"Wallonie 2020", Cinquième congrès "La Wallonie au futur" -  Institut Jules Destrée - 2001-2003

 

Wallonie 2020 - Troisième phase - Séminaires : Leçons et débats sur le futur

Une école de qualité pour tous

Marcel Crahay
docteur en sciences de l’éducation, professeur à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université de Liège, membre associé au Laboratoire Innovation Formation Education de l’Université de Genève
24juin 2003

L’exposé introductif sera relativement court puisque l’objectif est de débattre. Je vous propose de reprendre les lignes que j’avais écrites en 1997, dans "Une école de qualité pour tous". Je pense que les choses n’ont guère changé, hélas, quant au constat qu’on peut faire à propos de notre système d’enseignement. Dès lors les enjeux du futur non plus.

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"Wallonie 2020", Cinquième congrès "La Wallonie au futur" -  Institut Jules Destrée - 2001-2003

 

Organisation actuelle du système d’enseignement

Un visiteur extérieur quelque peu compétent dans le domaine de l’enseignement ne manque jamais de s’étonner de nos réseaux d’enseignement mais plus encore d’un concept qui est une sorte de bête étrange pour la plupart de nos interlocuteurs étrangers, c’est le concept de pouvoir organisateur. Un Français ou un Suisse ignore tout de cette expression. Or, il s’agit d’une notion clé de notre système d’enseignement et qui explique la difficulté de le gérer et de le régler. Le pouvoir organisateur est une instance décisionnelle, locale. Il y en a une multitude parce qu’il y a des pouvoirs organisateurs de types différents. Le Ministre de l’Education a une double fonction, il est à la fois pouvoir organisateur pour les écoles de type « enseignement dit de l’État », en fait la Communauté française Wallonie-Bruxelles et il est aussi Ministre de tutelle par rapport aux écoles des autres réseaux. Le pouvoir de tutelle exerce une supervision de la majorité des écoles. Un Ministre de l’Education n’a pas en Wallonie le pouvoir d’un Ministre de l’Education en France. C’est radicalement différent.

A côté du pouvoir de tutelle, il existe des réseaux, c’est-à-dire des confédérations de pouvoirs organisateurs, relativement centralisés dans le cas des écoles confessionnelles, catholiques Pour des raisons historiques, les différents pouvoirs organisateurs catholiques se sont fédérés et sont pilotés par le CEGEC. Les écoles relevant du réseau communal, quant à elles, sont gérées par des pouvoirs organisateurs qui généralement correspondent aux communes ; un échevin (adjoint au maire) tente de coordonner les établissements relevant de sa commune ; le pouvoir organisateur de Namur peut avoir presque son propre programme, ses propres méthodes qui ne sont pas nécessairement - j’exagère un peu, mais à peine - les mêmes, par exemple que celles du pouvoir organisateur de Liège. Par bonheur, il se fait que les programmes des différents pouvoirs organisateurs (Liège, Namur, etc.), ne sont pas très différents parce qu’il y a eu un phénomène de convergence un peu naturelle ; mais on aurait pu avoir beaucoup plus de divergences puisque la Constitution garantit le principe de la liberté de méthode ; à mon avis, cette liberté de méthode est un terrible frein et une terrible contrainte à l’innovation pédagogique.

Mais revenons à la fonction de tutelle du Ministre de l’Education. Le Ministre de l’Education a donc un pouvoir, notamment le pouvoir d’apprécier les programmes des différents pouvoirs organisateurs (par exemple, par rapport à certaines missions, etc.). Il a le pouvoir de mettre en garde mais il n’a pas le pouvoir de contraindre le pouvoir organisateur. Sa mission est donc très différente de ce qui se passe en France ou dans un certain nombre d’autres pays au monde. C’est un point clé pour comprendre le fonctionnement et j’aurais tendance à dire, de façon un peu provocante, les dysfonctionnements de notre système d’enseignement.

Car il s’agit bien de dysfonctionnements. Lorsqu’on aborde notre système éducatif d’un point de vue comparatif, et si on regarde les différents résultats des études internationales, le fait le plus marquant n’est pas nécessairement notre classement qui n’est pas nécessairement bon (c’est de ce fait-là que la presse fait ses choux gras), car l’élément le plus marquant est un autre indicateur : ce que l’on appelle techniquement la variance entre écoles. Depuis que l’on réalise des études internationales, la Belgique qu’elle soit flamande ou francophone – même si c’est encore plus marqué du côté francophone - se caractérise par une très importante variance inter-écoles. En d’autres termes, le niveau de performances des élèves varie très fortement en fonction de l’école fréquentée. La dernière étude PISA a particulièrement bien mis le phénomène en évidence : ce sont les moyennes qui permettent de faire le classement des pays ; mais au-delà de la moyenne, il y a une variance, une diversité des performances autour de la moyenne entre élèves ; en comparant le niveau des élèves d’une école à l’autre, on constate de très fortes différences entre écoles. Cette différence entre écoles existe dans tous les pays. Mais chez nous, elle prend une proportion extrêmement importante. Sur base des résultats des trois derniers surveys internationaux, c’est dans notre pays, dans notre communauté française en particulier, qu’on observe la plus grande différence de compétences en fonction de l’école fréquentée. Pour dire encore les choses autrement, sur la même idée, selon que l’élève fréquente telle école, il est en droit d’attendre un haut niveau de compétences ou inversement, s’il fréquente telle autre école, il va, il est en droit d’attendre un niveau de compétences nettement plus bas. Ceci m’interpelle fortement. Les titres de certains de mes ouvrages en attestent. Je suis mis en alerte par rapport à mon idéal de justice. On pourrait se dire qu’un des principes clés dans un système éducatif est d’attribuer le même niveau d’égalité des chances pour un enfant quelconque, quelle que soit l’école fréquentée. En tout cas, en Communauté française Wallonie-Bruxelles, on peut dire qu’on n’est pas du tout dans ce cas de figure. Selon que vous choisissez telle ou telle école, votre probabilité d’accéder à un haut niveau de compétences est extrêmement variable et là, on est quand même confronté à un problème important, crucial, me semble-t-il.

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A quoi attribuer ce problème de l’énorme variabilité des compétences en fonction de l’école fréquentée ? Sans doute à plusieurs facteurs qui sont convergents. Comme je l’ai mentionné tout à l’heure, puisque la responsabilité des écoles est confiée à des pouvoirs organisateurs multiples et variés, le Ministre responsable n’a pas véritablement un grand pouvoir de gestion sur l’ensemble des écoles. On peut penser qu’il y a une sorte de disparité des exigences et des recommandations selon qu’on est dans telle ou telle école.

Un autre facteur à mes yeux, c’est la liberté de choix de l’école, le principe de l’affectation de l’élève à une école. J’en ai fait récemment un thème lors d’une interview sur l’éducation comparée. Cela surprend généralement aussi les visiteurs extérieurs. Il y a différentes méthodes pour déterminer que tel élève va aller dans telle école. On peut avoir une affectation absolument obligatoire en fonction du domicile, comme cela se passe en France ou en Suisse, même s’il y a toujours des possibilités de dérogation ; dans d’autres pays, on a généralement des organes qui gèrent les flux d’élèves en fonction des places disponibles dans les différentes écoles : ce sont des centres de régulation des flux d’élèves. Les pays où il y a, comme chez nous, liberté du choix de l’école par les parents sont très rares. Ce que nous avons tendance à considérer comme étant un fait général est, en fait, un fait exceptionnel. Au vu des constats précédents, on est en droit de se demander s’il ne faut pas revoir ce principe-là ?

Le principe de la liberté du choix de l’école a changé de signification avec le temps. Quand on a adopté ce principe, c’était au début du 20ème siècle à un moment où la mobilité des personnes était très limitée. On peut caricaturer ou simplifier ainsi la façon dont les responsables ont pensé les choses partant du constat que les familles se trouvaient dans un village, dans une zone en tout cas relativement circonscrite, on se disait : il faut leur garantir la liberté philosophique. On imaginait qu’il allait y avoir une école confessionnelle et une non confessionnelle dans une certaine zone. Le choix se ferait entre deux écoles, une confessionnelle, une non confessionnelle. Avec l’évolution notamment de la mobilité des transports, les parents n’ont plus évidemment limité le choix entre les deux écoles du village mais ont commencé à étendre leur choix par delà les frontières de la zone prédéfinie ; dès lors, le principe adopté à une certaine époque pour maintenir la liberté philosophique a changé de nature et on se retrouve devant un quasi marché éducatif. Ce marché scolaire hautement compétitif n’a pas été délibérément voulu ; il est la résultante d’une évolution. . Le terme de « marché » peut choquer, car qu’est-ce que les écoles ont à vendre ? Elles ont à vendre des diplômes, enfin la réussite scolaire. Mais, c’est quoi, ce produit-là en terme de marché ? En définitive, lorsqu’on voit les enquêtes sur ce qui fait la valeur d’une école auprès, notamment, des parents, ça va évidemment dépendre de l’origine sociale des parents; les parents d’origine modeste vont généralement évaluer le niveau d’aptitude de leur enfant ; s’ils pensent que c’est un enfant qui a des "dons", ils vont tenter une "grande école", en d’autres termes, une école sévère, exigeante, voire élitiste. Sinon, ils choisiront plutôt une école d’un autre type, plus conviviale. Les parents de milieux favorisés, généralement, essaient de choisir une école à bonne réputation.

Jean-Emile Charlier de Mons avait fait une étude vraiment intéressante sur base d’interviews auprès de parents sur cette question-là. En tout cas pour le niveau secondaire, ce qui apparaît comme une bonne école c’est une école qui, excusez-moi mais on arrivait à ceci, a des vieux murs, parce que c’est le principe d’une histoire, d’une tradition. On va juger aussi la bonne école en fonction de l’apparence vestimentaire des élèves. Ça joue quand on fait parler les parents. Aussi de certains propos que les parents s’échangent entre eux. On va dire : oui, mais là, c’est une école sévère, exigeante; d’ailleurs, ils ont, je ne sais combien de leurs élèves qui viennent de réussir l’examen d’ingénieur ou qui sont à l’université ou qui ont réussi. Ce que je veux dire par-là, en utilisant de façon un peu évidemment discursive les résultats de l’enquête de Jean-Emile Charlier, c’est qu’évidemment les parents n’ont pas d’éléments réellement objectifs pour dire : voilà la bonne école, voilà la mauvaise école et nécessairement, ils doivent se rabattre sur des indicateurs d’une autre nature.

Par ce détour-là, j’en reviens finalement à un de mes thèmes chers, celui de l’échec scolaire. Apparemment, on pourrait presque dire, à nouveau, de façon un peu provocante pour susciter le débat, que ce qui se vend bien dans le marché scolaire, c’est l’échec. C’est l’échec ! C’est une école qui « moffle ». Lors d’un débat avec des directeurs d’écoles sur l’école de la réussite, un directeur d’école m’a dit : Monsieur Crahay, dans mon école, si je commence à faire une publicité en disant, dans mon école, dorénavant tous les élèves réussiront, parce qu’on met en place toutes les bonnes méthodes, je vais sans doute faire chuter mon recrutement. Même si on n’en a jamais évalué la validité scientifique, je crois que de tels propos ont le mérite de la sincérité. Ils ont quelque chose d’interpellant. On en arrive presque à se dire : oui, l’échec scolaire, dans notre système, a une fonction qui est effectivement sans doute de pouvoir discriminer les élèves, les sélectionner, les orienter mais aussi de contribuer à une image de marque d’élèves ou d’écoles, sévère ou exigeante parce que malheureusement, on confond échec et exigence. Quand je lutte contre l’échec scolaire, je n’ai évidemment pas envie de lutter contre l’exigence, je crois qu’il faut maintenir des hauts niveaux d’exigence mais en dissociant la notion d’exigence de la notion d’échec scolaire.

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Avec cette brève entrée en matière, je pense que l’on a une sorte de panorama des problèmes auxquels on est confronté au niveau de la Communauté française Wallonie-Bruxelles.

Y a-t-il des solutions ? Je n’ai pas dit de façon péremptoire : quelles sont les solutions ? J’ai dit est-ce qu’il y a des solutions ? Personnellement, je ne pense pas que la solution soit dans le renforcement du marché scolaire mais je crois qu’on y est en quelque sorte un peu acculé. Pourquoi ? Parce que quand je vois tout ce qui s’écrit au niveau notamment de l’Union européenne, il faut bien reconnaître hélas que la mouvance intellectuelle est dans ce sens-là, sans preuve. Je mets au défi les responsables de l’Union européenne qui écrivent certains textes de prouver l’efficacité du marché scolaire, de ce genre d’idées, je les mets vraiment au défi. Je crois que s’ils mettaient leurs idées à l’épreuve des faits qu’on dispose notamment, au niveau même par exemple des études internationales, ils constateraient qu’en définitive, les systèmes éducatifs qui ont généralement les meilleurs rendements d’ensemble, la plus grande équité, sont les pays notamment d’Europe du Nord qui ont plutôt freiné par rapport à ces tendances-là. Mais, il faut bien admettre qu’il y a une sorte de rouleau compresseur qui nous pousse dans des idées du type : choix d’école, décentralisation, etc. Alors, par rapport à ce courant d’idées qui aujourd’hui est largement dominant, je crois, même si le terme fait vieux style, il faut bien admettre qu’on est face à un système idéologique.

Que faire ? Comment essayer de mettre quelques balises pour freiner cette dérive puisque je me pose ces problèmes dans ces termes-là ? Je crois qu’une des solutions et là, je rejoindrai un des thèmes chers à l’Institut Jules-Destrée, se trouve sans doute la culture de l’évaluation, mais d’une évaluation externe. Comment la conçois-je ? Quand on parle évaluation en Belgique, généralement, pas mal de gens frémissent en pensant tout de suite au BAC français. Or, je crois que l’on peut prendre ses démarcations par rapport à notre voisin. Quand on parle d’évaluation externe, on ne renvoie pas ipso facto au BAC « à la française » ; certes, ce système est une forme d’évaluation externe mais, par bonheur, il y en a d’autres. J’ai personnellement tendance à défendre une sorte de principe de la confrontation des points de vue. Dans ce système, il faut bien sûr maintenir l’évaluation que j’appelle interne, l’évaluation produite par les enseignants, à condition que les enseignants acceptent de confronter leur évaluation à des indicateurs externes, à des mesures prises de l’extérieur. Je peux argumenter davantage en faveur de cette solution à partir de recherches réalisées par mon équipe. Cette formule mixte d’évaluation interne et d’évaluation externe me paraît la meilleure pour plusieurs raisons. On connaît les biais de l’une et de l’autre évaluation. On peut faire une critique systématique de l’évaluation produite par les enseignants. Elle a des dérives mais elle a aussi des qualités. On peut faire une critique systématique des évaluations externes parce qu’il y a des dérives très claires mais il y a aussi des qualités.

On peut voir assez rapidement les défauts de l’évaluation interne des enseignants. Ce sont les biais de subjectivité, inévitables. A nouveau, je ne fais pas le procès des enseignants. Mon mode d’analyse, c’est de les considérer comme étant des personnes responsables mais qui sont insérées dans un système avec des règles organisationnelles mais aussi des valeurs. Mais, je dirai, tout être humain quand il évalue est inévitablement l’objet de biais de subjectivité, des études le montrent, même quand on est professeur d’université. Ainsi, par exemple, ai-je fait des évaluations pendant toute la semaine qui vient de terminer, une semaine où il a fait chaud, une donnée qui influence l’évaluation. En fin de journée, vous êtes plus fatigué, certains sont plus irritables que le matin, d’autres vont peut-être être un peu plus laxistes. Ces circonstances influencent l’évaluation interne. L’étudiante est jolie, ça joue, on l’a montré aussi, l’aspect, l’apparence physique de la personne interfère avec l’évaluation. Les études systématiques ont démontré que ce biais que l’apparence physique d’une étudiante influence l’évaluateur mâle. L’être humain est un être humain, tout simplement. Il faut reconnaître l’humanité de l’enseignant avec ses qualités et ses défauts, bref les biais de subjectivité de l’évaluation interne. On peut demander aux enseignants de prendre conscience de ces biais de subjectivité, de les contrôler. Je doute du résultat. On peut sans doute un peu corriger le biais mais certainement pas y remédier. Moi personnellement qui enseigne les biais de la subjectivité dans l’évaluation, est-ce que j’y échappe ? Je vous avoue que je n’aurais pas la prétention de le dire.

Maintenant, il y a une qualité certaine à l’évaluation que j’appelle interne, de l’enseignant. L’enseignant, en tout cas au niveau du primaire, moins au niveau du secondaire et quasiment pas au niveau universitaire, est proche de l’élève. Il va pouvoir prendre en considération un certain nombre de dimensions importantes : les difficultés rencontrées peut-être par l’élève dans sa situation familiale, dans son vécu ;le fait que, malgré cela, il a fait toute une série d’efforts mais en dépit de ces efforts, il n’arrive peut-être pas à atteindre les niveaux d’exigence (l’évolution peut être prise en considération). Au niveau de l’évaluation interne, il y a des défauts, les biais de subjectivité, mais il y a des qualités indéniables (la dimension clinique que l’enseignant peut faire intervenir en prenant en considération toute une série d’aspects de la vie, de l’évolution de l’élève).

Les avantages et les inconvénients de l’évaluation externe sont complémentaires et quasiment inverses à ceux de l’évaluation interne. Gros avantage d’une évaluation externe : c’est la même épreuve pour tout le monde, pour tous les élèves d’écoles différentes, ce qui n’est pas le cas lorsque vous êtes dans l’évaluation interne où les enseignants calibrent leur évaluation en fonction de leur groupe scolaire ;. L’évaluation externe a un côté impersonnel mais qui est aussi plus impartial et, d’un certain point de vue, plus objectif : la même épreuve pour tout le monde, que ce soit l’élève de Houtsiplout ou de Champion. Les procédures de correction sont aussi standardisées. Objective par définition, cette évaluation pourrait être qualifiée de froide. Quand on réalise une évaluation externe, dans le meilleur des cas, on prend trois mesures, on évalue : les performances des élèves à trois moments différents dans un intervalle de temps déterminé. C’est déjà pas mal, techniquement parlant. Le gros inconvénient de ça, c’est qu’évidemment, on prend l’élève à un moment particulier. Donc, c’est une mesure qu’on pourrait dire statique alors que l’évaluation interne, par sa dimension clinique, est aussi une mesure dynamique longitudinale. L’évaluation externe est donc statique, c’est une sorte de coup de sonde, de fuite, de forage cognitif à un moment particulier qui, lui aussi, peut être biaisé. Par quoi ? Si l’élève est malade ce jour-là, il peut rater son épreuve alors que c’est un élève tout à fait remarquable. Toute une série de biais de ce type peuvent encore jouer : une dispute avec son copain ou avec sa copine. Autant d’éléments qui vont jouer mais qui ne vont pas être pris en considération. On a une évaluation froide.

Il me paraît pertinent d’aller dans le sens d’articuler ces deux types d’évaluation - on pourra discuter par la suite des modalités - L’important n’est pas ici d’imaginer un dispositif technique concret, c’est l’idée que je défends. Il s’agit de défendre le principe qu’il y a un moment où l’enseignant doit aller confronter son évaluation interne aux données de l’évaluation externe.

D’une part, je crois que ce système pourrait réduire les échecs scolaires, parce que ce qu’on a pu montrer, par certaines recherches, que justement les niveaux d’exigences sont très fluctuants d’une école à l’autre et que généralement, les enseignants, inconsciemment à nouveau, vont en quelque sorte mettre la barre plus ou moins haut selon que son groupe classe est plus ou moins fort. La barre de réussite fluctue. Par la méthode combinée, on aurait une régulation de ce problème-là. Un deuxième avantage est lié à ce problème de la dispersion des centres de décision par rapport au pouvoir organisateur. Si on arrive à mettre en place une évaluation externe, il faut qu’elle se fasse au niveau de la Communauté française Wallonie-Bruxelles, et surtout pour chaque réseau d’enseignement, pour chaque pouvoir organisateur. Si on s’oriente vers la multiplication des évaluations externes par réseau, ce que je vais dire n’a plus de sens. J’imagine donc une évaluation externe qui est prise en charge par le cabinet du Ministre. Dès lors, les différents pouvoirs organisateurs devront se concerter et se mettre d’accord sur le niveau d’exigences.

Une des grandes victoires des dernières années chez nous, c’est, quoi qu’en pensent les enseignants de terrain, le document "Socle de compétentes", peut-être pas toujours dans la nature de ce qui est écrit mais dans le fait qu’on ait abouti au document. Donc, je ne juge même pas ce qu’il y a dedans pour l’instant. Ce que j’essaie de dire, c’est que le fait d’avoir produit pareil document est une réussite absolument inespérée au niveau de la Communauté française Wallonie-Bruxelles parce que des pouvoirs organisateurs différents ont réussi à se concerter et à se mettre d’accord sur un document. Je défends, cette idée-là indépendamment même du contenu du document. Pour moi, c’est une évolution marquante sur le plan des politiques éducatives. On pourrait se dire que si on mettait en place un système d’évaluation externe - je vais oser le terme - centralisé, il faudrait faire un pas de plus dans le sens de la concertation entre pouvoirs organisateurs et effectivement, moi, là, j’y verrais des avantages.

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Débat

 

Un intervenant

J’ai un ami qui est professeur dans l’enseignement du soir, il donne espagnol. Comment fait-il pour évaluer ? Il est présent, il fait passer ses élèves dans une petite pièce et il a, à côté de lui, un native speaker qui est espagnol et lui, n’évalue rien du tout en tant que professeur, lui et c’est le native speaker qui met la cote. Mais je ne dis pas qu’il faut faire exactement comme ça pour tout le monde. Mais voilà par exemple une possibilité de mélange d’externe et d’interne. Lui, pendant toute l’année, il ne juge pas ses élèves et il n’y a qu’une cote en fin d’année, si j’ose dire, une évaluation en fin d’année. Et laissez-moi vous dire que les résultats d’année en année sont en augmentation.

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Autre intervenant

Il y a un grave problème ici, en Belgique, c’est l’existence de réseaux concurrentiels. On est en train de dépenser une énergie folle dans la concurrence entre les écoles et non seulement, entre le libre et l’officiel mais à l’intérieur de l’officiel lui-même. Moi, je crois que nous ne sommes pas capables de supporter cette concurrence

Ce que je constate aussi maintenant, c’est que, de par mon jeune fils, il y a une crise des enseignants, il y a une fragilité maintenant dans les enseignants et ce n’est pas seule l’école où il est qui est à mettre en cause, parce qu’ailleurs, c’est la même chose, une fragilité maintenant chez les enseignants extraordinaire. Mon fils, chaque année, rate une branche parce que le prof est en déprime, parce que le prof est absent, parce que le prof est régulièrement absent. Il est en anglais fort, il a raté complètement sa première année d’anglais fort parce que la prof était superchahutée. On la chahutait tous dans nos cours. Donc, il a commencé la deuxième avec 3/10 et maintenant, il est à 6,5, 7/10. Puis, cette année-ci, c’est le prof de math qui n’est jamais là, qui est en déprime. Bon, et puis des cours faits abracadabrants. Evidemment, quand vous dites ça, vous avez l’air d’être réactionnaires mais il y a une fragilité. Plus dans le secondaire, la crise des enseignants, que dans le primaire, d’ailleurs.

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Reprenant les différents thèmes abordés (la question des évaluations mixtes, la gestion de la multiplicité des réseaux, le problème des examens cantonaux et la fragilité des enseignants déprime et la crise plus générale), Marcel Crahay s’exprime ainsi :

L’évaluation tout au long de la vie, Je crois que le concept est vraiment en train de bouger, de s’imposer. Je crois que c’est inévitable. Je ne sais pas très bien comment ça va être organisé, quelles seront véritablement les opportunités qui seront offertes aux différentes personnes de réaliser cet apprentissage tout au long de la vie. On peut évidemment miser sur des démarches purement personnelles autonomes mais là, je pense que si on fait ça, ça se réalisera dans l’inégalité. Je crains alors que certains soient à nouveau laissés pour compte et qu’on ne retrouve au niveau de la formation du long life learning les problématiques qu’on a eu à affronter et qu’on n’a pas réussi vraiment à régler au niveau de la scolarité normale. Je crois que c’est bien évidemment un concept indispensable mais, si mon pronostic est correct, on risque de se retrouver avec des problématiques analogues à celles qu’on a eues au niveau de la scolarité de base, c’est-à-dire les questions à la fois d’efficacité et la question de l’inégalité. Comment va-t-on notamment organiser le long life learning des enseignants, par exemple ? Est-ce qu’ils vont devoir faire cela en bénévolat supplémentaire ou est-ce qu’on va leur offrir des opportunités ? S’ils le font, est-ce qu’ils en auront des crédits d’heures, des crédits de quelque chose… ?

Par bonheur, les meilleurs enseignants que je connais continuent à se former tout au long de leur carrière. Ils le font spontanément. En quoi en sont-ils valorisés ?

La qualité de l’enseignement dépend de la personne de l’enseignant mais aussi du contexte. C’est une chose par rapport à laquelle j’essaie généralement de me battre. Si vous prenez un enseignant - à nouveau pour être un peu caricatural - un enseignant moyen, vous le mettez dans une situation où tous les élèves sont de milieu favorisé, ils ont tous envie d’apprendre, etc. Il est dans du beurre, c’est un bon enseignant. Vous prenez un enseignant qui se forme, qui réfléchit, qui est volontaire, vous le mettez dans une école hyperdifficile ; il va s’en sortir mais avec quelle usure psychologique. Ce que j’essaie de dire dans cet exemple contrasté, c’est que la qualité d’un enseignement dépend évidemment de l’enseignant, mais pas seulement, il y a les contextes qui jouent et dans certains cas, qu’est-ce qu’on fait ? Les plus jeunes, où les met-on ? Pas nécessairement dans les situations les plus faciles. C’est quand même un peu paradoxal.

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L’exemple d’évaluation externe que vous avez cité va plutôt dans mon sens. On peut imaginer plusieurs formes, dans mon principe de la confrontation des points de vue ; c’est vrai que moi, j’avais plutôt envisagé des épreuves externes, formalisées, standardisées. A partir du moment où on se retrouve même à 2 ou à 3 à évaluer la même performance, on commence à contrôler un petit peu les biais de subjectivité. Il faudrait une réflexion plus technique sur les modalités à mettre en place mais je n’ai pas une orthodoxie définitive autour de cette idée-là.

La question des réseaux Sur cette question-là, je suis prêt à vous rejoindre ; mais je m’impose une position réaliste sur le fait de déplorer l’existence des réseaux. Ils sont là, les réseaux. On peut les déplorer. On peut dire : il faudrait une école pluraliste, etc. Quand j’étais étudiant, mon prof, c’était Arnould Close, il rêvait d’une école pluraliste. Me voici, là, plus ou moins dans l’ombre de ce professeur et ils sont toujours là, les réseaux. Et je pense qu’il faut faire avec. Donc, je ne suis plus dans l’idée que j’ai défendue à un certain moment : essayons de blackbouler les réseaux pour avoir un système unifié. Ça, je crois que c’est un rêve, c’est une utopie, on ne l’aura pas. La Belgique est construite sur des piliers, des piliers idéologiques. Peut-être cela va-t-il bouger avec l’évolution sociologique de notre société. Je mise peut-être sur cette évolution-là. Mais sur une action en quelque sorte délibérée des responsables politiques de dire : allez, on abandonne nos prérogatives de réseaux, de pouvoirs organisateurs, je n’y crois pas. Laissons faire l’évolution sociale des mentalités. Il faut quand même prendre des dispositions dans l’urgence, on ne peut pas attendre que les choses aient évolué lentement : qu’est-ce qu’on peut faire pour réduire notamment les inégalités, c’est mon principal souci, quant à moi, étant donné qu’on a des réseaux. Voilà comment je me pose le problème. Ma question, c’est comment faire avec les réseaux et finalement, j’en reviens à mon histoire de l’évaluation externe qui me paraît être la meilleure réponse à ce problème spécifique.

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Les examens cantonaux. J’aime bien les examens cantonaux. Mon idée c’est de généraliser les examens cantonaux ou en quelque sorte de leur donner ou de leur rendre un statut qu’ils n’ont plus vraiment. Si vous parlez comme ça, c’est que vous venez du communal ; si vous étiez du catholique, vous parleriez évidemment des examens diocésains. Pour l’État, il y a des opérations ponctuelles d’évaluation externe. Donc, on retrouve, l’air de rien, avec les examens cantonaux et/ou diocésains, le problème de réseaux. Ce que je voudrais, c’est passer à un niveau supérieur et dire : oui, des examens externes, abandonnons cantonaux, diocésains, parce que justement si on garde cantonaux et diocésains, ça renvoie à nos réseaux et aux prérogatives des uns et des autres ; faisons quelque chose de plus centralisé .

Vous savez que le fait de passer un examen cantonal ou diocésain n’est pas obligatoire. Si, par exemple, un chef de famille décide que son enfant ne passe pas l’examen cantonal ou diocésain, c’est tout à fait permis. L’examen cantonal est facultatif. Moi, je le rendrais obligatoire. Mais, pour ne pas tomber dans la dérive du BAC, je ne donnerais pas à ces examens centralisés, externes de type cantonal, diocésain, une valeur certificative comme c’est le cas en France. Je donnerais à ces examens cantonaux, diocésains uniformisés et placés au niveau central, une valeur de pilotage indicative, puisque je reviens sur mon idée d’une articulation du point de vue des enseignants et ses évaluations externes. La décision de certification resterait dans les mains de l’école, de l’établissement mais avec l’obligation de prendre des informations externes. Parce qu’on est toujours dans des équilibres délicats ou des tensions, je ne voudrais pas non plus déresponsabiliser les acteurs. C’est pour ça que j’essaie de trouver une formule souple mais qui garde la responsabilité des acteurs.

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Le malaise des enseignants. D’abord, je crois qu’en leur retirant l’évaluation, je ne pense pas qu’on les aiderait dans un sens de revalorisation. Je crois qu’il y aurait vraiment un effet pervers tout à fait déplorable. Maintenant sur cette question-là, on touche aussi à un problème clé de notre système d’enseignement. Entre l’instituteur que nous avons connu et ceux d’aujourd’hui, les choses ont beaucoup évolué. Pour comprendre ce qui s’est passé, j’utilise souvent un concept sociologique de Jengs qui est la pauvreté relative, mais je vais le déplacer sur le plan culturel. Quand on voit les études sur la pauvreté, on pourrait se dire que, pour dire quand on est pauvre, il va y avoir moyen de définir des indicateurs objectifs. Quand on voit toutes les études qui ont été menées sur la façon de définir la pauvreté, c’est très flou parce qu’on n’arrive pas à dire là, c’est le seuil de pauvreté, là on est en dessous. On peut en faire une définition objective mais on constate que cette définition du seuil de pauvreté ne correspond pas nécessairement au sentiment des personnes. On peut avoir des gens qui sont finalement dans des situations tout à fait atroces et qui ne définissent pas comme pauvres et puis, vous avez des gens et vous dites : enfin, ils ont quand même l’essentiel, qui se sentent tout à fait pauvres.

Ce qui semble être l’élément clé, c’est la position relative, en terme sur la pauvreté, de la richesse d’une personne par rapport aux autres. Ce qui a évolué pour l’enseignant, je crois, c’est la position relative de l’enseignant par rapport aux autres, et aux autres professions. Notamment, si vous regardez le salaire des enseignants, il n’a pas diminué au cours des dernières décennies mais sa position relative, elle, a fortement diminué, c’est-à-dire que grosso modo, le salaire des enseignants est resté relativement constant au moment où le salaire de la plupart des autres professions était en flèche, ce qui fait que, alors qu’il y a eu une époque où l’enseignant, surtout du secondaire mais même du primaire, pouvait s’enorgueillir d’un salaire appréciable par rapport aux autres, aujourd’hui l’enseignant est dans une position d’infériorité relative par rapport à la plupart des autres professions. Et ça, ça joue dans le mental, pas seulement des enseignants mais aussi de la population parce que, quand on se sent bien, c’est parce qu’on est sans doute bien dans sa peau mais parce les autres vous renvoient aussi une image positive de vous-même. On est toujours dans un processus que j’aurais tendance à dire interactif, voire dialectique.

Pour aussi défendre une autre idée, quelle est la position relative sur le plan culturel des enseignants ? J’ai parlé du salaire maintenant parlons du culturel. L’enseignant que nous avons connu dans les années 50 - 60, faisait jeu égal avec le notaire et le curé pour reprendre cette image un peu d’Epinal ; il faisait partie de l’élite intellectuelle. Quand on avait certains problèmes, qui allait-on trouver pour écrire la lettre, pour avoir une information, voire pour calculer la superficie d’un champ ? C’était l’instituteur. Aujourd’hui, l’instituteur ou l’enseignant est-il considéré comme une personne de référence sur le plan culturel ? Non, il ne l’est plus. Aujourd’hui, des parents, notamment universitaires, viennent trouver les enseignants et leur font des remarques sur ce qu’ils enseignent, contestent ce qui a été enseigné. Que la contestation soit légitime ou pas, ce qui m’importe ici, c’est le message qu’on fait passer à ce moment-là. Le père vient dire : mais moi, je conteste ce que vous enseignez, je ne suis pas d’accord, pourquoi ? Parce que je considère que moi, avec mon diplôme de ceci et de cela, je suis au-dessus de vous. C’est ça le message qui est passé implicitement aux enseignants et là, je crois qu’il y a un problème important. Il y a deux niveaux . Je suis pour la revalorisation salariale des enseignants, mais je crois que ça ne sera pas suffisant. Il faut une revalorisation culturelle.

En ce qui concerne la situation des enseignants, il faut y ajouter une autre, c’est la situation des écoles. Les écoles sont en retard sur la société, y compris les écoles primaires. Quand j’étais enfant, je suis allé à l’école. L’école était un château, un palais par rapport à ma maison, à l’endroit où j’habitais. Vous avez parlé des pauvres. Je crois que ce n’était pas seulement des pauvres mais des travailleurs du bas. On dit maintenant " les gens d’en bas". L’école mettait vraiment le gosse en valeur. Il allait dans quelque chose qui était mieux que chez lui, en tout cas les fils de mineurs ou de métallurgistes ou de paysans ou comme certaines gens disaient, de la basse classe

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Dernière chose, ce qu’on enseigne aussi est important, surtout à l’école gardienne et à l’école primaire. Plus loin, c’est l’affaire des enseignants, je ne suis pas compétent. Mais, nous ne connaissons pas notre histoire et on connaît très peu notre géographie dans l’école de base, on connaît très peu notre géographie et notre géographie humaine. Et je crois que là, c’est un gros manque sur lequel les enseignants devraient réfléchir très profondément parce qu’il me semble que l’on ne changera pas la Wallonie rien qu’avec la Wallonie. On changera la Wallonie dans un contexte plus ample. Nous avons une tâche plus vaste que cela. Mais on ne changera rien de sérieux, de fondamental, de profond, de durable si on ne s’enrichit pas de l’expérience passée de l’humanité. J’ai dit à mes amis, dans mes propres rangs, un jour qu’on ne peut pas se passer en Belgique de l’expérience accumulée pendant plus de deux millénaires de la lutte des chrétiens, de Spartacus mais de Jésus Christ aussi, si on ne le prend pas pour un simple mythe. Il y a des gens qui ne le prennent pas pour un simple mythe. On ne se passera pas de l’apport de la Révolution française, l’apport profond de la Révolution française, je dirais, de la pensée intellectuelle libérale, je ne parle pas de la pensée économique, c’est encore un autre problème, on ne se passera pas de l’apport de l’ensemble de l’expérience des mouvements populaires et particulièrement des mouvements ouvriers. Et demain, on ne se passera pas de ce qui surgit aujourd’hui et que nous livrons, de l’expérience sur le respect de la nature parce que pour la première fois, l’humanité est capable de détruire son propre biotope humain et est capable aussi de le valoriser. Je crois que c’est là dessus qu’il faut qu’on réfléchisse. Il faut beaucoup plus d’argent pour les écoles. Il faut dépenser sans compter pour la formation des enfants et des étudiants et on dépense trop pour des choses qui sont parfaitement inutiles. Et je crois qu’il faut poser ce problème-là d’une manière patiente, pas intolérante, pas, je vous fusille si vous ne faites pas comme ça.

Le profil de l’enseignant aujourd’hui, c’est l’homme ou la femme qui est seul dans sa classe et qui, d’autre part, vient du sérail. Il y a un phénomène d’autorecrutement assez terrible dans l’enseignement. Il y a eu des expériences pour faire éclater ce rapport individuel de l’élève par rapport à son instituteur ou à son professeur. Enfin, on pourrait travailler en équipe, c’est bien la réalité des choses. Dans une école primaire, être deux dans une classe peut apporter de la dynamique, justement en fonction de la réflexion, de la multiplication des points de vue, je pense que ça peut être intéressant et deuxièmement, combiner, dans la formation, dans l’apport des enseignants, l’interne et l’externe. C’est-à-dire la formation scolaire et puis l’expérience de la vie, l’expérience professionnelle. Est-ce qu’il y a des expériences ou des enquêtes qui ont été faites là dessus et surtout pour une région comme la Wallonie, comment est-ce que, autrement qu’occasionnellement, on recrute quelqu’un de la Sabena parce qu’il perd son emploi comme prof de langues. En dehors de ces cas qui restent malgré tout un peu anecdotiques, qu’est-ce qui peut être imaginé de ce point de vue-là ?

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Un intervenant

Il y a un élément moi qui m’inquiète beaucoup, c’est à l’intérieur des écoles secondaires, d’abord primaires, je crois qu’il faut revaloriser le primaire, on n’en a pas parlé ici mais je crois que finalement, j’estime que la formation qu’on a peut-être tous eue, c’est grâce au socle solide du primaire, quel qu’il soit et je crois que là, c’est peut-être quelque chose à renforcer. Avant le secondaire, attaquons le primaire, renforçons-le, faisons que cette formation de base avant le secondaire soit encore meilleure. Parce que c’est peut-être le niveau où on aura peut-être le plus de facilité à faire évoluer les choses. Avant le secondaire.

Mais alors, quand on arrive au secondaire, ce qui m’inquiète beaucoup, c’est l’absence totale de démocratie à l’intérieur du secondaire, contrairement à un pays comme la France par exemple. Il y a eu la tentative avec les comités de gestion où les parents, les élèves sont membres de ce fameux, comité de gestion, je ne sais pas si c’est le bon terme mais dans notre athénée, on avait un comité de gestion depuis longtemps et c’est vrai que c’est le comité de participation. Mais où personnellement dans notre athénée, ça ne fonctionne pas. C’est de la foutaise. On se moque des parents. Les élèves assistent à des débats où on leur montre le futur de la société où les enseignants avec les parents se disputent. C’est honteux. C’est un mauvais exemple de participation. C’est de la non-participation où souvent le directeur d’école ou le préfet veut de toute façon imposer son point de vue. Je ne sais pas si c’est comme ça partout mais en tout cas, les échos que j’ai ne sont pas positifs et dans l’athénée où je suis, c’est catastrophique comme exemple pour les jeunes. Si c’est ça, la démocratie, et bien les pauvres jeunes, franchement, je comprends leur révolte. Et les parents ne sont absolument pas considérés. Il y a un gros problème et c’est lié, je crois, à la formation des parents, que vous avez abordée mais là, il y a un véritable nœud critique. Je n’ai pas de solution mais il y a un endroit de blocage évident. Je tenais à le souligner.

Troisième élément, on mésestime le rôle de l’extrascolaire. Il y a des écoles qui, avec intelligence, n’ont peut-être pas un niveau professoral extraordinaire mais qui le compensent grâce à un ou deux profs qui offrent une palette d’activités extrascolaires, que ce soit musical, sportif ou culturel pur, qui compensent finalement. Je crois qu’il n’y a pas que le scolaire pur. Souvent, je trouve que le parascolaire est sous-estimé et mésestimé. Ça devrait être obligatoire dans toutes les écoles. Je crois que l’Allemagne a beaucoup à nous apprendre à ce niveau-là.

En ce qui concerne alors la formation permanente. L’avantage, c’est que, dans la formation permanente, on choisit des professionnels du secteur. Mais effectivement, il faut avoir la vocation parce que les rémunérations, quand on voit le temps que l’on met à préparer ses cours, le temps à les donner et à passer des examens, franchement, si on n’est pas convaincu, que ce soit à l’IFPME ou dans d’autres réseaux, si on n’a pas la motivation, on ne va pas donner cours et ça, c’est grave, je trouve, c’est un gros problème. Voilà c’est un témoignage.

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Un intervenant

Il faut revaloriser la fonction de l’enseignant mais pour cela, ne faut-il pas laisser aux enseignants le soin de valoriser leur métier ? Est-ce que quelqu’un va dans une entreprise alimentaire expliquer comment il faut faire pour fabriquer du fromage fondu ? Est-ce que quelqu’un va dans une entreprise automobile expliquer comment il faut faire pour améliorer telle ou telle partie ? Moi, je crois que beaucoup de personnes actuellement avec ces conseils de participation notamment, qui ont certains sentiments humains bien sûr, mais qui ne connaissent pas fondamentalement la vie de l’enseignant, qui ne savent pas ce qui se passe vraiment dans les classes parce qu’ils n’y vivent pas, essayent parfois d’expliquer aux enseignants ce qu’ils doivent faire. Je crois qu’il faut leur laisser à eux la charge d’améliorer leur situation. Il ne faut pas vouloir à tout prix le bonheur des gens.

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Marcel Crahay développe certaines questions

Rapport société - écoles. Soyons vraiment très clairs. Je ne pense pas du tout défendre une école de marché. Pas du tout. Je crois que c’est bien ce que je veux combattre. Je sens qu’on est confronté avec un mouvement de plus en plus accentué dans ce sens-là à beaucoup de niveaux, et que la grande question, c’est comment on va résister. Une fois, par exemple, ça pourrait être intéressant ici, au niveau de l’Institut Destrée, de faire l’analyse de ce qui se passe au niveau des universités actuellement avec le processus de Bologne. Je crois que sincèrement, ce n’est pas un petit bazar. On a l’impression qu’on est simplement en train de rafistoler les programmes. Ce n’est pas du tout ça. Et je crains que pour l’instant on assiste à une déstabilisation des universités, qu’on est en train de plus en plus de se profiler justement dans une économie de marché et que ce qui est en train de se passer au niveau des universités va avoir des effets en cascade sur le secondaire et puis le primaire.

J’ai l’impression que les rapports société - écoles ne se ressentent pas trop au niveau du primaire. Mais, pour le moment, les universités sont en train de recevoir la vague du néolibéralisme en plein fouet parce qu’on est en train de procéder à des grands regroupements, parce qu’il faut que les universités aient des tailles significatives. Quand on voit ce qui se passe au niveau des universités, on pourrait faire un parallélisme avec ce qui s’est passé dans le monde des entreprises, des regroupements de grandes entités. Et les termes de flexibilité, alors, dans certains cas, ce n’est pas mauvais. Mais, par exemple, on veut détitulariser les enseignants pour qu’ils soient plus flexibles. Tiens donc, on veut détitulariser les enseignants. Chaque élément n’est pas nécessairement négatif mais c’est l’ensemble qui donne une coloration. On serait plus responsable d’un enseignement spécifique mais on serait prof dans telle institution avec, on aurait quand même quelques enseignements de référence mais ce qu’ils veulent par la détitularisation, c’est accroître la flexibilité des enseignants. Mais quand vous voyez tout ce qui est en train de se passer au niveau des universités, ce sont les mêmes thèmes majeurs que l’on a dans les grandes entreprises, dans les grandes sociétés. Je crois que le monde du primaire et du secondaire ne s’en rend peut-être pas compte mais c’est l’université qui est en train de prendre le mouvement néolibéral de plein fouet. Pour le moment, les profs d’universités sont encore très reconnus. Mais pour le moment, les universités sont vraiment dans une période extrêmement cruciale de renversement. Et si ça se passe au niveau de l’université, je crois que ça va avoir des effets en cascade sur le secondaire et sur le primaire, que je ne sais pas prédire mais qui me font craindre vraiment la néolibéralisation de tout le système éducatif et ça, cela me fait peur. Comment se battre contre ce genre de truc-là ? Je vous avoue que je suis quelque peu démuni mais il y a peut-être au moins une chose qui faudra invertir, de processus qui se passe à ce niveau-là.

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Les réseaux. Dire qu’il y aurait un réseau qui serait plus performant qu’un autre, c’est faux. Et ça, je peux vous dire qu’on a les données pour prouver qu’il n’y a pas de différence entre réseaux. A l’intérieur de chaque réseau, il y a des différences énormes mais entre réseaux, globalement, il n’y en a pas. Et la première fois que j’avais des résultats de ce type-là, on m’a interdit de les publier. A part ça. C’est quand même assez intéressant.

 

Revalorisation salariale et revalorisation culturelle. Par bonheur, on a encore un recrutement de gens de qualité qui en veulent, je crois qu’il ne faut pas tout noircir. Je crois qu’il faut être nuancé sur cette question-là. Par bonheur, peut-être même par miracle, on recrute encore vraiment au niveau du maternel et du primaire, peut-être moins du secondaire, des gens de qualité qui veulent faire quelque chose de bien. Mais on a, à côté de ça, effectivement un recrutement du type : je fais ça, parce que je ne peux pas faire autre chose. Je crois, en tout cas, que, s’il y a une revalidation salariale et culturelle, on pourrait régler ce problème-là. Bon, il y a une dizaine d’années, mon prédécesseur, Gilbert de Landsheere plaidait pour une formation universitaire des enseignants. Je crois qu’il a eu le défaut de parler trop tôt et de vouloir aborder la question un peu comme un bulldozer et ça n’a pas marché. Mais je crois qu’on y arrivera. Parce qu’à nouveau, si vous faites de l’éducation comparée sur cette question-là, pratiquement tous les pays au niveau européen sont passés à une formation de type universitaire, selon des modalités différentes.

Ce qui très clair, c’est que, si on continue à s’obstiner dans notre refus du niveau universitaire, on va pénaliser aussi les enseignants à ce niveau-là parce que pratiquement partout en Europe, les enseignants même du niveau primaire et maternel auront un diplôme de niveau universitaire et pas les enseignants en Belgique, ce qui fait qu’à la limite, on va peut-être se retrouver dans la situation où les enseignants d’ailleurs pourront venir imposer leur diplôme en Belgique et les enseignants belges ne pourront pas le faire. Il faut quand même bien se rendre compte qu’on est en train d’aller aussi vers un nouveau problème qui va être à nouveau défavorable à nos enseignants. Donc, quand je défends le diplôme du niveau universitaire en Belgique, je plaide vraiment dans l’intérêt des futurs enseignants.

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Le travail en équipe. Il y a des expériences sur le sujet mais pas à large échelle et il faut bien dire que c’est difficile. Dans ce que j’ai lu sur le sujet, qu’est-ce qu’on voit habituellement ? Les gens commencent par essayer, puis il y a pas mal d’expériences du type travail en équipe qui, en quelque sorte, s’arrêtent assez rapidement parce que ça ne fonctionne pas. On pourrait dire qu’à partir du moment où les équipes d’enseignants ont dépassé une certaine durée, on peut faire un pronostic positif à la fois sur beaucoup d’aspects mais sur le fait que ça va apporter des choses aux enseignants et aux élèves, c’est ce que montre la littérature sur le sujet. Il y a beaucoup de déchets mais quand ça réussit, les éléments sont positifs.

Je crois qu’on doit au moins stabiliser la qualité de notre primaire. À peu près tout le monde est assez d’accord que ce qui coince fortement dans notre système, c’est le niveau secondaire. La tendance évidemment est de foncer sur le secondaire pour résoudre le problème qu’on perçoit immédiatement mais je crois qu’on devrait quand même continuer à penser au primaire qui reste une des valeurs sûres de notre système d’enseignement. Dans les études internationales, on voit généralement, quand on a des données, - il y en a moins pour le primaire que pour le secondaire- qu’au niveau du primaire, ça va plutôt bien et c’est manifestement au secondaire que ça pose problème. Alors, peut-être qu’une saine politique, c’est d’abord d’assurer ce qui va bien et puis d’essayer de résoudre des problèmes là où ça va mal mais j’ai parfois peur qu’on ne veuille tellement résoudre les problèmes du secondaire qu’on finisse par négliger le primaire et donc, affaiblir le point de notre enseignement qui va relativement bien. Je pense qu’il y a des améliorations à apporter dans le fonctionnement de notre niveau primaire mais c’est un de nos bons points, donc ne l’oublions pas.

J’ai été frappé par quelques interventions que je considère comme majeures autour de cette table. 1. On a commencé à invoquer le rôle et la responsabilité parentale. Elle est généralement évacuée dans tout ce qu’on lit dans la presse ou en tout cas, assez rarement de manière positive. 2. Le rôle des médias. Un des premiers éducateurs des enfants aujourd’hui, dès l’âge de 2 - 3 ans, c’est les médias qui prennent en charge en substitution des parents, un peu trop absents, une aculturalisation, je ne sais pas comment il faudrait le dire, des enfants dès le bas âge. Donc, un contributeur pour l’école primaire. Votre collègue, préfet de l’Athénée de Herstal en 1978, s’adressant aux amis de l’Université de Liège, dans une grande conférence sur les raisons de l’échec dans les candidatures universitaires, il y a 25 ans, citait 3 critères que j’ai en tout cas retenus : 1. la perte du sens de l’effort, 2. la méconnaissance de la langue maternelle, 3. la méconnaissance du langage mathématique et autres choses. 25 ans après, Madame Onkelinx ressort ça, comme si c’était une découverte d’hier. Ça m’a fait rigoler parce que ça veut dire que ce qu’on a dit d’intelligent il y a 25 ans, n’a pas été retenu par les gens qui sont responsables de stimuler et créer quelque chose d’autre. Et donc, je connecte ça sur une réflexion que Valmy Féaux a engagée dans le Brabant wallon en 1998 à laquelle je me suis prêté aussi, qui était une réflexion alentour de problèmes de société, dans lequel on est revenu en mettant comme sujet central, l’enfant et autour duquel, de manière d’ailleurs schématique, on a articulé toute une série de facteurs influents sur lesquels des pistes de réflexion ont été lancées. Ça a fait l’objet d’une maquette que je ne possède malheureusement pas mais si vous téléphonez à Valmy Féaux, il se fera probablement un plaisir de vous en adresser un exemplaire et je vous jure que ça a fait aussi une consultation citoyenne et de quelques experts, moi-même n’étant pas expert d’enseignement mais intéressé par la question et c’est surprenant. Donc, si j’ai une seule question à ce stade : que pensez-vous de cette influence des médias et comment les chercheurs et les recommandations qu’il formule aux autorités et pouvoirs organisateurs en cette matière peuvent-ils changer la donne ?

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Un intervenant

Je ne viens pas de l’enseignement mais nous sommes deux, ici, à travailler dans un secteur un peu différent qui est celui de l’éducation permanente. Donc, nous travaillons dans l’associatif et on intervient parfois en milieu scolaire, que ça soit dans le primaire ou dans le secondaire mais c’est vrai que la plupart de notre temps, nous travaillons avec des adultes qui viennent chercher chez nous plus ce qui est de l’ordre des savoir-faire que des savoirs, de temps à autre des savoirs aussi. Je me pose la question par rapport à la lutte contre l’échec scolaire par rapport à l’égalité des chances, de la place qu’a l’élève dans l’évaluation qui est la sienne, parce que c’est quelque chose qui est en pratique dans les milieux qui sont les nôtres et que, si ça révolutionne un petit peu le fonctionnement du système scolaire et ça, je veux bien le comprendre et l’entendre, il me semble que quelque part, l’enfant a aussi le droit de formuler des choses qui sont de l’ordre de ses insatisfactions, que ça peut l’aider aussi à mesurer à un certain moment d’où il part et où il est arrivé et ça me semble excessivement important aussi. Voilà.

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Marcel Crahay reprend une série de thèmes :

Les enseignants doivent se revaloriser par eux-mêmes. C’est un thème clé à l’heure actuelle en pédagogie. Mais je ferais quand même attention à cela. Parce qu’il ne faudrait pas que le monde enseignant imagine se développer dans une sorte de pure autarcie quasiment et un certain nombrilisme. Pour le moment, il y a une grande vague sur l’approche réflexive, etc. Je ne suis pas contre a priori mais elle me paraît avoir des dangers aussi. Il y a très longtemps justement, en hommage à de Landsheere, j’avais publié un bouquin qui était une compilation d’articles mais j’étais l’auteur du titre qui s’appelait : l’art et la science de l’enseignement. Je voulais défendre l’idée qu’il fallait aussi un savoir d’expérience venant de la personne, l’art mais aussi une science de l’enseignement et que c’était la conjugaison de ces deux choses-là qui devait faire la vraie professionnalité de l’enseignement. Je dois avouer que, 15 – 20 ans pratiquement après la publication de ce bouquin, c’était en 86, je reste d’accord avec cette idée-là et en fait, souvent, peut-être que c’est le propre de mes positions, d’être toujours un peu dialectique, un des grands travers dans la pensée pédagogique, c’est un phénomène de balancier. On va dans un sens, on va dans un autre et alors, on a tendance à avoir des gens qui défendent l’idée que : tout doit venir du terrain de l’enseignant ou d’autres qui disent : tout doit venir de la science. Et moi, je voudrais bien dire : un peu les deux. C’est pour ça que par rapport à l’idée que tout vienne du savoir d’expérience, j’aurais peur aussi. Donc, je crois qu’il faut essayer d’articuler ces deux choses-là.

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Co-évaluation et auto-évaluation. Une co-évaluation, c’est une évaluation qu’on peut faire entre pairs et l’auto-évaluation, c’est la personne qui s’auto-évalue. C’est le nec plus ultra mais j’ai tendance à penser que ça ne passera pas dans l’état actuel du système éducatif belge, peut-être à tort, mais j’aurais tendance à dire que pour moi, c’est un idéal mais je ne crois pas qu’on soit mûr pour ça.

Dans ce genre de réflexion, j’essaie de me positionner au niveau du système, donc presque dans une démarche à un niveau sociologique, qui regarde le système. La personnalité des enseignants est importante mais quand je pose la réflexion au niveau sociologique, je ne vais pas prendre en considération la personnalité des enseignants, même si je sais que c’est important car si je suis face à un homme politique et si je lui dis : la personnalité des enseignants, c’est important, il va me dire : qu’est-ce que je fais avec ça ? Rien. Il sait que c’est important mais il ne sait pas prendre de mesures.

Si par contre, je lui parle de revalorisation culturelle, là c’est une façon d’aborder le problème de la personnalité des enseignants, par ce biais-là. J’essaye d’appréhender les problèmes en essayant de voir les variables changeables c’est-à-dire les paramètres d’une situation X sur lesquels on pourrait avoir prise pour changer, le plus directement possible et le plus efficacement possible mais en déclarant mes points de vue idéologiques. Ça, c’est en quelque sorte ma question de méthode. Je ne dis pas que je réussis mais c’est ma question de méthode.

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A propos des médias. Je suis sûr que les médias jouent un rôle important et je le crains bien, nocif, à maints égards sur le développement de nos enfants mais, est-ce que nous avons prise à l’heure actuelle sur ce problème-là ? Moi, je ne le pense pas. Peut-être qu’à nouveau, je pèche dans mon analyse mais j’essaie que mon analyse soit à la fois rigoureuse, réaliste et qu’elle améliore les choses. Donc, je m’impose des conditions de méthode par réalisme. Si on me consulte, c’est qu’on sait à qui on s’adresse. Je me dis : qu’est-ce que je vais faire passer comme message à cet homme politique pour qu’à la limite, il puisse prendre une décision relativement dans le court terme, dans le court terme ou dans le moyen terme, mais qui ait des effets positifs mais qui soit prenable. Je sais que les médias, c’est ultra-important mais je ne sais pas ce qu’on peut faire par rapport aux médias. Donc, je sais que ça joue mais ce n’est pas une variable changeable. Donc, je vais me tourner vers autre chose.

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Formation des enseignants et évaluation. Pourquoi est-ce que j’ai choisi de privilégier l’évaluation aujourd’hui dans mon exposé ? Soyons clairs, je crois que je suis toujours à la recherche. Si j’avais les solutions, peut-être que je deviendrais un vrai gourou mais je suis toujours en recherche par rapport à des solutions, par rapport au système éducatif. En quelque sorte, mon rêve, mon fantasme de chercheur en science de l’éducation, ce serait quoi, au moment où je m’allonge sur le divan du psychanalyste (c’était la petite parenthèse). C’est quoi, mon idéal ? En quelque sorte, j’aimerais trouver un ou des leviers, idéalement un, qui fassent changer les choses. Et je reviens sur l’évaluation. Je ne suis pas sûr que ce soit accessoire. A nouveau, prenez mes propos pour les propos de quelqu’un qui réfléchit avec vous en parlant et n’est pas donc, je n’ai pas, j’ai des idées mais je n’ai pas la vérité. Donc, je les discute mes idées. Alors, j’ai l’impression que l’évaluation externe pourrait être un levier qui aurait des effets démultiplicateurs, mais sans doute que ça se discute. Moi, par exemple, j’aime bien l’histoire de Prigogine avec ses structures dissipatives. Son idée des structures dissipatives, c’est que, à partir de micro-événements, on a une dissipation de l’effet et plus un effet à un autre niveau qu’à celui qu’on a agi. Alors, en quelque sorte, j’aimerais bien trouver moi, le truc-là, le levier qui, en quelque sorte, qui fait qu’on a un effet démultiplicateur sur le système éducatif et qu’on enclenche un processus en chaîne, en cascade C’est vrai pour le moment, je travaille dans ma réflexion l’idée de l’évaluation externe. Ça pourrait être la formation des enseignants. Par exemple, dans les pays en voie de développement, un bon levier, ce sont les manuels scolaires, par exemple, beaucoup plus que la formation des enseignants. Pourquoi ? Parce que, pour que la formation des enseignants produise un effet, il vous faut 1 à 2 générations d’enfants, pour que ça produise de l’effet. Je ne suis pas contre la formation des enseignants. Je crois qu’elle doit être réformée et améliorée mais je crois que la formation des enseignants, si on la réforme, elle n’aura un effet sur le système éducatif que dans 10 ans, parce que pour que les enseignants nouvellement formés soient en place et en nombre suffisant pour avoir un effet sur le système, il vous faut un paquet d’années. Donc, c’est pour ça que je ne change pas mon point de vue. Je rééquilibre autrement.

Formation continuée, non. On est pour le moment en Belgique aux balbutiements de ce truc-là, c’est une bonne idée mais ça ne va pas marcher fort vite. Alors, formation initiale des enseignants, oui il faut la changer mais pour penser le moyen terme. L’évaluation externe, j’ai l’impression qu’on pourrait avoir un effet plus rapide. Si on avait du temps pour penser, peut-être qu’on pourrait penser à des actions dans leur séquentialité. Maintenant, si on fait des évaluations externes, il ne faut pas publier les résultats. Parce que le palmarès des écoles à l’anglaise a des effets pervers terribles. Dans ce que nous avons fait au niveau de mon équipe, à une petite échelle, c’est qu’on rend les résultats à l’école, on donne les résultats de l’école et en fait, on donne à chaque enseignant la possibilité de situer les résultats de ses différents élèves par rapport à la population. C’est-à-dire qu’on lui dit : voilà les résultats de vos différents élèves, voilà la moyenne à l’épreuve de la classe, voilà la dispersion, la moyenne générale de l’échantillon est ceci, voilà la dispersion de l’échantillon. Etant donné la composition sociale de votre classe, on peut comparer ces résultats-là à ce type d’élèves mais toujours en rendant les choses anonymes parce que notre principe, c’est de donner des informations aux enseignants pour qu’ils se régulent mais en évitant de renforcer le marché scolaire. Parce qu’effectivement, si je commence à publier les résultats des écoles avec leur nom, Saint Servais à Liège, autant, Saint Louis autant, etc. Là, effectivement, je renforce le marché scolaire.

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Discrimination positive, je ne suis pas franchement un adepte de discrimination positive parce que, à partir du moment où une école est stigmatisée comme D+ ou Z, on voit une fuite de certains types d’élèves par rapport à ce genre d’écoles. Or, un des résultats importants de la recherche en éducation qui date de Colman et qui a été renforcée, c’est que la meilleure façon de lutter, contre les inégalités sociales en matière d’éducation, surtout par rapport aux pauvres, c’est de miser sur l’hétérogénéité. Notamment, l’observation de Colman, c’était ceci, les petits élèves noirs qui, par bonheur, étaient mélangés avec des élèves blancs progressaient beaucoup et nettement plus que des enfants, par exemple, qui se retrouvaient dans des programmes d’éducation compensatoire. Pour toute une série de raisons qu’on pourrait décrire. Mais enfin, on peut considérer que si on veut lutter contre les inégalités sociales de réussite scolaire, c’est pas tellement en misant sur les programmes de type éducation compensatoire, discrimination positive, qu’il faut le faire, ce serait de favoriser l’hétérogénéité. Alors, je crois que la question que je trouve qu’il faudrait essayer de se poser, c’est : quel système de subsidiation des écoles pourrait-on trouver pour les encourager à l’hétérogénéité ? Je serais prêt, moi pratiquement, à donner des primes, c’est l’idée mais elle n’est pas au point mon idée, je serais prêt à donner des primes aux écoles élitistes s’ils accueillent un certain nombre d’enfants défavorisés. Dans la discrimination, le fait de la discrimination positive, c’est qu’on donne un surplus d’argent aux écoles en difficultés, qui ont des grandes populations d’élèves défavorisés mais imaginons qu’on essaie de faire autre chose, de dire : renforçons financièrement parlant le décloison­nement. Je n’ai pas la formule qu’il faudra appliquer mais je crois, enfin, moi je serais pour ce genre de politique. Techniquement, je suis à peu près sûr qu’on peut trouver la formule. En quelque sorte, ce serait de subsidier à l’hétérogénéité et non pas à la compensation. Je crois que ce serait un autre levier à côté de l’évaluation externe qui bouleverserait le paysage scolaire. Si on le proposait, je crois que de toute façon, il y aura un tel choc et ce serait contre l’idée, mais je crois qu’elle serait à creuser.

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"Wallonie 2020", Cinquième congrès "La Wallonie au futur" -  Institut Jules Destrée - 2001-2003  
 Troisième phase
Wallonie 2020

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