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La Wallonie et les régions françaises,
Approche comparée des identités régionales

  Enquête 1998


 

- 1998 - Identités régionales : index
- Introduction par Philippe Destatte
- Fiche technique
- Questions et graphiques de l'enquête 1998
- Etude comparative par Mme Elisabeth Dupoirier
- Communiqué de presse 22.04.1999
 

Essai de typologie des régions basée sur les attitudes identitaires et
analyse de quelques variables illustratives

André-Paul Frognier
Promoteur du Point d'Appui interuniversitaire sur l'Opinion publique et la Politique (PIOP)
Responsable de l'Unité de Science politique et de Relations internationales de l'Université catholique de Louvain (UCL)

Je voudrais vous faire part d'une analyse très globale de nos résultats sur l'ensemble des régions, c'est à dire sur un très gros fichier d'individus qui ont été interrogés en France et en Wallonie, un fichier d'environ 13.000 individus, dans lequel il y a environ 600 Wallons.

Dans les mesures générales que je vais vous montrer, il est évident que le poids des personnes interrogées en France est plus important que le poids des personnes interrogées en Wallonie. J'essayerai cependant de situer les régions individuellement dans cet ensemble et de procéder à quelques observations sur la place particulière de la Wallonie dans certaines analyses.

Je me bornerai ici à offrir une mesure de l'identité régionale, à comparer les régions par rapport à cette mesure et à étudier les rapports entre cette mesure et quelques variables explicatives.

Sur le plan méthodologique, nous avons suivi une démarche classique en science politique.

On trouve dans le questionnaire une série de neuf questions qui tournent autour du problème de l'identité, questions dont nous pouvions supposer au départ qu'elles forment ce que nous appelons une "échelle d'attitude". Que signifie ce terme ? Cela veut dire qu'il y a un éventail d'opinions dont certaines sont relativement polarisées et certaines relativement neutres et, parmi les premières, des opinions fort identifiées et des opinions qui s'opposent à cette identification régionale. On représente, en général, une attitude par un U ou un V. Les attitudes polarisées se retrouvent dans les parties supérieures du U et les avis plus neutres sont représentés par la partie inférieure du U.

Il s'agit tout d'abord de questions qui ont un contenu affectif (la fierté d'être de la région, la reconnaissance d'avoir des intérêts communs avec les autres habitants de la région, se sentir proche des autres habitants de la région). Nous avons aussi des données ayant un contenu évaluatif (la croyance dans le bon fonctionnement de la démocratie dans la région, la reconnaissance qu'il n'y a pas assez de compétences données à la région, l'optimisme quant à l'avenir de la région). Et enfin, nous avons des variables cognitives (la connaissance du nom de la région, la connaissance du nom de la capitale de la région et enfin, la connaissance du nom du président ou du ministre-président de la région).

Nous avons analysé, à l'aide d'une méthode mathématique et statistique relativement sophistiquée – l'"analyse des correspondances multiples" –, les réponses à ces neuf questions pour savoir tout d'abord si ces neuf questions possédaient une homogénéité telle qu'elles pouvaient renvoyer à une attitude sous-jacente que nous aurions pu légitimement appeler "identité régionale".

Nous avons en fait observé qu'une telle attitude existait bien pour les 6 premières variables dont je vous ai parlé, c'est-à-dire les variables plutôt affectives et les variables plutôt évaluatives, mais par contre, qu'il n'y avait pas de relation entre ces données et ce qui concerne la connaissance du nom de la région, de la capitale et du ministre-président. Cela veut dire que nous nous trouvons en face de deux échelles d'attitude par rapport à ces problèmes et nous ne pouvons trouver une attitude d'identité que dans les 6 premières questions dont je vous ai parlé.

Quels sont les résultats de l'analyse ?

Nous avons ici une projection dans un espace à deux dimensions des réponses des 13.000 individus qui ont été interrogés par l'OIP et par nous, sur ces 6 questions.

 

Analyse du tableau 1

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Ceux qui pratiquent les analyses de données reconnaîtront ici deux "facteurs" ou "dimensions". Le facteur horizontal distingue ceux qui sont les plus identifiés à la région et ceux qui refusent le plus cette identification. Le facteur vertical représente l'intensité de ce sentiment. Plus on est haut, plus il y a une intensité du sentiment. Plus on est bas, moins il y a intensité de ce sentiment.

L'ensemble de la figure représente bien une structure en U ou en V. C'est une représentation que nous considérons, sur un plan méthodologique, assez bonne, ce qui nous permet d'affirmer qu'il y a bien une attitude sous-jacente d'identité régionale. Nous avons d'un côté (au sommet de la branche droite du U) des gens qui disent qu'ils se sentent très proches des autres habitants de la région, qui considèrent que la démocratie régionale marche très bien, qui sont tout à fait optimistes quant à l'avenir de la région, qui trouvent qu'il y a beaucoup d'intérêts communs avec les autres habitants de la région et qui sont très fiers de vivre dans leur région. Et de l'autre côté (au sommet de la branche gauche du U) , nous avons des gens qui sont tout à fait pessimistes sur la région, pas proches du tout de la région, qui pensent qu'il n'y a pas du tout d'intérêts communs avec les autres habitants de la région, qui trouvent que la démocratie dans la région ne fonctionne pas bien du tout et qui ne sont pas fiers du tout d'appartenir à la région.

Ce qui va nous intéresser plus particulièrement, c'est de savoir comme se profilent en superposition sur ce graphique les régions prises individuellement et plus particulièrement la Wallonie.

 

Analyse du tableau 2

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Nous avons constaté avec étonnement que si la Corse et la Bretagne sont des régions qui ont une identité très forte, la Wallonie est la région dont l'identité régionale est la plus contestée (bien que l'intensité du sentiment ne soit pas aussi élevée que celle du sentiment inverse pour les deux régions françaises).

Malgré l'histoire plus conflictuelle de la région wallonne, malgré les compétences plus importantes de la région wallonne par rapport à celles des régions françaises, l'identité régionale wallonne est moins établie que celle de ses consœurs françaises. Ce résultat, qui est incontestable si l'on accepte la validité des questions posées, doit cependant être nuancé de deux manières. Premièrement, l'enquête française a été réalisée dans une période d'euphorie sociétale assez exceptionnelle que l'on ne retrouve pas en Wallonie. Deuxièmement, l'identité nationale (belge) est aussi très faible en Wallonie par rapport au niveau de l'identité nationale (française) en France, de telle sorte que ce sont les deux identités qui sont comparativement faibles par rapport à la France.

Nous avons exécuté les mêmes analyses en ce qui concerne les questions cognitives.

 

Analyse des tableaux 3 et 4

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Nous avons ici une représentation unidimensionnelle : les gens qui d'un côté connaissent bien et le nom de la région, le nom de la capitale, et le nom du ministre-président ou du président de région et ceux qui ne les connaissent pas. Et nous avons ici aussi projeté sur cet espace, les différentes régions. Elles figurent à peu près sur une ligne.

L'on constate que la Wallonie se retrouve du côté où l'on connaît très peu les noms de la région, de la capitale et du ministre-président. Elle n'occupe pas la position la plus extrême qui est occupée par la région du Centre en France mais elle se trouve très éloignée des régions françaises où l'on répond très positivement à ces questions. Ce sont des questions relativement simples et malgré cela, on constate qu'il y a un déficit de connaissance étonnant parmi notre population et tout particulièrement, sur la connaissance du nom de la région. Environ 3/4 des Wallons n'ont pas été capables de répondre à la question " quel est le nom de la région dans laquelle vous habitez ?" par les mots "région wallonne" ou "Wallonie" (contre 1/2 en France). Pour la capitale, un Wallon sur deux ne donne pas la bonne réponse (contre un peu plus d'1/3 en France). Par contre, les Wallons connaissent un peu mieux le nom du ministre-président de la région wallonne que les Français ne connaissent le nom de leur président de région.

Je vais revenir maintenant à l'ensemble du fichier des 13.000 individus sans plus distinguer les régions mais vous devez garder la représentation de l'échelle des 6 questions en mémoire parce que les données que je vais vous montrer peuvent y être superposées pour étudier leur relation avec l'identité régionale.

Nous nous sommes d'abord demandé si cette attitude d'identité régionale a quelque chose à voir avec le sexe et avec l'âge. On constate en fait qu'il n'y a pas de relation par rapport au sexe - plus les données se situent dans les figures autour du zéro, moins il y a de relation - mais il y a néanmoins une relation de l'intensité des attitudes, du facteur vertical, avec l'âge. Plus on est jeune, moins l'intensité de l'identité est forte; les attitudes les plus fortes en ce qui concerne l'identité régionale se retrouvent assez clairement chez les plus âgés. Il y a une relation nette quoique de faible amplitude.

 

Analyse tableau 5 - Variables : Sexe et Age

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Deuxièmement, nous avons essayé de voir s'il y avait une relation entre l'identité régionale et le niveau d'éducation. On retrouve un phénomène à peu près identique que précédemment : il y a bien une relation entre l'intensité du sentiment et le niveau d'éducation : plus on a un niveau d'enseignement élevé, moins on ressent des sentiments intenses par rapport à ce problème.

 

Analyse tableau 6 - Variables : Diplômes

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Nous avons également essayé de rechercher la relation qu'il pouvait y avoir entre cette identité et deux autres questions qui font partie de l'ensemble des questions de l'OIP.

Il y a tout d'abord une question sur l'ancienneté de l'installation des gens dans la région : si on vit dans une famille qui est installée depuis longtemps dans la région, est-ce qu'on se sent plus identifié à cette région ? Et d'autre part, sur le même graphique, nous avons représenté l'évocation que le nom de la région entraîne. La région fait-elle référence pour les gens à une communauté humaine ? A une communauté d'histoire et de culture ? A un échelon administratif ? A un regroupement de départements ou de provinces ? A un lieu de développement économique ? Enfin, à un lieu de débat politique ?

Nous constatons d'abord que, comme on pouvait s'y attendre, les gens dont la famille est installée depuis toujours dans la région ont une attitude plus identifiée que ceux qui se sont installés eux-mêmes. Par ailleurs, on observe sur le graphique une relation positive entre l'identité régionale et l'image d'une communauté d'histoire et de culture, mais aussi une relation opposée entre l'identité régionale et l'image de la région comme lieu de débat politique. Pour les Wallons, l'évocation de la région est liée, plus que pour les régions françaises, à un lieu de débat politique. Et c'est un "contre-facteur" d'identité régionale…

 

Analyse tableau 7 - Variables : Installation familiale et Evocations

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Nous avons aussi examiné, toujours en superposition par rapport au données des tableau 1 et 2, les relations qu'il y avait avec une série d'attitudes relatives à l'Etat national et à l'Europe. Nous avons en effet, dans le questionnaire de l'OIP, des questions qui portent sur l'image que l'on a du bon fonctionnement de la démocratie dans l'Etat (Belgique ou France) ou en Europe. Nous avons aussi des questions sur la fierté d'être Belge ou Français ou la fierté d'être européen et, enfin, des questions sur l'optimisme quant à l'avenir de l'Etat (de la Belgique ou de la France) et l'avenir de l'Europe.

Comment toutes ces attitudes se conjuguent-elles avec notre échelle initiale d'identité régionale et la répartition des régions qui en découle ? Nous constatons que les plus identifiés à la région sont aussi ceux qui s'identifient le plus à l'Etat et à l'Europe. Inversement, le fait de ne pas vouloir s'identifier à la région est relativement lié aussi avec le fait de ne pas s'identifier à l'Etat ou à l'Europe. Ici, nous retrouvons encore un résultat que nous déjà observé dans plusieurs autres études comparatives : le fait de s'identifier à la région ne signifie pas une opposition par rapport à l'Europe et, ce qui peut étonner certains, à l'Etat national

Donc, il n'y a pas chez les gens une sorte d'opposition ou de conflit entre une identification régionale et une identification à l'Etat. Il y a au contraire une attitude générale d'identification à la région, à l'Etat et à l'Europe. Si l'on est fortement identifié à un de ces éléments, on est aussi identifié aux autres. L'identité régionale n'est pas une concurrente de l'identification nationale.

Je vous signale que la Wallonie qui possède en général des scores inférieurs aux régions françaises sur la plupart de ces sujets offre des résultats un petit peu supérieurs lorsque l'on aborde les questions européennes. Les Wallons se sentent en général un peu plus européens que les habitants des régions françaises.

 

Analyse tableau 8 - Variables : Démocratie nat., Fierté et optimisme nat. et eur.

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Il existe aussi dans le questionnaire de l'OIP des questions sur le sentiment de proximité que l'on ressent par rapport à sa génération, son milieu socio-professionnel, son département ou sa province et les habitants de sa ville ou de son village. Nous observons que le sentiment de proximité est un sentiment relativement général dont les différents éléments sont liés entre eux. Si on se sent proche des habitants de sa région, on se sentira proche aussi des autres habitants de son département, des habitants de sa ville et de son village et même de son groupe d'âge et de son milieu social. En d'autres mots, ici encore, il n'y a pas d'opposition entre ces proximités : il y a plutôt un sentiment général de proximité qui va s'exprimer dans toutes ses dimensions. Une nuance cependant pour la Wallonie : elle possède un score un peu supérieur quant à la proximité vis-à-vis du milieu socio-professionnel que les régions françaises.

 

Analyse tableau 9 - Variables : Proximités Age, Dépt/prov, Milieu S/P, Ville/village

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Enfin, nous avons introduit dans l'analyse une question sur l'optimisme quant à son avenir. On retrouve ici des réponses qui se superposent bien à notre échelle de départ et on constate que les gens qui sont tout à fait optimistes sur leur avenir sont aussi les gens qui s'identifient le plus à la région et que le fait de ne pas être optimiste ou plutôt pessimiste quant à l'avenir est un facteur d'inhibition de l'identité régionale.

 

Analyse tableau 10 - Variable : Optimisme sur soi

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En conclusion, notre étude offre un certain nombre de résultats surprenants. C'est là tout l'intérêt des études comparatives qui relativisent les résultats "nationaux", nous permettent de nous rendre compte du niveau réel de nos mesures et nous engagent à nous poser de nouvelles questions.

Tout comme c'est le cas pour les régions françaises depuis plus de dix ans, il serait hautement souhaitable que nous puissions, nous aussi, disposer de séries temporelles pour étudier les évolutions à long terme, nous garder des effets de conjoncture et "suivre" en même temps les transformations de l'identité régionale tout comme les effets des politiques régionales dans le public qui en constitue quand même l'utilisateur final…

  

L'auteur remercie, pour avoir permis la réalisation de ce travail :
Pierre Baudewyns et Mercedes Mateo Diaz,
Unité de Science politique et de Relations internationales,
Faculté de Sciences économiques, sociales et politiques,
Université catholique de Louvain

 

 

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