Un outil pour
mesurer l'identité régionale
Le débat sur lidentité régionale est, en Wallonie
depuis de nombreuses années , tout aussi permanent que récurrent, et connaît des
fièvres saisonnières. Il prend encore une plus grande acuité lorsquil sagit
denvisager le rôle des institutions régionales elles-mêmes dans le développement
de cette identité et pose, du reste, la question de la capacité juridique voire
constitutionnelle pour le gouvernement et le Parlement wallons dassumer ce
rôle. Il est vrai que, dès 1972, un débat sétait engagé avec la Communauté
culturelle française de Belgique, mais avec également le Conseil dEtat, sur la
possibilité pour la Wallonie de disposer de signes propres didentité, notamment
dun drapeau.
Cest que, en Belgique, où une réforme de lEtat
née dune histoire politique mouvementée et dun contentieux culturel profond
a tracé les sillons des communautés et des régions, on oublie trop souvent que
la dynamique régionale sest développée au moins dans lEurope entière.
Ainsi, du sud de lItalie au nord de la Norvège, des processus qui ne relèvent pas
nécessairement et de loin pour certains du fédéralisme ont mis en place
des régions. Ces entités publiques et administratives ont été définies par
lAssemblée des Régions dEurope comme étant le deuxième niveau dans la
pyramide des pouvoirs, cest-à-dire celui situé immédiatement en dessous de
lEtat central. Toutefois, le terme région qualifie également, et tout simplement,
le territoire sur lequel se manifeste ce pouvoir.
La fréquentation des rencontres internationales, lorganisation
de séminaires interuniversitaires, les échanges de plus en plus fréquents dans le cadre
de relations interrégionales ou transfrontalières nous familiarisent avec ces régions,
Länder ou provinces dont on découvre la proximité des attentes et des aspirations.

Il en est ainsi des régions de France. Alors que souvent leur image
extérieure reste celle héritée du jacobinisme de la Grande Révolution, celle
dune décentralisation artificielle et purement fonctionnelle, il faut constater,
depuis de nombreuses années, une familiarisation certaine des populations avec ces
collectivité territoriales qui, en 1982 à peu près au même moment que la
Wallonie , se trouvaient dotées par le législateur d'un conseil régional élu au
suffrage universel direct, élisant en son sein l'exécutif de la région. Certes, les
nuances restaient marquées et allaient saccentuer dès la réception des
compétences. Les différences allaient rester fondamentales en comparaison des
caractéristiques du fédéralisme belge et de lautonomie régionale wallonne que
lon dénomment équipollence des normes et exclusivité des compétences.
Nées sans réel débat, formes vides en raison du caractère
souvent artificiel de leur délimitation territoriale et du quasi non respect des
découpages historiques des provinces de l'Ancien Régime, tout comme de leurs
dénominations ancestrales, les régions françaises allaient-elles être condamnées à
nêtre que des échelons administratifs sans grande légitimité politique et à
lavenir purement fonctionnel ?
Le législateur français ne le souhaitait pas. Probablement conscient
de la nécessité de donner une visibilité à la région et de créer un espace de
mobilisation citoyenne par identification des habitants au territoire ainsi quaux
institutions de la région, il a formalisé cette nécessité dans larticle 59 de la
loi de décentralisation du 2 mars 1982, sous le titre Des droits et libertés des
régions. En effet, cet article dispose que le Conseil régional a compétence pour
promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de
la région et laménagement de son territoire, et pour assurer la préservation de
son identité, dans le respect de lintégrité, de lautonomie et des
attributions des départements et des communes.
Depuis, les conseils régionaux français ont multiplié les efforts
pour défendre et promouvoir une identité régionale, promouvoir un avenir qui ne soit
pas strictement lié à lavenir national, accroître loffre de sens régional
et créer un véritable lien entre les habitants de la région en valorisant ses
richesses, les politiques publiques régionales, laction de son administration et de
ses acteurs sociaux. Sont-ils parvenus à créer, maintenir, voir développer des
identités régionales fortes ? Cest ce que, dès 1985, lObservatoire
interrégional du Politique (OIP) a voulu mesurer.
En effet, créé par le Centre national de la Recherche scientifique
(CNRS) et la Fondation nationale des Sciences politiques à Paris, lOIP travaille
depuis cette époque en partenariat avec les conseils régionaux français pour recueillir
les données nécessaires à lanalyse des phénomènes politiques à léchelon
régional, sur base dun modèle développé et affiné sur le terrain avec plus de
vingt régions partenaires. Se servant de données dopinion, lObservatoire
interrégional du Politique réalise chaque année des enquêtes auprès dun
échantillon de 700 personnes par région, représentatives de l'ensemble de la population
régionale. Le modèle et les enquêtes ont pour objectifs d'offrir aux décideurs
régionaux un baromètre de lidentité régionale, un instrument de comparaison des
régions entre elles, des analyses sur des thèmes spécifiques ainsi que des évaluations
des politiques publiques régionales.

Sensibilisé par lInstitut Jules Destrée à la démarche de
lObservatoire interrégional du Politique, le gouvernement wallon, et plus
particulièrement son ministre-président Robert Collignon, a accepté dinscrire la
Wallonie dans le modèle danalyse des régions françaises. Dès lors, trois
partenaires se sont associés pour réaliser cette tâche : lObservatoire
interrégional du Politique, qui a mis son modèle et lensemble de ses données à
la disposition de lentreprise, le Point dAppui interuniverversitaire sur
lOpinion publique et la Politique (PIOP) du Unité de Science politique et de
Relations internationales de lUniversité catholique de Louvain, qui a mis ses
enquêteurs et chercheurs au service du projet, et enfin lInstitut Jules Destrée,
qui a coordonné le partenariat et assure la diffusion des résultats de la recherche.
Lenquête sest déroulée en septembre 1998 simultanément dans toutes les
régions françaises concernées et en novembre 1998 en Wallonie. Ainsi, un fichier de
données wallon a été créé et joint à la banque de données de l'Observatoire
interrégional du Politique (OIP) afin de comparer les indicateurs wallons à ceux des
régions françaises. On se souvient que la Wallonie, avec ses 3,2 millions d'habitants,
est une région qui, sur le plan de la population, se situe entre le Nord - Pas de Calais
et la région Pays de Loire, c'est-à-dire la cinquième à l'échelle des régions de
France, pour un territoire comparable à celui de la région de Champagne - Ardennes.
Lanalyse des résultats a fait lobjet dune première
table ronde qui sest tenue ce 9 avril 1999 à la Fondation nationale des Sciences
politiques à Paris, en collaboration avec le groupe Local et Politique de
lAssociation française de Science politique. La matière rassemblée permettra
encore de nombreuses analyses qui seront menées dans les prochains mois et, nous
lespérons, pourront être mises en perspective grâce aux données qui seront
collectées en 1999 et durant les années suivantes.
On ne saurait trop souligner, dune part, le fait que ces données
constituent, pour la première fois, une application du modèle de lOIP à une
région qui ne fait pas partie de lEtat français et que cela donne une dimension
nouvelle pour lapproche didentités liées à des régions de nature
institutionnelle différentes. Dautre part, cette recherche permet, pour la
première fois également, de disposer d'un indicateur afin de mesurer la réalité de
lidentité régionale wallonne à laune de régions culturellement ou
socio-économiquement proches, ce que les modèles limités à la Belgique nont pas
permis jusquici.
Enfin, comment ne pas se réjouir de la mise en place dun
véritable partenariat sur un projet à long terme par trois institutions scientifiques à
lexpertise et aux vocations dédicacées à la connaissance de la région.
Lespoir est grand, compte tenu des perspectives de recherches, de voir dautres
institutions sassocier à cette dynamique si riche, pour creuser le champ de la
connaissance et létendre à dautres régions dEurope. Cest donc,
nous lespérons, à la mise en place dun réseau de recherche sur identité
régionale, que nous assistons aujourdhui. Que lensemble des conseils
régionaux français qui y ont déjà participé et la région Wallonie en soient
remerciés.
Philippe Destatte,
Directeur de lInstitut Jules Destrée,
Wallonie=