Longtemps, que ce soit
aux Etats-Unis ou en Europe, on a analysé le fédéralisme – et notamment le
fédéralisme d'Etat – sur la base du développement historique. Cela signifie que,
aux Etats-Unis, par exemple, on partait de la Constitution de 1787 – qui a le
mérite d'être toujours en activité –, on envisageait la jurisprudence de la Cour
suprême pour mettre en évidence le fait que, lorsque John Marshall y arrive, il
développe toute une jurisprudence à propos de ce qu'on appelle en anglais la
Commerce clause, la clause sur le trafic commercial. Question : est-ce que
le gouvernement fédéral peut s'occuper du commerce entre les Etats ? Au départ,
la Constitution prévoyait telle chose, plus tard, la Cour suprême a constaté,
décidé, ceci ou cela. Dans le domaine de la ségrégation, par exemple, on connaît
l'importance de la jurisprudence de la Cour suprême. Dans le jugement rendu en
1954 qui dit que separate is not equal – la séparation est contraire au
principe de l'égalité – et, à partir de là, on interprète différemment le
principe d'égalité et on en tire un certain nombre de conclusions sur la
ségrégation aux Etats-Unis.
Cette méthode est
largement empirique. C'est celle qui est aussi pratiquée en France où, quand on
commente les Constitutions des Etats ou la construction de la Communauté
européenne, on part du traité sur la CECA, du Plan Schuman, des traités sur
l'Euratom et sur le Marché commun, et puis on explique tout en ajoutant et en
soustrayant, en se basant essentiellement sur la chronologie des textes. C'est
une méthode d'analyse qui ne manque pas d'intérêt mais qui est incomplète.
Dès lors, plus récemment,
on a développé – essentiellement en Europe – une analyse du fédéralisme qui
considère que celui-ci est davantage une méthode de raisonnement. Celle-ci peut
s'appliquer aux Etats – par exemple aux Etats fédéraux, aux relations
internationales –, notamment au niveau européen où la Communauté européenne et
l'Union européennes sont des constructions qui sont internationales au sens
classique du terme mais qui sont aussi des constructions de droit public. Ainsi,
on est, à la fois, à la frontière très mouvante de deux droits qui n'ont pas
tout à fait les mêmes règles : le droit international public et le droit public.
L'analyse fédéraliste
peut s'appliquer aussi à des éléments qui, au départ, paraissaient totalement
différents. Ainsi, le problème des organisations syndicales : il n'est pas
indifférent à l'analyse fédéraliste que l'on parle en Belgique d'une
Fédération générale du Travail de Belgique ou d'une Confédération des
Syndicats chrétiens. Au départ, on pensait que les appellations n'avaient
rien à voir avec une théorie fédérale. Au contraire, elles ont beaucoup à voir
et la méthode d'approche permet de discerner de nombreux éléments intéressants.
Un homme de science politique belge qui s'appelle Léo Moulin a écrit force
articles et un livre particulièrement intéressant sur l'application du
fédéralisme dans les ordres religieux en expliquant que – contrairement à ce
qu'on pensait –, on pouvait discuter non pas seulement de façon empirique et
classique, ce qu'on a toujours fait, mais en raisonnant et en s'interrogeant
pour savoir quel type de principe applique-t-on aux ordres religieux ? Quel est
le principe qui gouverne ? Est-ce qu'il y a une forme de subsidiarité – pour
prendre un terme dont nous reparlerons – entre la hiérarchie centrale de l'Eglise
catholique et l'ordre des Jésuites ? Bâtissons sur cet exemple-là : est-ce que
les rapports du Pape avec l'ordre des Jésuites sont les mêmes que les rapports
du Pape avec les Franciscains ou avec les Dominicains ? La réponse apparaît
alors tout de suite : c'est non. Et la différence n'est pas seulement la date de
fondation de l'ordre. Dès lors, il y a beaucoup à en dire. Voilà comment on
s'est mis à approcher la réflexion sur une analyse beaucoup plus générale,
multiciblée, des formes de regroupement des entités humaines et, à partir de là,
on a développé toute une théorie sur les principes du fédéralisme.

Certains des livres me
sont précieux, je les évoquerai soit pour signaler qu'ils étaient très utiles
dans l'analyse – dans une seconde partie, nous appliquerons cette analyse à la
Constitution belge, mais il faut d'abord comprendre l'analyse avant de
l'appliquer –, soit pour mettre en garde contre des certains problèmes de
titres.
Ainsi, Robert Aron et
Alexandre Marc ont publié à Paris un livre qui s'intitule Principes du
fédéralisme. Je trouve ce livre extrêmement intéressant. On le voit du reste
à la façon dont je l'ai constellé de remarques, mais il n'a rien à voir avec
notre sujet malgré son titre. C'est davantage une réflexion – bien utile par
ailleurs – mais qui ne nous aide pas.
Comme effectivement
Alexandre Marc a eu dans tout ceci une influence considérable, la publication du
Centre de Recherches de Lausanne, qui a été consacrée au fédéralisme et à
Alexandre Marc, contient un certain nombre de considérations qui sont tout à
fait d'application par rapport à nous, notamment aux pages 73 et 74.
Enfin, l'excellente revue
que Jean-Pierre Gouzy préside, L'Europe en formation, a publié à
plusieurs reprises des textes d'un intérêt tout à fait soutenu et notamment en
janvier - mars 1976. On y trouve un résumé de la pensée de Guy Héraut sur la
société fédérale : principe, schéma, conjecture.
Pour ma part, avec des
réserves quant au fond, des nuances que je vais apporter, je pense que les
livres majeurs dans la circonstance, ce sont Les
Principes du fédéralisme, du professeur Guy Héraut, qui fut jadis, entre
autre chose, candidat à la Présidence de la République – mais il ne fut pas élu
comme vous le savez sans doute. Ce livre est publié en 1968. Ce n'est pas tout à
fait par hasard s'il est préfacé et "postfacé" par Alexandre Marc. On voit
combien les deux auteurs ont un certain nombre de choses en commun, même s'il y
a des nuances.
Héraut retient cinq
principes du fédéralisme, Alexandre Marc en retient quatre. Je suis plutôt de
l'avis d'Alexandre Marc, mais c'est secondaire, j'y reviendrai.

1. Le principe d'autonomie
L'autonomie des personnes
physiques : c'est une idée très généralement acceptée parce que ce sont des
droits qui se traduisent par le principe de la liberté individuelle. L'autonomie
des personnes morales, cela pose déjà un certain nombre de problèmes juridiques
plus grands. Quant à l'appliquer au niveau des collectivités publiques, c'est
très compliqué et c'est souvent par là qu'on aborde le fédéralisme, bien
entendu. Cela pose un grand nombre de problèmes.
Considération de droit
international public, l'autonomie des collectivités notamment – et même
l'autonomie des personnes physiques – a donné base à un concept fondamental,
très controversé, du droit international public : c'est le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, qui, du reste, figure en bonne place dans la Charte de
l'Organisation des Nations-Unies. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
exprime l'idée que chaque peuple – pour prendre le vocabulaire de la Charte –
dispose d'un droit à s'organiser comme il l'entend, donc un droit à l'autonomie.
Mais on entre tout de suite dans une controverse vitale, parce que les relations
internationales sont surtout des relations inter-étatiques. Autant les Etats se
reconnaissent à eux-mêmes le droit de s'auto-organiser en fonction du principe
d'autonomie – ils s'interdisent des ingérences dans la sphère de l'un ou dans la
sphère de l'autre, sauf raison majeure –, autant cela fonctionne très mal dans
l'organisation intra-étatique, et le même principe – le principe d'autonomie –
ne trouve pas du tout le même type de reconnaissance à l'intérieur des Etats
qu'à l'extérieur des Etats. La France, qui a été à la base de la reconnaissance
internationale du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, n'aime pas l'idée
que ce principe pourrait s'appliquer aux Bretons et moins encore aux Corses.
Donc il y a là une difficulté. Nos amis du Val d'Aoste savent que, en Italie,
cela n'a pas été sans peine qu'on a créé des régions et même, dans certains cas,
des régions autonomes. Et il en va ainsi à travers le monde : le problème du
Cachemire et de son appartenance entre l'Inde et le Pakistan n'est pas plus vite
réglé qu'un problème balkanique en Europe et donne le même état de guerre
virtuel.
Pourquoi y a-t-il une
telle différence entre le principe d'autonomie entre les Etats et le principe
d'autonomie à l'intérieur des Etats ? Parce que on se heurte là au tabou
national. Ce n'est pas simplement le problème de l'Etat, c'est le problème de l'Etat-nation.
On ne se convulse pas à l'idée qu'on puisse organiser, morceler le concept de l'Etat,
mais on se convulse à l'idée qu'on puisse morceler le concept de nation.
Regardez ce qui est arrivé en France récemment dans l'écriture de la
Constitution : les avis du Conseil constitutionnel sur l'unicité du peuple
français, l'existence ou la non-existence d'un peuple corse. Premier exemple en
Belgique : où le peuple se situe-t-il ? Y a-t-il un peuple belge – vous pouvez
traduire, remplacer par "y a-t-il une nation belge" – ? Si vous parlez d'un
ancien journal de presse, la réponse est non, il a disparu. Pour certains,
c'était prémonitoire, mais pour d'autres le rapport n'est pas là, on est
toujours en train d'exalter un peuple belge alors que, en Flandre, on exalte le
peuple flamand, en Wallonie, le peuple wallon et que notre ami José Happart
parle même du peuple fouronnais pour identifier les 3.000 habitants d'une seule
commune. Le problème du vocabulaire n'est pas seulement le problème de
l'étiquette que l'on met sur la bouteille; le problème du vocabulaire est encore
bien plus le problème du contenu de la bouteille.
Le principe d'autonomie a
des connotations importantes qui n'apparaissent pas à première vue. En
sociologie économique, par exemple, toute la théorie yougoslave de l'autogestion
des entreprises, c'est l'idée que l'entreprise, dans un système économique, doit
pouvoir disposer d'une certaine autogestion. C'est une autonomie de
gestion. C'est une application du principe d'autonomie. D'emblée, il est clair
que la théorie soviétique de jadis récusait la notion d'autogestion des
entreprises, puisque ces entreprises étaient soumises – et "soumises" était un
mot faible – au Plan tandis que, dans le système de l'économie de marché, on
trouve une certaine souplesse mais pas nécessairement une autogestion au sens
yougoslave, qui alors posait la question de la gestion à l'intérieur de
l'entreprise et non pas seulement la question de la gestion de l'entreprise dans
le système économique. On retrouve le même type de différence que celle évoquée
au niveau du droit international public, pour d'autres raisons bien entendu,
mais aussi parce qu'on touche à un autre tabou qui est : est-on propriétaire
d'une entreprise, c'est-à-dire d'un ensemble humain ? Et qui est propriétaire de
l'entreprise ? Qui peut l'être ? Qui doit l'être ? Quels sont les attributs du
droit de propriété ? Tout ceci, c'est en fait une variation sur le concept
d'autonomie.

En droit public, vous
pouvez avoir – et vous avez, en général, au vingtième siècle en Europe –
une reconnaissance qui va croissante du rôle des entités internes. On peut
parler quelques fois, dans un régime fédéral, des composantes internes. Il y a,
en Europe, depuis la fin de la guerre, une tendance à reconnaître ce qu'on
appelle – fréquemment mais pas uniquement – des régions, à l'intérieur des Etats.
C'est classique dans les Etats fédéraux, et pour cause : c'était le cas dans
l'Allemagne dès 1945, pour ne parler que de celle-là puisqu'il y a des Länder.
En dehors de la construction européenne, c'était le cas de la Suisse, où l'on
parle de cantons. Chez les Canadiens, c'est la réalité des provinces qui est
mise en discussion. Au niveau des Etats-Unis, ce sont des Etats. On va donc
retrouver tout un problème de vocabulaire qui est, à la fois, je le répète, un
problème de contenu. Ce n'est pas indifférent que les entités se décrètent –
soient considérées – comme des Etats ou non par les textes de base. Et cette
analyse peut encore être nuancée, parce que, dans sa Constitution interne, le
Texas est un Etat souverain : The Sovereign State of Texas. Et un Etat
souverain, ce n'est pas tout à fait la même chose qu'un Etat au sens classique
du terme. Donc, grâce au principe d'autonomie, on peut poser toute une série de
questions et, du côté des fédéralistes européens, nous tenons pour avéré que la
difficulté n'est pas de trouver des réponses mais bien de trouver des questions.
Et que si on ne sait pas comment poser des questions, on n'est pas prêt de
trouver des réponses.
La France, depuis la
guerre, a créé des régions. L'Italie a développé son système régional. Dans un
autre pays où la chose n'était pas si simple – elle n'est simple nulle part, en
vérité – mais elle n'était pas simple en Espagne, surtout sous le franquisme :
l'Espagne a développé des régions. La Catalogne – qui est à l'Espagne ce que le
Texas est aux Etats-Unis – a vu renaître la Généralité de Catalogne. On peut
multiplier les exemples.
Grande question : y
a-t-il une supervision du pouvoir de l'Etat central sur le pouvoir des
composantes de l'Etat ? Y a-t-il un contrôle administratif ? Et la Belgique a
employé un mot qui, plus tard, s'est étendu dans d'autres domaines : y a-t-il
une tutelle, de même que, dans le droit privé, un mineur qui a un problème de
famille est placé sous tutelle, parce qu'il n'est pas susceptible d'assumer tout
seul la direction de ses affaires, sa propre direction ? Y a-t-il une tutelle
administrative ? On retrouve – ce n'est pas un exemple – le mot tutelle
dans le vocabulaire de la Charte des Nations-Unies pour parler d'un territoire
de type colonial qui est placé sous la tutelle du Conseil de Tutelle. Donc,
chose curieuse, des notions qui sont des notions de droit privé – le droit des
familles – peuvent se retrouver dans le droit international public, à propos de
la décolonisation. On se trouve devant une application du principe d'autonomie.
Quelles sont les limites
dans le temps du principe d'autonomie ? Y a-t-il des limites dans le temps au
principe d'autonomie ? Ce sont des questions qui suscitent des commentaires,
quelque fois passionnés. Revenons à l'idée du droit des familles. Dans le droit
des familles, on considère qu'il y a, en général, une limite dans le temps, en
tout cas dans la société moderne. Donc, la personne qui est placée sous tutelle
ne l'est pas à vie, sauf des dispositions tout à fait particulières qui tiennent
alors à son état mental par exemple. Mais on considère qu'un jeune s'émancipe.
Est-ce qu'il s'émancipe à 21 ans ? A 18 ans ? Les Etats organisent tout cela.
Qu'en est-il des collectivités territoriales ? C'est un autre tabou et on fait
guerre sur ce tabou : c'est le problème du droit de sécession. Est-ce que, à un
moment donné, s'il y a tutelle, la tutelle doit céder ? Les Etats-Unis sont
partis en guerre, en guerre interne, en guerre civile – c'est comme cela, du
reste, qu'ils l'appellent –, en 1861, sur le problème du droit de sécession.
Est-ce que ce droit à l'autonomie, pour la Virginie, comportait le droit de
sortir de l'Union ? Et la Virginie a hésité, en 1861, et il y a eu des débats
très grands. Le Deep South, le Sud profond, était tout à fait pénétré de
l'idée qu'il fallait faire guerre sur le problème de la sécession, mais la
Virginie, avec beaucoup de raison, a hésité avant de rejoindre le camp du Sud.
Ainsi, rien que sur le principe d'autonomie, on peut bâtir une énorme réflexion.
Cela ne pourrait pas manquer d'intérêt de faire un ouvrage de quatre à cinq
cents pages sur les problèmes posés par le principe d'autonomie.

2. Le principe de subsidiarité
On peut avancer plus vite
sur le deuxième principe qui est le principe aujourd'hui le mieux connu en
Europe. En effet, c'est le principe qui y a la plus grande popularité. Il a été
popularisé par Valéry Giscard d'Estaing. Le principe de subsidiarité a été
inventé à un moment donné, comme si on avait inventé l'eau chaude. Même s'il est
apparu brutalement à tous ceux qui ne le connaissaient pas, il existe depuis
longtemps. C'est un principe qui s'applique lorsqu'on discute des compétences.
Prenons l'exemple des collectivités territoriales, c'est celui qui nous occupe
le plus. Est-ce que toutes les compétences appartiennent à la collectivité la
plus large et fait-on des exceptions pour les collectivités moins larges ou bien
le principe suivant lequel la compétence de base appartient aux entités de base
est applicable, et délègue-t-on vers le haut ? Le mot déléguer est un mot
clef. Est-ce que le fédéralisme se construit vers le haut, par un assemblage de
pièces ? La réponse est le plus souvent positive. On construit le fédéralisme
vers le haut et, dès lors, ce sont les entités de base qui délèguent un certain
nombre de compétences. Historiquement, ce sont les cas les plus fréquents et, à
nouveau, que l'on parle de la Suisse ou des Etats-Unis, c'est un principe qui
est un principe de construction. On délègue des compétences vers l'entité plus
large. La Belgique se croit le seul exemple d'une délégation dans le sens
inverse, c'est-à-dire d'une délégation qui est faite par l'Etat central vers les
entités composées, mais ce n'est pas le seul Etat fédéral – et de beaucoup – où
ce principe est joué : le Canada a été, en grande partie – notamment pour des
raisons qui tiennent à la nature coloniale du point de départ –, une
construction faite par l'Angleterre vers les Provinces et non pas des provinces
vers l'Angleterre. Pour une bonne part, les Etats-Unis aussi, contrairement à ce
qu'on croit, parce la définition des Etats de l'Ouest a été faite par le pouvoir
central. Il n'y a pas eu une genèse spontanée du territoire du Colorado. C'est,
à un moment donné, l'Etat central qui a décidé de faire un territoire du
Colorado, qui, plus tard, est devenu l'Etat du Colorado. A partir du moment où
vous avez des collectivités de base, où vous avez une collectivité plus large,
c'est le coeur même du fédéralisme. Ainsi, sur le même territoire, vous pouvez
avoir plusieurs autorités qui ne sont pas subordonnées l'une à l'autre,
puisqu'il n'y a pas tutelle.
La Belgique a toujours
connu des provinces mais les provinces étaient placées sous la tutelle de l'Etat
central. La Belgique a toujours connu des communes mais la commune était placée
sous la tutelle du pouvoir provincial et du pouvoir central, aujourd'hui du
pouvoir régional. Il faut donc toujours faire attention : sommes-nous dans un
régime de type fédéral, le principe d'autonomie jouant alors beaucoup plus
fortement, ou sommes-nous dans un autre type d'Etat ? Même en Angleterre ou en
Hollande – qui sont des Etats puissamment centralisés – vous avez des comtés,
qui ont un certain nombre de pouvoirs, mais qui sont des pouvoirs clairement
attribués par le pouvoir central et qui ne sont pas mis en discussion quant au
principe.

Y a-t-il un principe qui
gouverne les attributions de compétences ? L'idée de la subsidiarité, appelée
aussi l'exacte adéquation,
est l'idée que la collectivité de base doit organiser toutes les compétences
qu'elle est capable de gérer efficacement et sans nuire aux autres collectivités
ou aux personnes. C'est une idée que Valéry Giscard d'Estaing a popularisée
quand on l'a amenée dans l'union européenne. On l'a amenée tard : elle n'a pas
été exprimée au moment de la construction de la CECA, née au moment de la
construction du Traité de Rome. Or, nous sommes tout à fait dans le système de
la construction au départ des entités de base vers l'entité plus générale, parce
que clairement l'Europe se fait au départ des Etats. On ne le sait que trop avec
tout ce que cela implique, notamment beaucoup de difficultés. L'idée de la
subsidiarité a été réintroduite à un moment donné pour limiter les délégations
de pouvoir vers la collectivité centrale, vers les instances européennes en
disant : quand on vous a dit que vous alliez vous occuper de l'agriculture,
on ne vous a pas donné toute l'agriculture, on vous a donné ce que vous pouviez
régler plus efficacement que les entités de base qui, dans la construction
européenne, sont les Etats. Et, derrière l'idée de subsidiarité, se profile
l'idée qu'il y a un droit de rétention de certaines compétences. On mesure mieux
maintenant qu'au XIXème siècle que les compétences sont fluctuantes, que, quand
on donne une compétence, soit à la collectivité centrale, soit à l'Etat central,
cette compétence fluctue dans le temps. C'est l'exemple que j'ai évoquée à
propos de la clause de commerce inter-étatique aux Etats-Unis. En 1787, le
commerce entre les Etats était très faible, donc cela n'avait pas un grand
intérêt. Dans les années suivantes, il s'est développé très fort. C'est devenu
d'un intérêt brûlant. Donc, à un moment donné, on a dû trouver une solution, non
par la modification de la Constitution, mais bien par la jurisprudence de la
Cour suprême. Ce que je souligne, c'est que tout ceci montre le caractère
évolutif des choses.
Il est clair, par
exemple, que aucun Etat européen, en ce compris la France malgré le caractère
partiellement nucléaire de sa défense –n'est plus à même d'assurer seule la
protection de son territoire et de sa population. Les Belges le savent depuis
longtemps. En 1940, on a eu la preuve par 9 de cette réalité là. Or, aucun Etat
européen n'a délégué clairement la compétence de la sécurité. On a construit
l'OTAN qui est censé assurer la sécurité mais la compétence n'est pas déléguée à
l'intérieur de l'OTAN. Dès lors, vous avez cette chose admirable, vous avez à un
moment donné vingt-sept personnes qui se réunissent et qui disent : qu'est-ce
que nous allons faire ? Cela prend un certain temps, comme les affaires de
Yougoslavie l'ont montré, mais ceci est une autre histoire. Il n'y a pas eu de
délégation parce qu'on touche à des tabous et qu'il est très difficile de
franchir ces tabous.
Retenons donc, de l'idée
de subsidiarité, que le partage des compétences ne se fait pas de façon neutre,
qu'il y a un critère d'efficacité et que, idéalement, on ne délègue que ce qu'on
ne peut pas régler soi-même. Cette théorie ne va pas toujours sans un certain
danger. Si vous l'appliquez comme nous avons essayé de le faire à la
construction de l'Etat fédéral belge, vous voyez bien tout ce qui peut y avoir
comme problème. Que considère-t-on en Belgique que l'Etat ne peut plus faire,
puisque les mêmes principes doivent jouer dans un sens ou dans l'autre ?

3. Le principe de participation
C'est un principe qui
exaspère l'opinion publique belge parce qu'elle trouve que cela fait désordre,
que c'est compliqué. Pourquoi ? Parce que, jadis, il y avait trois niveaux de
pouvoir dans l'organisation classique de l'Etat en Belgique : l'Etat central –
Etat centralisé d'ailleurs, les mots ne sont pas synonymes –, les provinces, les
communes. Mais les provinces – sauf une exception – ne participaient pas à
l'organisation de l'Etat central, et les communes moins encore à l'organisation
des provinces, tandis que dans un régime fédéral, les entités les plus petites
participent à l'organisation du pouvoir de l'entité la plus large. Prenez
l'exemple des Etats-Unis. Il a fallu une fiction. C'est une fiction de dire que
le président des Etats-Unis est élu au suffrage universel direct, contrairement
à ce que beaucoup de gens pensent. En réalité, techniquement, les gens élisent
des électeurs et les électeurs élisent le président des Etats-Unis. Mais en
fait, les électeurs s'engagent – et ils sont recrutés sur cette base-là – à
transférer les votes populaires. C'est une trace de participation, mais ce n'est
pas directement la participation des composantes. Par contre, quand on voit les
deux Chambres des Etats-Unis, il y a une différence majeure : d'une part, aux
Etats-Unis, la Chambre des Représentants est élue par des districts qui n'ont
rien a voir avec les composantes de base. D'autre part, le Sénat est élu par les
Etats; chaque Etat déléguant deux sénateurs, qu'il ait 400.000 milles habitants
comme le Névada ou 40 millions comme la Californie et comme New-York – je parle
en chiffre très généraux –. Donc on trouve des traces de participation
importantes et tout ce problème, toute cette clef, tout ce principe de
participation peut aussi conduire à des discussions parce que toute
l'organisation du système colonial jadis est une application d'un principe de
participation et se heurte à l'application du principe de participation,
puisqu'il s'agit d'un territoire qui est, en quelque sorte, organisé carrément
de l'extérieur. Prenez l'exemple d'une colonie dans l'ancienne acceptation du
terme : comment joue le principe d'autonomie ? Comment joue le principe de
subsidiarité ? Vous voyez bien que le principe de participation va à l'encontre
de cela et peut susciter des difficultés. Bien entendu, il peut y avoir des
participations directes ou des participations indirectes. C'est très lourd,
c'est très variable. On peut trouver des situations totales.

4. La coopération
Quatrième et dernier
principe sur lequel il y a accord : c'est le principe de coopération. Donc,
autonomie, subsidiarité, participation, coopération. Je ne les cite pas dans un
ordre d'importance ou de priorité, mais dans l'ordre cité par Guy Héraud. Je ne
dis pas que le principe d'autonomie est plus important que le principe de
participation.
La coopération, c'est
l'idée non seulement que, au départ de l'autonomie, on peut trouver des
collectivités territoriales qui soient autonomes mais aussi que ces
collectivités territoriales peuvent jouer un certain nombre de rôles en
s'associant, sans passer par l'Etat central. Et de fait, dans le fédéralisme
américain, par exemple, on essaie depuis quelques années, d'insuffler un certain
nombre de mesures de coopération. On en trouve aussi des traces dans le régime
belge, nous allons en parler. C'est une zone qui est intermédiaire entre
l'autonomie des composantes et la non moins grande autonomie de l'Etat central.
C'est, à un moment donné, l'idée qu'on peut régler des problèmes sans se mettre
sous la direction politique de l'Etat central, soit qu'on fasse une coopération
partielle, soit une coopération de toutes les composantes mais qui ne soit pas
placée sous la direction de l'Etat central.
Enfin, Guy Héraud retient
– et je me dois de vous le dire – un principe qu'il appelle le principe de la
complémentarité, principe qu'il développe dans son livre. Je ne suis pas
persuadé quant à moi – Alexandre Marc non plus – que l'on puisse trouver à
appliquer cela comme un principe général. Il est vrai qu'il y a des notions de
complémentarité mais cela ne nous parait pas tout à fait de la même nature que
les autres principes.

Le système belge
En ce qui concerne le
système belge, posons-nous des questions. Première question de base : qu'est ce
qu'on trouve comme principe d'autonomie ? En termes de sociologie politique, on
distingue une contradiction et, en même temps, une résultante très curieuse. La
contradiction, c'est que, de toute évidence, la fédéralisation de l'Etat a été
le fruit de la convergence de deux grandes volontés : la volonté d'une autonomie
flamande et la volonté d'une autonomie wallonne. Je ne prends pas le mot
autonomie dans le sens qu'on lui donne maintenant en Belgique et qui suscite
d'ailleurs des appétits, des convoitises et des hurlements. Je parle d'autonomie
au sens du principe d'autonomie. Je veux dire qu'il y a eu un mouvement flamand,
historiquement le premier, pour réclamer la reconnaissance d'une spécificité
flamande et qu'il y a eu plus tard, cinquante ans plus tard à peu près, un
mouvement wallon qui réclamait ce qu'il appelait à l'époque la séparation
administrative. Et, au départ de la séparation administrative, la reconnaissance
d'une entité wallonne. C'est plus tard qu'est apparu un mouvement bruxellois,
beaucoup plus tard et, chose très curieuse, la Région de Bruxelles est la
première Région dans laquelle les fédéralistes ont été majoritaires. C'est
arrivé vraiment très tard parce que la centralisation de la Belgique a apporté
tant de bienfaits à Bruxelles que les autres composantes de la Belgique
trouvaient dans la centralisation une raison d'alimenter leur autonomie.
Naturellement, les Bruxellois n'avaient pas le même sentiment. C'est quand ils
se sont trouvés menacés pour d'autres raisons, notamment linguistiques, qu'ils
ont réagi. Donc, premier élément, on sent vraiment deux forces qui vont diriger
l'opération de fédéralisation de l'Etat. La contradiction, c'est que c'est l'Etat
central qui organise les choses : cela ne se fait pas par un coup de force, ce
n'est pas la Flandre qui proclame son autonomie, la Wallonie non plus, c'est l'Etat
qui s'adapte aux forces que je viens de dire. C'est une contradiction.
Cette contradiction a une
résultante tout à fait caractéristique en Belgique. C'est que, du côté flamand
on était parti de l'idée d'une communautarisation de l'Etat, parce que, du côté
flamand, les problèmes étaient perçus sur le plan linguistique avec une acuité
toute particulière et qu'il y avait deux langues, le français et le flamand. Or,
les Flamands ont toujours conçu l'organisation sur la base des appartenances
linguistiques : c'est la poussée vers un fédéralisme à deux. Les Wallons, au
contraire, ont toujours voulu leur autonomie par rapport à Bruxelles parce que
la dominante du mouvement wallon n'est pas la langue mais la revendication
économique. Cela ne veut pas dire que les problèmes économiques ne jouent pas en
Flandre, on le voit bien maintenant que la principale poussée vient sur la
modification du régime de la sécurité sociale, ce qui n'est pas un problème
linguistique. On sait que, en Belgique, il y a eu des problèmes de défense
contre l'imposition du bilinguisme. Donc je ne dit pas qu'on ne parle pas
économie en Flandre, je ne dis pas qu'on ne parle pas des problèmes
linguistiques en Wallonie, je dis que la dominante du mouvement flamand actuel
est une dominante linguistique, la dominante du mouvement wallon étant une
dominante économique. Comme c'est une dominante économique, le mouvement wallon
ne veut pas d'une fusion avec Bruxelles. Il a une idée très nette de la
spécificité wallonne par rapport à la Flandre, il a une idée non moins nette de
la spécificité wallonne par rapport à Bruxelles. Ainsi, de façon assez peu
surprenante quand on sait cela, les projets fédéralistes, en Flandre, avant la
fédéralisation de l'Etat, sont essentiellement – voire uniquement – des projets
d'organisation de l'Etat sur la base de deux composantes, tandis que les
organisations wallonnes ont construit, sans exception, des projets qui visent
une organisation avec trois entités.

De même, on a discuté de
la spécificité germanophone et, comme tout le monde a été d'accord pour dire il
y a une spécificité de la partie germanophone de la Belgique – qui est une
partie marginale de la Belgique : j'ai beaucoup d'estime pour les germanophones,
mais c'est 60.000 habitants, ce n'est pas une composante majeure notamment au
niveau du principe de participation –. On s'est mis relativement d'accord et on
a réglé, sur le côté pour ainsi dire, le problème des germanophones sans trop de
problèmes. Reste le problème central. Comment allait-on choisir entre la
revendication à trois et la revendication à deux ? Réponse : on n'a pas choisi,
on a combiné et on s'est trouvé devant ce que Freddy Terwagne, qui fut ministre
de la Réforme des Institutions, a appelé le fédéralisme à deux et demi et
où on avait à la fois des reconnaissances d'un système à trois – c'est la
composante des trois Régions, la Flandre, la Wallonie, Bruxelles – et des traces
importantes des composantes à deux. De là, la Communauté française et la
Communauté flamande. Donc c'est au niveau du principe d'autonomie que l'on
trouve, à cet égard, des choses importantes.
A partir de là, on a
essayé de reconnaître une autonomie aussi large que possible aux composantes et
on y est parvenu parce que, en fait, la Constitution belge porte à la fois des
traces de fédéralisme et de confédéralisme, notamment dans le domaine des
relations extérieures. En effet, certains Etats fédéraux – reconnus de longue
date comme les Etats-Unis par exemple – ne reconnaissent pas du tout à leurs
composantes des droits aussi étendus que ceux reconnus à nos Régions. Même des
composantes aussi importantes que la Californie ne disposent pas de la capacité
de relations extérieures dont la Communauté française et la Région wallonne
disposent. Pourtant, si la Californie était seule au monde, si elle
n'appartenait pas à l'Union américaine, elle serait la quatrième puissance
économique du monde ! Ainsi, on a tendu à une autonomie aussi forte que
possible. De là découle le fait que les adversaires de l'Etat fédéral ont lutté
en vain. J'ai encore connu le temps des débuts de la construction fédérale et,
en 1973, nous étions seulement deux parlementaires dans une commission sur la
réforme de l'Etat à dire : le pouvoir régional – et d'ailleurs aussi le
pouvoir communautaire – doit pouvoir modifier la loi. Il doit avoir – pour
prendre un mot savant – un pouvoir équipollent à la loi. Tous les autres
parlementaires disant qu'il n'en est pas question et estimant que les Régions et
les Communautés devaient prendre des règlements – surtout les Régions – et ne
pouvaient modifier la loi. Au contraire, nous avons donné au principe
d'autonomie un contenu législatif et maintenant il est tout à fait admis – et ce
n'est plus discuté – que l'on peut, dans la sphère de compétences de la Région
ou de la Communauté, modifier la loi. Par exemple, l'aménagement du territoire,
confié aux Régions, a vu la Région wallonne se saisir de l'ancienne loi sur
l'aménagement du territoire et, dès la formation de la Région wallonne autonome,
celle-ci a adopté un décret qu'on appelle – c'est un peu mystérieux – le CWATU,
mais on peut traduire et dire le Code wallon d'Aménagement du Territoire et de
l'Urbanisme. Et les prescriptions urbanistiques ne sont pas les mêmes en
Wallonie, en Flandre et à Bruxelles. Les mauvais esprits disent qu'il suffit de
traverser Bruxelles pour s'en rendre compte. Voilà. Ceci est une boutade,
naturellement, mais je ne dis jamais des choses aussi sérieuses que quand je
fais des boutades. Il est clair que reconnaître l'autonomie législative est un
élément tout à fait important et tout à fait caractéristique.
L'autonomie législative
n'impliquait pas, jusqu'à cette année, l'autonomie des assemblées législatives.
Il y avait un Conseil régional wallon, auquel nous donnons maintenant le nom de
Parlement wallon, mais il n'était pas autonome. Il était composé des membres de
la Chambre et des membres du Sénat, qui étaient des élus directs. C'est
extrêmement rare dans les régimes fédéraux. Nous avons été vers plus
d'autonomie, mais le passage par cette non autonomie des assemblées législatives
a été la clef politique qui a ouvert la porte de l'autonomie législative.
Pourquoi ? Parce qu'on disait aux parlementaires, membres de la Chambre et du
Sénat : les Conseil régionaux pourront modifier la loi, mais les Conseils
régionaux, c'est vous. Donc les parlementaires, eux, ne perdaient
aucun pouvoir. Ils ne déléguaient pas leur pouvoir à d'autres personnes assises
dans d'autres endroits, dans d'autres lieux, ils se déléguaient à eux-mêmes,
réunis autrement, la possibilité d'agir. Si on n'avait pas eu cette disposition,
on ne serait pas arrivé au même résultat. Il est quelque fois bien utile de
trouver ce genre de passage – qui surprend et qui déconcerte les analystes –
mais qui explique comment on est arrivé à ce résultat.
Depuis cette année, nous
avons eu ce que tout le monde appelle des élections directes des Conseils
régionaux : cette appellation est fausse. Il y a belle lurette que ces élections
sont directes, mais les élections directes n'étaient pas séparées. Maintenant,
des personnes différentes siègent les unes au Conseil régional, les autres au
Parlement central, soit à la Chambre, soit au Sénat, avec une exception : tandis
que la Chambre est composée uniquement de membres élus directs et distincts des
personnes élues dans les Conseils régionaux, au contraire, le Sénat est composé,
pour partie, de gens désignés par les Conseils de Communautés, en application du
principe de participation.
Ceci implique que je
précise que, par rapport au fédéralisme à deux et demi, la révision de la
Constitution de 1993 a consacré un principe auquel je tiens beaucoup et qui
faisait hurler mon collègue Jean Gol, c'est la primauté de la Région. Primauté
par rapport à quoi ? Par rapport à la Communauté, au sens belge du terme. Au
départ, on avait la Région et la Communauté. Les Flamands nous poussaient très
forts à reconnaître la primauté à la Communauté et si nous l'avions reconnue,
nous aurions élu des personnes au Conseil communautaire et puis nous aurions dit
que celles qui sont élues à Bruxelles peuvent siéger seules et celles qui sont
élues en Wallonie peuvent siéger seules. Nous avons fait le contraire et ce
n'est pas un détail. Nous avons élu un Conseil régional en Wallonie, comme nous
avions élu, à partir de 1989, un Conseil régional à Bruxelles, et nous avons
formé des délégations pour le Conseil de Communauté, tant du côté flamand que du
côté francophone. Les Flamands ont accepté que le Conseil de Communauté soit
fait par délégation mais ils sont plus loin dans la fusion des institutions que
la Wallonie ne l'est.
En ce qui concerne la
Wallonie, il y a donc un phénomène de double délégation au niveau parlementaire
et l'on trouve deux applications successives du principe de participation. A
l'heure actuelle, la totalité des conseillers régionaux wallons participe au
Conseil de la Communauté française et une partie des conseillers de la
Communauté française – un partie très partielle ou très limitée –, siège au
niveau du Sénat. Nous avons deux applications successives du principe de
participation. Voilà, par exemple, comment nous avons dosé les principes de
construction du fédéralisme au niveau des assemblées et de leurs pouvoirs.

Contrairement à ce qu'on
peut penser, nous n'avons pas construit les relations entre les gouvernements
des entités sur le même modèle que la construction que nous avons faite pour les
assemblées. Nous avons, de ce côté-là, accentué la participation, avec une
touche de coopération. Le Parlement wallon élit, en son sein ou non, un
gouvernement wallon qui est responsable devant lui. Le Conseil de la Communauté
française élit, en son sein ou en dehors de lui, un gouvernement de la
Communauté française responsable devant lui. Le gouvernement wallon et celui de
la Communauté française, comme le gouvernement flamand bien entendu, comme le
gouvernement bruxellois aussi – cela a été fortement discuté – participent au
Comité de Concertation. Celui-ci a été créé et les Régions ainsi que les
Communautés y sont sur pied d'égalité avec le gouvernement central. Le rôle du
Comité de concertation est d'essayer de prévenir les querelles qui peuvent voir
le jour au niveau de la vie quotidienne. C'est ce qu'on appelle en droit la
prévention des conflits. Si on apprend qu'un décret va être voté, nous avons le
droit de le geler. Si c'est un texte de loi, il faut que les Assemblées le
fassent. Mais, soit un texte législatif, soit une décision exécutive peuvent
être gelés pendant soixante jours. Pendant ce temps, c'est le Comité de
Concertation qui essaie de parvenir à un consensus. On relève ici une
accentuation très forte du principe de coopération, qui n'existe pas au niveau
des Assemblées.
Le principe de
subsidiarité s'est appliqué surtout dans le domaine des compétences. On en
trouve un exemple dans le fait que l'on a donné des compétences larges aux
Régions en matière économique. Toute la matière très controversée de l'aide aux
entreprises appartient aux Régions. L'Etat a été dépossédé et s'est dépossédé,
compte tenu de ce que j'ai dit du sens de la réforme. Et ceci a posé des
problèmes au niveau européen, au niveau de la Communauté européenne, au niveau
de l'Union européenne. En effet, lorsque j'étais président de l'Exécutif
régional wallon et que nous avons vraiment séparé la gestion administrative des
dossiers régionaux du Ministère des Affaires économiques, puisque nous avons
appliqué l'autonomie dans le domaine régional, les Communautés européennes ont
refusé de reconnaître le phénomène régional en Belgique. Elles ont dit : nous
n'avons pas à savoir ce que la Belgique fait avec ses compétences et ses
pouvoirs et nous, nous continuons à nous adresser au gouvernement belge et au
Ministère des Affaires économique pour savoir quelle aide vous avez donnée à une
brasserie, à une cimenterie, à ceci ou à cela. C'est le genre de chose qui
provoque des problèmes avec les autres gouvernements. La Flandre a accepté cela,
d'autant plus que la flamandisation du Ministère des Affaires économiques avait
été menée bon train. Pour les mêmes raisons, cela nous déplaisait fortement. Dès
lors, nous avons dit aux Communautés européennes, que, puisque nous n'existions
pas à leurs yeux, on n'allait pas notifier les décisions. Et comme il n'y a pas,
dans le régime belge, d'exigence de notification au niveau du Ministère des
Affaires économiques, le Ministère des Affaires économiques ne savait pas plus
que le gouvernement du Mexique ce que nous avions fait en matière d'aides aux
entreprises. Cela a pris à peu près neuf mois – ce qui est une portée
raisonnable – et puis, toute puissante qu'elle soit, la Commission des
Communautés européennes a été obligée de s'incliner. Elle n'avait plus de
nouvelles, elle ne savait plus ce que nous faisions. Elle voyait dans la presse
que nous donnions des aides puisque nous nous empressions de le faire savoir,
mais elle ne savait pas lesquelles. Alors, inévitablement les autres
gouvernements – et c'était ce que j'avais prévu – se sont inquiétés en se
demandant quel était le système sur base duquel nous travaillions. Voilà
pourquoi et comment la Commission des Communautés européennes a finalement
accepté de reconnaître le fait régional belge.
Où est la subsidiarité ?
La voici, autant le pouvoir des aides économiques est complet en ce qui concerne
l'aspect économique des aides – c'est la Région qui, seule, décide d'accorder ou
de ne pas accorder une aide; qui, seule, décide le montant de l'aide; qui,
seule, décide des modalités de l'aide, des conditions de l'aide, sous la
surveillance des Communautés européennes –, mais, en matière fiscale, la
législation sur les entreprises reste du domaine de l'Etat central. En effet, on
a considéré que l'Etat central devait conserver une maîtrise fiscale, sinon on
allait se trouver devant un problème de contrôle et de détournement de trafic
qu'on ne maîtriserait pas. Que n'a-t-on fait la même chose au niveau européen
dans l'autre sens ! Là, nous avons trouvé que la subsidiarité impliquait de
maintenir la compétence de l'Etat dans ce domaine et, de même, la subsidiarité
nous a conduits à limiter les pouvoirs des Régions – de bon coeur – dans un
certains nombres de domaines comme, par exemple, la fixation des prix. Les
règles de fixation des prix sont restées dans la compétence fédérale parce que
nous avons estimé qu'on irait au désordre économique si il y avait des prix
différents. De plus, compte tenu de l'ampleur de la frontière linguistique et du
fait qu'il suffit en général de prendre sa voiture et de faire trois kilomètres
pour la franchir et aller dans un supermarché, nous avons pensé qu'on allait se
trouver devant des détournements de trafic gigantesques pour pas grand
chose :dès lors, nous avons pensé qu'il fallait maintenir ces compétences au
niveau de l'Etat. C'est vraiment un des domaines où le principe de subsidiarité
a joué à plein.
Prenons la coopération.
Nous avons des accords de coopération entre la Flandre et la Wallonie, avec la
Région de Bruxelles aussi. Là, l'Etat fédéral n'intervient plus. Or, si vous
prenez la Belgique et si vous faites un accord entre la Flandre et la Wallonie,
par soustraction vous avez Bruxelles et puis c'est tout. Donc, c'est un niveau
qui est tout à fait concurrentiel par rapport à l'Etat fédéral. A titre
d'exemple, c'est un accord de coopération qui règle la circulation fluviale dans
le bassin de la Meuse et dans le bassin de l'Escaut. Cette technique des accords
de coopération a tendance à se multiplier pour le moment. Je pense qu'il y a une
douzaine d'accords qui sont réalisés ou en gestation.
Ainsi, dans l'expérience
belge, nous avons vraiment l'un des exemples très riches au point de vue de la
réflexion et de l'application de la théorie du fédéralisme. Il est important de
se souvenir de ces quatre principes : l'autonomie, la subsidiarité, la
participation, la coopération. Je crois que, quand on maîtrise ces quatre
clefs-là, on est en mesure à la fois de poser un certain nombre de questions et
de donner un certain nombre de réponses qui n'apparaissent pas aussi clairement
à celui qui fait un commentaire simple, intéressant, avisé, utile et plus
méthodique que le mien.

Note
(1) Texte non relu par
l'auteur
Jean-Maurice Dehousse,
Subsidiarité et coopération dans le système fédéral, dans
La Wallonie, une région en Europe,
CIFE-IJD, 1997