La
province : une institution à redéfinir?
Rapport préliminaire au séminaire du 30
janvier 1996 (1/4) - (1996)
Partie 2 -
Partie 3 -
Partie 4
Joël Hodeige et Anne Borghs,
assistants à la Faculté de Droit de
l'Université de Liège,
sous la direction du Professeur
Michel Herbiet
Introduction
La province, cette
institution dont l'origine est à rechercher bien avant la naissance du royaume
de Belgique, fait l'objet de multiples critiques émanant de toutes parts.
Certains dénoncent son
caractère peu démocratique, obsolète ou encore son fonctionnement obscur et
oligarchique, et réclament une réforme en profondeur de l'institution. La
province devrait répondre à tous les critères actuels en matière de démocratie
et de transparence; elle pourrait même servir de modèle pour les autres
institutions.
D'autres vont jusqu'à
remettre en question l'existence-même d'une institution qui n'aurait plus,
maintenant que la régionalisation est presque menée à son terme, de véritable
raison d'être. Le débat n'est pas nouveau mais son épilogue ne peut désormais
plus attendre.
Ce séminaire a donc pour
objectif une réflexion sur le devenir de l'institution provinciale. Cependant,
son sort ne pourra être réglé qu'après avoir bien cerné toutes les données du
débat. L'objet du présent rapport est d'éclairer le participant sur tous les
facteurs qui devront être pris en considération lors de la réflexion sur le sort
éventuel de la province au sein de la Belgique contemporaine.
Nous resituerons tout
d'abord l'institution dans l'écheveau constitutionnel et législatif belge afin
de mieux percevoir la place qu'elle occupe dans le système institutionnel, mais
également d'identifier les textes qui demandent à être modifiés en cas de
révision de son statut.

Un bref historique des
provinces nous éclairera ensuite sur l'origine et la raison d'être de certains
aspects de l'organisation et du fonctionnement des provinces.
Nous nous attacherons
alors à établir un relevé synthétique et analytique des diverses missions à
charge des provinces. Celles-ci seront classées selon le cadre juridique dans
lequel elles s'exercent, à savoir la déconcentration, la décentralisation par
service ou la décentralisation territoriale (1).
Cette classification revêt une importance capitale pour déterminer l'autorité
compétente, les modes de gestion à sa disposition, son autonomie, les contrôles
qui s'exercent sur elle. Elle fournit les données essentielles pour juger de
l'opportunité de maintenir telle ou telle mission dans le giron provincial.
Nous tenterons enfin de
poser les jalons du débat en émettant diverses réflexions critiques sur
l'institution provinciale et son fonctionnement. Ces réflexions devraient
pouvoir alimenter les discussions des divers ateliers de travail qui devraient
déboucher sur des propositions de réponses à la question de l'avenir des
provinces.
Ce séminaire présente un
enjeu de taille. Le sort des provinces ne doit pas être réglé dans la
précipitation et l'ignorance. La décision finale doit être le fruit d'un long
mûrissement au cours duquel aucun facteur ne doit être omis ou écarté. Elle
devra être le résultat d'une réflexion scientifique objective, menée loin de
toute passion politique.

Chapitre 1 : Repérage
législatif
Joël Hodeige,
Assistant à la Faculté de Droit de l'Université de Liège
1. Fondements
constitutionnels
L'institution provinciale
constitue un des piliers de la Constitution belge. Ainsi, nous la retrouvons
mentionnée aux articles 5, 6, 7 du titre 1er de la Constitution intitulé De
la Belgique fédérale, de ses composantes et de son territoire.
Les provinces sont donc
des composantes à part entière de la Belgique. Depuis la révision de la
Constitution en 1992-1993, elles apparaissent cependant comme des subdivisions
des régions plutôt que de l'Etat belge, ainsi que l'énonce en effet
l'article 5 : La Région wallonne comprend les provinces suivantes : le
Brabant wallon, le Hainaut, Liège, Luxembourg et Namur. La Région flamande
comprend les provinces suivantes : Anvers, le Brabant flamand, la Flandre
occidentale, la Flandre orientale et le Limbourg... Il est à noter que,
depuis cette révision constitutionnelle, la Belgique compte désormais 10
provinces et non plus 9. L'ancienne province du Brabant s'est en effet vue
scindée en deux nouvelles provinces : le Brabant wallon et le Brabant flamand.
Le territoire bruxellois
ne forme pas une nouvelle province; les compétences de l'ancienne province du
Brabant appartiennent en effet, en vertu de l'article 163 de la Constitution,
aux Communautés française et flamande et à la Commission communautaire commune,
chacune en ce qui concerne les matières relevant de ses compétences. Toutefois,
en vertu de l'alinéa 2 du même article, une loi spéciale peut régler les
modalités suivant lesquelles les compétences en certaines matières peuvent être
transférées à la Région de Bruxelles-Capitale ou à une institution dont les
membres sont désignés par celle-ci.
Les articles 5, 6, 7 de
la Constitution énoncent que le découpage du territoire en provinces, le
découpage interne des provinces et la fixation de leurs limites relèvent du
législateur fédéral. L'article 5 prévoit même qu'une loi à majorité spéciale
peut soustraire certains territoires dont elle fixe les limites, à la division
en provinces, les faire relever directement du pouvoir exécutif fédéral et les
soumettre à un statut propre.

L'article 41 constitue la
base de la décentralisation territoriale tant pour les communes que pour les
provinces et renvoie aux principes énoncés à l'article 162. Il attribue aux
conseils provinciaux la gestion des intérêts exclusivement provinciaux.
L'article 162 attribue au
législateur fédéral la compétence de régler les institutions provinciales; il
est notamment tenu de consacrer les principes énoncés à son deuxième alinéa.
Ainsi, la loi règle l'élection directe des conseillers provinciaux (1°). Elle
consacre le principe de la décentralisation territoriale (2°) déjà énoncé à
l'article 41, tout en attribuant également certaines missions aux provinces via
la décentralisation par service (3°). Elle instaure la publicité des séances des
conseils provinciaux et en fixe les limites (4°), de même qu'elle organise la
publicité des budgets et des comptes (5°). Enfin, elle met en place un système
de tutelle – nécessaire contrepartie de la décentralisation – pour empêcher que
la loi ne soit violée ou l'intérêt général blessé (6°).
Toutefois, l'alinéa 3
permet qu'une loi à majorité spéciale puisse céder aux conseils de communauté ou
de région la compétence de régler l'organisation et l'exercice de cette tutelle
administrative sur les provinces. Cette possibilité a été utilisée, ainsi que
nous le verrons ci-dessous, de sorte que la tutelle relève désormais de la
compétence régionale.
De la même manière,
l'alinéa 4 prévoit que le législateur spécial puisse céder aux conseils de
communauté ou de région la compétence de régler les conditions et le mode
suivant lesquels plusieurs provinces peuvent s'entendre ou s'associer. De
nouveau, le législateur spécial a fait usage de cette faculté en transférant aux
conseils régionaux la compétence en matière d'associations de provinces. Bien
que nous reviendrons sur le problème des associations de provinces, notons déjà
qu'aucun décret ne règle jusqu'à présent cette matière, ni d'ailleurs aucune loi
fédérale antérieure à cette récente "régionalisation" (2).

L'article 159 prévoit
"l'exception d'illégalité". Aux termes de cet article, les cours et tribunaux
n'appliqueront notamment les arrêtés et règlements provinciaux qu'autant qu'ils
seront conformes aux lois (SL).
L'autonomie fiscale
provinciale, tant décriée à l'heure actuelle (3),
trouve son fondement constitutionnel à l'article 170 § 3 qui énonce que les
charges et impositions provinciales ne peuvent être établies que sur décision du
Conseil provincial.
Les alinéas 2 et 3
viennent cependant tempérer cette autonomie fiscale du Conseil provincial en
précisant que la loi peut prévoir des exceptions à ce principe et qu'elle peut
supprimer en tout ou en partie les impositions établies par la province.
L'article 173 confère aux
provinces, en des termes obscurs qui sont le fruit de révisions répétées, un
pouvoir de rétribution à l'égard des citoyens.
L'article 190, enfin,
impose la publication des arrêtés ou règlements d'administration provinciale
pour que ces derniers revêtent un caractère obligatoire.

2. Lois de
réformes institutionnelles
L'article 6 § 1er VIII 1°
de la loi spéciale du 8 août 1980 transfère aux Régions, sur base de l'article
162 alinéa 4 de la Constitution, la compétence de régler les associations de
provinces. Mais comme nous l'avons déjà dit plus haut, le législateur régional
n'a pas, jusqu'à présent, usé de cette compétence. Signalons cependant qu'une
province peut participer à une association de communes en vertu de l'article 2
de la loi du 22 décembre 1986 (4).
Cette participation peut même être majoritaire et emporter la présidence des
organes d'administration (5)
et de contrôle.
Il est également à noter
que le législateur spécial ne fait aucune mention de l'entente entre provinces
alors que l'article 162 alinéa 4 lui offre également la possibilité de
régionaliser cette compétence.
Le 2° de ce même article
confie aux Régions le financement général des provinces, c'est-à-dire le fonds
des provinces.
Le 3° fait quant à lui
référence au financement des missions à remplir par les provinces dans les
matières qui relèvent de la compétence des Régions. Ce financement se voit donc
également confié aux Régions.
L'article 7 de la loi
spéciale du 8 août 1980 confère aux Régions, sur base de l'article 162 alinéa 3
de la Constitution, l'organisation et l'exercice de la tutelle administrative
sur les provinces. C'est ainsi que le décret wallon du 20 juillet 1989 organise
la tutelle sur les provinces de la Région wallonne et le décret du 22 février
1995, celle sur les provinces de la Région flamande.

L'article 16 de la loi
ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles a pour fondement
l'article 170 § 3 de la Constitution précité. Puisque les entités régionales se
voyaient à l'époque dotées d'une fiscalité propre, il avait pour objectif de
supprimer purement et simplement la capacité fiscale des provinces, afin
d'éviter l'instauration d'un niveau fiscal supplémentaire. Devant la difficulté
de son application, cet article fut modifié en 1982 pour en atténuer la portée.
La suppression de la fiscalité provinciale ne devait entrer en application
qu'après l'adoption d'une loi prévoyant les ressources de remplacement d'un
montant équivalent au rapport de leurs fiscalités existantes (6).
Cette loi n'a jamais été
adoptée à ce jour et la fiscalité des provinces n'a donc jamais été supprimée.
L'idée de supprimer les provinces en tant qu'entités politiques, qui avait été
abandonnée à l'époque, refait aujourd'hui surface et le pouvoir fiscal des
provinces est fortement remis en cause. Or, rien n'empêcherait le législateur
actuel de faire usage de cet article 16 qui reste toujours d'application, pour
leur retirer le pouvoir fiscal.
L'article 46 de la même
loi du 9 août 1980 stipule que les actes des autorités des provinces ne peuvent
être contraires aux décrets et aux règlements des Communautés et des Régions,
qui peuvent charger ces autorités de leur exécution. Cet article établit la
limite de l'autonomie provinciale et marque donc le caractère subordonné du
pouvoir provincial.

3. Loi
provinciale du 30 avril 1836
La loi organique des
provinces date du 30 avril 1836 et trouve son fondement à l'article 162 alinéa
1er de la Constitution (7).
Si elle a subi de
nombreuses modifications depuis son adoption, la loi provinciale n'a pas fait
l'objet d'un "lifting" équivalent à celui qu'a connu la loi communale en 1988.
Ainsi, parmi les 167 articles que compte la loi, plus de 60 d'entre eux sont
actuellement abrogés.
Nous n'allons pas
entreprendre ici une analyse de la loi provinciale. Tel n'est pas l'objet de
notre démarche. Nous nous contenterons d'en tracer les principales lignes
directrices et de mettre en lumière les modifications majeures qu'elle a connues
depuis son origine.
A première vue, sa
structure est assez semblable à celle de la loi communale. Elle fixe la
composition, les attributions et règle le fonctionnement des différents organes
qui composent l'institution provinciale. Ainsi, le titre premier traite des
autorités provinciales, le titre VI du Conseil provincial, le titre VII de la
députation permanente, le titre VIII du greffier provincial, le titre IX du
gouverneur et le titre X des commissaires d'arrondissement. Un titre XI contient
des dispositions transitoires relatives à la situation particulière du Brabant.
La concrétisation des
articles 41 et 162 al 2, 2° de la Constitution qui forment le fondement de la
décentralisation territoriale, se retrouve à l'article 65 alinéa 1 de la loi
provinciale. Cet article stipule que le Conseil provincial se prononce sur
toutes les affaires d'intérêt provincial.
L'article 117 de la loi
communale, qui en est le pendant pour l'institution communale, énonce, quant à
lui, que le conseil communal règle tout ce qui est d'intérêt communal. Puis il
poursuit en ces termes : ... il délibère sur tout autre objet qui lui est
soumis par l'autorité supérieure.

Cela signifie que le
conseil communal est non seulement responsable de la gestion de l'intérêt
communal, mais également qu'il peut se voir attribuer par une autorité
supérieure la gestion d'intérêts généraux confiés en décentralisation par
service.
A la lecture de la loi
provinciale, si l'on excepte le rôle qu'il joue dans la présentation des
candidats pour la nomination des conseillers des cours d'appel et des présidents
et vice-présidents des tribunaux de première instance (8),
le Conseil provincial semble n'avoir d'autre mission que la gestion de l'intérêt
provincial dans le cadre de la décentralisation territoriale.
Par contre, on trouve à
l'article 106 une disposition prévoyant que la députation donne son avis sur
toutes les affaires qui lui sont soumises à cet effet, en vertu des lois ou par
le gouvernement. Elle délibère sur tout ce qui concerne l'administration
journalière de la province et sur l'exécution des lois pour lesquelles son
intervention est requise ou qui lui sont adressées, à cet effet, par le
gouvernement; elle délibère également sur les réquisitions qui lui sont faites
par le gouverneur.
Le rôle du Conseil
provincial semble donc moindre que celui joué par le Conseil communal dans la
mesure où le second se voit confier la gestion de l'intérêt communal en
décentralisation territoriale et la gestion d'intérêts généraux en
décentralisation par service, tandis le premier se voit confier la seule gestion
de l'intérêt provincial.
L'article 106 précise
encore, en son alinéa 3, que la députation permanente veille à l'instruction
préalable des affaires d'intérêt provincial qui sont soumises au conseil ou à la
députation permanente elle-même. L'instruction préalable des affaires autres que
celles visées à l'article 106 relève, quant à elle, du gouverneur.
La loi provinciale
oscille entre deux partis : celui de l'autonomie provinciale et celui d'un
pouvoir central fort. Et son évolution a été influencée par ces options
antagonistes qui ne se sont pas effacées au cours des 160 dernières années.
À l'origine, de
nombreuses décisions des autorités provinciales étaient soumises à l'approbation
royale; leurs compétences étaient restreintes; la tâche du gouverneur consistait
essentiellement à représenter le roi en tant que "commissaire du gouvernement";
et surtout, la périodicité et la durée des séances du Conseil provincial étaient
strictement réglementées.

La loi provinciale a subi
quelques modifications majeures que nous allons évoquer ici.
En 1887, le
législateur opère une nouvelle répartition des tâches au sein des autorités
provinciales. Ainsi, la députation permanente reçoit, sous certaines conditions,
le pouvoir d'exécuter ses propres décisions et celles du Conseil provincial (9),
ce qui était alors jusque là réservé au gouverneur (10).
Pratiquement un siècle
plus tard, en 1984, une nouvelle modification de la loi provinciale vient
renforcer l'autonomie provinciale. Le Conseil provincial est désormais autorisé
à se réunir toutes les fois que l'exigent les affaires comprises dans ses
attributions (11).
Auparavant, le droit de se réunir était limité dans le temps et soumis à
tutelle (12).
Parallèlement à cela,
l'"urgence" qui permettait à la députation permanente de statuer en l'absence et
en lieu et place du conseil, sous réserve de ratification, ne peut désormais
plus être invoquée.
Enfin, la tutelle qui
pesait sur les actes des autorités provinciales est fortement allégée. Ce pas en
avant vers une plus grande autonomie provinciale a amené certains
provincialistes à affirmer, un peu facilement à notre sens, que la province
était l'institution la plus récente du pays. Ils considèrent en effet que cette
importante réforme de 1984 constitue la véritable "naissance de l'institution".
L'année 1987
enregistre un nouveau pas vers une plus grande émancipation de l'institution
provinciale : une distinction plus nette est désormais opérée entre, d'une part,
les organes provinciaux que sont le conseil et la députation permanente et,
d'autre part, le gouvernement provincial, administration déconcentrée de l'Etat,
de la Communauté ou de la Région (13).
Dorénavant, la nomination
du greffier provincial, secrétaire de la députation permanente et chef du
personnel provincial (14),
est rattachée clairement à l'autorité provinciale (15).
Le greffier est soumis aux directives de la députation permanente en ce qui
concerne la gestion du personnel (16).

Si le gouverneur reste
président de la députation permanente, son remplaçant dans cette mission en sera
dorénavant obligatoirement membre.
La députation permanente
veille désormais à l'instruction préalable des affaires d'intérêt provincial (17)
et elle exécute ses propres délibérations ainsi que celles prises par le
conseil (18).
Plus récemment enfin, en
1994, la loi provinciale est adaptée aux changements introduits par la
dernière réforme de l'Etat. Le nombre de provinces passe à dix, suite à la
scission du Brabant en deux nouvelles provinces, le Brabant wallon et le Brabant
flamand (19)
dont les chefs-lieux respectifs sont Wavre et Louvain. Pour être complet, il
faut ajouter à ces dix provinces l'arrondissement administratif de
Bruxelles-Capitale qui ne comprend plus ni conseil, ni députation permanente. Il
conserve néanmoins un gouverneur et un vice-gouverneur qui continuent à exercer
les compétences de la province dissoute (20).
Il serait cependant
maladroit et par trop facile de trouver ici la preuve que la Belgique pourrait
fonctionner sans ses structures provinciales actuelles. La solution appliquée au
territoire limité de l'arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale ne
peut en effet être envisagée à l'échelle de la Région wallonne ou de la Région
flamande.

4. Décret du 20
juillet 1989 organisant la tutelle sur les communes, sur les provinces et
les intercommunales de la Région wallonne
A la décentralisation
correspond toujours une tutelle de l'autorité qui a créé l'organisme
décentralisé, pour contrebalancer l'autonomie organique et technique dont
celui-ci jouit. Les provinces, collectivités décentralisées de l'Etat,
n'échappent pas à ce principe.
Si, lorsqu'il est
question de tutelle administrative au niveau provincial, le premier réflexe est
de songer d'abord à la tutelle administrative qu'exerce la députation permanente
pour compte de la Région wallonne sur les actes des autorités communales, il ne
faut pas néanmoins perdre de vue que les provinces, elles-mêmes, sont soumises à
tutelle.
Ainsi, l'article 162
alinéa 2, 2° et 6° de la Constitution prévoit, nous l'avons vu, l'organisation
et l'exercice d'une tutelle sur les actes des institutions provinciales pour
empêcher que la loi ne soit violée et l'intérêt général blessé. L'article 162
alinéa 3 prévoit encore qu'une loi à majorité spéciale peut transférer les
compétences de l'organisation et de l'exercice de la tutelle administrative aux
conseils de communauté ou de région.

L'article 7 de la loi
spéciale du 8 août 1980 contient une disposition stipulant que l'organisation
ainsi que l'exercice de la tutelle administrative sur les provinces sont de la
compétence des régions. C'est sur cette base que la Région wallonne a adopté le
décret du 20 juillet 1989 organisant la tutelle sur les communes, les provinces
et les intercommunales de la Région wallonne. Sont donc soumises à ce décret les
provinces de Hainaut, de Liège, de Luxembourg et de Namur.
Les articles 1 à 12
contiennent des dispositions générales applicables aux communes, provinces et
intercommunales; les articles 28 à 36 du décret concernent plus particulièrement
les provinces. Ils prévoient, à l'instar des communes, une tutelle générale
d'annulation et de suspension ainsi qu'une tutelle spéciale d'approbation et de
substitution d'action. La tutelle est exercée par l'Exécutif de la Région
wallonne qui a fixé, par arrêté daté du 14 novembre 1991 (21),
les actes qui doivent être transmis à l'autorité de tutelle pour examen.
Soulignons ici la
position ambiguë et délicate des autorités provinciales wallonnes sur le plan de
la tutelle dans la mesure où elles se trouvent confrontées à des intérêts
parfois contradictoires. En effet, soumises elles-mêmes à la tutelle de la
Région wallonne, elles assument par ailleurs, à l'intervention de leur
députation permanente, un rôle essentiel dans l'exercice de la tutelle
administrative sur les communes pour compte de cette même région. Or ces deux
tutelles ont jusqu'à présent leurs sorts résolument liés (22).
La réforme, de plus en plus évoquée, de la tutelle sur les communes de la Région
wallonne intéresse donc les provinces au premier chef et à un double titre.

5. Loi organique
des élections provinciales du 19 octobre 1991
L'article 162 alinéa 2,
1° de la Constitution prévoit que la loi consacre l'élection directe des membres
des conseils provinciaux.
Dès 1836, les conseils
provinciaux sont élus suivant le système électoral censitaire. En 1894, le
suffrage universel plural est accordé aux hommes. De plus, la révision
constitutionnelle de 1893 a introduit l'élection des sénateurs provinciaux,
c'est-à-dire des sénateurs élus par les seuls conseils provinciaux. Un
parallélisme est donc établi, dès 1894, entre le corps électoral du Conseil
provincial et celui du Sénat, de même qu'entre la durée du mandat provincial et
celle du mandat sénatorial.
Le pouvoir des conseils
provinciaux dépasse ainsi le cadre strictement local puisqu'ils peuvent
désormais influencer la composition du parlement national.
Aussi les élections
provinciales sont-elles organisées concomitamment aux élections nationales. La
durée d'une législature provinciale – et donc sa stabilité – est alors
directement dépendante de la durée de la législature nationale.
Il faut attendre 1921
pour voir l'introduction du système du suffrage universel pur et simple. C'est
aussi en 1921 qu'est adoptée la loi organique des élections provinciales qui
reste toujours d'application aujourd'hui, même si elle a été modifiée à
plusieurs reprises.

Durant cette période, les
conseillers provinciaux sont donc élus au suffrage universel pur et simple pour
quatre ans – sauf en cas d'élections nationales anticipées – le même jour que
les élections législatives.
Le principe de jumeler
les élections provinciales et nationales, qui lie ainsi dans les faits le sort
des mandats provinciaux et nationaux, constitue une grave atteinte à l'autonomie
provinciale.
Il faut attendre 1993,
soit la dernière phase de la réforme de l'Etat et plus particulièrement la
réforme du Sénat, pour voir corriger cet état de fait. La disparition des
sénateurs provinciaux enlève toute raison d'être au principe adopté en 1893.
Conformément à la
logique, les conseillers provinciaux sont dorénavant élus tous les six ans, le
même jour que les élections communales, pour éviter que la multiplication
d'élections n'engendre une trop grande lassitude de l'électorat. Les conseillers
provinciaux sont désormais assurés de siéger six ans sans être soumis aux aléas
des crises gouvernementales nationales.

Les différents textes
légaux évoqués ci-dessus resituent les provinces sur l'échiquier institutionnel
belge. Bien d'autres textes font référence aux autorités provinciales. Ils leur
attribuent des missions particulières ou les habilitent à intervenir dans tel ou
tel domaine. Ces textes seront abordés au chapitre 3, qui tente d'établir un
relevé synthétique et analytique des compétences provinciales.
Mais avant d'aborder
cette étude, il nous paraît indispensable de nous pencher un instant sur le
passé afin de mieux cerner et mieux appréhender le pourquoi de l'institution
actuelle.

Notes
(1)
Ces notions seront redéfinies au début du chapitre 3.
(2) Contrairement aux associations de communes qui sont,
elles, toujours réglées par la loi du 22 décembre 1986, jusqu'à l'adoption d'un
nouveau décret.
(3) Voir notamment les interpellations de MM. Marchant,
Antoine et Piérard lors de la séance du Parlement wallon du mardi 7 novembre
1995, Compte rendu analytique, session 1995-1996, n°2, p. 14 à 20.
(4) Toutes autres personnes de droit public ou privé peuvent
également faire partie des intercommunales, à l'exception des personnes de droit
public dont un organe exerce les tutelles d'approbation et d'annulation, telles
que prévues à l'article 20.
(5) L'article 19, §1er énonce en effet : Lorsque, dans les
intercommunales, la province a fait des apports dépassant la moitié du capital
ou a assuré la garantie de bonne fin de plus de la moitié des emprunts
contractés par l'association, les statuts peuvent prévoir par dérogation à
l'article 11 que :
a) la majorité des voix au sein des organes de gestion et de contrôle appartient
à la province;
b) la présidence du conseil d'administration et du collège des commissaires est
confiée à un membre du conseil provincial; ...
(6) HUGE Ph., La pérennité de l'institution provinciale,
Bulletin trimestriel du Crédit Communal de Belgique, n° 178, 1991/4, p. 65 et
66.
(7) Les institutions provinciales ... sont réglées par la
loi.
(8) Article 64 de la loi provinciale.
(9) Article 106, alinéa 5 de la loi provinciale.
(10) HUGE Ph., Province 2001, pro vincere, op. cit., p 19.
(11) Article 44 de la loi provinciale.
(12) HUGE Ph., Province 2001, pro vincere, po. cit., p 36.
(13) HUGE Ph., Province 2001, pro vincere, Association des
provinces belge asbl, Bruxelles, 1989, p 37.
(14) Article 120, alinéa 5 de la loi provinciale.
(15) Article 4, alinéa 2 de la loi provinciale.
(16) Article 120, alinéa 6 de loi provinciale.
(17) Article 106, alinéa 3 de la loi provinciale.
(18) Article 106, alinéa 4 de la loi provinciale.
(19) Article 5 de la Constitution.
(20) Article 5 de la loi provinciale.
(21) Arrêté de l'Exécutif régional wallon du 14 novembre
1991 réglant les mesures d'exécution du décret du Conseil régional wallon du 20
juillet 1989 organisant la tutelle sur les communes, les provinces et les
intercommunales de la Région wallonne.
(22) En Flandre, les deux tutelles sont réglées par des
décrets différents : le décret du 28 avril 1993 portant réglementation, pour la
Région flamande, de la tutelle administrative des communes, et le décret du 22
février 1995 portant réglementation de la tutelle administrative des provinces
en Région flamande.
Partie 2 -
Partie 3 -
Partie 4
Ce texte est extrait de
La province : une institution à redéfinir ? Actes du séminaire organisé en
collaboration par l'Association francophone des Provinces et l'Institut Jules
Destrée - Namur, 30 janvier 1996.