La croissance belge et l'inversion du processus de développement régional
Une phase de croissance lente
(1948-1959)
Le tableau 10 permet une
comparaison aisée de la croissance belge, entre 1948 et 1959, avec celles de
quelques autres pays environnants et la moyenne de la Communauté économique
européenne de l'époque (l'Europe des six !).
Tableau 10. Indice de
volume du PNB au prix du marché (1953 = 100)
|
1948 |
1949 |
1950 |
1951 |
1952 |
1953 |
1954 |
1955 |
1956 |
1957 |
1958 |
1959 |
Belgique |
85 |
88 |
91 |
96 |
96 |
100 |
104 |
108 |
112 |
115 |
113 |
116 |
France |
- |
85 |
89 |
95 |
97 |
100 |
105 |
111 |
117 |
123 |
125 |
128 |
Allemagne |
- |
- |
78 |
86 |
93 |
100 |
107 |
120 |
128 |
135 |
139 |
148 |
Italie |
74 |
78 |
84 |
90 |
93 |
100 |
105 |
112 |
117 |
124 |
130 |
138 |
Pays-Bas |
78 |
85 |
88 |
90 |
92 |
100 |
107 |
115 |
120 |
124 |
125 |
132 |
CEE |
69 |
77 |
85 |
91 |
95 |
100 |
106 |
114 |
120 |
126 |
129 |
135 |
Source : Statistique
générale, OECE, 1960, n 1.
De ce tableau, il ressort
que la Belgique jouissait d'une position comparative très favorable par rapport
aux autres pays en 1948, mais que cette position s'est progressivement
détériorée pendant les années cinquante si bien qu'au terme de la période, la
situation est tout à fait inversée.
Il y a donc bel et bien
un "retard belge", qui se marque dans de nombreux indicateurs : par exemple, le
taux de chômage est notablement plus important en Belgique qu'ailleurs;
semblablement, si l'on observe la part de l'investissement global dans le total
du PNB, on constate qu'elle est de 15,4 % en Belgique contre 17,6 % en France,
20 % en Italie et 21,7 % en Allemagne entre 1954 et 1958. Par contre, la balance
des paiements était presque toujours excédentaire
(33).
Au total - et ceci
confirme le diagnostic posé sur le régime d'accumulation pendant la décennie -,
la Belgique connaît donc un moindre développement que la plupart des autres pays
européens.

Les spécificités de la Wallonie
Comme on peut le
constater à la lecture du tableau 11, les croissances respectives de la Flandre
et de la Wallonie entre 1945 et 1960 n'ont pas été très divergentes.
Tableau 11. Croissance du
Produit Intérieur Brut par habitat et à prix constant 1948-1959
Belgique |
2,4 |
Flandre |
2,3 |
Wallonie |
1,9 |
Bruxelles |
3,5 |
En 1959, le PIB par
habitant reste encore sensiblement plus élevé en Wallonie qu'en Flandre. La
conclusion à en tirer est la suivante : ce qui est typique de la période
considérée, c'est davantage la faiblesse du taux belge que la dispersion des
taux régionaux.
Cependant, le
vieillissement de la structure industrielle wallonne est devenu tout à fait
apparent dans le courant des années cinquante : en particulier, les difficultés
de l'industrie charbonnière wallonne ont montré l'urgence et la nécessité d'une
reconversion. En d'autres termes, l'hyperspécialisation de l'industrie s'est
encore accentuée pendant la décennie, alors même que le secteur du charbon
entrait en crise ouverte.

La différenciation du rythme de
développement régional
En 1962, un observateur
attentif, N. Nabokoff, faisait remarquer dans la Revue Nouvelle
(35, 1, p. 8) que "le taux d'expansion du Produit intérieur brut de la Flandre
est un peu plus rapide que celui de la Wallonie. Si ce rythme se maintenait, il
faudrait une trentaine d'années pour que la Flandre rattrape la Wallonie, compte
tenu de l'écart subsistant en 1959".
En réalité, le processus
devait être infiniment plus rapide puisqu'en 1965, le PIB par habitant était
quasiment identique au Nord et au Sud de la Belgique. En 1966, la Flandre
rejoint la Wallonie. Par la suite, les taux d'accroissement du PIB par habitant
sont les suivants entre 1966 et 1971 : 5,5 % pour la Flandre et 3,9 % pour la
Wallonie. Au terme de cette période, c'est-à-dire en 1971, le PIB par habitant,
exprimé en prix de 1963, est de 88,9 milliers de francs en Flandre contre 80,1
en Wallonie.
Ce constat est encore
renforcé lorsqu'on examine l'évolution du secteur manufacturier. Le tableau 12
indique à suffisance l'étonnante progression de l'industrie flamande pendant la
période de référence.
Tableau 12. Parts
régionales dans le PIB manufacturier
Année |
Flandre |
Wallonie |
Bruxelles |
1966 |
55,3 % |
32,6 % |
12,1 % |
1971 |
60,7 % |
30,5 % |
8,8 % |
Source : INS
De même, à un niveau plus
désagrégé, l'observation du taux de croissance de la valeur ajoutée brute entre
1966 et 1971 fait voir à une exception près, que la comparaison est défavorable
à la Wallonie, tout spécialement dans des secteurs comme la sidérurgie, les
fabrications métalliques, la chimie.
Tableau 13. Taux
d'accroissement moyen de la valeur ajoutée brute au coût des facteurs et à prix
constants de 1966 à 1971
|
Royaume |
Wallonie |
Flandre |
Bruxelles |
Denrées
alimentaires, boissons, tabac |
4,7 |
3,3 |
5,3 |
4,1 |
Textile |
1,7 |
-0,1 |
2,7 |
-9,3 |
Vêtements,
chaussures |
1,0 |
3,2 |
3,2 |
-7,9 |
Bois et meubles |
5,7 |
4,9 |
6,4 |
1,2 |
Papier,
impression, édition |
4,9 |
5,4 |
7,2 |
1,6 |
Industrie
chimique et connexes |
11,8 |
6,2 |
14,4 |
7,2 |
Terre cuite,
céramique, verre, ciment |
7,2 |
9,2 |
4,7 |
8,1 |
Sidérurgie,
non-ferreux |
9,5 |
5,6 |
22,2 |
5,2 |
Fabrications
métalliques |
5,9 |
4,0 |
9,3 |
-5,4 |
Garages |
5,0 |
4,1 |
6,0 |
3,3 |
Autres industries |
12,2 |
11,4 |
13,3 |
5,9 |

Les facteurs d'explication
Comme on l'imagine
aisément, le schéma explicatif des différenciations régionales est forcément
complexe. C'est pourquoi on se contentera d'en esquisser les grandes
articulations. Pour la Wallonie, il faut prendre deux éléments principaux en
considération : d'une part, le caractère vétuste de sa structure industrielle et
son hyperspécialisation dans la sidérurgie; d'autre part, la faible rentabilité,
comparativement à la Flandre, de ses industries de base. Le premier point a déjà
été suffisamment développé, le second, par contre, mérite quelques explications.
La Wallonie a connu une
concentration économique et industrielle fort précoce. Cette caractéristique
remonte à la révolution industrielle et s'est maintenue par la suite : ainsi, en
1969, les entreprises occupant plus de 1000 personnes représentaient 43 % de
l'emploi total manufacturier de la Wallonie contre seulement 29 % en Flandre.
Or, précisément, des estimations économétriques
(34)
ont montré que la rentabilité - définie comme le rapport du bénéfice net aux
fonds propres - des entreprises industrielles dont les capitaux permanents
dépassent le milliard était nettement inférieure en Wallonie par rapport à la
Flandre ou par rapport à celle des entreprises multinationales établies en
Belgique.
En réalité, ce à quoi on
a assisté durant ces années en fonction de la rentabilité différentielle de la
Wallonie et de la Flandre, c'est à un double mouvement dans les flux financiers
et d'investissement :
1. les principaux
groupes financiers se sont progressivement désengagés de l'industrie wallonne
dont la profitabilité était par trop faible; l'évolution du portefeuille -
titres de la Société générale, telle qu'elle figure au tableau 14, en constitue
un exemple éloquent.
Tableau 14. Répartition
du portefeuille de la Société générale
|
|
1954 |
1965 |
1973 |
|
|
% des activités
des belges |
Wallonie
dont |
|
36,1 |
33,2 |
31,0 |
|
Mons/borinage |
5,7 |
5,3 |
3,5 |
|
Centre |
1,0 |
0,9 |
1,6 |
|
Charleroi |
6,8 |
5,3 |
4,4 |
|
Liège |
17,9 |
13,4 |
13,3 |
|
Divers |
4,7 |
8,2 |
8,2 |
Bruxelles |
|
12,4 |
13,3 |
11,0 |
Flandre
dont |
|
51,5 |
53,5 |
58,0 |
|
Antwerpen |
22,7 |
19,6 |
23,2 |
|
Gent |
10,7 |
15,5 |
20,1 |
|
Limburg |
10,6 |
9,4 |
7,5 |
|
Divers |
7,5 |
9,1 |
6,9 |
Source : SORTIA, J.R.
Wallonie 86, p. 144.
2. un afflux de
capitaux neufs en Flandre provenant de trois sources :
-
les investissements
étrangers (en 1968, 70 % des emplois nouveaux créés par des firmes
multinationales l'avaient été en Flandre contre 20 % seulement en Wallonie);
-
la réaffectation des
capitaux neufs des groupes financiers au bénéfice de la Flandre : c'est déjà
ce que montrait le tableau 14;
-
l'expansion d'un
capital spécifiquement flamand fait de petites et moyennes entreprises et
arcbouté à la Kredietbank et à son holding financier
(35),
notamment en Flandre occidentale.
Ajoutons la circonstance
aggravante que le rapport entre investissements nouveaux et valeur ajoutée - le
coefficient de capital - est nettement plus important en Wallonie qu'en Flandre,
ce qui signifie qu'il faut y investir plus par unité de valeur ajoutée et l'on
aura compris que la différenciation des taux de croissance régionaux résulte en
bonne partie de la faiblesse de l'investissement en Wallonie pendant une période
(1961-1973) où l'effort aurait dû être spécialement intense à cet égard.
La mutation ouverte en
1974
On devra se contenter
d'un constat suivi d'une courte explication. A partir de 1974, le régime
d'accumulation intensive fondé sur la consommation de masse entre en crise. Ce
régime s'est en fait "grippé" par suite de la conjonction de plusieurs facteurs
:
-
la baisse générale de
la profitabilité;
-
la diminution des
gains de productivité;
-
la dislocation du
système monétaire international instauré à Bretton Woods en 1944 et la mise
en place concomitante de taux de change flottants incontrôlés;
-
l'inflexion des
politiques économiques dans le sens de l'abandon de la régulation
keynésienne.
L'occasion de la rupture
dans le mode de développement intensif a été fournie par le quadruplement du
prix de pétrole en 1974. Sa signification profonde est la suivante :
l'augmentation du prix du pétrole se traduit par une hausse de la rente
pétrolière qui, elle- même, entraîne une nouvelle réallocation de la masse de la
plus-value au bénéfice des pays producteurs, alors même que le régime
d'accumulation intensive ne permet plus d'accroître cette plus-value.

On peut alors
schématiquement distinguer trois grandes sous-périodes après 1974 :
1. De 1974 au
deuxième choc pétrolier
Après la très grave
récession de 1974-1975, l'ensemble des gouvernements des pays industrialisés
cherche à relancer la machine économique en utilisant les recettes keynésiennes
classiques, à savoir le déficit budgétaire et des taux d'intérêt bas et stables
: l'inflation, selon l'indicateur synthétique dressé par la Kredietbank pour les
cinq plus grands pays, passe de 15 % au 4ème trimestre de 1974 à 6,5 % au
deuxième trimestre de 1978, pour remonter rapidement après cette date.
2. Du deuxième
choc pétrolier à la récession
En 1979, survient le
deuxième choc pétrolier. La priorité est maintenant donnée, non plus à la
relance de la demande, mais à la lutte contre l'inflation. Les Etats-Unis font
subir à leur politique monétaire un tournant radical : la volonté de contrôler
strictement l'évolution du volume de la masse monétaire se conjugue avec
l'absence de tout objectif en matière de taux d'intérêt. Le taux d'inflation,
après avoir atteint 13 % en 1980, toujours selon l'indicateur synthétique
retenu, décroît continûment. La combinaison de politiques budgétaire et
monétaire restrictives conduit à une grave récession en 1980-1982, accompagnée
de taux d'intérêt élevés, ce qui fait surgir le problème de l'endettement des
pays du Tiers Monde.
3. De la reprise à
la récession
Le "policymix" dominant
combine, avant même la reprise qui survient, selon les pays, de 1983 à 1986, une
relance prudente de la demande (très souvent par réduction des taux d'imposition
et sans financement monétaire du déficit budgétaire) et une action à la baisse
des taux d'intérêt. Cependant, très rapidement, les politiques économiques se
différencient entre les Etats-Unis d'un côté et le Japon et l'Europe de l'autre
côté :
-
les premiers, tout en
bridant la politique monétaire, ont recouru à l'arme du déficit budgétaire
pour susciter une croissance soutenue qui se maintiendra jusqu'à la fin des
années quatre-vingt;
-
le Japon et l'Europe
ont, par contre, entrepris d'assainir leurs finances publiques pendant la
récession et ont ainsi mené une politique budgétaire restrictive, ce qui
explique que la reprise se soit manifestée plus tardivement qu'aux
Etats-Unis (en gros 1985-86 contre 1983 aux Etats-Unis).
Telle est la base de la
désynchronisation des cycles observée durant ces années-là. Vers 1988-1989, les
Etats-Unis se rapprochent du plein emploi. La Réserve fédérale durcit sa
politique monétaire et rend le crédit plus cher. Ceci contribue à renforcer la
crise des caisses d'épargne américaines (Savings and Loans Associations) ainsi
que du système bancaire en général. L'endettement généralisé, couplé à la crise
financière et au resserrement des politiques budgétaire et monétaire, précipite
l'économie des Etats-Unis dans la récession dès le deuxième semestre de 1990. Au
même moment, le Japon et l'Europe connaissent encore une prospérité marquée. La
seconde bénéficie des retombées positives de la réunification allemande, qui
s'est traduite par d'énormes transferts de l'ouest vers l'est du pays - en
d'autres termes par une politique budgétaire très expansionniste. En
conséquence, la divergence des conjonctures est maximale entre les Etats-Unis et
l'Europe/Japon lors de la période 1990-1991 : récession dans un cas; forte
croissance dans l'autre.
Cependant, dès 1982, le
mouvement des ciseaux s'inverse. Les Etats-Unis sortent progressivement de la
récession, tandis que l'Europe et le Japon vont y entrer au deuxième trimestre
de 1992.

La politique économique de la
Belgique (1974-1979)
Compte tenu de la
périodisation internationale qui vient d'être développée, on peut différencier
la politique économique en fonction de la date-charnière de 1979 : avant, le
mélange est constitué par la relance et une politique de franc fort; après,
c'est une politique d'austérité et de rigueur moyennant l'intermède de la
dévaluation du franc de 1982.
Parmi les
caractéristiques belges pour la période envisagée, il faut citer :
-
un taux de croissance
du PIB (à prix constant) fort semblable à la moyenne de la CEE,
-
un taux d'inflation
plus faible que la moyenne de la CEE,
-
un taux de chômage
plus important,
-
un taux
d'accroissement des salaires plus élevé, en partie à cause de la liaison des
salaires à l'index, en partie à cause d'un rapport de forces favorable aux
travailleurs pendant la première moitié des années septante,
-
une forte
détérioration de la balance commerciale et des payements.
Voyons comment tous ces
éléments interagissent. En premier lieu, il faut signaler que la politique de
change, fortement influencée par la Banque Nationale, a consisté à maintenir à
tout prix la parité nominale du franc par rapport aux autres monnaies
européennes. L'idée sous-jacente - outre la stabilité du franc - était qu'une
monnaie surévaluée entraîne des effets positifs pour la restructuraiton des
processus de production. En fait, la politique du franc cher a eu comme effets
principaux :
-
de réduire le taux
d'inflation en opérant une pression à la baisse sur les prix des biens
importés et en freinant la hausse des prix des exportations;
-
de diminuer la
rentabilité des industries exportatrices, rentabilité prise en tenailles
entre l'accroissement des coûts salariaux et l'impossibilité d'augmenter les
prix par suite de la concurrence internationale et de la hausse de la valeur
moyenne du franc;
-
de détériorer, au
total, la balance commerciale.
De 1974 à 1979, le franc
belge s'est apprécié en moyenne de plus de 15 % par rapport aux autres monnaies
(passant de l'indice 98,4 à l'indice 114,5). Les effets précités se sont fait
sentir : en particulier, les industries exportatrices, i.e. celles du secteur
exposé à la concurrence internationale, devant la baisse de leur rentabilité,
ont rationalisé leur processus de production en substituant le capital au
travail et donc en réduisant l'emploi ou bien ont purement et simplement
disparu.
Ceci explique que
l'emploi, spécialement industriel, ait été fortement touché. Par ailleurs, les
gouvernements successifs, tout en laissant le franc belge se surévaluer, ont
tenté de soutenir la demande et donc l'emploi au travers des transferts sociaux
(allocations de chômage) et de l'embauche dans le secteur public. Pour ce faire,
ils ont dû accroître les dépenses publiques, alors que les recettes ne suivaient
pas en raison du ralentissement de la croissance. Il en est alors résulté un
déficit budgétaire croissant : ainsi, le besoin net de financement des pouvoirs
publics est passé de 4,1 % du PNB en 1974 à 8,8 % en 1979.

Le tournant de l'austérité
(1979-1986)
Dès 1979-1980, i.e. sous
des gouvernements chrétiens/socialistes, la relance par la demande a été
progressivement abandonnée et a fait place, au contraire, à une politique de
freinage puis de diminution des revenus salariaux. Cependant, le pas essentiel a
été l'oeuvre du gouvernement Martens V, coalition entre les sociaux-chrétiens et
les libéraux. Parmi les mesures prises, il faut citer :
-
la dévaluation du
franc belge d'un montant de 8,5 % intervient le dimanche 21 février 1982;
elle s'accompagne d'une suspension de l'indexation pour une période de trois
mois et d'un blocage du prix des biens et services durant le même laps de
temps, ce qui aboutit à un transfert de revenus des salariés vers les
entreprises; l'opération de dévaluation permet de ramener le taux de change
réel du franc à l'indice 98,1, soit à peu près à son niveau de 1974;
-
les tentatives de
réduction du déficit public via les trois sauts d'index (2 % par an), les
diminutions des transferts sociaux et des investissements publics, les
opérations de rééchelonnement de la dette, etc.
La logique économique du
Gouvernement Martens, du moins jusqu'en 1985, consistait à miser sur une reprise
économique induite par le relèvement des profits censé engendrer une hausse des
investissements, puis de la production et de l'emploi. Dans l'intervalle, la
dévaluation devait donner un coup de fouet aux exportations et "tirer" ainsi la
demande globale, fortement déprimée par suite de la baisse des revenus internes
et de la diminution des dépenses publiques.
Que faut-il penser, avec
le recul, de la politique mise en oeuvre ?
1.
Incontestablement, elle a réussi à restaurer la rentabilité du capital : pour
use limiter au seul indicateur de la rentabilité nette des fonds propres de
l'industrie; on fera remarquer que cet indicateur avait été négatif en 1981 et
qu'il grimpe à 13,3 % en 1985. Bien entendu, cette progression du revenu des
entreprises s'est faite essentiellement au détriment du secteur des particuliers
ainsi qu'en témoigne le tableau 15.
Tableau 15. Revenu
disponible des grands secteurs (en pour cent du PNB)
|
1981 |
1982 |
1983 |
1984 |
1985 |
1986 |
Particuliers |
81,2 |
79,8 |
80,6 |
79,1 |
78,0 |
76,8 |
Sociétés |
6,6 |
7,4 |
8,0 |
8,5 |
9,2 |
11,5 |
Pouvoirs publics |
11,1 |
11,7 |
10,4 |
11,5 |
12,2 |
11,0 |
Source : BNB, Rapports
1986
2. Le PIB à prix
constants a connu une croissance moins importante que la moyenne de la CEE à
l'exception de 1982.
Tableau 16. Taux de
croissance comparés (à prix constants)
|
Belgique |
CEE |
1981 |
-1,4 |
-0,2 |
1982 |
+1,5 |
+0,5 |
1983 |
-0,1 |
+1,2 |
1984 |
+1,6 |
+2,3 |
1985 |
+1,5 |
+2,4 |
Source : Banque Nationale
de Belgique
3. Le solde des
échanges extérieurs est redevenu positif; par contre, pour ce qui concerne
l'autre déséquilibre majeur, celui des finances publiques, il n'y a pas de
changement majeur puisque le problème reste entier et continue à se poser de
manière lancinante.

Le retour de la croissance
L'année 1988 voit la
Belgique, de même que tous les autres pays de l'Union européenne, renouver avec
une croissance forte. Au même moment, le Parti socialiste revient au
gouvernement en coalition avec les sociaux-chrétiens. L'augmentation du Produit
National Brut est comparable à celle des Golden Sixties : +4,9 % en
termes réels pour 1988 et 3,8 % l'année suivante.
Cependant, la politique
économique mise en oeuvre ne connaît pas de modifications significatives par
rapport à la période antérieure :
-
la priorité continue
à être donnée à la réduction du déficit public, malgré une réforme fiscale
qui diminue les recettes de l'Etat et conduit ainsi à poursuivre les
diminutions des dépenses publiques;
-
le maintien de la
parité du franc est un point cardinal de l'action gouvernementale : c'est
d'ailleurs l'objectif avoué de la loi sur la compétitivité, votée le 6
janvier 1989 et qui vise à sauvegarder la "position concurrentielle des
entreprises"; par ailleurs, le choix est fait dès 1989-1990 d'arrimer le
franc au mark allemand en n'utilisant même pas les marges de fluctuations
autorisées par le Système Monétaire Européen (2,25 % de part et d'autre des
parités centrales); à partir de juin 1990, la Banque Nationale de Belgique
s'efforce de maintenir la parité du franc tout près du cours-pivot de
20,6255 FB pour un mark.
Lorsque la récession se
manifeste au tournant de 1992 et 1993, des choix plus draconiens seront faits :
ce sera le plan global, encore présent dans toutes les mémoires.

Restructurations et emploi en Wallonie
Le ralentissement de la
croissance après 1974 s'est répercuté fortement sur l'emploi wallon. De plus, la
surévaluation du franc a handicapé les industries exportatrices wallonnes, déjà
moins robustes que leurs correspondants flamands. Au total, il en est résulté
des pertes d'emploi très importantes et corrélativement un gonflement du taux de
chômage ainsi que l'indique le tableau 17 (pour l'interprétation, il faut tenir
compte de ce que la première colonne mesure le rapport chômeurs complets
indemnisés/population affiliée à l'INAMI et la seconde de taux harmonisé établi
après l'enquête sur les forces de travail).
Tableau 17. Taux de
chômage wallon (1972-1993)
1971 |
5,1 |
1983 |
13,7 |
1973 |
5,4 |
1984 |
13,3 |
1974 |
5,9 |
1985 |
13,3 |
1975 |
8,8 |
1986 |
13,1 |
1976 |
11,1 |
1987 |
14,1 |
1977 |
12,5 |
1988 |
13,1 |
1978 |
13,2 |
1989 |
11,2 |
1979 |
13,4 |
1990 |
10,5 |
1980 |
14,4 |
1991 |
10,0 |
1981 |
17,2 |
1992 |
11,2 |
1982 |
19,5 |
1993 |
13,0 |
Sources : ONEM, enquêtes
force de travail
On remarquera que le
chômage progresse par paliers : lorsque la reprise survient comme en 1987-1988,
le taux de chômage diminue, mais pas au point de faire disparaître
l'accroissement intervenu lors de la récession.
Parallèlement, la forte
croissance de la fin des années quatre-vingt a été précédée d'une
restructuration en profondeur du tissu productif wallon, dans le sens d'un
meilleur équilibre entre les grands secteurs industriels.
Considérons, dans le
tableau 18, la répartition du chiffre d'affaires au sein du secteur
manufacturier. On note le repli marqué de la métallurgie, dont la part relative
du chiffre d'affaires passe de 24,9% en 1980 à 15,8% en 1992. Par conséquent, le
secteur des fabrications métalliques et électriques est désormais - et de loin-
le premier contributeur au chiffre d'affaires manufacturier (bien que sa part
relative se soit maintenue approximativement constante en 1980 et 1992). Enfin,
il faut tout spécialement noter la progression des secteurs de la chimie et de
l'agro-alimentaire.
Tableau 18 -
Reconfiguration du système industriel wallon
Parts en % du chiffre d'affaires manufacturier
|
1980 |
1985 |
1992 |
Fabrications
métalliques |
28,4 |
27,8 |
29,0 |
Métallurgie |
24,9 |
22,2 |
15,8 |
Agro-alimentaire |
12,4 |
13,7 |
15,2 |
Chimie |
12,0 |
15,9 |
17,8 |
Matériaux de
construction |
9,8 |
8,0 |
9,6 |
Papier |
5,8 |
6,3 |
9,0 |
Source : INS.
En termes de tendances de
moyen et de long terme, le bilan des dix dernières années se solde donc par une
structure plus équilibrée du secteur industriel wallon. Le résultat a certes été
partiellement acquis au prix de l'important repli de la métallurgie de base et
de la première transformation des métaux mais également, pour l'autre part, par
la performance intrinsèque de croissance des secteurs bénéficiaires.
Etant donné que 70 % du
chiffre d'affaires du secteur manufacturier est réalisée à l'exportation, il
convient de soumettre la structure sectorielle de l'activité exportatrice à un
examen similaire. A cet effet, considérons le tableau 19.
Tableau 19. Part dans les
exportations du secteur manufacturier (en %)
|
1980 |
1985 |
1992 |
Fabrications
métalliques |
30,49 |
31,09 |
29,42 |
Métallurgie |
31,00 |
27,70 |
20,98 |
Agro-alimentaire |
6,50 |
7,20 |
9,90 |
Chimie |
13,60 |
17,00 |
21,60 |
Matériaux de
construction |
7,40 |
6,23 |
7,51 |
Papier |
5,38 |
5,74 |
6,06 |
Source : INS - TVA.
La modification
structurelle est encore plus sensible qu'en termes de chiffre d'affaires. En
effet, en 1980, la métallurgie réalisait 31 % des exportations du secteur
manufacturier. En 1992, la part du secteur est tombée à 20 %. La métallurgie
n'occupe donc plus que la troisième place au classement des principaux secteurs
exportateurs wallons. Elle est précédée, dans l'ordre, par les fabrications
métalliques et électriques, qui, ici aussi, maintiennent entre 1980 et 1992 leur
part quasiment inchangée, autour de 30%, et la chimie, dont la part dans les
exportations a crû nettement plus rapidement que la part dans le chiffre
d'affaires total, pour passer de 13,6 % en 1980 à 21,6 % en 1992.
Comme pour le chiffre
d'affaires, c'est ainsi à un rééquilibrage entre les principaux secteurs
industriels wallons, effectué au détriment de la métallurgie, que l'évolution en
matière d'exportation conduit à long terme.
En conclusion, on
retiendra que l'industrie wallonne présente une configuration plus équilibrée,
l'un des facteurs qui devraient renforcer la faculté d'adaptation aux aléas de
la conjoncture mondiale.
Orientation bibliographique
33.
D'après Lamfalussy, le surplus cumulé de la Belgique sur la période 1948-1957
atteint 33 milliards de francs rien que pour les opértions sur biens et
services. Voir LAMFALUSSY, A., "Essai sur la Croissance économique et la Balance
des Paiements de la Belgique : 1948-1957", Bulletin de l'Institut de
Recherches économiques et sociales, 25 (1), 1959, p. 44.
34. BINAME, J.P. et A. JACQUEMIN., "Structure Industrielle
des Régions Belges et Grandes Entreprises : Quelques Eléments d'Analyse",
Recherches Economiques de Louvain, 4, 1973, pp. 449-450.
35. C'est un point sur lequel a fortement insisté Ch.
Vandermotten. Voir VANDERMOTTEN, C., Ebauche d'une Macrogéographie de
l'Industrie en Belgique. 1846-1970, thèse, ULB, Bruxelles, 1978, 2 tomes.
Francis Bismans, Une
odyssée économique, dans
Wallonie. Atouts et références d'une
Région, (sous la direction
de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.