Le fait que, dans un pays ami qui est l'Autriche, un parti de
gouvernement ait accepté de rompre la solidarité démocratique et de pactiser
avec un parti ouvertement néo-nazi a créé une situation entièrement nouvelle
dans l'Union Européenne.
Les gouvernements des quatorze autres États membres de l'Union, en chargeant
la présidence portugaise d'abord de mettre les intéressés en garde et ensuite de
rendre publique la décision de tenir à l'écart un gouvernement de participation
néo-fasciste, ont répondu comme il le fallait. Je suis heureux que le Premier
Ministre belge, M. VERHOFSTADT, ait été parmi les premiers et parmi les plus
clairs à réclamer une décision forte.
Il est normal aussi que les membres du Parlement Européen se
soient exprimés, dans divers pays, avec une conviction particulière. En effet,
si des néo-fascistes participent à un gouvernement national, ils sont appelés à
prendre part aussi aux réunions du Conseil des Ministres de l'Union Européenne
voire à dialoguer avec le Parlement Européen.
Je fais partie des parlementaires européens qui ont déclaré très tôt refuser
ce dialogue. Comme tous mes collègues du PS et du SP élus en Wallonie, à
Bruxelles et en Flandre, et d'ailleurs aussi comme de très nombreux collègues
Écolos, Agalev et des parlementaires libéraux, j'ai donc signé la pétition de
refus lancée dès le premier jour par Marie-Noëlle LIENEMANN et Olivier DUHAMEL.
De même, je soutiendrai la motion de censure déposée par mon Collègue
britannique Glyn FORD.
Malgré toutes ces mises en garde, y compris celle de Mme Joëlle MILQUET, les
deux partis autrichiens concernés ont poursuivi leurs négociations et signé le
1er février un accord politique. S'il est appliqué, cet accord constituera,
comme l'a très bien dit Daniel DUCARME, "une banalisation de l'extrême-droite en
Europe, ce qui constituerait un précédent d'une extrême gravité susceptible
d'engendrer d'importants effets d'entraînement des autres Etats membres de
l'Union Européenne". J'ajouterai que le même effet est à craindre, de façon plus
dangereuse encore "dans les démocraties fragiles de l'Europe de l'Est", comme
l'a souligné Paul LANNOYE au nom du groupe Écolo.

Au seuil de l'an 2000, il se trouve donc en Europe des hommes politiques qui
se sont dits démocrates, et qui aujourd'hui parrainent l'entrée dans les
instances de décision les plus hautes d'un homme et d'un parti qui se réfèrent
publiquement à "l'honneur des SS" et au "caractère exemplaire de la politique
sociale de Hitler". Arbeit macht frei, comme chacun sait ou devrait le
savoir.
Ceci est inacceptable, je ne l'accepterai pas et je veux croire que nous
serons nombreux à ne pas l'accepter. L'arrivée de l'an 2000 méritait mieux que
ce retour lamentable aux années trente.
Il est évident que nous allons poursuivre la lutte au Parlement Européen. Il
est évident pour moi que cette lutte doit également s'étendre, et qu'elle
concerne tous les démocrates.
Je le pensais avant le débat qui s'est tenu au Parlement Européen ce mercredi
2 février, débat d'une grande tenue et d'une importance exceptionnelle pour
l'avenir de l'Europe.
Je le pense encore plus depuis que j'ai entendu M. POETTERING, Président du
Groupe du Parti Populaire Européen (Démocrates Chrétiens) et Démocrates
Européens, revenir sans rougir sur les engagements solennels pris par ce parti
l'année dernière.
En 1999, en effet, un ensemble de 79 partis démocratiques européens, dont
bien entendu le PPE, ont signé une Charte pour une société Non Raciste. Dans
cette Charte, chaque parti s'est clairement engagé à s'abstenir de toute forme
d'alliance politique ou de coopération à quelque niveau que ce soit avec un
parti à connotation raciste.
Hier, M. POETTERING a renié la signature de son parti en renouvelant sa
confiance aux conservateurs autrichiens, qui font partie du PPE.
Nous sommes donc bien plus loin dans la crise qu'on ne veut bien le dire,
puisque les pourparlers avec les néo-fascistes ont commencé en Autriche en
violation des règles et usages de la vie politique du pays, c'est-à-dire sans
mandat du Président de la République. Et que le plus grand des groupes
politiques du Parlement Européen vient lourdement de manquer gravement à la
parole donnée.
Dans ces conditions, le fait que tous les autres partis démocratiques aient
accepté de proposer avec le même M. POETTERING une motion commune au Parlement
Européen en disait long sur l'absence profonde de volonté politique.
Tout naturellement, la motion commune a conduit à un texte mi-chair
mi-poisson.
La Commission PRODI avait déjà choisi de rappeler qu'elle était la gardienne
des traités et qu'elle ne ferait rien d'autre.
Le Parlement aurait pu et dû rappeler qu'il était, lui, le gardien de la
démocratie. Beaucoup de discours fleuris voire passionnés l'ont dit mercredi
après-midi. Mais la résolution votée ce jeudi matin, elle, se garde bien de le
dire et surtout de le prouver. "Les discours changent parfois les idées, jamais
les votes" : Edouard HERRIOT est toujours bien vivant.
Le Conseil des Ministres des quatorze a pris une décision nécessaire,
courageuse, novatrice, ouvrant – enfin ! – la porte sur une Europe des valeurs
et des principes. La Commission a rappelé le Conseil à l'ordre : nous sommes là
pour faire du business.
Le Parlement pouvait s'affirmer et donner un coup de pouce au destin : il a
choisi de renvoyer Conseil et Commission dos à dos et d'attendre la semaine
prochaine. Dans l'assemblée qui devrait représenter les peuples, on respirait ce
matin à pleins poumons l'air vicié de Munich 1938. MM. CHAMBERLAIN et DALADIER
sont morts trop tôt mais ils ont fait des élèves.
"C'est dans la nuit qu'il est bon de penser à la lumière" écrivait François
MITTERRAND. Je crois profondément qu'il avait raison.