La Wallonie et les régions françaises,
Approche comparée des identités régionales |
Enquête 1998
|
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1998 - Identités
régionales : index
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Introduction
par Philippe Destatte
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Fiche technique
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Questions et
graphiques de l'enquête 1998
-
Essai de
typologie des régions par André-Paul Frognier
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Communiqué de presse
22.04.1999
Elisabeth Dupoirier
Directeur de lObservatoire interrégional du
Politique,
Directeur de Recherches à la Fondation nationale des Sciences politiques, Paris

Après l'exposé du Professeur Frognier, qui nous montre bien
l'intérêt de comparer, à des niveaux globaux, les sentiments identitaires, nous avons
pensé qu'une question s'imposait dans le prolongement de son exposé : ces
identités régionales que nous cherchons à identifier et à mesurer, à comparer,
ont-elles des effets mobilisateurs en faveur du fait régional ? Le fait de se sentir
"proche", "fier", partie prenante de sa région, a-t-il une influence
positive sur les atouts que l'on reconnaît à sa région ? Des effets mobilisateurs
en faveur des institutions régionales et de leurs politiques sont-ils produits par le
fait de se sentir partie prenante de cette région ? Ces questions sont non seulement
intéressantes pour les universitaires mais aussi pour les décideurs politiques :
les identités régionales ont-elles un rôle à jouer dans l'émergence et la
consolidation du fait régional en Europe ? Au fond, peuvent-elles être, sont-elles
déjà et vont-elles être de plus en plus une ressource à mobiliser pour
qu'effectivement le fait régional se consolide dans l'espace européen ?
Philippe Destatte a bien rappelé quelles avaient été les idées
spécifiques qui avaient animé le législateur en France lorsque l'Etat français
cet archétype d'Etat-nation unitaire et centralisateur avait
décidé de s'inscrire dans un mouvement européen d'émancipation des territoires
subnationaux. Quand la France décentralise en 1982, elle ne fait que participer à un
mouvement général, qui prend des formes particulières dans tous les pays européens.
Mais en France nous suivons le mouvement un peu à notre manière, c'est-à-dire avec une
extrême prudence. Il est hors de question, justement, de remettre sur la table le
principe de cet Etat unitaire : nous décentralisons, nous n'avons absolument aucune
perspective de cheminement vers un fédéralisme quel qu'il soit et, pour s'assurer que la
République française une et indivisible ne risque pas d'être
menacée par la régionalisation, tous les partis politiques tombent d'accord pour que ces
régions, territoires artificiels à part quelques exceptions qu'on ne peut éviter, ne
recouvrent pas le territoire d'une d'ancienne province chargée d'une histoire et d'une
culture communes. Ensuite, le législateur donne aux régions des compétences qui sont
d'abord spécialisées et non pas générales, et qu'elles doivent pratiquement toujours
partager avec les autres échelons de l'action publique. Les régions en France font leur
apprentissage de l'action publique dans la notion de partenariat. Elles n'ont pratiquement
aucune compétence qu'elles peuvent exercer en propre, sans négocier soit avec l'Etat
soit des collectivités infra-régionales.
Il est vrai que, lorsque les Conseils régionaux ont été élus pour
la première fois en 1986, ils ont tous considéré que c'était par la visibilité et
l'efficacité de l'action publique qu'ils construiraient l'identité de la région et
feraient émerger des sentiments d'appartenance régionaux. Et la première mandature des
régions a été caractérisée par le fonctionnalisme : de l'efficacité de l'action
devait naître un sentiment d'appartenance régionale. Puis on a vu au début des années
90, dans le basculement de la deuxième mandature, s'infléchir sérieusement cette
réflexion. Au fond, provoque-t-on l'envie de "se sentir appartenir" à une
région à partir de bilans de politiques publiques, aussi bien présentés et
convaincants qu'ils soient ? Dans tous les Conseils régionaux, la réflexion a
abouti à revoir d'une manière assez sensible la façon de s'adresser aux populations et
de construire à l'aide de politiques de communication une identité régionale. Comment
faire, pour que, en dehors des résultats que l'on peut présenter des politiques
sectorielles, les citoyens se sentent de plus en plus concernés par leur région ?
C'est ainsi que l'on peut parler de l'émergence de politiques volontaristes, de
communication, qui ont cherché à réinscrire ou à inscrire ces territoires dans une
histoire passée et dans un projet collectif pour le futur.
Deux remarques avant de passer aux résultats. Ce qui est intéressant
de voir - on est bien dans notre culture unitaire française , c'est que
les régions se sont employées à réactiver des mémoires ou à les construire, mais en
empruntant à la mémoire nationale. Aucune région n'a essayé de ressusciter ou de poser
une tradition régionale qui s'opposerait à la tradition nationale, bien au contraire. La
Picardie est devenue le berceau des Capétiens dynastie qui a posé il y a
mille ans les fondements de l'Etat unitaire en France. La Champagne-Ardenne que vous
connaissez bien aussi rappelle la contribution de ses hommes à la défense du territoire
national et la galerie de ses grands hommes qui ont contribué au rayonnement de la
France. On retrouve toujours cette volonté d'être dans une dialectique permanente entre
région et nation.
Voilà dans quelles dispositions sont aujourd'hui les régions
françaises lorsque, grâce à nos contacts scientifiques, nous réussissons cette
entreprise d'étude comparative, que je ne rappellerai que de quelques mots parce que
André-Paul Frognier en a très bien dit l'essentiel. Il faut avoir à l'esprit, lorsqu'on
compare les résultats des enquêtes françaises et wallonne, les différences de
contextes dans lesquels sont réalisées les enquêtes. Contexte institutionnel :
l'exclusivité des compétences en Wallonie contre le partage des compétences en France;
l'équipollence des normes en Wallonie, la subordination des normes en France. Ce sont
deux différences lourdes pour juger ensuite des opinions des populations régionales de
part et d'autre de la frontière. Contexte d'opinion publique : une France euphorique
à l'automne 98, au moment où l'enquête a eu lieu : il n'y a pas que la Coupe du
monde de football, il y a aussi une vision tout à fait idyllique du fonctionnement de la
cohabitation. Le moral des Français bat des records. Et puis différence de contexte
politique : lorsque l'on interroge les régions françaises en septembre 98, les
conseils régionaux viennent d'être renouvelés, on est dans la phase "d'état de
grâce" du pouvoir régional. C'est à l'automne 98, je crois, qu'en Wallonie le
conseil régional achève son mandat. Il est donc, au contraire, dans la phase que l'on
appelle classiquement, dans notre jargon de politologues, "d'usure du pouvoir".
Les jugements que l'on peut porter sur les bilans des équipes régionales ne sont pas de
même nature. Je crois que ces trois éléments n'enlèvent aucun intérêt à l'analyse
comparative mais doivent toujours être présents à l'esprit.
Une fois ces précautions prises, la première question que nous avons
essayé d'explorer est la suivante : la
fierté d'appartenance à la région a-t-elle un effet positif sur les images que l'on a
de sa région ? Pour répondre à cette question, je vais commencer par
revenir sur le tableau qu'avait évoqué André-Paul Frognier des images de la région en
France et en Wallonie.

Tableau 1
Les images de la région en Wallonie et en France (1er choix -
en %)
|
Wallonie |
Régions
françaises |
Lieu
d'histoire et de culture |
34 |
44 |
Communauté
humaine |
21 |
12 |
Lieu de débat
politique |
17 |
4 |
Regroupement
de territoires |
9 |
13 |
Lieu de
développement économique |
8 |
21 |
Echelon
administratif |
6 |
4 |
Aucune image |
5 |
2 |
Ce qui est parfaitement intéressant, c'est que, Wallonie ou régions
françaises, l'image dominante pour les populations est une image de la région comme lieu
d'histoire et de culture. Toutes les régions sont vues par une part importante de leurs
habitants comme ayant ce que j'appelle une identité patrimoniale. En Wallonie, elle est
complétée par deux autres images. Celle d'une communauté humaine et puis, en troisième
rang des choix, l'image de lieu de débats politiques. Les autres images n'intéressent
que des petites minorités. En France, associées donc à ce lieu d'histoire et de
culture, deux autres images très différentes s'imposent : celle de lieu de
développement économique (21 % des citations vous voyez que ça ne fait
que 8 % en Wallonie) et, relativement loin derrière, celle de regroupement de
territoires ou celle de communauté humaine. On voit bien là une différence
intéressante entre les régions françaises et la Wallonie : en France, l'idée
régionale repose sur deux leviers, dont l'un est l'héritage du passé, son histoire et
sa culture, et le second est une projection dans l'avenir, comme un lieu potentiellement
propre à l'innovation, à la modernisation économique. Et on a là très largement le
résultat de la présentation du fait régional telle qu'elle est faite par les politiques
de communication des acteurs régionaux en France : l'idée que l'on conjugue sur un
territoire de proximité ce qui nous rattache au passé et ce qui nous permet de produire
un moteur de développement pour l'avenir. En revanche, comme vous le voyez, il n'y a
aucune représentation de construction politique de la région. Les Français ne se
représentent pas la scène politique régionale comme une scène politique importante et
nous sommes pourtant en septembre 1998, six mois après les élections dont vous avez dû
suivre les turbulences, à la fois au niveau des résultats qui ne nous ont pas permis de
dégager des majorités politiques stables sauf dans 2 régions sur
22 et surtout au niveau de ce que nous avons appelé "le second tour de
scrutin", c'est-à-dire l'élection les présidents de régions. On a produit un
large psychodrame national sur la question des alliances nécessaires pour dégager des
majorités au sein des Conseils. Certains présidents sortant de la droite républicaine
ont conservé leur majorité en faisant alliance avec le Front national. On ne pouvait pas
dire, au moment de ces enquêtes en septembre 1998, en France, que les Français n'avaient
pas à l'esprit ce qui s'était passé sur la scène politique régionale en mars 1998. Et
bien six mois après, l'image de "lieu de débat politique" n'est reprise que
par 4 % des personnes interrogées. Dans les quatre régions françaises où
lélection du président avait été la plus médiatisée et la plus commentée en
raison de l'alliance UDF-RPR avec le Front national, l'image politique n'est pas plus
forte, bien au contraire.
Donc, je trouve intéressant de constater que, en Wallonie, l'avenir de
la région se construit sur la scène politique que les Wallons reconnaissent comme un
lieu de débats; en France, l'avenir régional se construit dans une arène économique
qui, dans l'esprit des Français, est dissociée de la scène politique.
Alors, le fait de se sentir fier de sa région va-t-il modifier
l'importance relative de ces images ? L'identité régionale favorise-t-elle plutôt
certaines images que d'autres ? Les tableau sont un peu compliqués. Nous allons les
commenter ensemble.

Tableau 2
Fierté d'appartenance régionale et images de la région
en Wallonie et en France (1er choix - en %)
Wallonie
|
Lieu d'histoire
et de culture |
Communauté
humaine |
Lieu de débat
politique |
Regroupement de
territoires |
Echelon
adminis-tratif |
Lieu de
développement économique |
Ensemble |
34 |
21 |
17 |
9 |
6 |
8 |
Très fier |
43 |
23 |
11 |
6 |
4 |
9 |
Plutôt fier |
33 |
22 |
16 |
10 |
4 |
9 |
Peu ou pas du
tout fier |
31
|
11
|
23
|
14
|
13
|
6
|
Régions françaises
|
Lieu d'histoire
et de culture |
Commu-nauté
humaine |
Lieu de débat
politique |
Regroupement de
territoires |
Echelon
administratif |
Lieu de
développement éco-nomique |
Ensemble |
44 |
12 |
4 |
13 |
4 |
21 |
Très fier |
48 |
14 |
4 |
9 |
2 |
20 |
Plutôt fier |
44 |
12 |
4 |
13 |
3 |
22 |
Peu ou pas du
tout fier |
33
|
10
|
8
|
23
|
8
|
17
|
Le premier tableau traite de la Wallonie. Le second, de la moyenne des
régions françaises. Très clairement, lorsque l'on se sent "très fier" de sa
région, on est encore plus porté, en France comme en Wallonie, à valoriser son
héritage historique et culturel. La notion d'un territoire, lieu de mémoire, est tout à
fait forte dans toutes ces régions, très en relation avec la fierté d'appartenance
puisque cette image croît de 10 points environ selon que l'on se sent peu fier de sa
région ou au contraire, très fier. Le sentiment de former une communauté humaine est un
sentiment qui traverse tous les segments de la population wallonne sans qu'il soit
sensiblement lié à une fierté d'appartenance. En France, ce sentiment fait bouger peu
de choses. Mais, en Wallonie comme en France, la fierté d'appartenance neutralise l'image
politique de la région. Autrement dit, plus on est fier d'appartenir à sa région, moins
on la voit comme un lieu de débat politique. Alors, en France, comme de toute façon, on
la voit rarement comme un lieu de débat politique, le mouvement est très faible. Mais
dans le cas de la Wallonie, il est très important. Lorsqu'on est très fier d'être
Wallon, on évoque donc la région comme lieu de débat politique à 11 %, lorsqu'on
n'est pas fier du tout, à 23 %. Comme si et je vous livre cela comme
réflexion parce que ce sont les mêmes choses que l'on voit en France le
régionalisme, dans sa formulation positive et porteuse, gagnait plus à être associé à
des images culturelles ou économiques car en France, elles sont
économiques qu'à des images politiques. Et pour les études que j'ai faites
en France, on voit bien que le régionalisme a, dans le champ politique, un positionnement
consensuel : que ce soit mes amis politiques ou au contraire mes adversaires qui
gouvernent ma région, en France, cela est secondaire pour juger du projet régional. Les
attentes à légard des scènes régionales seraient-elles différentes de celles
qui concernent les scènes nationales ? Les visions positives seraient-elles plutôt
de nature culturelle ou de nature économique, éventuellement combinant les deux ?
Ce qu'on a envie de dire, c'est qu'il y a bien un effet mobilisateur
des identités régionales, mais au service d'une idée régionale à la fois de mémoire
du passé et de développement du futur.

Deuxième question : la
fierté dappartenance renforce-t-elle loptimisme à légard des atouts
de sa région ?
Tableau 3
Lévolution des atouts de la région
Comparaison Wallonie/régions françaises (en %)
|
Wallonie |
Régions
françaises |
Ma région est
dynamique |
48 |
73 |
Je suis
"très" ou "plutôt" optimiste quant à lavenir de ma région |
41
|
67
|
Ma région est
bien placée dans le développement de lEurope |
40
|
63
|
Je suis
"très" ou "plutôt" optimiste quant à lavenir du
fonctionnement de la démocratie dans ma région |
37
|
54
|
Si l'on compare, en Wallonie et dans les régions françaises, les
résultats de questions où l'on demande aux habitants de se prononcer sur les atouts de
leur région, "ma région est dynamique", "je suis très ou plutôt
optimiste quant à l'avenir de ma région", "ma région est bien placée dans le
développement de l'Europe", "je suis très ou plutôt optimiste quant à
l'avenir du fonctionnement de la démocratie", on observe tout dabord un
décalage entre les niveaux dopinions positives en Wallonie et dans les régions
françaises. Prenons ce décalage avec circonspection. J'ai évoqué cette différence de
climat d'opinion, de climat politique. Rien ne dit que les enquêtes françaises de
septembre 1999 retrouveront ces niveaux. Ce qui m'intéresse, c'est que l'ordre des
jugements positifs est strictement le même en Wallonie et dans les régions françaises.
Là où se fait le maximum de ralliement, c'est sur le dynamisme des territoires. C'est
ensuite l'optimisme quant à l'avenir régional. Puis, quand on arrive à une relation
entre sa région et la politique que ce soit à propos de l'Europe ou du
fonctionnement de la démocratie régionale, la proportion des jugements positifs a
tendance à se tasser un peu, tant dans les régions françaises qu'en Wallonie. Vous
voyez, dans l'euphorie française, 73 % de dynamisme régional mais uniquement
63 % de "je suis bien placé dans l'Europe", 54 % de "la
démocratie fonctionne bien dans ma région". Donc, au delà des différences de
scores, la hiérarchie des résultats aux questions de ce tableau suggère bien une
homologie des représentations des atouts des régions françaises et wallonne.
Que va donner le sentiment, la fierté d'appartenance à la
région ? Va-t-il modifier sensiblement ou non la représentation des atouts ?
Très clairement, oui et, comme vous allez le voir, encore plus en Wallonie que dans les
régions françaises.
Tableau 4
Fierté dappartenance régionale et évaluation des atouts de la
région
(en %)
|
Ma
région est plutôt dynamique |
Ma
région est bien placée dans le développement de lEurope |
|
Wallonie |
Régions
françaises |
Wallonie |
Régions
françaises |
Ensemble |
48 |
73 |
40 |
63 |
Très fier |
58 |
80 |
54 |
66 |
Plutôt fier |
53 |
73 |
42 |
64 |
Peu ou pas du
tout fier |
30 |
56 |
20 |
56 |
Ecart très
fier/peu ou pas du tout fier |
28
|
24
|
34
|
10
|
|
Je
suis optimiste quant à lavenir de ma région |
Je
suis satisfait du fonctionnement de la démocratie dans ma région |
|
Wallonie |
Régions
françaises |
Wallonie |
Régions
françaises |
Ensemble |
41 |
67 |
37 |
54 |
Très fier |
52 |
70 |
45 |
66 |
Plutôt fier |
43 |
70 |
43 |
65 |
Peu ou pas du
tout fier |
29 |
52 |
18 |
48 |
Ecart très
fier/peu ou pas du tout fier |
23
|
18
|
27
|
18
|

Si je reprends la question "ma région est plus dynamique",
en Wallonie, 48 % des personnes interrogées ont dit "je suis d'accord avec ce
jugement". Ce 48 %, point moyen, varie de 58 % (+ 10) lorsqu'on est très
fier d'être wallon à 30 % lorsqu'on n'en est pas très fier. Il y a, selon
l'intensité de la fierté dappartenance, 28 points de différence dans les
jugements que l'on porte sur le dynamisme de sa région. Sur cet autre acquis fondamental
qui est "la Wallonie est bien placée dans le développement de l'Europe",
jugement positif pour 40 % des Wallons en moyenne, il est de 54 % si on est
"très fier" d'être wallon, mais n'est plus que de 20 % si l'on n'éprouve
pas de fierté à l'idée d'être wallon : 34 points de différence dans le jugement
que l'on porte sur les atouts de la Wallonie dans l'espace européen, en fonction de cette
dimension de sentiment d'appartenance !
Même chose sur l'optimisme quant à lavenir régional :
lorsqu'on est très fier, on est à 52 % optimiste pour la Wallonie. Lorsqu'on n'est
pas très fier, on ne l'est qu'à 29 %. On peut multiplier les mesures et vous
remarquerez que ce mouvement-là, on le retrouve dans les régions françaises mais très
atténué, c'est-à-dire que la variance qui est produite par ce sentiment de fierté est
de l'ordre de 25 à 30 points en Wallonie, mais de 10 à 15 points en France.
Lhypothèse quune mobilisation des ressources identitaires est, pour les
acteurs publics, un moteur de soutien à l'action qu'ils mènent et à l'institution
qu'ils incarnent se trouve confortée par ces résultats.
Après les images, après les jugements pour les atouts, troisième
question : la
fierté d'appartenance accroît-il le désir de poursuite de la régionalisation ?
Le débat existe en Wallonie, il existe en France. Est-ce qu'il faut aller plus loin
dans les compétences transférées ? Alors, là, nous avons jugé prudent, avec
André Paul Frognier, d'adapter le questionnement aux cas wallon et français qui ne sont
pas exactement équivalents en termes de transferts actuels de compétences.
Tableau 5
Attitude à légard de la décentralisation (en %)
Wallonie
"Pensez-vous que la Wallonie
"
|
Na pas
assez de compétences |
A des
compétences suffisantes |
A reçu trop de
compétences |
NSP |
Ensemble |
35 |
46 |
6 |
13 |
Très fier
|
36
|
46
|
5
|
12
|
Plutôt fier |
33 |
50 |
4 |
13 |
Peu ou pas du
tout fier |
36 |
39 |
14 |
11 |

Régions françaises
"Pensez-vous que la politique de décentralisation et de
régionalisation
"
|
Devrait être
développée |
A atteint un
niveau suffisant |
A été trop
développée |
NSP |
Ensemble |
55 |
26 |
12 |
7 |
Très fier
|
55
|
25
|
12
|
8
|
Plutôt fier |
55 |
27 |
11 |
6 |
Peu ou pas du
tout fier |
53 |
23 |
17 |
7 |
On voit que, en Wallonie comme en France, la régionalisation est
irréversible pour les populations. Ce ne sont que d'infimes minorités qui regrettent les
transferts de compétence décidés à cette occasion, donc, n'en parlons même pas. Le
débat se trouve entre ceux qui disent "utilisons ce qu'il y a" et ceux qui
disent "il faut aller plus loin". On peut ne pas être surpris, quand on
connaît l'ampleur, la diversité, lautonomie des compétences wallonnes
c'est incomparable par rapport aux régions françaises , que le
pôle dominant soit constitué par ceux qui disent "ces compétences sont
suffisantes". Mais je trouve intéressant, dans ce contexte, qu'il y ait encore plus
d'un tiers des Wallons (35 %) qui se révèlent favorables à la poursuite du
mouvement de transfert. En France, je vous le rappelle, ce sont des compétences
spécialisées, partagées, très compliquées à mettre en uvre. La polarisation
majoritaire est "il faut les développer". Les Français se rendent compte qu'il
s'est bien passé des choses positives et un quart seulement (26 %) dit quil
faut rester en létat du transfert actuel. Chose intéressante dans les cas wallon
et français : le jugement que l'on porte sur l'opportunité ou non de poursuivre la
régionalisation n'est pas organisé en fonction du sentiment de fierté que l'on a à
l'égard de sa région. Ce sont deux dimensions qui relèvent de champs tout à fait
différents. Parce que je crois que la fierté renvoie au registre de l'affectif et du
symbolique, et que le jugement sur léventuelle poursuite de la régionalisation
relève de la rationalité et éventuellement aussi de la sensibilité politique
que nous ne sommes pas en mesure de mesurer. Mais on voit bien qu'il n'y a pas de relation
entre sentiment d'appartenance et souhait de développement des compétences.
En revanche, il y a bien une relation entre intensité de la fierté
d'appartenance et attente de plus en plus forte à l'égard de l'action régionale.
Tableau 6
Fierté dappartenance régionale et demande daction sectorielle
des régions :
hiérarchie des secteurs considérés comme "très prioritaire"
(en %)
|
Wallonie |
Régions
françaises |
|
Très fier |
Ecart à la
moyenne |
Très fier |
Ecart à la
moyenne |
La formation professionnelle et
lapprentissage |
65
|
+12
|
56
|
+4
|
Lenvironnement |
64 |
+12 |
50 |
+5 |
Lenseignement supérieur et
la recherche |
62
|
+9
|
44
|
+4
|
Le domaine sanitaire et social |
62
|
+12
|
40
|
+5
|
Les écoles (les lycées) |
56 |
+11 |
46 |
+4 |
Laide aux entreprises |
55 |
+17 |
39 |
+4 |
Le domaine des nouvelles
techniques dinformation et de communication |
41
|
+9
|
|
|
Les routes |
|
|
40 |
+5 |
Plus l'on se sent fier d'appartenir à sa région, plus on développe
des attentes lourdes à l'égard des gouvernants qui ont en charge les politiques
régionales. Vous avez sur ce tableau les huit domaines d'action sectorielle
qui sont d'ailleurs communs à la Wallonie et aux régions
françaises et qui font l'objet d'attentes les plus fortes en Wallonie et en
France. Vous verrez d'ailleurs et cela me paraît tout à fait intéressant
pour notre réflexion commune que ce sont les mêmes domaines qui sont jugés
prioritaires pour laction, qu'il s'agisse d'une région wallonne ou de régions
françaises : c'est d'abord en termes d'éducation et de formation qu'on attend les
gouvernements régionaux, puis en termes de protection de lenvironnement les
problèmes de pollution que nous partageons tous. Vient ensuite l'aspiration au
développement des équipements sanitaires et sociaux qui indique une attente de
participation des régions aux politiques de Welfare très nette en la
Wallonie et dans les régions françaises. La seule différence est que vous avez
indiscutablement, en Wallonie, des attentes à l'égard des nouvelles techniques
d'information et de communication qui n'existent pas dans les régions françaises (même
pas en Ile-de-France ou en Rhône-Alpes). A leur place les Français demandent des routes
en raison du fort sentiment denclavement de nombreuses régions. Mais si on laisse
de côté ces deux derniers secteurs, vous voyez à quel point ce sont les mêmes attentes
qui sont partagées par les citoyens. Et vous voyez aussi à quel point le fait de se
sentir fier d'être Wallon ou fier dappartenir à sa région en France augmente
considérablement le niveau des attentes : dans des proportions qui sont toujours de
+ 10, + 12 en Wallonie par rapport à la moyenne sur chacun des domaines, de
+ 5, + 4 en France. Autrement dit, l'identité régionale est un des éléments
qui supporte laction régionale.
Dernier point de mon exposé : la
fierté dappartenance régionale contribue-t-elle au développement du capital de
crédibilité des institutions régionales ? Ce qui est intéressant, c'est
que la réponse est plutôt non : il ny a pas de relation entre ces variables,
que ce soit en Wallonie, que ce soit dans les régions françaises. Les institutions
régionales il faudra d'ailleurs qu'on se demande pourquoi ne bénéficient
pas d'un surcroît de légitimité et de crédibilité de la part des citoyens qui sont
les plus attachés à leur région.
Tableau 7
Fierté dappartenance régionale et évaluation dun projet
régional (en %)
|
Wallonie |
Régions
françaises |
Ensemble |
42 |
55 |
Très fier
dêtre de
|
46 |
59 |
Plutôt fier
dêtre de
|
49 |
59 |
Peu ou pas
fier du tout dêtre de
|
46
|
61
|
Je ne suis pas du tout une spécialiste qualifiée pour parler de la
Belgique et de la Wallonie mais, en tout cas, je peux vous dire que, pour la France, c'est
extrêmement intéressant. Nous avons un problème qui s'exprime de manière récurrente
en France. Nous l'appelons "crise de la représentation" : c'est un
phénomène un peu général dans tous les pays d'Europe de distance prise par les
citoyens à légard des institutions et de leurs acteurs. On a cru que ces nouveaux
gouvernements régionaux, plus proches des citoyens, plus prêts à exercer des politiques
répondant précisément à leurs attentes, allaient échapper à cette crise de la
représentation et qu'il y aurait des transferts de mobilisation des citoyens, au niveau
des régions. Ce qui est clair, depuis quinze ans que nous faisons tous les ans en France,
à l'OIP, des études de cette nature auprès des régions, c'est qu'on ne voit rien
frémir qui conforte cette hypothèse. Les régions en France sont atteintes, comme les
autres échelons politiques pas plus, mais pas moins par cette crise,
cette prise de distance des citoyens vis-à-vis de leurs gouvernants. Nous en avons eu une
illustration cuisante, il y a exactement un an, en mars 1998, puisque, aux élections
régionales, le taux record d'abstention a été battu, non seulement par rapport aux
précédentes élections régionales mais aussi par rapport aux élections législatives
que nous venions d'avoir un an avant. On ne peut donc pas dire que ce frémissement
identitaire aux effets assez convaincants quand il s'agit de juger des atouts
de sa région et de supporter laction régionale soit, pour le moment,
une ressource de mobilisation à l'égard des institutions et des acteurs politiques qui
sont en charge de l'action régionale. Ce que je constate me fait dire que les Français
se comportent en spectateurs bienveillants, et souvent satisfaits, de l'action régionale
mais jamais en acteurs potentiels de la régionalisation, cest à dire désireux de
participer aux débats sur le devenir régional. Il ny a pas vraiment de signes qui
nous permettrait de dire que les Français sont prêts à se mobiliser en faveur d'une
scène politique régionale, de participer à des débats politiques régionaux.
En conclusion, je dirai quen France, l'effet mobilisateur des
identités en faveur des institutions et des acteurs régionaux na pas atteint un
seuil suffisant pour que nos enquêtes permettent de lidentifi=er et de
lanalyser.
Elisabeth Dupoirier
1. La
fierté d'appartenance à la région a-t-elle un effet positif sur les images que l'on a
de sa région ?
2. La
fierté dappartenance renforce-t-elle loptimisme à légard des atouts
de sa région ?
3. La
fierté d'appartenance accroît-il le désir de poursuite de la régionalisation ?
4. La
fierté dappartenance régionale contribue-t-elle au développement du capital de
crédibilité des institutions régionales ?
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