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La Wallonie, une région en Europe

La Wallonie: les atouts d'une autonomie - (1995)

Yves de Wasseige
Economiste

 

L'Etat belge s'est créé en 1830 par une insurrection, plutôt populaire, et récupérée par la bourgeoisie d'affaires. Dès le début, vers le milieu du siècle dernier, il y a un Mouvement flamand qui s'affirme, un Mouvement wallon qui est plutôt le fait d'intellectuels. Dès le début aussi, les évolutions économiques et sociales sont très différentes d'une région à l'autre. A partir de là et jusque maintenant, on va vivre une série d'affrontements, d'oppositions, de points de vue différents, tantôt à des niveaux politiques, tantôt à des niveaux culturels, tantôt à des niveaux sociaux, en termes de partage des pouvoirs, en termes de partage des budgets. Finalement, cette évolution débouche sur le système fédéral qui a été expliqué.

Je voudrais repartir de quelques grands axes de l'histoire et des réalités socio-économiques pour montrer combien le temps est un élément important, pour montrer combien rien n'est jamais terminé et toujours en devenir, qu'il faut toujours se battre et, du point de vue de la Wallonie, quels sont les atouts qu'elle a pu conquérir – parce que je crois qu'il faut utiliser ce mot-là – face à un Etat belge centraliste, unitaire. Quels sont les atouts qu'elle possède maintenant – j'allais dire depuis peu –. En effet, les atouts majeurs dont elle dispose, elle en dispose depuis les dernières élections du mois de mai 1995. Certains atouts existaient avant mais la complémentarité entre eux est toute récente.

 

1. La situation en Flandre et en Wallonie

Plantons rapidement la situation. 1830, un Etat belge se constitue à une époque où c'est le retour des grandes monarchies et l'indépendance de la Belgique se fait avec la permission des grandes puissances, réunies d'ailleurs à Londres pour une conférence à ce sujet ce qui oblige la bourgeoisie de l'époque – francophone aussi bien dans la partie nord du pays que dans le sud – à créer une monarchie au lieu de créer une république comme ce fut l'intention première. On supporte un roi à qui on a fixé un rôle important, mais extrêmement limité puisqu'il ne peut agir que sous le couvert et la signature d'un ministre; il ne peut rien faire par lui-même. En contrepartie, il est politiquement et juridiquement inattaquable – irresponsable au terme juridique du terme. Chose curieuse, qui dénote notre fond républicain, le Roi est totalement absent dans les institutions régionales et communautaires créées ces dernières décades. Sa seule implication est de recevoir la prestation de serment du président du gouvernement wallon et du gouvernement flamand.

Comment en est-on arrivé là ? Dès le départ, on a une Région flamande fortement ancrée dans le catholicisme avec un petit clergé qui vient des milieux populaires et essentiellement rurale avec quelques pôles industriels : le port d'Anvers – Bruges n'en parlons plus, le déclin est consommé à cette époque-là –, la région gantoise où il y a une industrie textile, cotonnière, linière. A part cela, on est en zone rurale.

Par ailleurs, la Wallonie, la partie sud, va être une des toutes premières sur le continent à s'engager dans ce qu'on appelle la révolution industrielle : charbon, acier, chemin de fer.

Pourquoi s'engage-t-elle dans cette voie ? D'abord parce qu'il y a du charbon, mais pas seulement. On l'exploite déjà non pas à des fins industrielles, mais à des fins de chauffage et de petit artisanat. On maîtrise aussi la technique du fer dans la région de Charleroi comme dans la région de Liège, sur les plateaux, dans la Vallée de l'Ourthe : fonte au bois dans des bas fourneaux, clouteries et valorisation du fer. La Wallonie a tous les atouts pour démarrer l'industrialisation avec une bourgeoisie d'affaires, avec une petite aristocratie terrienne qui bascule tout de suite dans les affaires et la finance. Tout ce monde-là parle français comme dans toutes les Cours européennes de l'époque; ce n'était pas extraordinaire de parler français, c'était la langue de l'élite.

Ainsi, l'extension formidable de tout le sillon industriel wallon va tirer et va amener la richesse de la Belgique, qui va durer jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, jusque dans les années 50.

Première différence

Le mouvement flamand va réagir très vite et sa réaction va être une revendication à la fois sociale – les travailleurs flamands sont exploités comme le sont les travailleurs wallons mais pas dans des usines, relativement peu dans des ateliers, mais surtout comme ouvriers ruraux. La revendication sera aussi culturelle, en particulier linguistique : en effet, les tribunaux, au début de l'Etat belge, jugent en français et les gens ne connaissent pas du tout le français. Le mouvement flamand va être en permanence, et encore aujourd'hui, basé sur cette approche, sous l'influence permanente des classes moyennes et du bas clergé qui ont joui et continuent à jouir d'un poids déterminant.

Du côté wallon, le mouvement est aussi social – mais parce qu'il y a l'industrialisation, il est social dans les ateliers, dans les usines – et politique (suffrage universel, des lois sur la protection des travailleurs, sur les accidents de travail, sur la durée du travail, sur les congés, etc.). La revendication est donc à la fois sociale et politique, elle n'est pas culturelle. Et cette différence va conduire à des affrontements permanents à l'intérieur même de l'Etat belge, toujours dominé par une bourgeoise francophone opposée au suffrage universel. Celui-ci n'est venu que fort tard : suffrage universel des hommes, en 1919, mais suffrage universel des femmes, en 1949 – trente ans plus tard. On n'est pas un pays aussi progressiste qu'on peut imaginer. Le frein conservateur a toujours été puissant.

Seconde différence

Une autre différence essentielle est la conception même de la société. La conception de la société du côté flamand est germanique. A la limite : ein volk, ein reich, ein fürher. On est d'abord d'un peuple et ce peuple occupe un territoire et se donne son gouvernement.

Du côté wallon, l'approche est plus française, style contrat social : c'est la personne, l'individu qui adhère aux autres, à la société qui se donne son organisation de la vie publique.

Donc d'une part, une approche germanique – j'emploie ce mot-là comme image – plus collective à la fois par le sang, le peuple tandis que, en Wallonie, c'est le contrat social. D'où, aussi, l'extrême difficulté d'organiser un Etat unitaire, unique, où chacun puisse s'y retrouver quand il y a ces deux types d'approche.

Troisième différence

La troisième différence, c'est l'évolution économique. Pendant des années, le niveau de vie s'accroît rapidement en Wallonie, beaucoup plus lentement en Flandre. Il y a du chômage en Flandre, pas de chômage au contraire du côté wallon, on absorbe la main-d'oeuvre des campagnes wallonnes d'abord, flamandes ensuite, on absorbe une immigration italienne, polonaise et yougoslave dans l'Entre-deux-guerres et en 1946, contrat avec l'Italie pour une immigration massive de travailleurs italiens en Wallonie – on va fêter le cinquantième anniversaire de cette immigration italienne –. Et puis après, ce seront des Espagnols, des Turcs, des Marocains, tout cela jusqu'au milieu des années 60.

La Wallonie n'est donc pas un peuple qui existe depuis longtemps. Il est formé par l'assimilation successive de toute une série d'apports venus de l'extérieur que ce soit du pays, de pays proches ou plus lointains.

On ne rencontre pas du tout la même situation du côté flamand où il y a très peu d'immigrés, encore maintenant.

Différence importante à la fois en termes de revenus et en termes de richesses. On se trouve alors en 1945-50, au lendemain de la Deuxième Guerre. La Wallonie marche bien parce que la reconstruction de l'après-guerre réanime toutes les industries traditionnelles de la première révolution industrielle, mais en Flandre, il y a du chômage. Dans l'Etat belge, le poids flamand devient dominant : 5.500.000 d'habitants contre 3.500.000 du côté wallon et 1.000.000 de Bruxellois (chiffres actuels, un peu moins à cette époque-là mais la répartition correspond à la répartition actuelle).

Donc dans le système démocratique, domination de la Flandre sur la Wallonie avec en plus, une volonté du côté flamand d'occuper l'Etat et d'avoir les postes les plus importants dans les ministères, d'avoir les postes de Premier ministre, d'avoir les postes décisionnels notamment aux Travaux publics, etc. Toute la vie publique est organisée de manière unitaire, les partis sont uniques : il y a un seul Parti socialiste, un seul Parti démocrate chrétien, un seul Parti libéral, chacun regroupant aussi bien Flamands que Wallons ou Bruxellois. Ca va durer jusque dans les années 60. Epoque où ils vont se séparer.

A cause d'une décision du pouvoir central et des structures financières, soudain, la Wallonie va rater la seconde révolution industrielle (l'industrie pétrolière, la mécanique, le montage automobile en particulier, les transports, les autoroutes). Au contraire, on va voir en Flandre, à partir des années 50, une industrialisation provoquée par les pouvoirs publics, au travers de zones industrielles et de parcs industriels portuaires. Anvers en est l'exemple type. Du côté wallon, on se dit que le développement du port d'Anvers est le débouché normal des produits wallons vers la grande exportation. Mais, en réalité, on ne développe pas un port, on développe une zone industrielle portuaire. Viennent s'y installer des usines de montages automobiles, des raffineries de pétrole, un peu plus tard de la pétrochimie, c'est à dire la seconde révolution industrielle, celle-là qui est née dans les années 30, après la grande crise, et qui s'est développée dans l'immédiat après-guerre. Côté wallon rien du tout.

Il y a en Belgique six usines de montages automobiles importantes de différentes marques, elles sont toutes en Flandre : il y en a deux à Anvers, une à Genk, une à Gand, une à Vilvorde et une à Bruxelles. La dernière venue s'était installée en Wallonie, à Seneffe, c'était British Leyland, elle a disparu.

L'écart en faveur de la Wallonie jusque dans les années 50 va basculer en faveur de la Flandre. Des Wallons, en tout cas toute une frange importante d'intellectuels, de professeurs d'université, de syndicalistes surtout se rendent compte, lors de la crise des charbonnages à la fin des années 50 qu'il faut diversifier nos produits. Par la suite, on parlera de reconversion.

D'une part, la Flandre jusqu'en 1940 est en retard de développement économique et ensuite en expansion considérable. D'autre part du côté wallon, une expansion considérable et ensuite un déclin qui s'amorce à partir de la fin des années 50. La Wallonie perd tous les charbonnages. Elle perd une grande partie de son industrie mécanique – parce qu'elle fabriquait des produits à destination de ces industries de bases : charbon, acier, chemin de fer. Les chemins de fer sont aussi en déclin, c'est l'expansion de la route et des autoroutes. La Wallonie reçoit de plein fouet le choc de ce changement technologique, avec un Etat belge qui ne se soucie pas de ce déclin, avec un mouvement wallon qui commence mais s'est engagé dans des combats défensifs par nécessité de maintenir quelque chose pour la Wallonie. Le poids flamand est dominant dans l'Etat et particulièrement par son parti dominant, le CVP, Parti démocrate chrétien flamand, qui est, en quelque sorte, tout puissant et qui a la main mise sur son frère wallon.

Quatrième différence

Différence encore dans les structures économico-géographiques. La Flandre, c'est une série de petites villes où il y a un artisanat, du commerce, des professions libérales et des petites et moyennes entreprises à côté de campagnes à peu près vides.

La Wallonie, c'est un sillon industriel, une conurbation urbaine où habitats et industries sont intimement mêlés. On peut aller de la frontière française jusque la frontière allemande, en étant à 90% dans des rues, pas sur des routes, pas sur des autoroutes, pas dans la campagne, mais dans des rues. C'est une grande conurbation urbaine. Au sud, il y a une Ardenne rurale, terrain peu riche, peu d'élevage, beaucoup de forêts et, au nord, une zone vers Bruxelles dont les activités sont essentiellement drainées sur Bruxelles. Par exemple, on n'y trouve aucune école supérieure au delà de l'école secondaire. Tout est à Bruxelles.

Structure économico-géographique très différente, structure socio-géographique aussi. Cela va avoir de l'importance, par exemple quand il s'agit de réorganiser les chemins de fer, actuellement nous avons un réseau "inter-city" qui ne correspond pas à nos besoins. On ferme toutes les lignes en Wallonie, sauf les grands axes. On calcule un point d'arrêt en fonction du nombre de voyageurs qui montent : dans une ville il en monte suffisamment, dans une conurbation urbaine, c'est étalé sur plusieurs arrêts et chacun seul est insuffisant au regard des critères retenus, dès lors on ferme beaucoup de gares.

Ce type d'approche a pénalisé et pénalise encore la Wallonie parce que les chemins de fer dépendent toujours du pouvoir fédéral.

Structure démographique différente. En Flandre, le taux de natalité pendant une première période est fort élevée, puis stationnaire, tandis que, en Wallonie, la dénatalité se marque d'abord très fort, suivie ensuite une stabilisation et même une légère croissance. L'industrialisation aussi l'immigration des gens qui ont perdu leurs racines de départ et qui doivent s'intégrer dans une société nouvelle – ont provoqué naturellement une déchristianisation forte du côté francophone et qui n'existe pas en Flandre ou viendra beaucoup plus tard.

 

2. Le fédéralisme

La revendication du fédéralisme de la part du mouvement wallon a toujours existé en opposition avec un mouvement flamand virulent, soutenu par ses ailes politiques tous partis confondus. Du coté wallon, les choses sont beaucoup plus floues. Des intellectuels sont bien présents – notamment Jules Destrée, sa Lettre au Roi, mais aussi le Congrès wallon et des revues ou périodiques wallons comme Terre wallonne. Ces mouvements touchent peu de monde, essentiellement des individualités dans des milieux sociaux et politiques divers.

Deux événements majeurs vont cristalliser le mouvement wallon et le transformer en mouvement populaire.

La question royale

Pendant la guerre, le roi Léopold III a eu un différend fondamental avec son gouvernement qui est parti à Londres tandis qu'il restait en Belgique. Son attitude n'a pas été très claire vis-à-vis de l'occupant allemand. Il a été amené en exil en Allemagne, il n'était donc pas là au moment de la libération et, surtout, il a laissé un testament politique virulent contre ses ministres de 1940 qui avaient poursuivi la lutte en Grande-Bretagne, qui avaient, là, créé et soutenu l'armée belge et avaient participé à l'effort de guerre – surtout avec la puissance économique et industrielle du Congo belge, à l'époque une colonie de la Belgique, avec des richesses en cuivre, cobalt, uranium et autres métaux non-ferreux.

En 1950, on a procédé à une consultation populaire – un référendum non décisionnel – pour voir si le roi devait revenir ou non. Du côté flamand, c'est un assez large "oui" et du côté wallon, c'est un assez large "non" mais les rapports de population sont tels que 52% de la population est en faveur du retour du roi. Un gouvernement essaie de faire revenir le roi Léopold en 1950. Tout de suite, du côté wallon, la grève et une situation quasi insurrectionnelle. Toutes les usines sont en grève, tous les services publics sont arrêtés, la circulation était entravée, les trains ne roulent plus. Cette grève n'a eu lieu qu'en Wallonie, sauf quelques pôles dans les zones industrielles en Flandre, Anvers – les dockers d'Anvers par exemple – et dans la région de Gand parce qu'elle est industrielle. Ce problème se pose plus en termes sociaux que politiques. Finalement on convainc le roi Léopold III d'abdiquer, on prend son fils comme successeur.

La loi unique

En 1960, deuxième événement important : le gouvernement prend une série de mesures de type budgétaire, restrictions budgétaires importantes. Une loi unique rassemble toutes les mesures d'économie. C'est le gouvernement lui-même qui la baptise "Loi unique". C'est maladroit, parce qu'il coalise ainsi toutes les oppositions. Ainsi, 10 ans après 1950, on se trouve de nouveau dans une situation quasi insurrectionnelle. Les dirigeants syndicaux ne savent trop comment en sortir. Les mouvements ont lieu essentiellement du côté wallon – sauf les services publics flamands qui eux participent à la grève, mais pas les entreprises privées dans l'ensemble –. On ne sait trop comment s'en sortir jusqu'à cette idée de génie d'un leader syndical, André Renard : fédéralisme et réforme de structures à caractère socio-économique. André Renard lance aussi le mouvement populaire wallon que va populariser la Wallonie progressiste. Il y a une prise de conscience populaire dont on peut trouver les origines déjà plusieurs décennies avant mais qui s'est concrétisée au travers de ces deux événements.

 

L'affrontement entre les communautés flamande et wallonne

Les années 60-70 vont être des années d'affrontements entre les deux communautés, entre les Wallons et les Flamands.

Les Flamands font des marches sur Bruxelles, l'épiscopat – évêques flamands et évêques wallons – qui forme le Conseil d'administration de l'Université à cette époque ne parvient pas à se mettre d'accord sur l'expansion normale (vu le nombre d'étudiants) de l'Université de Louvain francophone, à Louvain (Leuven), ville située en territoire flamand. Du coup, les Flamands utilisent politiquement ce désaccord sur l'expansion pour exclure l'Université catholique de Louvain francophone de la ville de Louvain où elle était depuis 1425. On partage la bibliothèque. Du côté wallon, on voulait la laisser commune et avec une gestion commune; les Flamands n'en veulent pas. Du coup, les livres se terminant par un numéro pair vont d'un côté et les numéros impairs vont de l'autre coté; c'est ainsi qu'a été partagée la bibliothèque de l'Université de Louvain.

Beaucoup d'autres événements de ce genre surviennent dans ces dix années. Les partis uniques éclatent en deux ailes, flamande et wallonne. Enfin, en 1970, une première révision de la Constitution reconnaît qu'il y a trois Communautés, flamande, wallonne (on l'appellera française) et germanophone, et trois Régions : la Région flamande, la Région de Bruxelles et la Région wallonne; mais sans mettre de limites à ces Régions. Et tout de suite, en 1971, une loi attribue aux Communautés des compétences dans les matières culturelles.

En 1971, on crée donc les Conseils culturels : la vieille revendication flamande d'autonomie culturelle obtient satisfaction immédiatement et on crée, pour nous, un Conseil culturel français puisque nous sommes d'expression française. Nous n'en sommes cependant pas demandeurs, nous sommes demandeurs sur le plan économique. La situation se dégrade en Wallonie, on voit l'emploi s'effilocher, les entreprises disparaître, le niveau de vie baisser; le chômage va venir quelques années après, en 1975, lorsque la crise s'aggrave parce que toute la sidérurgie est touchée, toute la verrerie est touchée, toute l'industrie mécanique est touchée. On est dans une situation comme celle que connaissent d'ailleurs toutes les zones de première industrialisation, le Nord de la France ou la Lorraine ou la Sarre ou les zones de vieille industrialisation au Royaume-Uni.

Nous allons devoir attendre dix ans encore, jusque 1980, pour voir la première loi qui va donner à la Région wallonne des compétences en matière économique et d'aménagement du territoire, et lui donner un premier gouvernement wallon. Ces compétences resteront extrêmement limitées parce que, en 1980, on a voulu que les choses soient réversibles. Les classes dirigeantes belges, francophones comprises, étaient très méfiantes vis-à-vis de la régionalisation, craignant le chaos. Peu de compétences, relativement éparpillées de sorte qu'elles restaient encadrées par le pouvoir qu'on appelait encore national à l'époque, pas encore d'administration séparée, le retour en arrière était possible. De toute manière, on n'avait pas réglé la question de Bruxelles. On n'avait pas défini les limites de Bruxelles. On avait défini les limites des autres et a contrario, par le vide somme toute, Bruxelles c'était plus ou moins défini mais n'avait pas de pouvoirs. Il a fallu de nouveau que les Wallons se fâchent et que les Francophones se battent pour obtenir enfin un statut pour Bruxelles.

En 1988, on va, en effet, beaucoup plus loin dans la régionalisation. On crée la Région de Bruxelles, mais les Wallons n'ont toujours pas leur Parlement autonome. Ce sont les parlementaires nationaux, élus dans nos arrondissements, qui forment un Parlement wallon mais ils sont d'abord des parlementaires nationaux et, accessoirement, des parlementaires de la Région. Il a fallu de nouvelles revendications pour arriver enfin, en 1993, à un système fédéral qui n'entrera d'ailleurs pleinement en vigueur qu'avec les élections de 1995.

Voilà toute l'histoire. C'est une évolution qui a pris des dizaines d'années. Des mouvements comme le mouvement wallon, ou comme le mouvement flamand, ont dû sans cesse la relancer, rarement d'accord entre eux. Actuellement ni les Flamands, ni nous les Wallons ne sont satisfaits : nous voudrions aller plus loin encore dans les compétences régionales. Il y a encore un certain nombre de compétences qui doivent venir compléter l'ensemble.

Néanmoins, et je termine par là, nous avons les atouts majeurs qui font que nous sommes capables, en Wallonie, de mener des politiques qui vont permettre un redéploiement économique, une reconversion industrielle, une reprise de l'emploi et un redémarrage du développement.

Quels sont ces atouts ? D'abord, un Parlement wallon élu au suffrage universel et dont les parlementaires n'ont à s'occuper que de la seule Wallonie. Ils sont aussi délégués au Parlement de la Communauté française, principalement pour les matières culturelles et pour l'enseignement.

Il ne suffit pas d'avoir un gouvernement et un Parlement, il faut encore qu'il y ait des matières sur lesquelles agir, des compétences. Elles se situent essentiellement au niveau de l'aménagement du territoire et des travaux publics, au niveau économique – l'aide aux entreprises, l'emploi, la formation professionnelle, le tourisme notamment – et au niveau de l'environnement et de la protection de la nature.

La Belgique est désormais organisée dans un système fédéral par blocs de compétences. Le décret, c'est-à-dire la loi votée au Parlement wallon, a la même valeur qu'une loi fédérale mais chacun doit légiférer dans son domaine. Nous sommes sortis complètement d'une tutelle d'un pouvoir national. Il y a des systèmes fédéraux, a fortiori des systèmes décentralisés comme en France, où il existe des Régions avec des Assemblées régionales élues et une espèce de gouvernement mais ils ne peuvent pas légiférer, ils appliquent les lois nationales. En Allemagne aussi, la loi fédérale prime sur les lois des Länder. Nous sommes dans un système de séparation et je crois que c'est très important pour nous, c'est un atout.

Il y a aussi un verrouillage constitutionnel d'un certain nombre de garanties. Par exemple, on ne peut modifier les lois spéciales de régionalisation qu'avec une double majorité : 2/3 sur l'ensemble des votants, Flamands et Wallons, et 50% dans chaque groupe linguistique. La Constitution ne peut être révisée qu'au 2/3 des voix. Ce verrouillage des lois spéciales et de la Constitution est très important. Il est très important parce qu'il nous donne du répit. Nous ne devons plus nous battre pour agrandir ce qui s'y trouve en terme de protection des francophones de la périphérie bruxelloise, de facilités linguistiques et sur toute une série de revendications flamandes. Il suffit de dire, la Constitution. La Constitution assure actuellement une protection, à moins d'une révolution. C'est toujours possible, pourquoi pas ? On se trouve alors dans une autre dimension, à laquelle il faut cependant se préparer.

En conclusion finale : l'économie wallonne structurellement peu diversifiée est potentiellement menacée depuis les années cinquante. Sa situation se dégrade lentement d'abord et gravement à partir de 1975. Première loi de régionalisation en 1960. En 1986, le déclin est stabilisé, l'emploi reste stable, il ne diminue plus après les lourdes pertes de 1974 à 1986.

Nous voyons encore des fermetures d'entreprises, nous voyons encore des délocalisations mais, en terme d'emplois, au bout de l'année, il n'y a pas de perte parce que ces emplois perdus ont été compensés par des emplois nouveaux, et nous voyons des entreprises nouvelles se créer dans de nombreux secteurs. Des mesures ont été prises pour faire naître des entreprises, faire naître des entrepreneurs à partir des grandes entreprises, à partir de PME, à partir des pouvoirs locaux, à partir des communes, chacun s'y met et c'est ça l'important.

Je crois, finalement – et c'est ma conclusion – que l'on n'assure le développement que par soi-même : il ne faut pas croire que les autres viennent vous aider, ils viennent s'ils y ont intérêt. On assure son développement par soi-même et, pour assurer son développement, il faut croire à ce qu'on est comme peuple, il faut croire à ce qu'on est comme citoyens, ensemble. Il faut croire à son propre Etat wallon et donc avoir une identification de chacun, de chaque institution à ce projet wallon commun.

 

Yves de Wasseige, La Wallonie : les atouts d'une autonomie, dans La Wallonie, une région en Europe, CIFE-IJD, 1997


 

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