La
province : une institution à redéfinir?
Introduction générale sur le rôle des
entités provinciales - (1996)
Robert Collignon
Ministre-Président du Gouvernement wallon
Au moment où j'aborde la
tribune de ce séminaire organisé conjointement par l'Association francophone des
provinces – bientôt Association des Provinces wallonnes – et l'Institut Jules
Destrée, comment ne penserais-je pas d'abord à mon père, Emile Collignon ?
J'avais neuf ans lorsque celui-ci accédait à la Députation permanente de la
province de Liège, le 1er septembre 1952. Mon enfance et mon adolescence furent
donc imprégnées de l'utilité – notamment sociale – de l'action menée par
l'institution provinciale. En effet, mon père fut un des fondateurs des dix-huit
sièges des centres provinciaux de médecine préventive et d'inspection médicale
scolaire, ainsi que du Service public de Médecine du Travail ou encore de
l'Association des Cours d'eau non navigables.
Mais, si j'avais
quotidiennement sous les yeux l'évolution du travail consciencieux d'un
provincialiste convaincu, j'avoue que, sur un autre plan, Freddy Terwagne me
fascinait lorsque, pendant la grande grève de l'hiver 1960-61, il s'affirmait
déjà – à 35 ans, aux côtés d'André Renard –, fédéraliste et wallon. Comment et
pourquoi cacher que, politiquement, le combat wallon séduisait davantage
l'étudiant en Droit que j'étais que la sage et traditionnelle gestion exercée
depuis le Palais des Princes-Evêques ? Devenu partisan du fédéralisme et des
réformes de structure, j'eus la chance, pendant une dizaine d'années, de côtoyer
Freddy Terwagne et de militer avec lui.

Aujourd'hui, je garde la
conviction que, pendant cette trop brève période, Freddy Terwagne a écrit une
page fondamentale de notre histoire et davantage encore de notre avenir.
En effet, en inscrivant
la Wallonie dans la Constitution, Freddy Terwagne, avec d'autres – et je pense
au rôle joué par un Edouard Delruelle, par exemple – a mis fin, légalement, à
l'hésitation – qui était un débat politique – entre la décentralisation de l'Etat
sur base des provinces et la décentralisation sur base des régions. Cet
affrontement entre tenants des différentes thèses aura des réminiscences jusqu'à
nos jours, d'ailleurs.
La maturité de nos
institutions régionales doit, en 1996, nous rendre assez de sérénité pour jeter
un regard lucide sur nos institutions. Ces provinces, qui furent à la fois des
soutiens et des adversaires de notre projet wallon, doivent faire l'objet d'un
regard neuf, décrispé et sans complaisance. Comme le rappelle opportunément le
rapport préliminaire de ce séminaire, demandé à la Faculté de Droit de
l'Université de Liège, l'article 46 de la loi du 9 août 1980 établit le
caractère subordonné du pouvoir provincial à l'égard des entités fédérées.
Le temps des hésitations
dans les relations entre la Région wallonne et les provinces est révolu. Nous
avons aujourd'hui à structurer avec harmonie notre espace politique et
administratif wallon de façon globale.

1. Les niveaux de
pouvoirs
Pendant plus de 125 ans
– des journées de septembre 1830 jusqu'au Traité de Rome de 1957 – nos
concitoyens ont connu trois niveaux de pouvoir : le royaume, ses neuf provinces
et, jusqu'en 1976, ses 2.359 communes.
Aujourd'hui, le paysage
institutionnel s'est fondamentalement modifié puisque le nombre de niveaux de
pouvoir a doublé et atteint la demi-douzaine.
En effet, il nous faut
recenser :
-
d'abord, l'Union
européenne qui ne devrait pas seulement nous apporter une monnaie unique
mais qui, si elle est capable éviter l'écueil d'un élargissement diluant,
devrait en outre se voir attribuer deux autres caractéristiques
fondamentales d'un véritable Etat, à savoir une diplomatie et une défense
communes dont les existences sont nécessaires à notre efficacité sur la
scène mondiale mais aussi européenne. Il suffit, pour s'en convaincre, de
songer à la longue crise de l'ex-Yougoslavie se déchirant à nos portes, sans
que nous ayons la capacité d'intervenir, avant même d'en avoir la volonté.
Je pense que la Conférence intergouvernementale actuellement en préparation
devrait permettre d'évoluer dans le sens d'un tel renforcement;
-
ensuite, le
royaume
que menacent dangereusement ceux qui font un mythe du septième
centenaire qu'ils célébreront en 2002;
-
en troisième et
quatrième lieux, nos trois Communautés et nos trois Régions
que nous avons su imposer dans la Constitution : la juste voie, à mon sens,
entre, d'une part, un unitarisme immobile dépassé par les faits et, d'autre
part, des partisans d'un Etat à deux Communautés et à deux vitesses,
caricaturant à l'extrême la marche avant au Nord et la marche arrière au
Sud;
-
en cinquième lieu,
nos provinces, qui sont passées de neuf à dix, tout en perdant toute
existence pour un dixième de la population du pays puisque la Région
bruxelloise n'est plus comprise au sein des deux Brabant. Pour un million de
Belges, il faut le savoir, la province n'existe plus;
-
et, enfin, depuis le
1er janvier 1977 – et depuis fin 1982 à Anvers –, les 589 communes,
dont 253 wallonnes, issues des fusions.

Croire que nos
concitoyens se retrouvent clairement dans un édifice d’une telle complexité est
illusoire. Il faut, dans un souci de démocratie, rénover en simplifiant.
L’Européen, le Wallon et le municipaliste que je suis, ne vous étonnera pas
outre mesure s’il vous révèle que, pour lui, les trois niveaux de pouvoir dont
il attend le plus de développement au XXIème siècle sont, chez nous
certainement, notre Union européenne, notre Région et nos communes. Cela ne
signifie pas que des niveaux intermédiaires ne peuvent subsister mais, pour se
maintenir, ils doivent s’adapter et, selon le principe de subsidiarité, prouver
leur utilité en se plaçant là où ils peuvent demeurer vraiment utiles à nos
concitoyens.
Dans cet exposé et en
préambule à vos débats, je vous propose de réfléchir, à cette utilité que peut
conserver, en Wallonie, l’un des trois niveaux subsidiaires de pouvoirs : la
province. J’aborderai cette problématique avec ce que Tocqueville appelait le
radicalisme des modérés. L’auteur de L’Ancien Régime et de la
Révolution soulignait du reste que c’était par ceux-là qu’on pourra se faire
une idée des idées générales qui ont cours (1).
Ainsi, entre la
démocratie locale de base représentée par nos communes et une Région comme la
Wallonie qui veut se construire avec dynamisme, quel peut être le rôle d’une
institution comme la province ?

2. Concrétiser les
accords de la Saint-Michel
Le premier élément à
remarquer est que la place de l’institution provinciale est au sein de la
Région wallonne. Dès lors, il convient d’abord de veiller à l’application
des accords de la Saint-Michel quant à la transformation de la province en
institution sous-régionale. Dès lors, il faut faire disparaître la contradiction
qui existe actuellement entre l’article 5 de la Constitution – qui énonce que
la Région wallonne comprend les provinces suivantes : le Brabant wallon, le
Hainaut, Liège, le Luxembourg et Namur [...] – et la loi provinciale restée
de la compétence de l’Etat fédéral. Quand la régionalisation de la loi
provinciale sera effectuée, l’institution provinciale se situera logiquement
dans le giron de son organe de tutelle. Pour réaliser cette opération, la
législature actuelle devrait permettre de modifier l’article 162 de la
Constitution selon lequel les institutions provinciales et communales sont
réglées par la loi
[...]. Pour ma part et allant au delà du thème qui nous concerne
aujourd’hui –, je suis convaincu, et je ne suis pas le seul, qu’il faut
régionaliser non seulement la loi provinciale mais également la loi communale
sous cette législature.
Cependant, cette
régionalisation, indispensable du reste, n’est pas suffisante pour rendre
l’institution provinciale utile aux citoyens. Chacun en convient : la province a
besoin non seulement d’une rénovation profonde afin de devenir plus transparente
et plus démocratique mais d’une redéfinition de son champ prioritaire d’action.
Avant d'exprimer mes
réflexions sur les matières qui devraient encore relever du niveau provincial,
je souhaiterais souligner les évolutions territoriales que les Wallonnes et les
Wallons ont connues ces vingt dernières années.
Les choses étaient
simples encore au début de ce siècle, le découpage territorial s'établissait à
trois niveaux : le royaume, les provinces et les communes.
Le fédéralisme, né des
réformes institutionnelles successives en 1970, 1980, 1988 et 1993, a modifié
considérablement la donne territoriale.
C'est ainsi que :
-
ont émergé la Région
wallonne, la Région bruxelloise et la Communauté germanophone dans une
certaine mesure;
-
les circonscriptions
électorales ont aussi été complètement revues :
-
les Sénateurs
et Députés européens francophones sont élus sur une base
territoriale à l'échelle de deux circonscriptions : la
circonscription wallonne et la circonscription de
Bruxelles-Hal-Vilvorde;
-
les députés
fédéraux sont élus sur base de circonscriptions plus petites que
l'échelon provincial;
-
il en est de
même pour les Députés wallons, tout en maintenant un apparentement
basé sur les circonscriptions provinciales;
-
notons encore
que les Communes de la Région de langue allemande forment une seule
circonscription électorale dont le bureau principal est établi à
Eupen.
Pour en revenir à
l'élection des Députés wallons, vous avez certainement remarqué le débat qui
s'est engagé en Flandre sur la circonscription électorale unique pour les
élections régionales flamandes.
Depuis la Saint-Michel,
les Régions wallonne et flamande disposent en effet de l'autonomie constitutive
en cette matière.
Du côté flamand, c'est
Louis Tobback qui réclame une circonscription électorale unique.
Pour ma part, je ne vois
guère d'utilité à songer à un regroupement en une seule circonscription. Au
contraire, certes un Président de parti trouverait l'avantage d'être le seul à
pouvoir constituer la liste des candidats. Mais l'avantage s'arrête là car
comment, en fait, peut-on affirmer une identité régionale auprès des Wallonnes
et des Wallons si ceux-ci ne disposent pas du droit élémentaire d'être
représentés au Parlement Wallon par des personnes habitant leur sous-région ?
Je suis donc partisan à
tout le moins du maintien des circonscriptions actuelles.
La sociologie électorale
de notre pays ne permet sans doute pas encore l'instauration de circonscriptions
uninominales, même si l'autonomie constitutive le permet.

Pour en revenir à
l'évolution institutionnelle que connaît le territoire wallon, je soulignerai
encore l'éclosion du regroupement institutionnel des communes que ce soit au
travers :
-
de
l'agglomération ou de la fédération de communes ainsi que l'autorise
l'article 165 de la Constitution;
-
de l'association
de plusieurs fédérations de communes;
-
ou encore de
l'idée d'une Communauté urbaine, qui n'en est pas moins éloignée. Cette
forme institutionnelle n'est pas dénuée d'intérêt sous l'angle
principiel.
Ce concept a été envisagé
une première fois dans les années soixante. Il conduisit à l’élaboration de la
loi sur les agglomérations et fédérations de communes du 26 juillet 1971. Ce
texte ne fut réellement appliqué qu’aux dix-neuf communes bruxelloises et ce,
uniquement en raison de la difficulté de trouver alors un accord sur le statut
de Bruxelles dans le cadre de la réforme de l’Etat.
Suite à la non
application des accords du Stuyvenberg, l’idée de la disparition des provinces
et de leur éventuel remplacement partiel par des agglomérations et fédérations
de communes fut mise au frigo.
Les communautés urbaines
sont des organes qui garantissent, dans une transparence et une démocratie plus
larges que les associations intercommunales techniques, une cohérence supra
locale. Aujourd’hui, s’inspirant des exemples extérieurs – et notamment de
l’exemple français – ces structures reviennent à l’ordre du jour parmi les
solutions à envisager pour gérer des services qui représentent l’intérêt de
l’ensemble de toute une agglomération.
En France, en effet, les
communautés urbaines, après avoir été imposées par le Gouvernement dans
certaines grandes villes comme Lille ou Lyon, s’instituent maintenant
volontairement comme à Cherbourg ou, plus récemment, à Nancy.
Pour mieux répondre à la
notion de subsidiarité, de telles collectivités pourraient également voir le
jour dans des grandes villes de Wallonie, telles Charleroi ou Liège.

En Wallonie, les réponses
aux "besoins d’agglomérations" sont apportées essentiellement par des
intercommunales qui doivent, elles aussi, être rénovées, ainsi que le prévoit le
Gouvernement wallon et plus particulièrement le Ministre Bernard Anselme.
L’intérêt d’un tel
organisme serait d’agir en faveur de communes constituant un même ensemble
urbain afin de gérer des domaines tels que :
-
la lutte contre
l’incendie;
-
la culture (théâtres,
opéras, maisons de la culture,...);
-
la santé (économies
réalisables par des coopérations interhospitalières, centre de prévention
SIDA, centres de dépistage du cancer, etc.);
-
le social (lutte
contre la toxicomanie, la délinquance);
-
la sécurité (n’est-ce
pas ce que nous faisons avec les zones interpolice);
-
la politique de
l’immigration, etc.
Un tel organisme pourrait
éventuellement prendre aussi en charge certaines compétences actuellement gérées
par les provinces en milieu urbain.
Dois-je rappeler aussi la
fixation des frontières linguistiques avec l'injustice territoriale qui en a
résulté pour les habitants de Fourons ?
Enfin, avec les accords
de la Saint-Quentin, les compétences communautaires qui par essence s'adressent
d'abord aux francophones ont été matérialisées géographiquement par la
régionalisation de leur exercice.
Ce sont pas moins de 23
milliards de francs en compétences nouvelles qui ont été, depuis le 1er janvier
1994, transférés aux Régions wallonne et bruxelloise.
Toutes ces réflexions
préliminaires m'amènent à faire la remarque suivante à propos de la province :
pourquoi cette institution n'a-t-elle pas vu ses compétences et son champ
territorial d'action s'adapter aux réformes de structures de l'Etat ?
Mes réflexions à ce
propos s'orientent dans deux directions que je considère comme indissociables.
C'est d'une part les matières d'intérêt provincial et d'autre part les organes
provinciaux et leur fonctionnement.

2.1. Les matières
d'intérêt provincial
Les compétences propres
des provinces concernent les matières d'intérêt provincial. Mais, juridiquement,
cet intérêt n'est défini nulle part. S'il s'agit de compétences résiduelles par
rapport à celles exercées par les autres niveaux de pouvoir, la multiplication
de ceux-ci a, dans la réalité des faits, tendance à rétrécir ce domaine de
compétences propres.
Confier à un pouvoir
décentralisé comme celui des provinces des compétences non clairement définies
constitue une lacune supplémentaire pour le devenir de l'institution.
Les compétences
attribuées à la province devraient être définies limitativement par sa loi
organique. On mettrait fin, de la sorte, au flou qui règne actuellement en la
matière, personne ne sachant exactement ce que les provinces peuvent faire et en
vertu de quoi elles peuvent le faire.
Par ailleurs, la province
se charge également de missions qui lui sont confiées par la Constitution, la
loi ou le décret, comme par exemple la tutelle sur les communes. Permettez-moi
de développer quelque peu ce concept de tutelle sur les communes. Je sais qu'il
fait l'objet d'un des thèmes de vos ateliers. Considérez donc ce que je dirai
ici comme étant l'un des axes de votre réflexion de cet après-midi.
Tout d'abord – et je
n'apprendrai rien à ceux qui me connaissent –, je suis favorable à une très
large autonomie des communes. Globalement, il est nécessaire d'alléger la
tutelle en général et, pour préciser ma pensée, je dirai que, à tout le moins,
la tutelle d'opportunité pourrait être supprimée.
Seuls pourraient
peut-être subsister un contrôle du maintien d'un équilibre budgétaire
satisfaisant et une tutelle de légalité, et ce, de façon considérablement
allégée.
Mon but n'est pas de
développer, point par point, les domaines d'activités exercés par les provinces.
Globalement, mon opinion est que la province ne doit exercer que des compétences
qui seront mieux exercées en son sein qu'à un autre niveau de pouvoir existant
ou à créer, intermédiaire entre la Région wallonne et les communes.
2.2. Les organes
de la province
Les différents organes
provinciaux ne gagneraient-ils pas en crédibilité et en reconnaissance s'ils
voyaient leur responsabilité individuelle renforcée ?
Tout d'abord, le
Conseil provincial :
-
la modification
du règlement d'ordre intérieur du Conseil, déjà en cours dans plusieurs
provinces, rajeunit l'institution. C'est un point positif qu'il faut
conserver et amplifier;
-
si, aujourd'hui,
le Conseil ne se contente plus d'une session ordinaire en octobre avec
de rares et courtes sessions extraordinaires, il importe par ailleurs de
continuer à rendre le travail des élus plus régulier et donc moins
épisodique.
Ensuite, après avoir
évoqué le Parlement de la province, penchons-nous sur son Gouvernement, cet
organe exécutif que constitue la Députation permanente.
Si l'on veut conserver,
dans les dix provinces que comptent les deux Régions wallonne et flamande,
soixante ministres provinciaux avec leurs cabinets et leur sphère d'influence,
il faut que cela soit rentable et productif aux yeux des citoyens qui sont, à la
fois, électeurs et contribuables. Cela signifie que les Députations permanentes
devraient, désormais, préparer pour les Commissions d'un Conseil – dont les
membres ne sont pas des permanents de la gestion publique – des documents clairs
qui n'imposent pas de solutions toutes faites mais présentent objectivement les
diverses options possibles.
Enfin, quand on aborde le
rôle du
gouverneur, on touche à l'objet de toutes les critiques.
Le statut du gouverneur
ou plus exactement, pour reprendre le terme utilisé par la loi provinciale, du
Commissaire du Gouvernement, pose questions.

Le gouverneur est, depuis
toujours, le représentant du pouvoir central au sein de la province et le
Président de la Députation permanente. Mais si l'histoire montre comment le
gouverneur est devenu au fil du temps à la fois juge et partie, elle justifie
plus difficilement aujourd’hui cet audit fonctionnel.
Ce double rôle –
qu’assurent les gouverneurs – à la fois représentants de l’autorité fédérale et
présidents avec voix délibérative de la Députation permanente – apparaît tout à
fait contradictoire.
Rappelons tout d’abord
que le gouverneur est un fonctionnaire de l’Etat fédéral, nommé par le roi à ce
poste jusqu’à l’âge de la retraite. Il n’est donc pas soumis comme tel à la
sanction de l’électeur.
Son rôle exact, en tant
que Président de la Députation permanente, est de prendre part aux décisions de
celle-ci et de la présider. En tant que représentant de l’Etat dans la province,
il rend compte à l’autorité fédérale de l’éventuelle mauvaise application des
lois par la province.
Il est également devenu
le représentant de la Région.
Chacun des rôles du
gouverneur, même pris séparément, peut heurter : en effet, trouve-t-on au niveau
fédéral, régional ou communal une personne non élue – et donc un fonctionnaire
nommé par le roi jusqu’à l’âge de la pension – qui prend part aux décisions d’un
gouvernement, d’un collège ? Cela n’existe en Belgique dans aucun organe
institutionnel. Et il me semble qu'au sein de la province – malgré toutes les
raisons historiques que l’on peut évoquer – il s’indique aujourd’hui de
déterminer le rôle exact que doit assumer chaque gouverneur et fixer son
appartenance fédérale ou régionale.
Pourquoi la fonction ne
serait-elle pas confiée à un Président de la Députation permanente (primus
inter pares, choisi parmi les Députés permanents) et auquel une mission
fédérale serait attribuée (de la même manière que le bourgmestre est présenté
par ses pairs et nommé par le roi).

2.3. Le
fonctionnement des organes
La province est souvent
perçue comme un organisme opaque, peu ouvert, peu démocratique. Il faut donc la
rendre plus accessible. Je souhaite à cet égard développer des idées par
ailleurs évoquées par plusieurs sénateurs à la Commission du Sénat chargée de la
modification de la loi provinciale.
N’est-il pas souhaitable
que, comme pour les communes, le droit de consultation, d’interrogation et
d’information des conseillers provinciaux soit établi d’une manière claire et
précise dans la définition actuellement trop vague de la notion d’"intérêt
provincial" ?
Dès lors, le droit des
conseillers provinciaux devrait pouvoir également s’exercer pour les missions
dont la gestion est confiée directement à la Députation permanente.
On renforcerait, de cette
manière, la mission de contrôle du Conseil provincial, autrement dit celle du
"Parlement" de la province sur son "Gouvernement", la Députation permanente.
J’entends déjà les
puristes qui invoqueront le fait qu’il est des missions de la Députation
permanente qui ne recouvrent pas l’intérêt provincial mais bien l’intérêt
général, qu’il s’agit de missions qui lui ont été déléguées par des autorités
supérieures, qu’elle n’est pas libre d’agir comme elle l’entend dans ce domaine
et que, de ce fait, il ne serait pas normal que le Conseil provincial s’immisce
dans la gestion de ces missions. Telle n’est pas mon opinion. D’une façon
générale, je suis tout à fait favorable à une information du citoyen et de ses
représentants – dans ce cas les conseillers provinciaux – la plus complète et
donc la moins cloisonnée possible. Il s’agit d’un gage de démocratie pour nos
institutions.

Des modifications
concernant le fonctionnement de la Députation permanente devraient aussi rendre
celle-ci plus transparente. Ainsi, justifier son budget par une note de
politique générale renforcerait la cohérence de son action.
Des mesures de ce type,
il en existe beaucoup. Mon objectif, ici, se limite à illustrer par des exemples
concrets des orientations, il ne s’agit pas d’en faire un relevé exhaustif.
Je pense qu’il est
nécessaire pour les provinces de développer une politique novatrice en matière
de communication tant en leur sein qu’envers le public. En effet, l’opacité est
sans doute l’un des problèmes principaux des provinces.
Parmi les principes à
concrétiser, ne faudrait-il pas renforcer la primauté du Conseil provincial sur
la Députation permanente ? Pourquoi ne pas étudier, notamment, l’instauration
d’un mécanisme de "méfiance constructive" de l’Assemblée vis-à-vis du
Gouvernement provincial ?

3.
Conclusion
Après avoir développé
devant vous certaines faiblesses des provinces, je souhaite faire une dernière
remarque : certes il est indispensable de rénover l’institution provinciale
mais, pour que nous puissions vivre dans une région dont toutes les composantes
ont un sens, une raison d’être, il convient également, de réparer les anomalies
de découpages (électoral, administratif et judiciaire) que les différentes
réformes institutionnelles depuis 1970 n’ont pas rectifiées.
Il m'apparaît
certainement qu'un échelon entre la commune et la région est nécessaire.
Faut-il revoir la
dimension de cet échelon ? Il existe, faisons-le fonctionner !
Ne l’oublions pas. Les
institutions ne sont que des instruments au service du citoyen. Apprenons à les
conceptualiser clairement, d’abord, à les expliquer simplement et sereinement,
ensuite et, responsables politiques, administratifs ou issus de nos universités,
ne reportons pas sur le citoyen nos saintes et multiples complexités, qu’elles
soient issues de la Saint-Michel ou de la Saint-Quentin. Faisons les fonctionner
avec souplesse, adaptons-les sans a priori, et sans complexe. Entre
Wallons.
Je vous remercie.

Notes
(1) Alexis de
TOCQUEVILLE, Fragments et notes inédites sur la Révolution, dans
Oeuvres complètes, t. 2, p. 121, Paris, Gallimard, 1980.
Ce texte est extrait de
La province : une institution à redéfinir ? Actes du séminaire organisé en
collaboration par l'Association francophone des Provinces et l'Institut Jules
Destrée - Namur, 30 janvier 1996.
