Introduction conceptuelle
Cette contribution a pour
objet l’évolution du secteur économique de la Belgique d’après 1945, suivie tout
au long de ses problèmes, les généraux et les spécifiques, et replacée dans le
cadre plus large du régime capitaliste que la Révolution industrielle instaura.
Cette Révolution industrielle se poursuivit au travers de quatre régimes
politiques : 1. les vingt dernières années de l’Ancien Régime (1770-1789), 2. le
Régime français (1792-1814), 3. le Régime hollandais (1815-1830), 4. les
premières années de l’Indépendance (1831 à la crise de 1847). Elle se déroula en
quatre phases dont les limites ne correspondent pas à celles des régimes
politiques :
1. l’étape,
préparatoire, où l’on voit apparaître la curiosité technique et
l’installation d’un état de masse critique qui déstabilise la structure
ancienne (les dernières années de l’Ancien régime);
2. l’étape des
décisions et réalisations majeures, l’installation du premier ensemble
mécanisé et son imitation (de 1798 à 1834-35);
3. l’étape de "technicomanie"
et d’emballement financier qui se termina, en Belgique, par la crise de 1839
(1836-1839);
4. l’étape,
finale, de consolidation, durant laquelle certains sont éliminés, d’autres
confortés (crise de 1840 à 1847).
Cette dernière étape
constitue le vrai point de départ pour une analyse de la croissance d’une
économie moderne (1).
Etudier le secteur
économique d’une Société-Epoque – c’est-à-dire d’une société particulière,
relativisée dans le temps et l’espace –, c’est d’abord replacer ce secteur dans
l’ensemble sociétaire dont il fait partie, c’est-à-dire tenir compte des
interactions entre les différents secteurs de la Société-Epoque sous examen,
principalement ses six secteurs majeurs :
1. le
démographique : la population des points de vue quantitatif et qualitatif;
2. l’économique :
les échanges et la production;
3. le politique :
les phénomènes de pouvoir, de domination, de normalisation coercitive;
4. le
gnoséologique : les connaissances, dont les connaissances techniques, leur
découverte, leur transmission;
5. le
pistéologique : les croyances et l’usage que certains en font;
6. l’esthétique :
les œuvres d’art.
La mise en cohérence des
six secteurs majeurs permet d’atteindre la structure globale de la
Société-Epoque étudiée.

Cette Société-Epoque est
à l’évidence située quelque part dans l’Univers et sa structure entretient avec
son cadre géographique – l’environnement, dit-on au plus bref – des relations
étroites, l’un agissant sur l’autre et vice versa.
Les activités et les
phénomènes humains, leur étude et l’interaction entre les deux ont ceci de
spécifique qu’ils ne sont jamais clairement univoques. Ils utilisent
nécessairement le langage et celui-ci est source d’obscurités, de non-dits, de
refoulements. Il est aussi le véhicule de vérités approximatives, de fausses
idées claires, de biais involontaires, de contrevérités consenties, de
présentations rhétoriciennes, enfin d’idéologies. Il faut d’entrée de jeu
comprendre la profondeur de ce caractère des sciences humaines, les dangers
qu’il recèle, la nécessité de son existence.
En un mot : les choses
sont dites autres qu’elles ne sont, mais elles ne peuvent être ce qu’elles sont
sans être dites de cette façon, c’est-à-dire autres qu’elles ne sont. Ainsi
l’idéologie déforme le réel et, ce faisant, lui permet d’exister tel qu’il est.
C’est toujours dans ce sens que le terme idéologie sera utilisé.
Il est indispensable que
l’analyse scientifique prenne ce caractère langagier en stricte considération
afin d’arriver à l’observation et à l’explication du réel ultime – tel qu’il
est –, du réel tel qu’il est présenté, des liens de nécessité sociétaire qui
unissent ces deux réels pour en faire le réel vécu.
Le décryptage des
idéologies, le dévoilement des apparences est une tâche scientifique de toute
première importance. Parfois, dépassant le stade de la connaissance, ils
deviennent des facteurs importants d’une mutation, d’un changement de
structure... avant d’être inévitablement récupérés par le langage et devenir les
éléments d’un nouveau discours, mode d’expression d’une nouvelle structure.
Ayant de la sorte situé
au plus large le cadre de l’analyse, nous la continuerons par une reformulation
peu orthodoxe, puisque tirée du Capital, des principes d’analyse, qui
s’appuiera en outre sur une vision de long terme : de la Révolution industrielle
à nos jours.
Replacé dans la
perspective de l’histoire de la pensée économique, Le Capital de K. Marx
(1817-1885), surtout le Livre I
(1867), apparaît comme un moment-clé : celui où sont résolus en une fois le
problème de la valeur (via la valeur-travail de la force de travail) et celui de
l’intégration du technique et du politique à l’économique (via les forces de
production et la lutte de classes). Il s’en déduit les positions respectives des
trois modèles, aujourd’hui concurrents, qui se donnent pour objet le
fonctionnement du régime capitaliste :
1. le modèle de Marx prend statut de théorie ultime,
2. le modèle néo-classique, dit aussi, mais à tort, libéral, en devient une
forme idéologique, largement primée par les Nobel,
3. le modèle keynésien exprime un type, éphémère, pensons-nous, de politique.
Face à la théorie de Marx, une tentative d’unification s’ébauche entre le modèle
néo-classique et le modèle keynésien, grâce à la distinction micro/macro-économie,
débouchant sur un pseudo-modèle occidental qui sera :
1. renforcé par la succession historique
marxisme - collectivisme - communisme - soviétisme - guerre froide, bref un
ennemi commun,
2. conforté par des prix Nobel à ne savoir qu’en faire – celui-ci devenant le
garant d’une orthodoxie –,
3. mais aujourd’hui confronté aux phénomènes conjoints d’un sous-emploi
"anormal" et d’une spéculation financière aux dimensions nouvelles, bref à une
minute de vérité.
C’est cela qu’il faudrait
comprendre avant de décrire l’immigration en Belgique, spécialement
l’immigration italienne en Wallonie. Essayons. En une suite de propositions à la
fois théoriques et historiques, donc vérifiables.

Premièrement. La valeur-travail de la force de travail
Celle-ci est observée
dans les fluctuations du salaire réel et comporte une référence majeure au
"degré de civilisation" atteint par la Société-Epoque où l’on situe le problème,
en l’occurrence la Belgique de l’après-guerre. Cette référence au "degré de
civilisation" est essentielle par suite du caractère socio-historique de
l’espèce humaine, donc de sa nécessaire relativisation dans l’espace-temps.
Ainsi y a-t-il un salaire
réel "normal" : celui qui permet la restauration et la reproduction (familiale)
de la force de travail – cette condition essentielle de production en régime
capitaliste puisque source unique de plus-value.
Ce salaire réel n’a cessé
d’augmenter depuis la Révolution industrielle ainsi que le "degré de
civilisation". La création de la Sécurité sociale dont la nature est d’être un
salaire indirect, perçu sous forme assurantielle, les réajustements salariaux de
1945, de 1972 et 1974 principalement, le rôle de l’indexation (2)
ont permis une élévation du mode et du niveau de vie sans précédent :
plus du décuple de ce qu’ils étaient au milieu du XIXème siècle.
Avant de regarder le
graphique du PNB belge réel par tête de 1846-50 – fin de la Révolution
industrielle instaurant le régime capitaliste – à aujourd’hui, il faut se
rappeler que seule la moyenne individuelle présente une croissance continue.
Le partage des produits de cette croissance est affaire de pouvoir, de
domination, de rapports de force, de lutte de classes. Ce n’est qu’au bout d’un
certain temps et lorsque les fruits de la croissance se sont accumulés, que les
travailleurs obtiennent une révision du partage d’un gâteau qui n’a cessé
d’augmenter. Encore n’obtiennent-ils ce changement du degré de civilisation que
par des luttes acharnées, affaiblissant pour un temps l’idéologie dominante.
Graphique 1 |
Graphique 2 |
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Le graphique I reproduit
le mouvement du PNB réel par tête. Que signifie le revenu national aujourd’hui ?
Que signifiait-il au XIXème siècle ? Que signifie un revenu moyen ? Que signifie
un revenu réel ? Des questions majeures qui seront abordées dans un livre à
paraître (3). L’évolution observée nous semble
constituer celle d’un indice du bien-être accessible. Mais il faut savoir
que l’accès concret n’eut lieu que par paliers :
-
après la Seconde
Guerre mondiale : avec la Sécurité sociale, résultat de compromis et de
mouvements sociaux vite apaisés dans une ambiance de paix sociale créée par
60 % d’augmentation du salaire nominal, le salaire indirect issu de cette
Sécurité sociale, la déflation réussie de Gutt et la chute des prix,
l’amélioration du ravitaillement, la "victoire idéologique" contre Léopold
III;
La croissance du
graphique I peut se subdiviser selon les différences de taux de croissance
annuel moyen :
Première constatation :
1. la seconde guerre de trente ans 1914-1944 se marque lourdement, 2. la
croissance du XIXème siècle est lente, mais la Belgique part d’un niveau élevé
pour l’époque car sa Révolution industrielle au sens étroit (1798-1835) est
relativement précoce, rapide, parfaite, 3. les trente glorieuses 1945-1975 se
détectent sans peine et culminent dans les années 1960, 4. la soi-disant crise
économique actuelle n’existe pas, elle n’est qu’une rupture de rythme,
engendrant un effet d’optique, la croissance se poursuit à un rythme élevé – le
précédent rythme étant insoutenable pour un pays avancé (5).
C’est ce que les graphiques II, III et IV détaillent.
On verra plus loin
comment et pourquoi la décennie 1972-1982 a pris un aspect maussade.
Economiquement, ce fut secondaire, sociétairement, ce fut tragique et ça le
reste. Le régime global a été échaudé.
Il est loin d’avoir pansé ses plaies. Au contraire, il continue à être entraîné
par une dérive, pour lui pleine de risques.
Graphique 3 |
Graphique 4 |
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Deuxièmement. La durée individuelle du travail
Celle-ci est avant tout
une variable technique. Elle dépend fondamentalement de la technologie passée,
présente et future : l’ensemble existant des instruments de production comporte
des machines anciennes à côté des machines actuelles et s’aménage graduellement
en fonction des prévisions sur les machines potentielles. Cet ensemble forme la
structure technique et exige en conséquence un certain nombre annuel d’heures de
travail d’une qualité déterminée pour une production annuelle déterminée. Le
progrès technique n’a cessé de faire diminuer ce nombre d’heures, l’accumulation
du capital et la croissance de la production de le faire augmenter. Le solde est
indiscutablement négatif.
De quoi il vient qu’il
est faux que l’on soit payé pour le temps que l’on travaille. Cette
proposition est radicalement idéologique mais remplit d’autant mieux son rôle de
mensonge langagier que l’on raccourcit la période de "vérité", que les salaires
sont bloqués, que le soi-disant "partage du travail" est considéré comme un
remède au chômage plutôt que comme un moyen de maintenir l’emploi.
En tout état de cause, on
sait que le temps de travail du début du XIXème siècle (chômage journalier
compris) a été réduit de 50 %. Les 1.530 heures annuelles que l’on preste
actuellement représentent la moitié des 3.120 heures annuelles qu’un travailleur
moyen prestait entre 1800 et 1850, tenant compte des heures non travaillées et
non payées à cette époque.
Ainsi, sur un siècle et
demi, la durée du travail a diminué de moitié tandis que le salaire réel moyen a
été multiplié par plus de 10 : d’un salaire familial moyen de 28.000 F (aux prix
de 1953) au revenu brut d’un ménage actuel de 350.000 F (aux prix de 1953) –
sans tenir compte des modifications qualitatives qui sont d’une portée
considérable, entraînant des changements radicaux dans les modes de vie.
La conclusion est aussi
importante que courte. L’acte d’embauche est fondamentalement dichotomique. Le
salaire réel paie la force de travail et dépend principalement du respect, lors
du partage du gâteau, du "degré de civilisation" atteint. La durée individuelle
du travail est une variable par nature technologique et dépend principalement du
respect, lors des négociations collectives, de la structure technique atteinte,
sinon accessible. Mais le "degré de civilisation" comme la structure technique
renvoient en instance ultime au progrès technique comme possibilité et en
instance proche aux rapports de force comme réalisation concrète.
Les mouvements
contraires, sur un siècle et demi, du niveau de vie et de la durée du travail
trouvent ainsi leur explication dernière, en même temps qu’ils rendent compte
des exigences d’une idéologie très forte pour faire croire à leur contraire.

Troisièmement. La plus-value et l’accumulation du capital
Quand on se demande ce
que peut signifier la notion authentique de capital, chacun finira par
reconnaître qu’il n’y a pour l’humanité qu’un seul capital qui lui ait été donné
de "posséder", c’est la Nature offerte à la collectivité de l’espèce humaine.
Pour des raisons
philosophiquement discutées, mais socio-historiquement indiscutables, ce capital
naturel s’est morcelé par l’appropriation des plus forts : homo homini lupus
a précédé les rapports de force et la lutte des classes même s’il la conditionne
toujours.
Le capital est ainsi la
propriété pour quelques uns
des éléments préexistants à tout processus de production. De quoi il vient
d’abord que la reproduction des conditions de production est la première
condition à remplir pour que la production conserve son niveau; ensuite, que la
production ne peut croître que si croissent aussi les éléments de la production,
de plus en plus aujourd’hui, le capital; enfin que cette augmentation de capital
ne peut provenir que d’un prélèvement sur le processus de production lui-même,
donc d’une non-consommation et d’un investissement d’une partie de la
production affectée en conséquence au capital, et, celui-ci étant approprié, aux
capitalistes qui s’en serviront lors du prochain processus de production.
S’en serviront comment ?
La valeur de la force de travail ayant été payée au travailleur – surpayée, ce
qui est rare, sous payée, ce qui est fréquent –, le solde s’appelle la
plus-value. Celle-ci doit satisfaire à tout ce qui n’est pas salaire "normal"
puisqu’elle concentre la totalité du solde disponible. En conséquence, elle doit
faire face : 1. à tout respect et à toute hausse du degré de civilisation,
notamment sous la forme assurantielle du salaire indirect via la sécurité
sociale que l’idéologie tend à déformer par les concepts de "charges sociales"
et, pire, de "prévoyance sociale universelle", 2. à toute diminution
technologiquement correcte du temps de travail, car elle bénéficie directement
des accroissements de productivité, 3. à toute consommation de luxe qui fait
partie de son statut à un stade évolué et qu’il n’est pas question de lui
reprocher par une autre forme d’idéologie (que vivent les yachts !),
naturellement enfin, 4. à tout amortissement et 5. à toute accumulation de
capital (ou encore investissement net).
Ces cinq orientations ont
la contrainte de l’égalité entre leur somme et la plus-value. Ce qu’une des
orientations gagne, les autres le perdent. Particulièrement, toute augmentation
des trois premiers postes entra"ne une diminution de l’accroissement du stock de
capital légué à la période suivante, donc une décélération de la croissance (6).
La relance par la
consommation et celle par l’investissement ont des coûts et des effets
différents mais ne peuvent être assumées, l’une comme l’autre, que par la
plus-value. Notamment ces relances n’ont pas le même contenu technologique,
partant la même influence sur le niveau de l’emploi. En très bref, le
multiplicateur d’investissement de Keynes n’est pas le multiplicateur d’emploi
de Kahn, aujourd’hui moins que jamais.
Le "partage des
sacrifices" n’a pas de signification économique, mais possède un sens
idéologique redoutable. Le "contre-sens" fondamental se trouve dans la
croyance généralisée que le travailleur est payé pour le nombre total d’heures
prestées, sans subdivision de chaque heure. Marx était en droit de penser
que sa grande découverte était la plus-value, ses raisons et ses formes. Pour le
régime capitaliste en tout cas.
Ce surplus approprié
s’appelle la plus-value et s’écrit p. Le partage de la production entre
les deux facteurs qui y concourent, le capital et le travail, s’appelle taux de
plus-value et s’écrit p’ ou p/v. Ce taux exprime la redistribution de la
production entre les propriétaires des deux facteurs : les capitalistes et les
travailleurs. v est la façon d’écrire la masse des salaires bruts (y
compris toute la sécurité sociale et le précompte). Cette masse s’exprime aussi
dans la multiplication du salaire brut moyen par le nombre de travailleurs. En
conséquence, une hausse de p’ représente un partage plus favorable aux
capitalistes et une position de force de ceux-ci, tandis qu’une baisse de p’
signifie la même chose en faveur des travailleurs. Les fluctuations de p’ sont,
de la sorte, hautement significatives des effets de pouvoir et de domination (le
secteur politique) et du partage des revenus qui en résulte.
Quelles sont les
estimations vraisemblables de p’ depuis deux siècles ? Quelles sont les
variations de 1940 à 1996 ? Marx prend souvent un taux de plus-value "normal",
– c’est-à-dire lorsque la valeur de la force de travail est respectée de 100 %,
– soit 1, représentatif d’un partage moitié-moitié de la production. Mais il
sait que les rapports de force sont souvent défavorables aux travailleurs.
On peut avancer sans
grands risques les estimations suivantes du taux de plus-value (en première
approximation : la masse des profits et intérêts divisée par la masse des
salaires). Au XIXème siècle, p’ fluctue entre 1,5 et 2 avec des affaissements
pendant les périodes de domination ouvrière. Pendant les deux guerres mondiales,
p’ oscille entre 2 et 3, surtout pendant la seconde de ces guerres. En effet, la
doctrine Galopin et "consorts" organisait les fournitures à l’Allemagne en
excluant les armes et les biens de guerre, pour maintenir l’emploi, éviter le
travail obligatoire, obtenir de la nourriture allemande. Pour l’essentiel, ce
fut un échec général sauf en ce qui concerne les fournitures et l’emploi. Cet
échec fut particulièrement douloureux en Wallonie. L’immédiate après-guerre
verrait p’ chuter fortement puis remonter assez vite et se maintenir de 1950 à
1961 à un palier de l’ordre de 0,8. Suivrait une longue descente vers un niveau
de 0,6 que p’ conserverait de 1976 à 1980 ou 1981. Ensuite commence la
récupération capitaliste avec le gouvernement Martens-Gol. D’une part, elle
invoque sans cesse le libéralisme et la compétitivité. D’autre part, elle
n’arrête pas d’utiliser la puissance publique, y compris les pouvoirs spéciaux,
pour multiplier les cadeaux aux patrons, comme si nous étions en état de danger
national. A quoi s’ajoute un élargissement de la fraude fiscale. Cette
récupération capitaliste entraînerait une hausse brutale et rapide au palier de
0,85, stable de 1986 à 1993, 1994 l’élevant à 0,9 : proche des 100 % de Marx.
Avec quelles suites pour demain ?
Les trois chiffres ronds
de 0,8; 0,6 et 0,85 donnent les parts relatives suivantes du "gâteau" :
-
0,8 (1950-1961) :
capitalistes 44,5 %
-
travailleurs 55,5 %
-
0,6 (1976-1981) :
capitalistes 37,5 %
-
travailleurs 62,5 %
-
0,85 (1986-1993) :
capitalistes 46,0 %
-
travailleurs 54,0 %
La croissance en termes
réels du produit national brut par tête est de 182 % pendant les trente
glorieuses, de 4 % de 1975 à 1992. Ainsi le "gâteau" a augmenté et, sur la base
de 100 en 1996, est passé à 282 en 1975 et à 415 en 1992. Les parts absolues
correspondant aux parts relatives ci-dessus sont :
-
100 (1946) :
capitalistes 44,5
-
travailleurs 55,5
-
282 (1975) :
capitalistes 106,0
-
travailleurs 176,0
-
415 (1992) :
capitalistes 191,0
-
travailleurs 224,0
Ce qui donne les six
pourcentages d’augmentation :
-
100 à 282
capitalistes 138 %
-
travailleurs 217 %
-
282 à 415
capitalistes 80 %
-
travailleurs 27 %
-
100 à 415
capitalistes 329 %
-
travailleurs 304 %
Voilà clairement chiffré
ce que signifie "récupération capitaliste". On connaît dès maintenant les
résultats en ordres de grandeur. Nous en analyserons brièvement les mécanismes :
-
Sur la même période,
la part des capitalistes s’accroit de 329 %, celle des travailleurs de 3 4
%. Mais la première est évidemment plus concentrée que la seconde : dans un
rapport de 1 à 40, soit 2 % à 80 % – au moins 10 % à 90 % – de la population
belge, avec un solde mal circonscrit. Quand l’augmentation est de 100
% en moyenne par tête de capitaliste, elle est de 2,3 % – au maximum 10 % –
en moyenne par tête de travailleur – on commence à comprendre la nature
capitaliste du travail des femmes tel qu’il est pratiqué actuellement, qui
n’est autre qu’un double travail.
-
On notera que, pour
la seconde période seule, le rapport est de 100 % à 0,8 % – au maximum 3,75
% – par tête. Quand un salarié moyen y voit son revenu augmenter de 100, un
privilégié moyen constate que le sien s’accroit de 12.500 – au moins 2.700.
Quelles que soient les approximations retenues, les différences restent du
même ordre de grandeur.
-
L’évolution est loin
d’être linéaire (du premier degré), mais s’effectue en deux mouvements
contraires de baisse puis de hausse du taux de plus-value, l’angle de
retournement se situant vers 1976-1980. Il s’agit bien d’un retournement
majeur : le chômage augmente à partir de 1974, le déficit de la sécurité
sociale à partir de 1975, l’intervention de l’Etat dans ce déficit à partir
de 1975, la dette publique à partir de 1977 (moment où elle représente 43 %
du PNB pour 116 % en 1992).
-
Quand les
travailleurs dominent, leur croissance est évidemment supérieure à celle des
capitalistes : d’environ 60 %. Quand les capitalistes dominent, leur
croissance est supérieure à celle des travailleurs : d’environ 200 % ! Et le
phénomène trois fois plus rapide : 5 ans au lieu de 15 ans. Ce qui donne,
combinant pourcentages et vitesses, un différentiel annuel moyen dix fois
plus important : 60 % en 15 ans contre 200 % en 5 ans. On comprend que la
seconde période laisse un goût amer. L’idéologie capitaliste prend plaisir à
l’attribuer à une crise économique inexistante, mais dont le travailleur se
trouve chaque jour davantage préparé à accueillir le masque en un imaginaire
altéré par une paupérisation relative, résultat de comparaisons multiples
... sorte de sous-développement (8).
-
Les ordres de
grandeur des phénomènes sont tels qu’ils autorisent à parler de changement
de degré de civilisation : qui, durant la première phase (1945-1975),
s’effectue par la mise en place de la sécurité sociale puis par la vaste
réévaluation des salaires de 1972-1974; qui, durant la seconde phase
(1975-1994), se trouve freinée par suite du niveau atteint certes, mais
aussi pour raison de récupération capitaliste.
-
Le problème est que
les opérations de la seconde phase ne détruisent pas les acquis de la
première, ce qu’elles sont en passe de faire, mettant en cause le régime
lui-même en s’en prenant à la sécurité sociale, qui est incorporée à la
valeur-travail de la force de travail (salaire indirect), et aux salaires
réels : à quoi les capitalistes eux-mêmes ne peuvent attenter sous peine de
scier la branche sur laquelle ils sont perchés – proposition stricte de la
meilleure étude du régime capitaliste, celle de Marx.
-
Début 1996, les
statistiques révèlent tout à la fois : 1. un accroissement du chômage,
2. une augmentation des faillites surtout chez les petites et moyennes
entreprises qui servent la consommation populaire, 3. un élargissement
global de la masse monétaire épargnée. Et l’on nous reparle d’insuffisance
de la consommation ! A un niveau élémentaire, c’est n’avoir même pas compris
son cours d’Economie politique de première candidature – partie
macro-économique (issue de Keynes). A un niveau moins élémentaire, c’est
"refuser l’évidence" : la hausse du taux de plus-value et l’envahissement
spéculatif. "Le taux de plus-value, qu’est-ce que c’est que cela ?".
-
Tout se passe dans un
climat de "désinformation" généralisée où les média s’avèrent
particulièrement destructeurs en sécrétant une idéologie qui, aussi
articulée qu’inconsciente, n’a jamais été à ce point performante – le
discours sur la crise étant à la fois langage et mensonge, parole et
persuasion (10).
Mais les textes sont
aussi lumineux que les chiffres quand l’Institut d’Observation économique des
patrons allemands place les entreprises manufacturières belges au premier rang
du point de vue de la compétitivité (11). La
Belgique serait-elle redevenue le premier pays capitaliste du continent, comme
au XIXème siècle, lorsqu’elle avait organisé l’exploitation de la force de
travail sur un mode exemplaire ?
Excès de recherche du
bien-être, partage nécessaire des sacrifices, dette publique et critères
maastrichtois, exigences du marché et compétitivité, le langage de la
récupération capitaliste ne manque pas d’expressions colorées, aussi colorées
que biaisées. A chaque fois, on incante, invoque et argumente pour falsifier. La
couverture idéologique est assurée. Probablement est-ce l’élément le plus
sérieux, le plus solide aussi, d’un régime qui, pour le moment, prend des
risques. La Belgique pourra-t-elle s’en protéger ? En s’adressant à une
Allemagne qui tourne chaque jour davantage son regard vers l’Est, un regard
rudement, redoutablement, capitaliste ?
Il est intellectuellement
difficile de ne pas chercher à comprendre la situation à laquelle renvoie le
langage qui l’exprime et la dissimule tout à la fois. Les divers éléments de
l’encerclement auquel on nous soumet évoquent les barreaux d’une prison, la
meute d’une chasse à courre.

Quatrièmement. Le progrès technique, la croissance capitalistique et ses accrocs
Dans l’hypothèse d’un
progrès technique nul, donc de l’invariance de la structure technique – ce qui
est l’hypothèse courante du modèle néo-classique (sous l’expression progrès
technique neutre) et du modèle keynésien –, l’accumulation du capital entraîne
un accroissement proportionnel d’emploi et, en cas de plein-emploi, une
inflation initiatrice d’un progrès technique libérateur. A moins que le système
envisagé ne soit un système ouvert, ayant la caractéristique d’attirer les
étrangers ou le pouvoir de les faire venir. Le cas a été souvent considéré comme
un cas abstrait ou un cas d’école. Ce fut pourtant la réalité belge de
l’après-guerre, tout particulièrement vis-à-vis d’une Italie vaincue, pauvre,
dont la reine était belge. Jamais des gouvernants capitalistes n’ayant pris en
considération la condition ouvrière, l’accord de 1946 convenait à tous sauf à
ceux qui ne voyaient pas, ou insuffisamment, ou pour plus tard, la silicose ! Le
premier modèle de Marx convenait.
Quand le progrès
technique, éliminant la main-d’œuvre, se double d’un accroissement, à due
concurrence, d’accumulation du capital et de croissance, le niveau de l’emploi
est maintenu. Et si l’accroissement d’accumulation du capital est supérieur,
l’emploi peut augmenter dans la mesure où il y a une réserve nationale ou
immigrante. Ce fut la réalité belge des trente glorieuses, les taux de
croissance étant, on l’a vu, particulièrement élevés. Et les immigrés ? Les
pères voyaient leurs fils s’intégrer facilement dans la Société-Epoque belge,
leurs espoirs se réaliser au prix de maladies auxquelles ils se résignaient par
amour : que de braves gens. Le deuxième modèle de Marx convenait tout autant.
Graphique 5 |
Graphique 6 |
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Graphique 7 |
Graphique 8 |
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Graphique 9 |
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Mais ces situations sont
exceptionnelles en régime capitaliste. Il y a donc un troisième modèle de Marx,
le plus important, celui de la surpopulation (ouvrière) relative : relative par
rapport au stock de capital et à son augmentation. En fait, ce modèle présente
une alternative. A un moment, les capitalistes ne peuvent plus ou ne veulent
plus investir à due concurrence. Tout investissement comportant un progrès
technique n’étant pas compensé par une croissance suffisante engendre une
inadéquation entre la demande et l’offre de force de travail. Deux solutions
sont possibles : la durée du travail diminue à charge de la plus-value (p),
puisque, comme on l’a vu, celle-ci est maîtresse de tout le solde dont les
composantes sont liées. Il est évident qu’une telle solution ne peut être la
solution d’un régime capitaliste, donc la solution belge. La charge sera donc
reportée de p sur v, c’est-à-dire sur la masse salariale dont on
"aménagera" tantôt l’un, tantôt l’autre des deux éléments, le nombre des
travailleurs et le salaire individuel, en prétendant à chaque fois atteindre
l’un pour protéger l’autre sous l’invocation idéologique de la compétitivité des
entreprises : les graphiques V et VI montrent toute la vanité du propos en long
terme, comme dans l’immédiat. Les petits-fils d’immigrés ne rentrèrent pas en
Italie ? Ils étaient devenus belges, particulièrement wallons, quoiqu’en ait dit
récemment Madame Morelli (12). Du reste,
c’était probablement ici qu’ils étaient le moins mal lotis, y partageant le sort
commun.
En vrai, v sera
prise comme variable ajustante : et le nombre de travailleurs – l’emploi et le
chômage – beaucoup plus souvent que les salaires qui bénéficient d’une rigidité
légalisée (13). Le troisième modèle de Marx
convient. Peut-être comprend-t-on mieux notre admiration pour le Capital,
dont le contenu théorique est à ce point relativisable.
Approfondissons
l’analyse. Revenons sur la rupture majeure que date la période 1972 à 1982 et
dont le graphique VII rendra compte (14). Et
les événements constitutifs de cette rupture s’y succèdent pour ne pas dire
qu’ils s’y bousculent : 1. réajustements salariaux de 1972 et 1974, 2.
affaissement du taux de plus-value au palier minimum de 0,6 en 1976-1981, 3.
ralentissement puis blocage de la diminution du temps de travail en 1975-1980
(graphique VIII), 4. accroissement du sous-emploi en 1975 et 5. de la dette
publique en 1977 (graphique IX), 6. crises pétrolières de 1973 et de 1978 (15),
7. démarrage de la récupération capitaliste avec le gouvernement Martens-Gol en
1981, 8. dévaluation de 1981 avec son influence sur le commerce extérieur
(graphiques V et VI), mais aussi sur le niveau de vie, faisant payer les
bénéfices des patrons exportateurs par le niveau de vie des travailleurs
consommateurs de biens importés.
Voilà le constat. Comment
le troisième modèle en rend-il compte ? Comment le figure-t-il, dirons-nous plus
modestement. Observons bien ce graphique.
Le graphique VII oppose
deux courbes : la première, d’allure exponentielle "naturelle", qui serait
censée représenter la pression technologique et celle de la réponse de
l’accumulation capitaliste. On y voit le décrochage de celle-ci. Et les suites
s’ensuivirent : 1. le chômage puisque la solution de la diminution du temps de
travail était refusée, même au niveau de son allure naturelle (graphique VIII),
2. le blocage des salaires, 3. la disponibilité d’une plus-value non réinvestie.
Les deux premières conséquences s’unissent naturellement pour faire peser le
poids sur v, l’unique variable ajustante d’un régime capitaliste : tantôt
l’emploi, tantôt les salaires. La troisième ne pose pas longtemps problème. Les
délocalisations formeront un premier débouché. La spéculation en présentera un
second : jeu intra-capitaliste certes, mais aussi élément nourricier de la bulle
financière qui nous menace, elle se caractérise par des retombées non isomorphes
sur la sphère de la production puisque le spéculateur perdant en est
obligatoirement détourné tandis que le spéculateur gagnant n’y est pas
nécessairement ramené.
C’est notre monde, cela.
C’est de cela que nous avons proposé une analyse. Au lecteur de juger.
Mais il faudra savoir que
toute l’angoisse d’aujourd’hui sourd de ce fléau qu’est le chômage et que
celui-ci est engendré par le refus d’adapter la variable technique qu’est le
temps de travail à la structure technique actuelle, sous les prétextes
idéologiques les plus vains derrière lesquels se dissimulent les énormes
bénéfices des capitalistes – dette publique comprise. Un fléau le chômage ?
Certes : par l’absence au faire ensemble de quelque chose que l’on se
partagera équitablement (16).
Conclusion
Nous n’en voulons tirer
qu’une seule de l’exposé qui précède. Et elle sera courte. Un retour au
Capital de Marx est indispensable si l’on veut comprendre comment fonctionne
une Société-Epoque de régime capitaliste, comment toutes les fleurs de la
désolation poussent sur le terreau du chômage, comment toutes les réalités de
malheur peuvent se faire jour au sein d’immenses possibilités de bonheur.

Notes
1.
Voir P. Lebrun, M. Bruwier, J. Dhondt (†) et G. Hansotte (†), Essai sur la
révolution industrielle en Belgique 1770-1847, Bruxelles (Palais des
Académies), 2ème édition, 1981 (1ère éd. 1979), p. 28-30 et 589-590.
2. Bien que le mécanisme de celle-ci engendre un prélèvement
continuel de 1 % en moyenne de la masse salariale, c’est-à-dire une déflation
rampante sans cesse ignorée.
3. Des questions majeures, effectivement. Et les réponses
actuelles sont loin d’être définitives :
-
Aujourd’hui même, la
comptabilité nationale est-elle un instrument d’observation du réel
ou un ensemble conceptuel auto-satisfaisant qui n’entretient que des liens
fort lâches avec la description d’une économie "nationale" ? Et qu’est-ce
que celle-ci ? Pensons au transnational ou à l’économie dite "souterraine"
échappant à la saisie statistique pour une part importante.
-
Les concepts de
produit ou de revenu national, élaborés de nos jours par nos pays, sont-ils
transposables aux Société-Epoques différentes – qu’il s’agisse du XIXème
siècle ou de l’Afrique ? Certes les premières tentatives d’évaluation
remontent à la fin du XVIIème et au XVIIIème siècle. Que pensaient obtenir
les auteurs d’alors ? Les actuels comptables nationaux se posent la même
question.
-
A supposer ces
problèmes résolus, quelle distance entre la production et la distribution
selon la diversité des inégalités de celle-ci ! Il suffit de penser aux
émirats du pétrole. Comment interpréter le produit national moyen ou par
tête ?
-
De même, l’estimation
en termes réels, éliminant la composante prix, soulève des doutes sur le
calcul des indices qui la permettent et sur la signification du résultat.
Voir l’Annexe consacrée aux coefficients d’enchaînement des indices.
-
Ainsi prendre un
produit national réel moyen est-il une opération qui pose problème du point
de vue de chacun de ses trois qualificatifs : 1. national, 2. réel, 3.
moyen. Au-delà même des opérations statistiques, il faut savoir que ce que
l’on enlève a joué un rôle dans la formation de la grandeur dont on
l’enlève. Il ne s’agit donc pas d’une élimination pure et simple. Il s’agit
simplement d’un agrégat que l’on a tenté de "purifier" d’éléments que l’on
considère pour le moment comme perturbateurs de ce que l’on veut présenter.
Telle est la
signification de notre notion d’indice de bien-être accessible. Encore
faut-il ajouter que, dans notre cas, nous avons effectué un triple saut
périlleux sans filet en présentant une série continue depuis 1831 – on en aura
une idée en consultant les graphiques II, III et IV. Cette première tentative
belge a été réalisée à partir de tous les renseignements réunis et élaborés
par le Groupe d’étude Histoire quantitative et développement de
l’Université de l’Etat de Liège. Y ont participé MM. F. Bismans, D. Degrève, A.
Dubois, E. Geerkens, M. Laffut, J. Pirard et principalement en l’occurrence
notre collègue, le professeur J. Gadisseur, enfin, Mademoiselle N. Geron. Tous
sont des chercheurs de haute qualité. Aucun d’eux n’est responsable de notre
"minute de folie". Une série a été élaborée en 1986 par S. Peeters du
Workshop on Quantitative Economic History de Louvain du professeur H. Van
der Wee, elle est plus basée sur les statistiques des assurances contre les
accidents du travail et sur diverses autres sources, dont fiscales, et concerne
la période 1920-1939. Elle a été utilisée pour interpoler les données publiées
par F. Baudhuin – nom qui doit être sans cesse rappelé en ce domaine.
Cela dit et redit, nous
pensons que notre construction a la signification précise d’un détecteur
d’ordres de grandeur – cette notion sur laquelle nous ne pouvons trop insister,
en concurrence avec les calculs économétriques précis à la mode chez les
économistes.
En attendant notre livre : L’angoisse capitaliste : plus-value ou
civilisation. Essai d’introduction à la socio-histoire, à paraître dans la
Collection Histoire quantitative et de développement de la Belgique aux
XIXème et XXème siècles (déjà 12 volumes publiés pour un total de
8.000 pages).
4.
Laquelle période se subdiviserait en quatre époques selon la belle étude du
Professeur J. Gadisseur, prenant comme critère plus sensible, l’indice de la
production industrielle : 1. ? [1810]-1848 : taux de croissance de 1,2 de 1831 à
1848; 2. 1848-1873 : taux de 3,5; 3. 1873-1894 : taux de 1,4; 4. 1894-? [1929] :
taux de 3,2 de 1894 à 1913. Nous prenons le risque des dates entre crochets.
5. Et dire que le plan de gouvernement fédéral de 1994
commence en ces termes : Nous traversons la crise économique la plus aiguë
des dernières décennies ! Nous nions cette crise économique depuis plus de
15 ans. Naturellement, les instituts de recherche ne sont pas dupes. Alors,
Messieurs les gouvernants, vous déciderez-vous un jour à regarder un graphique ?
Ou bien l’incantation est-elle indispensable au voile idéologique dont vous
recouvrez vos décisions ? La réalité nous oblige à répondre oui à la seconde
question.
6. Dans certains cas, il peut y avoir reproduction non plus
simple, non pas élargie, mais rétrécie. Il peut s’agir d’événements
catastrophiques, telle une guerre prolongée. Mais, la situation est beaucoup
plus grave pour la collectivité concernée lorsqu’il y a "détournement" par les
capitalistes au moyen d’un non-amortissement ici
pour un investissement net ailleurs. Quel ailleurs ? C’est le problème
actuel des délocalisations, problème d’autant plus sérieux quand les
délocalisations s’effectuent dans le cadre de l’impérialisme.
7. En général, nous arrêtons nos calculs à l’année 1992,
notamment pour la période 1976-1992, dite de "socio-histoire immédiate". Les
données pour 1993-1995 sont plus rares et conjoncturellement biaisées. Par
contre, prises en bloc, ces trois années nous semblent satisfaire aux ordres de
grandeur obtenus pour 1976-1992 et, en conséquence, supporter les mêmes
conclusions. Nous nous croyons autorisés à parler de 1976-1995 pour les
observations les plus générales.
8. Il aura suffit de l’utilisation de quelques ordres de
grandeur et d’opérations élémentaires pour obtenir des conclusions à ce point
"massives".
9. Le taux de croissance passe de 3,08 à 4,15.
10. Comme ils sont peu crédibles les Cassandre qui nous
prédisent depuis vingt ans les lendemains sombres, mérités par une politique
incapable de réduire les salaires des travailleurs au niveau... du Pacifique. Un
exemple : OCDE, Etudes économiques 1993-1994. Belgique, Paris, 1994. La
suite de ces examens annuels est un bon exemple des faiblesses dans la cohérence
d’une analyse dont sa répétition devrait la protéger. D’un meilleur niveau
certes est l’étude de I. Cassiers, Ph . De VillÈ et P.M. Solar, Economic
growth in post-war Belgium, discussion paper n° 986 (Center for economic
policy research), Londres, juillet 1994. Cette étude rappelle de façon
satisfaisante les faits caractéristiques de la période et les adaptations
spécifiques de la structure sociétaire belge. Elle n’en conclut pas moins, page
40, que les éléments décisifs de l’accélération de la croissance belge depuis
les années 60, croissance qui a été plus forte que celles de ses voisins,
were a liberalization of the economy which was not unrelated to Belgium’s
adherence to the European Community and the accompanying influx of forest
investment. Retrouver dès 1947 les niveaux d’avant-guerre, puis adopter un
comportement de cigale, cela engendre naturellement un taux de croissance plus
faible que celui de ses voisins. Légiférer pour attirer les investissements
étrangers (1959) accélère la croissance et le progrès technique dans une
situation de plein-emploi – dont la féminisation des tâches allégera le poids.
Renforcer cette politique (vote de la loi unique) quand il faut briser
les grèves de 1960-1961 parce qu’elles mettent radicalement en cause le régime
montre que la paix sociale instaurée en 1945 est compromise. Tout cela explique
l’accélération de 1960, représente pleinement une politique capitaliste, par
ailleurs adéquate en tant que telle. En aucun cas, il ne s’agit d’une
"libéralisation". C’est une adhésion à une politique capitaliste
interventionniste, sinon dirigiste, tout le contraire d’une "philosophie"
capitaliste libérale. Il ne faut pas oublier ces précieuses distinctions : la
liberalization of the economy reste au stade de la rhétorique incantatoire
néo-libérale.
11. Les raisons données sont : la durée plus longue
d’activité journalière des machines, la flexibilité plus grande du travail et le
non-absentéisme des ouvriers. Voir Industriestandort Deutschland West. Ein
graphisches Portrait, Köln, 1993 (éd. actualisée), publié par l’Institut
der deutschen Wirtschaft, Köln, 24 pages. En fait, c’est bien plus
d’ouvriers belges qu’il s’agit que d’entreprises dont la transnationalité fait
disparaître les derniers signes d’une appartenance nationale qui ne fut jamais
dans leur nature.
12. A. Morelli et J.-Ph. Schreiber, De la difficulté de
s’identifier à un pays sans identité, dans Migrance, 2ème et 3ème
trimestres 1994, p. 62-66.
13. D’où les modifications incessantes des définitions et
de la législation où elles figurent.
14. D’après le Bureau du plan : Stock de capital net au
31 décembre, par produit et branche propriétaire, en milliards de francs de 1985.
Y joindre la note méthodologique rédigée par Th. de Biolley et A. Gillot,
Planning papers, DG 3965, 1987, p . 4 à 19.
15. Perturbation exogène de courte durée et d’influence
idéologiquement majorée : très vite, les prix relatifs
du pétrole rentreront dans le rang.
16. Les nombreux ouvrages qui paraissent, traitant les
soi-disant "nouvelles formes d’activité" ne sont que trompe-l’œil langagiers.
Ce texte est extrait du
catalogue de l'exposition
Wallons d'ici et d'ailleurs. La société wallonne depuis la Libération,
Charleroi, Institut Jules Destrée, 1996.