La
province : une institution à redéfinir?
La Culture - (1996)
Claude Bonte
Directeur de la Maison de la Culture de La
Louvière
Il a été clairement
démontré que, bien souvent, ce sont les provinces qui ont jeté les bases d’un
véritable développement de l’éducation populaire en Wallonie. Dès 1920 jusqu’au
début des années 30, un formidable foisonnement d’initiatives s’est d’ailleurs
concrétisé grâce à leur impulsion. Des bibliothèques, des clubs de gymnastique,
des cercles horticoles, des troupes de théâtre, des cercles locaux d’éducation
ouvrière, des clubs valorisant le sport amateur ont été créés en de multiples
endroits. C’est donc sur leurs fonds propres que les provinces se sont investies
dans le secteur culturel et sportif.
Ce n’est qu’après la
Seconde Guerre mondiale que l’intervention de l’Etat dans la prise en charge des
activités culturelles est devenue plus marquante. L’Etat, par l’intermédiaire du
ministère de l’Instruction publique, commence à subventionner les communes et
les provinces. Ces dernières restent cependant les initiatrices de la plupart
des actions qui se diversifient de plus en plus. Des spectacles sont programmés,
des sessions de formation d’animateurs sont organisées par les services
provinciaux qui s’efforcent également d’inciter les communes à s’engager dans la
même voie.

Entre 1950 et 1960, la
situation reste quasi identique mais la problématique liée à l’évolution de la
structuration de l’Etat se précise. Provincialistes, fédéralistes et
rattachistes s’affrontent au nord comme au sud du pays. Le pouvoir provincial
commence à subir des attaques parfois virulentes. Au niveau central, le
ministère de l’Instruction publique se transforme en ministère de l’Education et
de la Culture. L’Etat apporte une aide de plus en plus significative aux
communes en les encourageant à créer des Maisons de Jeunes et de la Culture, des
Maisons de la Culture, des Foyers culturels. Des doubles emplois apparaissent
entre les initiatives émanant de la province et celles suscitées par l’Etat, la
Communauté française par la suite.
Dans une perspective
tantôt de démocratisation culturelle, tantôt de démocratie culturelle, les
provinces continuent à financer des projets concrets et à prendre de nouvelles
initiatives se préoccupant tout autant des loisirs actifs des populations
adultes, en réservant une attention toute particulière à l’égard des couches
défavorisées, que de l’animation socioculturelle destinée aux enfants et aux
adolescents. Les services culturels provinciaux se spécialisent : arts
plastiques, lecture publique, diffusion, cinéma, formation, animation,
audiovisuel, tourisme, relations transfrontalières, prêt de matériel...
S’il y a parfois double
emploi, des synergies se dégagent constamment entre les politiques menées par
les provinces et par la Communauté française qui dans les faits et, ce n’est
peut-être pas inutile de le rappeler, dans le respect du pluralisme contribuent
ensemble à tisser les indispensables maillons nécessaires à la réalisation des
objectifs de l’éducation permanente telle que définie par nos partis politiques,
nos organisations syndicales et notre extraordinaire réseau associatif.

Des mots-clés, des
idées-pivots au coeur de nos débats
Les provinces ont donc
institué les fondements du développement culturel en Wallonie. Devenues
d’incontournables lieux d’action dans de multiples secteurs de l’action
culturelle, elles continuent d’être de véritables lieux d’expérimentation et
d’incitation à l’égard des communes et du mouvement associatif. Elles sont
également des institutions de coordination et de médiation entre les multiples
acteurs de la vie culturelle.
En intégrant les
particularités, en corrigeant les disparités, elles s’efforcent de valoriser
l’identité, l’expression et l’image de nos sous-régions. Dans le domaine
culturel, les réalisations provinciales sont perçues comme émanant
d’institutions de proximité mais en même temps de services suffisamment
distanciés des terrains concrets d’action. Ces deux dimensions cohabitent et
sont d’ailleurs considérées comme des piliers fondamentaux indispensables à de
nouvelles avancées démocratiques.
Si, comme l’a dit Robert
Collignon, Ministre-Président du Gouvernement wallon, il est préférable de
préserver le principe de la pluralité des circonscriptions électorales pour
garantir la représentation des sous-régions au Parlement de la Région, il est
dès lors évident que les provinces, au travers de leurs missions culturelles
notamment, restent plus que jamais le creuset de la véritable décentralisation.
Autrement dit, la question des sous-régions ne doit pas seulement se définir du
point de vue de leur représentation au Parlement de la Région (option
néo-centralisatrice) mais il s’agirait plutôt – en revitalisant les Conseils
provinciaux, en redéfinissant les missions des provinces, en effectuant les
nécessaires rationalisations budgétaires, en pratiquant une discrimination
positive à l’égard des zones défavorisées – de faire en sorte que les
sous-régions disposent de moyens réels pour légiférer, pour décider et donc pour
garantir une conception de la démocratie partant du bas vers le haut, de la
périphérie vers le centre et non pas l’inverse.
Dans la période de
profondes mutations économiques, technologiques et politiques que nous
traversons aujourd’hui, ce n’est pas seulement la province qui doit se
repositionner sur l’échiquier démocratique, ce sont aussi les autres niveaux de
pouvoir qui doivent se redéfinir pour continuer d’oeuvrer à la construction
d’une démocratie aussi horizontale, aussi transversale, aussi participative que
possible.

Bien que cela n’ait pas
été exprimé d’une manière aussi explicite lors de notre discussion en groupe, il
semblerait – avec le recul et après réflexion – que c’est la province qui
concrétise le mieux ou plutôt qui s’approche le plus de la notion de district
socio-éducatif telle que définie par Bertrand Schwartz, constituant la
structure de base de l’institution sociale, éducative et culturelle, au
caractère souple et intégré, comme étant à la fois un lieu géographiquement et
socialement défini, terrain d’expérimentation et d’implantation d’une politique
éducative et culturelle globale; une problématique qui fournit une grille de
lecture et d’analyse dans les diverses actions novatrices et dans la pratique
des agents éducatifs; une pratique politique développant un projet éducatif
reprenant les principaux objectifs relevant de l’éducation permanente".
Mais comme le précise
encore Bertrand Schwartz, pour donner tout son sens au district socio-éducatif,
il convient de poursuivre simultanément trois objectifs : l’articulation des
ressources pour décloisonner les multiples institutions se préoccupant de
l’humain, pour rétablir des continuités, éviter la dispersion des efforts et
accroître, en lui donnant d’autres priorités, l’efficacité générale du système
social, éducatif et culturel; l’égalisation des chances par la multiplication
des moyens mis à la disposition du citoyen et en les répartissant selon un
principe de discrimination positive en faveur des couches sociales défavorisées,
par le développement d’actions dévoilant les facteurs producteurs d’inégalité;
l’accroissement de la participation de la population à la répartition, à la
gestion mais aussi à la production des ressources éducatives et culturelles.

Un paradoxe qu’il
convient de clarifier
Si l’existence de la
province est mise en cause en raison de carences démocratiques constatées dans
le fonctionnement du Conseil provincial, de la Députation permanente ainsi qu’au
travers de l’exercice des missions attribuées au gouverneur, son action
quotidienne est en même temps reconnue comme étant l’expression authentique d’un
projet culturel démocratique proche des citoyens et respectueuse du pluralisme
des conceptions philosophiques et politiques. Il faut donc que la province
s’attache de toute urgence à corriger l’image de marque habituellement véhiculée
par les médias.
Il importe aussi, qu’à
tous les niveaux de pouvoir, nos décideurs s’efforcent de faire leur examen de
conscience. Il s’agit de reconnaître la complexité de l’histoire dans laquelle
s’est inscrite l’évolution des provinces plutôt que de se satisfaire d’arguments
d’opportunité pour légitimer les soubresauts de l’histoire immédiate.
La notion ambiguë de
"communauté urbaine" est d’ailleurs l’illustration de cette approche précipitée
teintée de syncrétisme et qui n’est peut-être que l’invention artificielle
d’entités supra-communales qui, au nom d’intérêts ou d’utopies hégémoniques,
vise à créer des noeuds rationnels de puissance intégrant certaines communes
tout en en rejetant d’autres. Fondée par ailleurs sur un concept aussi
irrationnel que celui du seuil critique de 500.000 habitants indispensables à
l’entrée dans le concert euro-régional, cette option institutionnelle semble
nier l’exigence démocratique liée à la décentralisation intégrée, équilibrée et
égalitaire.
Nous en sommes peut-être
arrivés à un moment où il convient de rappeler que l’histoire de la démocratie
ne s’improvise pas, qu’elle s’est construite progressivement en se nourrissant
de ses acquis. S’inscrivant dans ce processus complexe, l’échelon institutionnel
provincial a été identifié comme étant l’un des garants d’une large
décentralisation de qualité et d’une profonde déconcentration des pouvoirs. Avec
les autres niveaux de décision, il lui reste – tout en se remettant en question
et tout en redéfinissant ses missions prioritaires – à confirmer sa pertinence
dans l’affirmation démocratique de la Wallonie valorisant les multiples
particularités qui enrichissent son identité.
Ce texte est extrait de
La province : une institution à redéfinir ? Actes du séminaire organisé en
collaboration par
l'Association francophone des Provinces et l'Institut Jules Destrée - Namur, 30
janvier 1996.
