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C'est quand qu'on va où ?
La Wallonie, un futur pour un présent
"Wallonie,
ma région",
Namur,
p. 73-79,
avril 2001
Philippe Destatte
directeur de
l'Institut Jules-Destrée |
-
Concevoir
des futurs culturels et économiques en dehors des institutions
-
Eviter que le futur ne
soit colonisé par le passé
-
Le nouveau paradigme pour
rompre avec le déclin
- Het Waalse "réveil"
-
Bâtir un
pays, c'est construire son éducation
-
Avec
l'Europe : quelles stratégies pour l'emploi ?
-
Sortir du XXème
siècle ou entrer dans le XXIème ?
-
Choisir collectivement les voies du
futur
- Notes
Porter un
regard vers le futur constitue assurément une nécessité de toute société attentive à
son développement. Cette attention au lendemain constitue en elle-même une manifestation
d'existence pour cette société, au moment où elle entreprend cette démarche
d'interrogation sur son devenir.
De toute
évidence, cette démarche devrait être usuelle au sein des états-majors politiques et
économiques. Elle est sans aucun doute moins fréquente dans les milieux sociétaux.
Cependant, d'un côté comme de l'autre, on doit différencier, d'une part,
l'interrogation empirique et, d'autre part, la démarche méthodologiquement construite,
élaborée collectivement. L'exemple du travail mené par l'Institut Jules-Destrée est à
ce point de vue éclairant.

D'abord, parce
que cet organisme coopératif, philosophiquement et politiquement pluraliste, s'est
inscrit dans une dynamique nouvelle, la revendication d'un futur pour une Wallonie
institutionnelle alors inexistante - l'Institut Jules-Destrée a été fondé en 1938. En
fait, par l'interrogation qu'il génère sur l'évolution de la Wallonie dans le cadre
économique, culturel et social, l'Institut Jules-Destrée propose d'anticiper les
problèmes et d'aider à les résoudre. Ainsi, en est-il, en 1962 et 1963, lorsque
Aimée Lemaire et Jacques Hoyaux organisent un cycle de conférences rassemblant
d'éminentes personnalités : ils construisent ces rencontres sur le rapport existant
entre les besoins wallons et les solutions wallonnes, sans disposer encore
d'interlocuteurs publics régionaux. Tant sur les questions économiques que
culturelles, les orateurs (Yves de Wasseige, André Philippart, Norbert Gadenne, Jean Van
Crombrugge) distinguent fortement l'aspect statique de la situation du moment et l'aspect
dynamique de l'évolution nécessaire pour la société wallonne dans l'Europe et dans le
monde. Ils réalisent un travail de mise en perspective - sinon de programmation, voire de
planification -, incluant notamment une adaptation de l'éducation et de la culture aux
réalités régionales, envisageant à la décentralisation des initiatives et des
responsabilités. Pour plusieurs de ces intervenants, le temps constitue le centre du
débat, comme nécessité et contrainte dans le rapport entre besoins et solutions.
Au milieu des
années soixante-dix, l'association les "Amis et Disciples de François Bovesse"
avait conçu un projet d'étude confié à l'Université de Liège et portant sur l'avenir
de la Communauté française. C'est finalement le directeur de l'Institut Jules-Destrée,
Jacques Lanotte, qui mena à bien la coordination du travail et qui en assura l'édition
en 1979. L'ensemble des contributions se voulait une
réflexion prospective sur diverses pratiques culturelles, à partir de quelques
situations, ou d'expériences, révélatrices de tendances qui se faisaient jour
dans la communauté. Pour Jacques Lanotte, l'idée était donc bien de dégager l'avenir
culturel, en le reliant intensément à la
société et aux groupes qui la composent. L'ouvrage, éclectique, constitue l'occasion
pour le professeur Albert d'Haenens, de l'UCL, de rappeler l'articulation entre
rétrospective, diagnostic et prospective : trois
modalités, différentes et complémentaires, d'accès à l'intelligibilité du réel ([1]).
Henri Ingberg y ajoute la capacité d'action, appliquant un principe que le professeur
Michel Godet n'aurait pas récusé car, écrit Henri Ingberg, il ne suffit pas de procéder à l'analyse critique et
épistémologique de systèmes dont nous n'avons pas la maîtrise : il nous faut
mettre en uvre les idées dont nous discutons. Enfin, Marcel Deprez ainsi que
les deux économistes Maurice Abitbol et François Martou relèvent la nécessité de
développer en chaque citoyen la créativité, comme enjeu fondamental du
développement économique, social et culturel de la Wallonie. Ils proposent d'établir un
lien entre politique culturelle et avenir économique de la région, considérant
d'ailleurs le développement de l'éducation permanente comme condition du redressement
wallon. Pour les trois signataires de ce texte qui sonne comme un manifeste, le choix
réside dans la coopération culturelle, outil contre l'éclatement, la parcellisation
et la fragmentation sociale : elle permet de produire
un projet global de démocratie wallonne. Cette idée va constituer l'axe de toute la
réflexion qui se déploiera au cours des vingt années suivantes.

Vous ne maîtrisez pas le présent ni le futur, si vous
ne maîtrisez pas le passé, s'exclamait l'écrivain Jean Louvet lors du colloque Promouvoir la création culturelle en Wallonie,
organisé à Liège, le 5 mars 1983, avant de plaider pour le lancement d'un projet
culturel pour la Wallonie et d'interpeller : Si
vous, hommes et femmes politiques, vous voulez prendre à bras le corps cette région et
la sortir de l'ornière, je ne crois pas que vous y réussirez uniquement par le
phénomène économique. Si vous ne lancez pas avec nous un projet culturel, vous n'y
arriverez pas. J'en suis certain. C'est comme si c'était fait. Cela n'existe nulle part
au monde ([2]) . De fait, ce colloque aura deux suites
importantes. D'une part, la réflexion sur le rapport entre la culture et l'économie dans
l'espace wallon allait déboucher sur le Manifeste
pour la Culture wallonne, dont le constat volontariste était que l'avenir de la culture en Wallonie est affaire de
pouvoirs et de ressources : il mettait en cause la Communauté française de
Belgique. Le Manifeste lui-même allait générer une série de prolongements, comme les
travaux tenus à Liège le 17 mars 1984, avec particulièrement ceux portant sur
l'articulation entre la culture, l'économie et le politique. D'autre part, l'idée
naissait, en parallèle, de prolonger les travaux du 5 mars 1983 en demandant à
l'Institut Jules-Destrée d'organiser des assises culturelles de Wallonie, qui
compléteraient les volets économiques et politiques wallons. Cette proposition,
formulée par l'ancien député Jean Mottard, sera mûrie au sein des sections liégeoise
puis carolorégienne de l'Institut Jules-Destrée, puis par son Conseil d'Administration,
déjà sensibilisé au rapport que les professeurs français Armand Mattelart et Yves
Stourdzé avaient consacré, en 1982, à la technologie, la culture et la communication ([3]).
La réflexion débouchera sur le premier congrès La
Wallonie au Futur.
L'idée de
base d'un grand congrès culturel est
élaborée à partir de novembre 1985 par une petite équipe animée par l'ancien ministre
Robert Moreau, président de la section de Charleroi de l'Institut Jules-Destrée. Le
premier titre en est Culture, Wallonie, An 2000,
et l'enjeu porte sur La place et la fonction de la
culture dans la société wallonne de l'an 2000. Il s'agit d'articuler travail et
temps libre, de poser le problème de l'impact de la troisième Révolution industrielle
sur la société wallonne, en étudiant principalement les perspectives 2000 en
matières économiques et sociales ainsi que les enjeux culturels notamment liés
à l'immigration et d'identité. Sans renier
le passé, il faut éviter que le futur soit colonisé par le passé indiquait la
première note d'intention. Les Wallons et la
Wallonie de demain, ce sont des jeunes âgés de 16 ans aujourd'hui. En l'an 2000, ils
auront trente ans. Quatre groupes d'études sont constitués pour couvrir tous les
champs du changement escompté :
1. identité wallonne (mémoire
collective, patrimoine culturel, les jeunes, les femmes, les "pays" wallons);
2.
faculté d'adaptation à la troisième révolution (sciences et technologie, enseignement
à tous les niveaux, formation permanente, formation - reconversion, université ouverte,
invention-imagination, entreprises "cercles de qualité et de progrès",
information et communications sous toutes les formes);
3.
incidences économiques et sociales sur la qualité de la vie (partage du travail,
services, entreprises alternatives, industries de la communication, non-lucratif -
volontariat - bénévolat, évolution de la responsabilité, sécurité sociale et
solidarité, santé - habitat-environnement);
4.
incidences culturelles sur la qualité de la vie (comparaison passé et présent culturel,
politique culturelle spécifique, moyens de cette politique, l'art dans toutes ses
manifestations, sport, dialogue interculturel, temps libre à tous les âges).
La réflexion
se construit et s'affine pendant un an encore. Le 4 décembre 1985, le Conseil
d'administration de l'Institut Jules-Destrée donne le feu vert à l'organisation du
congrès qui prend, en mars 1986, le titre générique de Travail technologie culture : la
société wallonne vers l'an 2000. La date est fixée à octobre 1987. Les motivations
également sont précisées. Au delà de la nécessité de faire face et d'accompagner,
dans tous les domaines, la révolution informatique qui est largement décrite, il s'agit
de mobiliser tous les acteurs de la société wallonne dans le cadre d'un projet commun.
Comme l'indique alors Robert Moreau, notre congrès
de 1987 aura pleinement réussi s'il parvient à réaliser une première synthèse des
préoccupations et des aspirations et s'il s'en dégage les grands axes d'un
approfondissement ultérieur, débouchant sur un projet de société wallonne à la mesure
de cette profonde évolution. Quant à l'organisation de la réflexion elle-même,
elle se veut à la fois décloisonnée et réorganisée en six thèmes non limitatifs :
- la faculté
d'adaptation à l'évolution scientifique et technologique,
- les
conséquences économiques de cette évolution,
- les
conséquences sociales de cette évolution,
- le
développement des activités culturelles au sens large,
-
l'interrogation sur une politique culturelle wallonne spécifique,
- l'identité
wallonne, en faisant porter la vision vers l'an 2000.

L'apport du
professeur Michel Quévit va être déterminant. Diplômé des universités de Louvain, du
Wisconsin, du Michigan et de Harvard, Michel Quévit va faire de ce premier congrès non
un exercice d'analyse collective des nécessités et contraintes de l'évolution de la
société, mais bien un congrès de profonde rupture avec le modèle ambiant de l'ancienne
société industrielle qui a encore largement cours à la fin des années quatre-vingt.
C'est dans ce sens que Michel Quévit va réorganiser intellectuellement les
questionnements préparés au sein de l'Institut Jules-Destrée en les connectant avec les
réseaux dans lesquels il évolue, particulièrement la Communauté de Travail des
Régions européennes de Tradition industrielle (RETI) - qui apportera son concours à la
démarche -, les travaux de prospectives relatifs à l'impact du programme Europe 1992,
ainsi que le Programme FAST (Prospective et Evaluation de la Science et de la Technologie)
de la Commission européenne dont l'animateur, Riccardo Petrella viendra apporter quatre
messages importants au congrès.
Auteur d'un
ouvrage intitulé Les Causes du déclin wallon,
L'influence du pouvoir politique et des groupes financiers sur le développement régional
(1978) ([4]), Michel Quévit se demandait vers quel avenir ou absence d'avenir nous
conduisaient la situation institutionnelle de la Wallonie au sein de l'Etat unitaire et
les mutations internationales du capitalisme contemporain. Il avait situé son propre
questionnement de manière opératoire et volontariste, l'objectif étant de se donner les moyens théoriques et pratiques de
redresser la situation existante. Dans les conclusions de cet ouvrage magistral, le
professeur à l'Université catholique de Louvain esquissait des pistes pour que la
Wallonie puisse lutter contre sa minorisation au sein de la société belge : d'une
part, par la mise en place de structures démocratiques qui garantissent l'autonomie de
ses décisions politiques et, d'autre part, par le choix d'une autre politique économique
notamment d'initiative industrielle publique au niveau de la Région
wallonne. L'une et l'autre de ces options nécessitaient des changements profonds tant
dans les mentalités que dans les structures politiques, particulièrement celles des
partis. En effet, des conflits d'intérêts nés des familles
spirituelles polarisaient la lutte politique sur des problèmes déviant par
rapport à un projet de société global et cohérent. Ce projet devait répondre à
la tentation que l'auteur voyait grande de sombrer
dans un nationalisme stérile ou dans un anti-flamingantisme sommaire. En 1982, en
conclusion d'un autre livre qui a eu grand impact, La
Wallonie : l'indispensable autonomie ([5]),
Michel Quévit avait posé la question Quel avenir
pour la Wallonie ? Celui qui avait reçu, en 1981, le Prix Maurice Bologne du
Wallon de l'année, y plaidait pour l'adhésion de l'élite intellectuelle et culturelle
de la Wallonie qui longtemps a refusé de
s'identifier en tant que wallonne à un projet régional. Michel Quévit
appelait également les responsables des institutions publiques à prendre davantage en
compte l'intérêt régional plutôt que de développer leur zone d'influence personnelle
ou celle de leur parti politique. Les institutions
wallonnes, écrit Quévit, ne stimuleront le
développement de la Wallonie que si elles arrivent à orchestrer les initiatives
émanant des Wallons eux-mêmes : jeunes, travailleurs indépendants, qui cherchent
aux-mêmes les moyens de recréer des emplois. Au delà d'une fédéralisation l'autonomie institutionnelle qu'il salue
et dont il appelle l'approfondissement, particulièrement dans les différents secteurs
économiques, Michel Quévit estime indispensable que les Wallons définissent les
objectifs prioritaires qui assureraient la relance de leur économie. Sans développer un
projet pour la Wallonie, il esquisse toutefois les pistes d'une stratégie de
développement : nouvelle éthique sociale, reconversion sidérurgique vers de
nouveaux produits mieux intégrés à la technologie du fer, diversification industrielle
à partir des PME, valorisation du capital humain par la recherche scientifique, la
créativité et l'innovation, développement rural intégré.
Désigné
coordinateur puis rapporteur général du congrès de l'Institut Jules-Destrée, Michel
Quévit donne la mesure du changement qui doit s'opérer dans la société wallonne en
formulant, début 1987, le titre du congrès : La
Wallonie au futur, Vers un nouveau paradigme. Il intègre ainsi à la démarche
l'apport du Groupe de Recherche européen sur les Milieux innovateurs (GREMI), dont il
fait partie. Soulignant l'audace de la démarche que constitue l'éclatement des cadres
traditionnels d'où sont issus les deux cents vingt personnalités qui ont accepté de se
prêter à l'exercice et de produire un texte faisant part de leur perception de l'avenir
de la société wallonne, Michel Quévit apporte une nouvelle lecture des objectifs
définis par l'Institut Jules-Destrée. Il les transforme en axes de réflexion : définir une nouvelle façon de lire l'apport de
l'histoire, dégager les nouvelles solidarités et les nouveaux paradigmes de l'avenir,
déterminer les axes d'action de demain dans le respect de la différence avec l'ambition
d'en saisir la globalité ([6]). Le professeur de
Louvain précise également la méthodologie et le fonctionnement du congrès. L'objectif
consiste bien à déceler les signes d'émergence des nouveaux paradigmes en Wallonie dans
les différents domaines, de dégager les nouveaux enjeux de la Wallonie dans un futur
proche, ainsi que de dessiner les pistes d'actions (voies et moyens) qui devraient
alimenter les politiques en Wallonie. A cet effet, deux carrefours généraux - l'un
consacré à l'interaction entre l'économie et la culture, l'autre aux rapports entre la
technologie, la formation et la vie en société -, vont mettre en évidence l'importance
de l'articulation des champs et du décloisonnement des politiques. Ensuite, quatorze
ateliers, regroupés par domaine d'action spécifique et animés par des personnalités de
tout premier plan, examineront l'apport de chacun de ces secteurs et définiront les
actions à mener. Seront ainsi étudiés : le devenir économique de la Wallonie, le
développement de la recherche et des technologies, l'avenir de l'enseignement, la
formation de demain, les nouvelles valeurs et l'identité culturelle, les politiques
culturelles et interculturelles, le patrimoine culturel et la mémoire collective, l'enjeu
des médias et des industries culturelles, les articulations emploi - travail -
solidarité ainsi que logement - santé - cadre de vie, l'agriculture et le développement
rural, la Wallonie dans l'Europe et le monde et, enfin, les relations sociales.

Ce premier
congrès rencontre un succès remarquable et son impact est certain sur la société
wallonne, en Flandre De Standaard titre Het Waalse "réveil", en France et plus
largement en Europe. Les 17 et 18 octobre 1987, plus de quatre cents personnalités
appartenant à des horizons culturels, philosophiques et politiques différents se
réunissent dans le grand auditoire de l'Université du Travail à Charleroi, lieu
symbolique pour la Wallonie puisque c'est là que, soixante-quinze ans auparavant
presque jour pour jour, Jules Destrée avait réuni l'Assemblée wallonne. A la formule de
Léopold Genicot, La Wallonie, un passé pour un
avenir ([7]), l'Institut Jules-Destrée, connu
pour son expertise dans l'histoire de la Wallonie, répond par La Wallonie : un avenir pour un passé.
Le rapport de
Michel Quévit porte le titre La Wallonie, une
société en projet. Il y évoque tour à tour le projet économique, le projet
technologique et scientifique, le projet éducatif, le projet culturel, le projet de
cadre de vie ainsi que le projet institutionnel. Pour le rapporteur général, c'est la
multiplicité de ces projets et leur nécessaire interactivité qui fondent l'existence
même de la Wallonie, comme collectivité dynamique
dans l'Europe de demain. Michel Quévit souligne également la visée prospective dans laquelle se sont placés
les travaux, affirmant clairement l'existence d'un nouveau paradigme : un paradigme cristallisateur, une manière
d'appréhender le futur qui traverse toutes les dimensions de la vie en société.
Pour le rapporteur général ce paradigme est et restera dans tous les travaux qui
suivront l'émergence du qualitatif sur le quantitatif : nous entrons dans l'ère nouvelle que d'aucuns ont
appelé de la dématérialisation, c'est-à-dire l'utilisation et l'incorporation au
produit final de l'activité humaine, de toutes les activités humaines, d'éléments
immatériels : connaissance, information, organisation sont ici les mots-clefs ([8]) .
Ainsi, les travaux de ce premier congrès
ont mis en évidence la prédominance grandissante des investissements immatériels et,
tout particulièrement, des ressources humaines dans le développement futur des
sociétés industrialisées. Au delà de ce constat, le congrès s'est prononcé pour une
réponse plus adéquate aux besoins qualitatifs de la population. Des pistes sont
élaborées pour le monde des décideurs politiques :
-
nécessité d'une stratégie de développement régional pour le tissu productif wallon;
- exigence
d'une politique efficace de la science et de la technologie sur les deux axes des
entreprises et des programmes de recherches européens;
- appel à
une adaptation de notre système éducatif à un avenir déjà perçu comme un défi en
matière de savoir et de capacité d'apprendre;
-
impératif du développement de notre identité propre, vécue comme un humanisme lié à
la fois à l'enracinement et à l'universalité.
Cette réflexion interdisciplinaire,
décloisonnante, pluraliste et globale permet de promouvoir l'image d'une Wallonie
comprise et reconnue, non pas dans sa conception strictement territoriale, mais surtout
dans sa dimension sociétale et universelle.

Il ne s'agit pas d'en rester là !
Dès le mois de décembre 1987, les rapporteurs auxquels se joignent le professeur
Riccardo Petrella, patron du Programme FAST aux Communautés européennes, dressent un
premier inventaire des priorités d'actions pour l'échéance 1993 qui porte sur chacun
des ateliers. Le Comité scientifique décide, début 1989, à l'initiative du professeur
Georges Neuray, de choisir comme vecteur des travaux du nouveau congrès le thème de
l'éducation. Moteur d'une société en pleine mutation, la notion d'éducation apparaît
en effet suffisamment dynamique pour faire l'objet d'une approche à partir de chacun
des dix ateliers identifiés et sélectionnés. Dès lors, les rapporteurs se mettent à
l'ouvrage pour se constituer chacun un réseau ouvert sur le monde économique et social,
faisant appel aux compétences de chercheurs issus de toutes les institutions, de
praticiens ou d'utilisateurs avertis. Ils donnent ainsi, à la notion d'Education, sa
conception large qui va de la culture familiale et locale à celle des médias, ou des
industries culturelles, en passant par celle des entreprises, des administrations :
elle intègre tous les types de formations offerts à une population. Au fil des travaux
en réseau et des réunions régulières du Comité scientifique, l'Education s'impose
comme une composante essentielle pour la Wallonie de demain, non seulement pour soutenir
son devenir économique, social et culturel tel qu'il a été identifié dans le congrès
précédent, mais également pour l'induire et le promouvoir au travers de politiques
concrètes et participatives.
Le deuxième
congrès La Wallonie au Futur qui se tient en
octobre 1991 porte précisément ce titre le Défi
de l'Education. Cette rencontre se déroule dans la capitale d'une Wallonie
profondément modifiée par les nouvelles étapes institutionnelles franchies en 1988 et
1989, qui ont plus que doublé les compétences et les moyens financiers de la Région
wallonne, sans toutefois lui permettre de disposer de son enseignement ou de sa culture.
Dans son rapport général, le professeur Michel Quévit évoque un véritable projet de société humaniste et
interpelle les participants : Notre visée
fondamentale n'est-elle pas d'inventer les voies et moyens qui donneront à toutes les
couches de la population, je dis bien toutes les couches de la population, les aptitudes
et les capacités de vivre autonomement et positivement les nécessaires mutations du
futur, et de rompre avec le syndrome de l'échec ? ([9])
L'idée de
nouveau paradigme et de rupture avec les pratiques passées se confirme. Chacun est, au
sein du Comité scientifique, intimement persuadé que le sort de la Wallonie se trouve
entre les mains de l'école. Pour le congrès, les nécessités suivantes
s'imposent :
promouvoir, dès
l'enseignement fondamental, l'acquisition du "bagage élémentaire de tout
Wallon", comprenant, d'une part, une culture générale qui permette de distinguer
l'essentiel de l'accessoire face aux innovations et aux changements, et, d'autre part, une
véritable alphabétisation scientifique et technologique, démystifiant un élitisme
ambiant qui induit la compréhension des savoirs scientifiques par une minorité de
surdoués ou d'hyper-spécialisés;
revaloriser la fonction
d'enseignant, notamment par la formation continuée;
construire un réseau stable
de centres de recherche en éducation, associés aux centres de décisions politiques;
établir des relations
privilégiées entre enseignants et chercheurs en sciences de l'éducation;
réformer les modes
d'organisation du système éducatif : décentralisation des décisions en matière
de programmes et d'horaire, autonomie des enseignants dans le choix des matières et de
l'organisation des tâches, désenclavement du système éducatif du reste de la
société;
coordonner l'enseignement et
la formation scolaire et post-scolaire dans un projet d'ensemble, cohérent et solide.
Parallèlement,
la réflexion porte sur le nécessaire décloisonnement, considérant la nécessité de
miser résolument sur les complémentarités entre les différents systèmes de formation
plutôt que de les opposer afin de les inscrire dans une démarche commune
qui se fonde sur un véritable projet de société humaniste. Plutôt que de viser à
l'école pluraliste, l'option la plus réaliste et la plus lucide consiste à viser au
pluralisme dans l'école par le partenariat entre les deux réseaux. Une Commission de
la Coopération pluraliste mettant en présence les autorités concernées des deux
réseaux est donc mise sur pied avec, pour objectif, de dégager les complémentarités et
les économies budgétaires qu'elles pourraient entraîner.
Le constat du
professeur Gilbert de Landsheere, rapporteur du réseau intitulé L'avenir de l'enseignement porte par priorité sur
la nécessité de piloter le système éducatif wallon : on dénonce périodiquement la baisse du niveau des
apprentissage de nos élèves, alors qu'il n'a presque jamais été mesuré
effectivement. N'est-il pas étrange aussi que l'on adopte des programmes scolaires, que
l'on introduise des réformes dans l'enseignement sans vérifier vraiment si les
changements se sont effectivement produits ? Dès lors, le Comité scientifique
estime que le pilotage constitue un enjeu de société pour la Wallonie et que cet enjeu
mérite prioritairement une interpellation de la société civile et des pouvoirs publics
par l'organisation, à l'instar du modèle danois, d'une "conférence-consensus"
sur le thème Où en est et où va le système
éducatif en Wallonie ? Comment le savoir ? Celle-ci, la première en
Wallonie, se déroule à Namur les 3, 4 et 5 mars 1994. Parmi d'autres choses, le panel de
la société civile affirme, au bout des trois jours, la nécessité d'améliorer la
conduite du système éducatif, conduite qui implique trois aspects : d'abord, une
meilleure définition des objectifs, ensuite, une évaluation régulière et rigoureuse,
dans une optique formative et dont les critères doivent être élaborés de manière
participative; enfin, un réajustement régulier non seulement des objectifs mais
également des actions entreprises, compte tenu des résultats observés. Les actes de
cette rencontre sur le pilotage scolaire furent publiés avec un bandeau portant la
formule C'est quand qu'on va où ?,
gracieusement autorisée par le chanteur Renaud ([10]).

Parallèlement
à la préparation et à la tenue de la conference-consensus sur l'éducation, le
Conseil scientifique entame la préparation du troisième congrès La Wallonie au futur. Ainsi, en février 1993,
Albert Schleiper propose qu'une nouvelle rencontre se tienne sur le thème Et si la Wallonie osait la solidarité ?
L'objectif consiste à vérifier la faisabilité d'un système économique à la fois
solidaire et compétitif dans lequel la satisfaction de toutes les demandes d'emploi ne
seront plus la condition préalable et principale d'efficacité. De plus, le directeur du
CIFOP propose d'inscrire cette perspective dans le cadre de la notion de développement
durable, intégrant à la fois les potentialités technologiques et les pouvoirs locaux.
L'économiste Jacques Defay complète cette démarche au printemps 1993, en
déposant une autre note intitulée Le Défi du
sous-emploi jusqu'à la fin du siècle, constatant notamment que le chômage est
devenu structurel en Wallonie, que les Etats-membres de la Communauté européenne n'ont
plus de politique cyclique et que la Commission n'en a pas encore. Le congrès attend le Livre blanc, Croissance, compétitivité, emploi de
Jacques Delors, qui doit être diffusé en décembre de la même année. Pour les
initiateurs du congrès La Wallonie au futur, la
tâche de la nouvelle rencontre est évidente : il s'agit ainsi de déterminer
comment une région comme la Wallonie pouvait s'intégrer dans une dynamique comme celle
lancée par le président de la Commission, pour en tirer les avantages maximum en termes
de création d'emplois et de bien-être social. C'est donc sur ce thème que s'ouvre, à
Liège, le troisième congrès La Wallonie au futur,
les 27 et 28 octobre 1995 ([11]). Trois axes y sont
privilégiés pour tenter d'installer une politique d'emploi durable en Wallonie :
favoriser l'investissement en capital physique des entreprises, y compris les
investissements étrangers, développer l'innovation et la recherche et développement,
accroître l'effort dans le domaine de la formation des adultes. Toutefois, la conception
d'une répartition du temps de travail compatible avec un partage de la rémunération est
admise - des aménagements de la législation et des charges sociales pouvant faciliter
des accords propres aux secteurs ou aux entreprises dans lesquels les conditions de
succès sont réunies, sans que leur généralisation ne doive être envisagée et sans
que d'autres pistes ne soient négligées. De plus, l'idée est développée de construire
des structures d'interfaces entre la recherche appliquée et l'industrie, en mettant en
place, entre les laboratoires et les entreprises, de nouveaux réseaux de transfert et de
valorisation de la recherche. Ce décloisonnement de l'université et de l'industrie
implique l'organisation institutionnelle de leur collaboration, notamment par un
accroissement de la mobilité des chercheurs vers les entreprises et celle des cadres
d'entreprises vers les laboratoires universitaires.

C'est à
l'occasion du Comité scientifique tenu le 18 avril 1996 qu'est lancée l'idée d'un
congrès général d'évaluation de l'ensemble de la dynamique menée depuis 1987. Trois
constats déterminent cette décision : d'abord, la société wallonne semble
freinée dans son développement par un blocage culturel - obstacle qui génère des
blocages économiques et sociaux, particulièrement le déficit, sinon la carence de
l'esprit d'entreprendre -; ensuite, force est de constater que les congrès tenus depuis
1987 et l'analyse qui y a été faite de la société wallonne n'ont pas permis d'éviter
ou de répondre à ces blocages, même si ces congrès a-t-on dit n'ont
pas eu comme objectif de déboucher sur des propositions concrètes de changement de la
société, mais bien d'ouvrir des pistes de réflexion; enfin, la société a évolué,
certaines des pistes proposées depuis 1987 ont été suivies, dautres pas - parce
quelles ne se sont pas avérées pertinentes ou parce que la société nétait
pas prête à les accepter. On le comprend par ces interrogations. Un doute certain a
saisi le Comité scientifique. Ce scepticisme se marque également dans les discussions du
choix du titre du congrès. Contrairement à toute logique de communication, on préfère Sortir du XXème siècle à Entrer dans le XXIème siècle, parce que, pour
certains analystes, la Wallonie garde encore trop souvent des pratiques du XIXème
Le 6 juillet
1996, les axes du nouveau congrès sont mis en place : il s'agit de valoriser la
relation chercheurs / entreprises que le professeur Robert Deschamps considère
comme une valeur que l'Institut Jules-Destrée a su promouvoir et de ne développer
des lignes ni trop générales, ni trop pointues, mais bien novatrices. L'idée est de
renouer avec l'approche interdisciplinaire qui a fait le succès des rencontres de 1987 et
1991. Dès ce moment, la démarche est précisée à l'initiative de Michel Quévit, de
Gérard Fourez et de Luc Maréchal qui, tous trois, insistent sur l'innovation et
l'évaluation. Ces deux enjeux constituent les maîtres mots de la nouvelle dynamique
progressivement mise sur pied. A cette date, Philippe Destatte dépose, devant le Comité
scientifique, une note méthodologique destinée à préciser la notion d'évaluation.
Il y rappelle, à la suite de Gérard Figari, que l'évaluation doit être comprise et
vécue comme un processus de collecte de données permettant de juger des décisions
possibles, plutôt que comme un mécanisme de contrôle et de vérification par rapport
auquel l'Institut Jules-Destrée et même le congrès permanent La Wallonie au futur ne sont nullement habilités.
Ainsi, cette démarche, complètement étrangère à celle d'un audit externe et
construite sur un cadre référentiel déjà connu se dessine alors suivant trois
volets :
- une évaluation des politiques
préconisées par les congrès La Wallonie au futur;
- une évaluation des politiques menées
depuis 1987;
- une évaluation des structures et des
filières, c'est-à-dire des dispositifs mis en
place entre les différents acteurs de la société : les entreprises, les
institutions politiques, administratives et sociales, les universités et l'ensemble des
institutions éducatives, sur base des interactions préconisées par les congrès La Wallonie au futur.
Au delà de la
tâche prospective (évaluation diagnostique) que les congrès La Wallonie au futur a constitué jusqu'ici, il
s'agit d'appliquer, à la société wallonne tout entière, la technique du pilotage
déjà préconisée pour le système éducatif. Une nouvelle méthodologie est mise en
place en organisant des dialogues stratégiques, lieux de recherche de convergences entre
le congrès et les décideurs tant politiques qu'économiques pour repositionner la
société wallonne.
Le quatrième
congrès La Wallonie au futur se tient à Mons
en octobre 1998. Fondamentalement, les quatre axes qui avaient été désignés
précédemment comme porteurs du nouveau paradigme n'ont pas été remis en cause :
le
développement et la mise en uvre d'un projet de société qui vise à mieux
répondre aux besoins qualitatifs de l'ensemble de la population, en empêchant la
dualisation de la société et en donnant à tous les habitants de la Wallonie les moyens
de vivre les changements du futur de façon autonome;
la
réforme des modes d'organisation des structures collectives (les entreprises,
l'enseignement, la recherche, les administrations, les institutions politiques, etc.) pour
y valoriser l'esprit d'entreprise et de responsabilité, pour y remplacer le modèle
taylorien par un fonctionnement interdisciplinaire, participatif et agissant en réseaux
ouverts;
l'association intime, et donc complètement décloisonnée, du projet économique et du
projet culturel;
l'affirmation et la diffusion d'une identité wallonne multiple, ouverte et non exclusive,
selon une double démarche d'enracinement et d'universalité.
Le projet pour
la Wallonie y est défini par Michel Molitor comme l'exigence
partagée de plus de démocratie et d'un meilleur développement. Dans son rapport
général, Philippe Destatte qui, exceptionnellement, remplit la tâche de
rapporteur général -, souligne que la constitution d'un espace politique nouveau doit
être à l'origine d'une transformation de la culture politique, des pratiques
administratives et des pratiques médiatiques qui y sont liées, ainsi que d'une
nouvelle citoyenneté. En affirmant que la Déclaration universelle des Droits de l'Homme
constitue l'horizon politique de notre projet wallon, le congrès rappelle le rôle de
l'Etat : pas de citoyen sans cité. De même, le congrès marque sa volonté de
dépasser les clivages et de mettre en place une politique généreuse d'accueil des
réfugiés et des immigrés, respectueuse des valeurs humanistes. Deux éléments
interpellent également les participants : d'une part, la persistance en Wallonie du
déséquilibre structurel de l'ordre de 100.000 travailleurs entre secteur
productif et secteur non-productif, tel qu'identifié en 1991, et, d'autre part,
l'émergence de l'entreprise comme initiateur et partenaire d'une démarche de qualité
totale. Aussi, le congrès La Wallonie au futur
veut-il établir clairement l'entrepreneur comme premier acteur de développement et en
tirer les conséquences. Enfin, trois outils sont décrits comme porteurs en termes
stratégiques : l'évaluation, le dialogue social et la contractualisation, ainsi que
la prospective. Et le rapporteur général de donner des pistes concrètes de mise en
place en Wallonie de ces innovations : une Société wallonne de l'Evaluation, une
Société wallonne de la Prospective, créées à partir de la société civile, une
Cellule interdépartementale de prospective au sein de l'administration wallonne, un
centre indépendant de prospective ouvert sur le monde, une contractualisation régionale
autour d'un projet novateur, tous éléments renforçant la capacité des acteurs wallons
à agir sur le futur ([12]).

En dehors de
son impact tangible et de ses répercussions médiatiques, le congrès de Mons, qui a
rassemblé plus de cinq cents participants, a plusieurs suites importantes, notamment à
l'initiative de l'Institut Jules-Destrée. D'une part, trois journées d'études sont
consacrées à la contractualisation (11 mai 1999) ([13])
, à l'évaluation (3 mars 2000) et à la prospective (31 mars 2000) pour en diffuser la
culture et comprendre les implications potentielles de ces disciplines dans le
développement régional et dans la participation des citoyens au pilotage de la Région.
De même, une Société wallonne de l'Evaluation et de la Prospective est constituée sous
forme d'association sans but lucratif pour en réunir les acteurs wallons ([14]).
De plus, un Pôle de Prospective, chargé d'un mission régionale, est constitué au sein
de l'Institut Jules-Destrée, en connexion avec les grands artisans mondiaux de la
réflexion sur le futur : le Groupe Futuribles, le LIPS, la World Future Society,
l'ISTF, tandis que le gouvernement wallon crée une cellule de prospective au sein du
Cabinet du ministre-président.
D'autre part,
dès 1999, le gouvernement wallon prend une initiative potentiellement remarquable tant
sur le plan de la gestion que sur celui de la citoyenneté. Considérant, comme l'a fait
Michel Quévit en 1987, que la Wallonie se situe aujourd'hui, de manière évidente, à un
point de bifurcation et que ce moment constitue, pour tous ses acteurs, un tournant
stratégique, le gouvernement wallon a, en juillet 1999, franchit le pas de la
contractualisation de ses initiatives. En s'inscrivant en tant que nette rupture par
rapport aux blocages politiques, culturels et sociaux de la société wallonne et en se
donnant les moyens et le temps d'une action concertée et durable, le Contrat d'Avenir
pour la Wallonie semble en effet avoir modifié la donne séculaire ou, à tout le moins,
semble constituer une opportunité pour un tel changement. En effet, en s'efforçant de
mobiliser les acteurs sociétaux au travers d'une démarche de contractualisation, en
marquant sa détermination à faire nettement table rase des politiques obsolètes et des
idées reçues, en remettant systématiquement en cause les pratiques politiques et
budgétaires anciennes, le Contrat d'Avenir pour la Wallonie s'est posé en vecteur de
changement culturel face à la logique de déclin de la région. En manifestant sa
volonté de rompre avec ce qu'il a identifié comme étant un mauvais scénario du passé,
le gouvernement wallon s'est déjà inscrit dans une démarche pro-active. En décidant
d'intégrer une dynamique d'évaluation systématique au pilotage de son contrat-projet,
il se donne les moyens d'un ajustement possible de ses actions en vue d'atteindre les
impacts attendus de sa politique.
Reste toutefois la question qu'une
évaluation ne peut se faire uniquement de manière rétrospective, c'est-à-dire en
fonction du chemin parcouru : elle doit s'envisager également de manière
prospective, c'est-à-dire en fonction des objectifs à atteindre et à repositionner au
gré de la mobilité escomptée ou souhaitable de l'environnement économique, social,
culturel, écologique, ces données étant estimées tant sur le plan local que sur le
plan international. C'est là, dès lors, que le travail prospectif aura toute son
importance.
Comme
l'affirme le professeur Michel Godet, titulaire de la chaire de prospective industrielle
au Conservatoire national des Arts et Métiers à Paris, pour être fécond, c'est-à-dire porteur d'espoir, le
mariage de la prospective et de la stratégie doit s'incarner dans la vie quotidienne et
donner lieu au travers de l'appropriation (par tous les acteurs concernés du haut en bas
de la hiérarchie) à une véritable mobilisation de l'intelligence collective ([15]).
La prospective se confirme ainsi non seulement comme un outil au service d'un projet
régional en construction permanente, mais aussi comme un facteur dynamique de ce projet.
Ainsi que le souligne le professeur Fabrice Roubelat, dans le cadre d'un changement de paradigme, la
prospective, en tant que processus s'appuyant sur des réseaux d'hommes, contribue ainsi
à modifier les représentations collectives dans l'organisation et son environnement. La
prospective apparaît ainsi non seulement comme un processus de réflexion, mais aussi, à
travers la création de sens, comme un processus d'action ([16]).
Depuis
plusieurs décennies, l'Institut Jules-Destrée, qui est d'abord un centre de recherche
sur l'histoire de la Wallonie, s'est efforcé de porter son regard dans les deux
directions de la ligne du temps qui coule. Vers l'amont pour en comprendre le cours, vers
l'aval pour éviter d'être l'objet des courants et donner à l'esquif la capacité de
choisir les passages les plus adéquats. Cette tâche, il a toujours voulu la mener
collectivement, avec ses nombreux membres, d'une part, avec tous les acteurs wallons
d'autre part. Et c'est en cela que ce travail peut avoir une réelle pertinence. L'étude
des voies du futur et des futurs possibles n'a, en fait, aucun intérêt, aucun sens,
aucune nécessité, si ses acteurs ne se donnent pas une réelle capacité d'en choisir
collectivement les chemins.
 Notes
([1]) Jacques LANOTTE éd., L'Avenir
culturel de la Communauté française, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 1979.
([2]) Guy GALAND éd., Culture et
politique, p. 68, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 1984.
([3]) Armand MATTELART, Yves STROURDZE, Technologie, culture et communication, Rapport au
ministre de la Recherche et de l'Industrie, Paris, La Documentation française, 1982.
- Voir également Ministère de la Recherche et de la Technologie, Actes du Colloque national, 13-16 janvier 1982,
Paris, La Documentation française, 1982.
([4]) Michel QUEVIT, Les causes
du déclin wallon, L'influence du pouvoir politique et des groupes financiers sur le
développement régional, Bruxelles, Vie ouvrière, 1978.
([5]) Michel QUEVIT, La Wallonie
: l'indispensable autonomie, Paris, Editions Entente, 1982.
([6]) Michel QUEVIT, L'audace de
la démarche, dans La Wallonie au futur, Vers un
nouveau paradigme, Cahier n°1, Plus de deux cents personnalités participent à une
réflexion sans précédent sur le devenir wallon, p. 9, Charleroi, Institut
Jules-Destrée, 1987.
([7]) Léopold GENICOT, La
Wallonie : un passé pour un avenir, coll. Ecrits
politiques wallons, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 1986.
([8]) La Wallonie au futur, Vers
un nouveau paradigme, Actes du congrès, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 1989.
([9]) La Wallonie au futur, Le
défi de l'éducation, Actes du congrès, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 1992.
([10]) La Wallonie au futur, Le
défi de l'éducation, Conférence-consensus, Où en est et où va le système éducatif
en Wallonie ? Comment le savoir ?, Actes de la conférence-consensus, Charleroi,
Institut Jules-Destrée, 1995.
([11]) La Wallonie au futur,
Quelles stratégies pour l'emploi, Actes du congrès, Charleroi, Institut
Jules-Destrée, 1996.
([12]) La Wallonie au futur,
Sortir du XXème siècle : Evaluation, innovation, prospective, Actes du congrès,
Charleroi, Institut Jules-Destrée, 1999.
([13]) Contrats, territoires et
développement régional, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 1999.
([14]) Voir http://www.prospeval.org
([15]) Michel GODET, De la
rigueur pour une indiscipline intellectuelle, Intervention aux Assises de la Prospective, Paris, 8-9 décembre
1999, p. 2.
([16]) Fabrice ROUBELAT, La
prospective stratégique, Des hommes et des organisations en réseaux, dans Jacques
THEPOT e.a., Décision, Prospective,
Auto-organisation, Mélanges en l'honneur de Jacques Lesourne, p. 303, Paris, Dunod,
2000. Voir également sur cette question l'avis rendu par le Conseil économique et
social de la République française sur le Rapport de Jean-Paul Bailly au nom de la
Commission spéciale du Plan, Prospective, débat, décision publique, dans Futuribles, Octobre 1998, p
Philippe DESTATTE, C'est quand qu'on va où ? La
Wallonie : un futur pour un présent, dans Wallonie, ma région, p.
73-79, avril 2001
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