul moyen, pour la Wallonie, de recevoir sa juste part de la richesse de (l’Etat et) de la Communauté dont elle fait partie (15).

Hors la question des disparités dans l’attribution des aides, le premier FEDER s’avéra un instrument imparfait à plusieurs titres. Outre une dotation modeste, le premier FEDER fut surtout [...] un instrument de redistribution budgétaire en faveur des Etats-membres défavorisés, bénéficiaires nets du FEDER en regard de leur contribution au budget de la Communauté (Italie, Royaume-Uni, Irlande) et aux dépens des autres Etats-membres (RFA, Benelux, Danemark). Le cadre étroit limitant les interventions du FEDER n’entravait pas l’autonomie des politiques régionales menées par chaque Etat-membre et n’accordait aucune valeur ajoutée à la politique communautaire (16).

 

iii. Les débuts du processus de fédéralisation de l’Etat belge

L’année 1970 voit aussi le début du processus de fédéralisation de l’Etat belge, processus porteur, à terme, pour les entités fédérées, de compétences autorisant une présence internationale spécifique, distincte de celle de l’Etat central. Ces compétences ne seront cependant attribuées aux entités fédérées qu’assez tardivement.

Un décalage est donc constatable entre l’attribution aux Communautés et Régions d’une autonomie grandissante dans l’ordre interne et l’octroi, beaucoup plus tard, de prérogatives dans l’ordre international. Le parallélisme entre compétences internes et prérogatives externes fut cependant rapidement revendiqué par les entités fédérées au nom [...] d’une logique fonctionnelle aisément compréhensible : la compétence interne appelle, en quelque sorte, la compétence externe car, à défaut de parallélisme, l’Etat fédéral, seul habilité en matière internationale, récupérerait par ce biais une importante partie des compétences octroyées (17).
La revendication d’un tel parallélisme devait déboucher, plus d’une vingtaine années plus tard, sur le transfert de nombreuses compétences extérieures de l’Etat – devenu fédéral – à ses composantes, et des enveloppes budgétaires adéquates.

A partir de 1980, suite aux revendications émises par elles, les Communautés et Régions se virent progressivement associées au traitement des questions internationales : délégation par l’Etat central du suivi et de la gestion de certains traités conclus antérieurement (culturels notamment); autorisation pour les Conseils communautaires et régionaux de donner leur assentiment quant aux traités les concernant; association des Exécutifs communautaires et régionaux à la négociation des accords internationaux relevant de leurs compétences.

 

III. L’Acte unique européen (1986-1987), la première réforme des fonds structurels européens (1989-1993) et la régionalisation du commerce extérieur de la Belgique

i. L’Acte unique européen (AUE) et l’objectif de la cohésion économique et sociale

L’apport essentiel au processus de l’intégration européenne de l’Acte unique européen (AUE), signé en 1986 et entré en vigueur le 1er juillet 1987, réside bien sûr dans l’échéancier fixé à l’établissement du "marché unique", censé être réalisé au premier janvier 1993. La réalisation de ce dernier posait cependant la question des disparités régionales au sein de la Communauté européenne, considérablement aggravées par les élargissements à la Grèce (1981), à l’Espagne et au Portugal (1986). Ces Etats redoutaient la perspective du Marché unique au titre d’un accroissement vraisemblable des disparités régionales qu’il allait entraîner.

Aussi, sous la pression des Etats les moins favorisés, l’Acte unique européen devait-il aussi jeter les bases d’une authentique politique régionale commune, en introduisant, dans le dispositif même du Traité, l’objectif originel de réduction des disparités régionales contenu dans le préambule. Au delà, l’AUE posait l’objectif de la réalisation de la cohésion économique et sociale au sein de la Communauté, objectif dont la réalisation était requise pour des raisons relevant de la viabilité de sa construction tant sur un plan économique – Marché unique, Union économique et monétaire – que sur un plan politique. Dans son article 130 A, l’AUE "constitutionnalise" – certes en termes assez généraux – le principe de la redistribution régionale et d’une solidarité financière entre les échelons régionaux, nationaux et communautaires, affirmant que, afin de promouvoir un développement harmonieux de l’ensemble de la Communauté, celle-ci développe et poursuit son action tendant au renforcement de la cohésion économique et sociale. En particulier, la Communauté vise à réduire l’écart entre les diverses régions et le retard des régions les moins favorisées. Dans son article 130 C, l’AUE attribue au FEDER – plus de dix ans après sa création – un rôle de [...] correction des principaux déséquilibres régionaux par une participation au développement et à l’ajustement structurel des régions en retard de développement et à la reconversion des régions industrielles en déclin (18). Enfin, l’AUE précisait que l’ensemble des politiques communes et du Marché unique devait concourir à la réalisation de la cohésion économique et sociale.

 

ii. La première réforme des Fonds structurels européens (1989-1993)

La définition des moyens destinés à rendre opérationnelle cette nouvelle politique régionale commune eut lieu en 1988 avec la décision de doubler en termes réels les ressources allouées aux Fonds structurels entre 1989 et 1993. Cinq nouveaux règlements furent adoptés ensuite qui organisèrent la réforme des fonds structurels, laquelle devait courir sur la période 1989-1993. Ces cinq règlements établissaient les principes respectifs de :

  • partenariat c’est-à-dire une concertation entre Commission, Etat-membre, autorités internes compétentes, soit les Communautés et Régions, en Belgique. En vertu de ce dialogue institué à tous les stades de la procédure, la Région wallonne est partie prenante aux discussions, négociant directement avec la Commission du contenu de ses programmes et des financements qui leur sont accordés;

  • complémentarité et additionnalité : la Communauté n’intervient qu’en complément des programmes nationaux et régionaux. Le corollaire du principe de complémentarité est le principe d’additionnalité : le financement communautaire ne peut se substituer à un financement national ou régional défaillant;

  • coordination entre les différents instruments financiers : dans le but d’apporter une réponse globale aux différents problèmes affectant une même zone, la réforme des fonds structurels a établi que différents instruments étaient susceptibles d’intervenir au titre d’un même objectif. Cet effort de rationalisation de la politique régionale comunautaire contribue à éviter que les aides structurelles ne deviennent un "tonneau des Dannaïdes";

  • concentration : la réforme concourt aussi à éviter saupoudrage et éparpillement en concentrant [...] l’octroi des subventions communautaires sur les régions les plus défavorisées et (en focalisant) cette action sur des objectifs prioritaires (19).

La réforme des fonds structurels de 1989 établit cinq objectifs prioritaires :

a. Objectif 1 : promotion du développement et de l’ajustement structurel des zones en retard de développement. Les zones ici éligibles sont celles dont le PIB/habitant est inférieur à 75 % de la moyenne communautaire. Le volume des aides octroyées dans le cadre de l’Objectif 1 correspond à 64,8 % des Fonds structurels;

b. Objectif 2 : reconversion des zones industrielles en déclin. Les zones éligibles aux aides d’Objectif 2 (12,2 % des fonds structurels) [...] doivent être caractérisées par un taux moyen de chômage supérieur à la moyenne communautaire; [...] un taux d’emploi industriel supérieur à la moyenne communautaire (pour toute année de référence à partir de 1975). Enfin, par rapport à l’année de référence choisie, on doit avoir constaté un déclin important de l’emploi industriel (20);

c. Objectif 3 : lutte contre le chômage de longue durée (plus de douze mois) des personnes agées de plus de 25 ans;

d. Objectif : insertion professionnelle des jeunes de moins de 25 ans; soulignons que ces deux derniers objectifs se partagent quelques 12,6 % des fonds structurels;

e. Objectif 5a : adaptation des structures de production, de transformation et de commercialisation dans l’agriculture et la sylvciculture (5,7 % des fonds structurels) et Objectif 5b : promotion du développement des zones rurales (4,6 % des fonds structurels). Les zones éligibles aux aides prévues dans le cadre de ce dernier objectif, doivent satisfaire aux critères suivants : un taux élevé d’emploi agricole, un faible niveau de revenu agricole et un faible niveau de développement socio-économique, apprécié sur base du PIB/habitant.

Soulignons que les objectifs 3, 4 et 5a sont qualifiés d’"horizontaux". N’étant en effet pas destinés à une région particulière, ils sont mis en oeuvre sur l’ensemble du territoire de la CE. En revanche, les objectifs 1, 2, 5b sont seuls à poursuivre une finalité régionale.

Dans le cadre de la réforme des fonds structurels de 1989, la Wallonie relevait essentiellement de l’objectif 2, les zones aidées étant les suivantes :

  • l’arrondissement de Charleroi et quelques communes à la périphérie;

  • l’arrondissement de Liège;

  • la commune d’Aubange, dans la Province de Luxembourg;

L’ensemble de ces zones d’Objectif 2 bénéficia d’une "enveloppe" de 9 milliards de FB pour la période courant de 1989 à 1993. Outre les dotations au titre de l’Objectif 2, cette enveloppe comprend également la part qui leur est attribuée dans le cadre des initiatives communautaires soit des actions [...] que la CE peut entreprendre, de sa propre initiative, pour résoudre certains problèmes régionaux spécifiques. Le poids de ces initiatives est particulièrement important dans le cas d’Aubange et de son "Pôle Européen de Développement" lancé en 1985 (21).

Sur base de l’Objectif 5b, la Wallonie a reçu une enveloppe de 900 millions de FB, concentrée dans la région – rurale – de Famenne-Ardenne.

iii. La régionalisation du commerce extérieur de la Belgique

La loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1988 est à l’origine d’une régionalisation partielle du commerce extérieur de la Belgique. Cette dernière sera rendue opérationnelle par des transferts financiers et humains. Sur ce dernier plan, soulignons le transfert, réalisé au 1er mars 1991, à la DARE-AWEX (Direction des Relations extérieures de la Région wallone – Agence wallonne à l’Exportation ) de plusieurs dizaines d’agents de l’Office belge de Commerce extérieur (OBCE). Ce transfert sera complété, au début 1992, par celui de plusieurs attachés commerciaux venant du Ministère fédéral des Affaires étrangères (22). Cette ébauche de la régionalisation du commerce extérieur avait, de la part de la Région wallonne, été anticipée par des actions de promotion du commerce wallon à l’Etranger ainsi que d’encouragement des entreprises wallonnes à prospecter les marchés extérieurs. En janvier 1994, une quarantaine d’attachés commerciaux supplémentaires seront transférés de l’Etat fédéral vers la Région wallonne, étoffant la diplomatie économique wallonne.

La régionalisation du commerce extérieur a été menée de front avec la création de structures de concertation et de coopération entre Régions et Etat fédéral. L’accord du 9 octobre 1990 établit ainsi une concertation des programmes annuels d’action, les Régions se voyant par ailleurs associées aux commissions mixtes chargées du suivi des accords de coopération économique, technologique et industrielle. La Région wallonne devra par ailleurs bénéficier du soutien administratif des postes diplomatiques et consulaires sur le plan de ses intiatives à l’étranger.

Un examen des performances de la Région wallonne sur le plan du commerce extérieur fournit un indice de son insertion réussie dans le cadre communautaire européen : en 1996, quelques 73 % des produits wallons exportés le sont à destination de l’"Europe des quinze" – dont 48 % à destination des pays limitrophes (23). Les progrès du processus de l’intégration européenne ne sont certes pas étrangers à cette situation.

 

IV. Le Traité d’Union européenne (1992) et la reconnaissance du "fait régional" – la fédéralisation des relations extérieures de la Belgique – la seconde réforme des fonds structurels européens

i. Vers une redistribution des compétences extérieures entre Etat fédéral, Communautés et Régions

Les réformes institutionnelles fondamentales de 1993-1994 ont débouché sur une redistribution des compétences extérieures entre Etat fédéral, Communautés et Régions. Selon l’expression d’un observateur, la Belgique peut [...] devenir ad extra ce (qu’elle) est maintenant réellement ad intra : un Etat fédéral (24). Communautés et Régions sont désormais, notamment, habilitées à conclure des traités intéressant les matières les concernant. Par ailleurs, des modalités opératoires ont été arrêtées entre Etat, Communautés et Régions, qui sont destinées à permettre la concrétisation de l’article 146 institué par le Traité d’Union européenne (voir infra).

S’il est vrai que le fondement de tout Etat fédéral est de permettre à ses composantes de mener des politiques correspondant à leurs besoins et à leurs spécificités (25), le succès d’une telle entreprise nécessite, outre des transferts de compétences dont le corollaire nécessaire est un transfert financier et humain, la mise en place de structures [...] permettant à l’Etat et à ses entités fédérées de se concerter pour la définition de positions communes (26). Ces structures doivent notamment permettre la définition des positions communes dans le cadre communautaire européen. Aussi chaque Conseil des ministres de l’UE est-il précédé d’une réunion de "coordination européenne", organisée par le Ministère des Affaires étrangères et qui voit la participation des entités fédérées à l’élaboration des positions à défendre dans le cadre communautaire européen. En outre, une Conférence interministérielle de Politique étrangère (CIPE) réunit régulièrement, à des fins d’information et/ou de concertation, l’ensemble des ministres intervenant dans les relations extérieures – dont les relations établies dans le cadre communautaire européen.

 

ii. Le Traité d’Union européenne et la reconnaissance du "fait régional"

Le Traité d’Union européenne (TUE) conclu à Maastricht en décembre 1991, signé dans la même ville en février 1992, voit son entrée en vigueur en novembre 1993. En amont et en aval du Traité sont présentes des évolutions susceptibles d’affecter la Wallonie sur deux plans. Via les instruments offerts par la Région wallonne et la Communauté française, la Wallonie se voit ouvrir [...] la possibilité d’une politique de dimension européenne efficace (27). Par ailleurs, une seconde catégorie de retombées concernent la Wallonie dans sa dimension intérieure.

En amont du Traité

L’année 1990 et surtout l’année 1991 ont été témoins d’un "exercice diplomatique inédit" pour les Communautés et Régions de Belgique, qui voient leur association aux travaux des deux Conférences intergouvernementales – respectivement sur l’Union économique et monétaire, et sur l’Union politique – appelées à réviser les Traités instituant les Communautés européennes. Le 11 décembre 1990, le Comité de concertation inter-Exécutifs de politique étrangère décide que les Exécutifs des Communautés et Régions seront représentés au sein de la délégation belge. Le nombre des représentants variera selon la nature des compétences – communautaires et/ou régionales – concernées par les négociations intergouvernementales (28).

En aval du Traité

1. Le Traité d’Union européenne et la représentation des entités fédérées au Conseil des ministres de l’UE

A l’initiative, notamment, de la Belgique – elle-même motivée par les revendications de ses Communautés et Régions – le Traité d’Union européenne a créé la possibilité d’une participation des Ministres issus des exécutifs fédérés au Conseil de l’Union européenne. Cette possibilité résultant en fait de la modification de l’article 146 CEE (remplacé par l’art. 2 du Traité de Fusion de 1965), est un moment-clé dans les relations entre entités fédérées des Etats-membres et instances européennes : expression d’une reconnaissance des Régions et Communautés à l’échelon communautaire européen, il associe de manière effective ces dernières au processus de décision communautaire.

Les modalités de cette association étant à fixer au sein de chaque Etat fédéral membre de l’UE ainsi qu’entre les Excécutifs des entités fédérées, la Belgique et les Communautés et Régions ont atteint le consensus qui suit. Une distinction a été opérée entre quatre types de Conseils des ministres de l’UE, distinction établie selon les matières traitées au sein de ces Conseils respectifs (29).

a. Représentation fédérale exclusive :
Le cas le plus simple verra le siège belge au Conseil occupé par le seul ministre fédéral compétent. Cette représentation fédérale exclusive sera de mise dans les cas suivants : Conseils Affaires générales, Ecofin., Budget, Justice, Télécommunication, Consommateurs, Développement.

b. Représentation exclusive des entités fédérées :
Les Conseils de l’UE concernés sont les suivants : Culture, Education, Tourisme, Jeunesse, Logement et Aménagement du Territoire. La difficulté a résidé ici dans le fait que ces diverses matières étaient, soit exclusivement communautaires, au sens belge du terme (Culture, Education), soit exclusivement régionales (Tourisme, Jeunesse, Logement et Aménagement du Territoire). Une rotation a donc été assurée entre les ministres fédérés à chaque fois concernés. Le représentant occupant le siège de la Belgique au Conseil doit défendre les intérêts de toutes les Communautés et Régions. Aussi une coordination préalable des points de vues respectifs a-t-elle été prévue.

c. Représentation fédérale avec un ministre assesseur des entités fédérées :
Sont concernés ici les Conseils traitant de matières mixtes, ressortissant à l’Etat fédéral et aux entités fédérées, la compétence fédérale étant cependant prépondérante : Santé et Affaires sociales (Etat-Communautés), d’une part, Agriculture, Environnement, Marché intérieur, Energie, Transports (Etat-Régions), d’autre part. Le siège belge, avec droit de vote exclusif, (est) occupé (ici) par le ministre fédéral [...] accompagné d’un ministre communautaire ou régional, [...] le ministre-assesseur (30). Une rotation et une coordination préalable des points de vue sont ici également assurées.

d. Représentation des entités fédérées avec assesseur fédéral :
Le ministre fédéré occupe ici le siège de la Belgique – avec droit de vote exclusif –, le ministre fédéral exerçant la fonction de ministre-assesseur, la rotation et la coordination préalable étant également de mise. Les Conseils de l’UE concernés par ces modalités de représentation sont ceux siégeant en formations Recherche (Communautés - Etat) et Industrie (Régions - Etat), matières mixtes fédérale-fédérée voyant une prépondérance de la compétence fédérée.

2. Le Comité des Régions et le renforcement de la légitimité démocratique de l’UE

La création par le TUE (art. 198) d’un Comité des Régions est apparue à beaucoup d’observateurs comme une reconnaissance du fait régional au sein de l’espace communautaire européen. Par le biais du Comité des Régions, les autorités régionales et locales se voient associées aux travaux des Communautés. Sans doute sa structure organisationnelle est-elle commune au Comité économique et social, et la clé de répartition de ses membres est-elle la même que celle du Comité économique et social (CES). Le Comité des Régions semble néanmoins se distinguer de cette autre instance consultative par un rôle plus politique (31). La Wallonie est évidemment concernée par la création d’une telle institution.

Néanmoins, deux observations doivent être faites qui nuancent considérablement l’apport que l’on doit attendre de cette nouvelle institution.

La première, spontanée, porte sur le caractère exclusivement consultatif du Comité des Régions. Ce dernier doit être obligatoirement consulté par la Commission et le Conseil des ministres sur tout projet de normes réglementant les matières sociales, culturelles ainsi que sur celles relatives aux politiques régionale et des transports. Le Comité des Régions sera donc appelé à donner son avis sur toute initiative ou question afférant aux Fonds structurels. Il peut également, de sa propre initiative, saisir la Commission et le Conseil sur des points jugés importants par ses membres. Commission et Conseil ne sont cependant nullement tenus de suivre ses avis. Aussi peut-on redouter que le Comité des Régions intervienne dans le processus d’élaboration des politiques communautaires davantage en raison de sa capacité d’expertise qu’à titre de vecteur d’une association des Régions de la CE à la prise de décision communautaire.

La seconde observation est inspirée le caractère hétérogène de la composition du Comité des Régions, lequel, en fait, [...] comprend des délégués des régions proprement dites et "des autres collectivités territoriales" (32). Cette hétérogénité, elle-même conséquente à la grande variété des modes de décentralisation des pouvoirs au sein des Etats-membres de l’Union européenne, sera vraisemblablement préjudiciable au fonctionnement du Comité des Régions et à sa capacité à se positionner favorablement dans le système politique communautaire.

3. Le principe de subsidiarité

La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et d’objectifs qui lui sont assignés par le présent traité. Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les Etats-membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire (art. 3B du Traité CEE tel qu’il résulte de l’art. G, Titre II du TUE). Le caractère inédit du principe de subsidiarité institué par le TUE est certes relatif. Son intérêt est cependant grand sur le plan de l’organisation des rapports au sein de la Communauté européenne, entre échelon communautaire, échelon des Etats-membres (représentés au sein du Conseil de l’UE) et échelon des collectivités territoriales sub-étatiques. C’est que la subsidiarité apparaît aussi comme le gage d’une polarisation du niveau de pouvoir des collectivités régionales et d’un repositionnement des entités fédérées face à l’Etat fédéral. En effet, [...] en rappelant que le principe de subsidiarité avait pour soubassement démocratique le souci de faire prendre les décisions le plus près possible des citoyens, on reconnait sa vocation à s’appliquer non seulement aux rapports entre la Communauté et ses Etats-membres, mais aussi aux rapports entre les Etats-membres et les collectivités territoriales inférieures [...] (33). Sur le plan d’une promotion des intérêts wallons et de l’affirmation de la spécificité de la Wallonie, la mise en oeuvre du "principe de subsidiarité" devrait donc conforter l’intervention de la Communauté française et de la Région wallonne – à l’instar des autres entités fédérées des pays de l’UE – dans le processus décisionnel communautaire. Mais sa mise en oeuvre devrait aussi renforcer la spécificité et l’autonomie des Communautés et Régions dans le cadre de l’Etat belge.

iii. La réforme des Fonds structurels européens de 1994

La seconde réforme des Fonds structurels a débuté en 1993 avec l’adoption de plusieurs règlements qui, sans changer le cadre général des fonds structurels, ont introduit, à partir de 1994, certaines modifications importantes. Au cours de cette même année 1993, la Commission européenne et le Conseil ont arrêté les Régions appelées à bénéficier des aides structurelles sur une période globale courant de 1994 à 1999. Cette sélection a eu lieu sur base, notamment, des "plans de développement" introduits, après concertation, par les autorités nationales et régionales. Etat fédéral belge et Région wallonne ont ici été appelés à collaborer pour défendre les divers dossiers wallons auprès des instances communautaires.

Les modifications apportées par la seconde réforme des fonds structurels voient, en Wallonie, une nouvelle délimitation des zones bénéficiaires et, dans le cas du Hainaut, un nouveau classement. La réforme comporte également une modification des dotations – doublement de la dotation des "zones d’objectif 1" et augmentation de 50 % de la dotation des "zones d’objectif 2" – ainsi que de la programmation.

Dans le cas du Hainaut, c’est désormais la totalité de la province qui devient bénéficiaire des aides européennes, contre, en 1989, seuls l’arrondissement de Charleroi et quelques communes limitrophes. Entre 1989 et 1994, la population des zones aidées se voit plus que doublée, atteignant le chiffre de 1.279.000 habitants. Par ailleurs, le Hainaut est à présent classé "zone d’objectif 1" soit zone en retard de développement. En vertu de cette "promotion", le Hainaut recevra une enveloppe de quelques 33 milliards de FB sur une période de six années, courant de 1994 à 1999.

Le classement de la "zone Liège" demeure celui d’une "zone d’objectif 2", soit une zone industrielle en déclin. En revanche, son étendue géographique est quelque peu accrue au delà du seul arrondissement de Liège concerné en 1989. La population de la "zone Liège" aidée est désormais de 713.000 habitants, contre 593.000 précédemment. Le plan de reconversion de la "zone Liège" lui assure un volume de 3,8 milliards de FB durant la période 1994-1996. Egalement "zone d’objectif 2", la commune d’Aubange (Province de Luxembourg), se voit attribuer une enveloppe de 30 millions de FB pour la même période. Au terme de cette période, ces "zones d’objectif 2" ainsi que les critères de leur sélection pourront être reconsidérés.

Enfin, la qualité de "zone d’objectif 5b" – soit zone de développement rural – est étendue à presque toute la Famenne et l’Ardenne, soit 213.000 habitants. L’aide européenne prévue dans ce cadre est chiffrée à 233 millions de FB pour 1994-1999.

Les principes de complémentarité et d’additionnalité sont ici aussi de mise. Le versement des subventions communautaires au titre des aides structurelles est subordonné à l’instauration d’un cofinancement, [...] une contribution au moins équivalente à celle de la Communauté européenne est attendue des autorités publiques (Région wallonne, Communauté française) et des organismes privés (34).

Quelques mots encore, pour conclure, sur les aides structurelles européennes allouées à la Wallonie. Certains observateurs ont souligné la différence d’intensité et d’importance des aides européennes accordées respectivement au Hainaut et à la "zone Liège", l’estimant non-justifiée par la différence de gravité des situations entre les deux régions. Le critère de sélection à l’origine du nouveau classement "avantageux" du Hainaut réside dans l’indicateur du PIB par habitant et sa comparaison avec la moyenne communautaire. D’une part, le PIB par habitant du Hainaut atteignant 77 % de la moyenne communautaire, il dépasse le seuil de 75 % en-dessous duquel les zones éligibles à des aides d’"objectif 1" doivent nécessairement se situer. La critique émise porte au delà sur la pertinence du critère de sélection des "zones d’objectif 1". L’évolution différenciée des deux zones susceptible de découler de cette différence de traitement risque, à terme, de nuire à la cohésion économique, sociale et politique de la Wallonie (35).

Notes

1. COOLSAET, 1988, p. 145.
2. COOLSAET, 1988, p. 145.
3. P. GERBET, 1994, p.115.
4. H. DORCHY, 1991, p. 338.
5. P. GERBET,1994, p. 26-232; H. DORCHY, 1991, p. 338-341.
P. GERBET,1994, p. 26-232; H. DORCHY, 1991, p. 338-341
6. H. DORCHY, 1991, p. 338-341.
7. P. GERBET, 1994, p. 170-189.
8. P. ROMUS, 1976, p. 520.
9. A. LESAGE, S. WAHA, 1996, p.11 et p. 23-24.
10. H. DORCHY, 1991, p. 340.
11. R. DELCOMINETTE, 1992, p. 7.
12. A. BUZELAY, A. HANNEQUART, 1994, p. 7-24.
13. A. BUZLAY, A. HANNEQUART, 1994, p. 7-24.
14. ROMUS, 1976, p. 517.
15. ROMUS, 1976, p. 522.
16. R. DELCOMINETTE, 1992, p. 8.
17. de WILDE, 1995, p. 1.
18. BUZELAY, HANNEQUART, p. 22, 23, 24.
19. Wallonie, 20, 1992, p.11.
20. A. BUZELAY, A. HANNEQUART, p. 67-83.
21. P. ROMUS,1994, p. 16.
22. F. MASSART, 1993, p. 107.
23. A. LESAGE, S. WAHA, p. 23.
24. de WILDE, 1995, p. 1.
25. Wallonie, 28/29, 1993-4/5, p. 10.
26. Wallonie, 28/29, 1993-4/5, p. 10.
27. Wallonie, 28/29, 1993-4/5, p. 6.
28. F. MASSART, 1993, p. 115-116.
29. de WILDE, 1995, p. 6.
30. de WILDE, 1995, p. 6.
31. QUERMONNE, 1994, p. 96.
32. QUERMONNE, 1994, p. 96.
33. J. CHARPENTIER, 1994, p. 53-54.
34. P. ROMUS,1994, p. 17.
35. P. ROMUS,1994, p. 17-19.

BUZELAY Alain, HANNEQUART Achille, Problématique régionale et cohésion dans la Communauté européenne, Editions Economica, Paris, 1994, 158 pages.
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Ce texte est extrait du catalogue de l'exposition Wallons d'ici et d'ailleurs. La société wallonne depuis la Libération, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1996.


 

 

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