La
province : une institution à redéfinir?
L'enseignement -
(1996)
Guy Vlaeminck
Administateur délégué honoraire du CEPEONS
L'enseignement provincial
occupe une place importante dans la structure scolaire de la Communauté
française.
La densité des
établissements est toutefois inégalement répartie. Forte dans les provinces au
passé industriel bien marqué (sillon Sambre et Meuse), elle est plus faible dans
le Brabant wallon et le Namurois et quasi nulle dans le Luxembourg.
Il s'agit essentiellement
d'écoles techniques et professionnelles de tradition, créées au début du siècle,
en réponse aux besoins socio-économiques décelés dans la région. La province a
joué fort tôt ce rôle de pouvoir de proximité et continue d'agir selon le même
principe, là où les règlements en vigueur l'autorisent encore. Centrée jadis sur
le niveau secondaire du plein exercice et de la promotion sociale (anciennement
cours du soir), elle a tendance à développer aujourd'hui son enseignement
supérieur, surtout de type court, suivant en cela le décalage qui se dessine
dans l'évolution du choix des jeunes en matière de cursus scolaire.
Il existe également un
nombre non négligeable d'établissements provinciaux d'enseignement spécial et
une solide infrastructure de centres psycho-médico-sociaux.
Les provinces ont donc
investi prioritairement dans les secteurs les plus coûteux de l'enseignement.
Elles ont aussi, avec les
grandes villes de Wallonie et à Bruxelles, été les précurseurs de l'enseignement
public en Belgique, l'Etat belge ayant tardé à développer son propre réseau
scolaire.
Il faut toutefois
regretter que l'unité entre l'ensemble des niveaux (secondaire, supérieur et
promotion sociale), unité à laquelle les pouvoirs locaux tels les provinces ont
toujours veillé, ait actuellement tendance à disparaître à la suite de mesures
législatives de plus en plus divergentes. Il existe d'indéniables liens entre
toutes les filières d'enseignement, surtout dans les secteurs techniques, et ce
n'est certes pas en les tronçonnant que l'on rendra plus d'unité à l'ensemble.

Les caractéristiques
de l'enseignement provincial
Consacrées presque
exclusivement à l'enseignement technique et professionnel, les écoles
provinciales wallonnes se sont très rapidement, et avec une remarquable
unanimité, assigné un double objectif : contribuer à l'élévation sociale des
jeunes et doter les entreprises d'une main-d'oeuvre de qualité. Cette démarche
fut merveilleusement résumée dans une expression malheureusement tombée en
désuétude : les humanités techniques. La concrétisation la plus évidente
de cet idéal est l'Université du Travail à Charleroi.
Il est paradoxal, par
ailleurs, de constater qu'une large majorité des citoyens de Wallonie et de
Bruxelles nourrit aujourd'hui une forme de répulsion proche du mépris pour cette
filière pédagogique alors qu'elle constitue une voie d'accès privilégiée vers
les statuts de cadre dans les entreprises allemandes et, de manière plus
récente, françaises.

Les difficultés de
l'enseignement provincial
Les difficultés
actuelles de l'enseignement provincial se marquent, de manière générale, par un
tassement plus ou moins important de la population de l'enseignement secondaire.
Elles sont dues essentiellement au caractère spécifique de cet enseignement,
face à une double évolution :
-
l'effondrement des
grands domaines industriels traditionnels et la complexification parallèle
des technologies;
-
la perte progressive
de l'autonomie provinciale devant le pouvoir subventionnant qui impose une
réglementation de plus en plus rigoureuse et linéaire.
Devant le spectacle de la
déliquescence des grands empires industriels de jadis, les parents perdent
confiance et tentent de reculer le moment des choix de carrière de leurs
enfants. Les études générales sont donc privilégiées. L'ensemble de
l'enseignement technique et professionnel, tous réseaux confondus, pâtit de
cette situation et particulièrement les provinces. A ce facteur vient s'ajouter
le poids de l'image dévalorisée du travail manuel, surtout dans la population de
Wallonie et de Bruxelles.
L'enseignement secondaire
est donc devenu synonyme d'études générales et le jeune n'aboutit plus dans les
options qualifiantes qu'après avoir essuyé une série d'échecs successifs.
La situation s'est
aggravée depuis 1985, date à laquelle l'encadrement des élèves du secondaire fut
désormais calculé en proportion directe de la population de l'établissement.
Plutôt que d'orienter certains élèves vers les écoles techniques, un grand
nombre d'établissements d'enseignement général préférèrent créer, sans véritable
étude préalable, des options professionnelles susceptibles de les accueillir. Si
la formule permet pédagogiquement d'adapter l'enseignement à l'élève, l'objectif
d'insertion professionnelle s'y trouve, par contre, trop souvent sacrifié. Le
phénomène a pris une telle ampleur que l'idée d'un regroupement des filières
professionnelles au sein des provinces qui était justifiée il y a quinze ans est
virtuellement impossible aujourd'hui sans entraîner d'importants et dangereux
transferts d'élèves et d'enseignants.
Les filières scolaires
qualifiantes se sont progressivement transformées en filières de relégation
tandis que la complexification des technologies y justifierait plutôt la
présence d'élèves de plus en plus performants. Le fossé s'élargit entre les
exigences de cet enseignement et la typologie des élèves qui le fréquentent.

La Communauté française a
simultanément renforcé son pouvoir normatif. La tendance aux mesures linéaires a
progressivement gommé les maigres avantages qui étaient concédés aux écoles
techniques et professionnelles en fonction de leur spécificité.
Les pouvoirs provinciaux
disposaient jadis de la possibilité de remédier à cette situation par
l'engagement d'agents supplémentaires sur fonds propres. Cette pratique se perd,
surtout en raison de l'exclusion de ces agents du bénéfice de l'application du
statut du personnel de l'enseignement officiel subventionné.
Les professeurs qui
enseignent les cours techniques et de pratique professionnelle sont
traditionnellement choisis sur la base d'un titre et d'une expérience utile du
métier. Cette dernière est interprétée dans le sens le plus étroit et empêche
l'enseignant, même lorsqu'il s'est recyclé, d'enseigner une branche connexe de
celle pour laquelle il a été nommé. Ce système handicape lourdement l'évolution
de la structure d'un établissement scolaire vers des formations
technologiquement plus performantes ou simplement plus porteuses d'emploi.
C'est toutefois dans le
domaine des mises en disponibilité par perte d'emploi et des réaffectations que
les mesures normatives sont les plus néfastes pour l'enseignement provincial,
empêchant toute stabilité des équipes pédagogiques.
Il serait souhaitable que
les pouvoirs provinciaux retrouvent la liberté d'initiative qu'ils ont
progressivement perdue en raison de mesures générales contraignantes et
uniformes. Une piste de réflexion pourrait être envisagée sous la forme d'une
globalisation, éventuellement par grand domaine, des enveloppes attribuées.
Enrichies des moyens propres légalement consentis par la province, l'ensemble
pourrait être réparti en fonction de choix démocratiquement posés. Cette
solution aurait également pour conséquence de réinstaurer le débat sur la
gestion générale de l'enseignement au sein de la province (débat qui tend
actuellement à disparaître) et de renforcer la dimension de proximité qui a
présidé au développement de cet enseignement.
La part importante prise
par les provinces dans l'utilisation des fonds européen, tant dans le cadre de
la réalisation de l'objectif 1 que pour l'objectif 2, a montré que la dimension
provinciale reste encore celle d'un pouvoir de décision adapté aux problèmes
locaux.
L'avenir
Les exigences
particulières de l'enseignement technique et professionnel sont de moins en
moins prises en compte et les provinces sont les premières à en souffrir.
Le retour vers des écoles
aux spécificités plus marquées serait souhaitable, tant pour le maintien d'une
forme de culture d'école (projet éducatif), que pour la valorisation des élèves
au travers de leurs apprentissages quotidiens. Une telle évolution faciliterait
aussi la naissance de relations de confiance avec l'entreprise et encouragerait
l'évolution vers un véritable enseignement par alternance. C'est de
l'amélioration de ces relations que l'on peut espérer la multiplication et le
renforcement des aides que l'entreprise apporte à l'enseignement technique.
Des cours d'initiation à
la technologie, dès l'école fondamentale, permettraient sans doute l'arrivée,
dans les écoles provinciales, d'élèves répondant davantage à un appel
vocationnel qu'à une suite d'échecs successifs.
Toute réflexion sur
l'avenir doit également s'inspirer des stratégies mises en place par le pouvoir
subventionnant. Actuellement, celles-ci portent toutes sur le processus de
fusions d'écoles.
Bien que les provinces
disposent encore des potentiels d'élèves suffisants pour pouvoir régler seules
les problèmes de population-seuil, il serait regrettable de ne pas profiter du
mouvement actuel pour renforcer les synergies entre tous les pouvoirs publics
d'enseignement : villes, communes, provinces et Communauté française.
L'appartenance majoritaire de ces établissements au caractère non
confessionnel devrait être un élément favorable. Toutefois, pour des raisons
statutaires, le personnel est réticent. Il n'est pas évident non plus qu'il
existe une véritable volonté politique d'aller dans ce sens.

Dans ce contexte, il se
pose une question fondamentale : les structures provinciales et leurs niveaux de
décisions sont-ils adaptés à l'évolution actuelle qui favorise clairement la
recherche de collaborations avec différents partenaires et l'autonomie des
nouvelles entités ainsi constituées ?
Les autres réseaux
semblent mieux armés que l'enseignement provincial à cet égard. La Communauté
française dispose de services à gestion séparée dont le contenu pourrait être
redéfini, notamment pour tenir compte des tendances participatives nées dans la
dynamique des assises de l'enseignement.
Si aucune possibilité
d'assouplissement n'est trouvée, les organes provinciaux de décision risquent
d'entrer en conflit avec les compétences octroyées, par décret, aux organes de
gestion des Hautes Ecoles.
Par contre, le retour à
certaines formes d'autonomie provinciale pourrait sans doute raviver le débat
démocratique sur les grandes orientations de l'enseignement provincial, dans le
cadre du respect de la volonté du législateur. Il pourrait également
s'accompagner d'un certain allègement des procédures de décision et de
réalisation qui, tout en renforçant la responsabilité des acteurs,
n'enlèveraient rien à la transparence des procédures démocratiques.
Ce texte est extrait de
La province : une institution à redéfinir ? Actes du séminaire organisé en
collaboration par
l'Association francophone des Provinces et l'Institut Jules Destrée - Namur, 30
janvier 1996.