La
Wallonie, une région en Europe
L'ambition de la Région wallonne
- (1995)
Robert Collignon
Ministre-Président du
Gouvernement wallon
La Wallonie
vient de fêter ses quinze ans d'existence institutionnelle découlant
de la réforme d'août 1980.
Cette révision
constitutionnelle fut, pour nous Wallons, considérable. Non tant par les
compétences et les moyens qui nous étaient attribués mais bien davantage par les
principes fondamentaux qui y étaient reconnus. En effet, outre le fait déjà
tangible que la Région wallonne est reconnue pleinement comme une entité de
droit public, le principe de l'équipollence absolue des normes est dorénavant
affirmé aux différents niveaux de pouvoir de l'Etat fédéral, communautaire et
régional. De même, le caractère exclusif de l'attribution de ces compétences est
inscrit dans la réforme. Concrètement, cela signifie que, dès ce moment
charnière de la mise en oeuvre de la réforme de l'Etat belge, aucune hiérarchie
n'est attribuée entre ces différents niveaux de pouvoir. Ainsi, l'Assemblée et
l'Exécutif wallons seront seuls compétents et les décrets que le Conseil
régional votera à Namur auront la même force, la même vigueur juridique que les
lois votées au Parlement belge à Bruxelles.
Ces décisions sont
extrêmement importantes car elles contiennent les germes et toute la puissance
de cette réforme de l'Etat, germes qui vont porter la Belgique, en moins de
vingt ans, bien au delà d'un simple système fédéral. Les experts expliqueront,
ci-après, pourquoi et comment.
Aujourd'hui, quinze ans
après l'installation du Conseil régional wallon dans un hôtel namurois, le 15
octobre 1980, une nouvelle assemblée, portant le nom et tous les attributs du
Parlement. Psychologiquement, c'est essentiel : les députés wallons devront
s'attacher en priorité à oeuvrer à l'avenir de la Wallonie. Concrètement, ils
abandonnent le système qualifié de la "triple casquette" – fédérale,
communautaire et régionale – pour consacrer la totalité de leur temps aux
préoccupations des citoyens wallons.

De même, quinze ans après
la mise en place d'un premier Exécutif régional wallon, constitué
proportionnellement au poids politique de nos partis, nous disposons aujourd'hui
d'un véritable gouvernement wallon, issu et renforcé par l'élection directe de
son Parlement, appuyé par une solide administration régionale et muni de moyens
d'actions réels pour mener des politiques de reconversion et de redéploiement.
Quinze ans après, le
gouvernement et le Parlement disposent de l'autonomie constitutive, et l'ont
déjà mise en oeuvre. Expression d'une autonomie d'organisation de ses
institutions, la Wallonie peut désormais, après avoir organisé le transfert des
compétences de la Communauté française pour 20 milliards (les Accords de la
Saint-Quentin) et le remplacement des ministres par leurs suppléants
parlementaires, penser à adopter des règles propres de fonctionnement, dans le
respect de la loyauté fédérale.
Quinze ans après, enfin,
les compétences elles-mêmes se sont considérablement accrues et je laisserai au
spécialiste qu'est Jacques Brassinne le soin d'en faire le relevé actuel. Sachez
déjà – je l'évoquerai dans un instant – que ces compétences s'étendent désormais
au Commerce extérieur de la Région et que, en matière de relations extérieures,
la Wallonie dispose de toutes les compétences liées aux matières qu'elle gère, à
tel point que Monsieur Guy Spitaels, a pu, avec raison, parler de
souveraineté internationale pour l'ensemble des ces matières.
Cette évocation
rétrospective de nos quinze ans institutionnels appelle toutefois deux
remarques.
D'abord, je souhaite
attirer votre attention sur un point fondamental afin que cet anniversaire
n'induise pas en erreur. L'idée wallonne, la revendication d'un espace public
wallon, d'un Parlement et d'un gouvernement wallons remontent à la fin du siècle
dernier, au moment où un poète – Albert Mockel – nous donna un nom : la
Wallonie. A l'époque, des militants wallons, dont Mockel lui-même, affirmèrent
leur volonté de dessiner, puis de construire ces institutions qui sont
aujourd'hui les nôtres. Dès lors, si nous ne voulons pas nous attribuer une
légitimité millénaire, nous pouvons toutefois dire que nous ne sommes pas nés
d'hier.
Ensuite, je veux rappeler
que cette entité de droit public qu'est aujourd'hui la Wallonie n'est pas
uniquement le fait d'une décentralisation administrative récente bien que
profonde de l'Etat belge, due aux problèmes linguistiques et communautaires
existant entre Flamands, Bruxellois et Wallons. Ce processus n'est
compréhensible que si l'on prend en compte la revendication régionaliste de tous
ces militants wallons qui ont voulu répondre au déclin – économique d'abord,
démographique, politique, social et culturel ensuite – de la Wallonie depuis le
début du siècle, déclin animé d'une accélération logarithmique. Ces militants
wallons n'avaient d'autre ambition que celle de mettre fin à ce déclin. Et c'est
ainsi profondément motivés que, à la suite du président du Mouvement populaire
wallon, André Renard aux côtés de Freddy Terwagne ont répondu à ce formidable
défi politique et que la Région wallonne a été inscrite dans la Constitution, en
1970.

Tout n'est pas dit
pourtant et tout n'est pas fait. Que l'on ne perçoive pas pour autant dans ce
discours une forme de satisfecit
régional. Des difficultés importantes se dressent encore devant nous et notre
schéma institutionnel ne correspond pas point par point à nos revendications, ni
moins encore à notre rêve, dans le sens que Martin Luther King donnait à ce mot.
Parmi les réformes de structures que nous avions appelées de nos voeux en
revendiquant le fédéralisme, la maîtrise du crédit public est restée de l'autre
côté du gué, tandis que les frustrations exprimées en 1991 en matière de culture
ne se sont pas dissipées. Même si nous tentons, sans état d'âme, une expérience
de gestion par les deux Régions soeurs – Bruxelles et Wallonie – des matières
qui restent attribuées à la Communauté française, nous nous trouvons devant le
difficile défi de renforcer une identité wallonne, une mobilisation citoyenne,
sans être appuyés concrètement par des moyens culturels, éducatifs et
audiovisuels suffisamment adaptés à notre démarche. Est-il besoin de répéter
que, au delà des inquiétudes actuelles, la problématique de l'enseignement et de
la formation est au centre de nos préoccupations même si nous n'en exerçons que
très partiellement la compétence ? C'est bien l'Institut Jules Destrée qui
rappela dans l'un de ses congrès prospectifs que bâtir un pays, c'est
construire son éducation. C'est aussi la préoccupation du
ministre-président lorsqu'il insiste sur la combinaison nécessaire des
politiques de l'enseignement, de la formation et de la politique économique
wallonne, car sans cette interpénétration, nous ne pourrons donner d'avenir à
nos jeunes ni leur offrir un emploi durable dans leur région.
A ceux qui ont une vision
internationale de la Wallonie, je voudrais dire que, dès les prémices du
processus de fédéralisation, la volonté de l'autorité régionale wallonne fut
d'élaborer une politique de relations extérieures très concrète car directement
liée aux compétences que la Région wallonne exerce.
Parmi ces relations
internationales, j'évoquerai deux points particuliers, directement en rapport
avec ce colloque : nos rapports avec l'Union européenne d'une part et avec les
pays de l'Europe centrale et orientale, d'autre part.
Par tradition, comme par
volonté, la Wallonie est très concernées par l'évolution de l'Union européenne
et de ses politiques. Patrie de Jean Rey et de Fernand Dehousse, elle a
revendiqué, depuis le début des années quatre-vingts, une implication plus
importante des Régions dans le processus décisionnel européen.
En effet, avant cette
période, les Régions n'avaient pour ainsi dire pas d'existence en regard des
institutions européennes. D'ailleurs, il suffit de relire la version initiale du
Traité de Rome pour constater l'absence des Régions. On sait que, en 1975, une
très timide évolution eut lieu grâce à la création du FEDER, le Fonds européen
de Développement régional. Malheureusement, les Régions n'étaient pas impliquées
dans son attribution.
La Wallonie, notamment, a
largement et longtemps fait les frais de ce biais fondamental.
Dans les années qui ont
suivi, trois éléments ont apporté aux Régions plus de poids au sein de l'Union
européenne.

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D'abord le processus
de décentralisation suivi par des Etats européens comme la Belgique,
l'Espagne, la France et l'Italie.
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Ensuite la création
de l'Assemblée des Régions d'Europe (ARE) à Louvain-la-Neuve en 1985. Cette
initiative revenait partiellement à la Wallonie, soucieuse d'impliquer les
Régions dans le processus décisionnel européen. Ce projet avait été porté
par Edgard Faure et Jean-Maurice Dehousse, alors ministre-président, et deux
de ses collaborateurs, restés très attachés à la démarche bien qu'exerçant
d'autres fonctions : le professeur Michel Quévit et Philippe Suinen, artisan
de nombreux contacts avec vos Régions au titre de Directeur général de nos
Relations internationales. Ainsi, l'ARE, groupement de plus de 280 régions
(dont certaines d'Europe centrale et orientale) est devenu un groupe de
pression à caractère politique, interlocuteur privilégié des instances
européennes en ce qui concerne les problèmes régionaux.
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Un autre progrès de
la participation des Régions au processus européen fut la mise en vigueur de
l'Acte unique, en juillet 1987. Celui-ci, par le biais du Développement des
fonds structurel, concrétise pour la première fois une politique régionale
européenne. Les fonds structurels ont, en effet, pour finalité de réduire
les disparités entre les différentes Régions et de résorber le retard des
moins favorisées. Un des principes des fonds structurels est le partenariat
qui doit exister entre la Commission européenne, l'Etat membre et les
Régions ou entités locales ainsi que, depuis 1994, les partenaires
économiques et sociaux. Il s'agit ici d'un pas important envers les acteurs
régionaux dans les pays où ceux-ci existent politiquement et ont des
compétences économiques. Quatre pays reconnaissent ce principe : l'Allemagne
et ses Länder, la Belgique et ses Régions, l'Italie et ses Regioni,
l'Espagne et ses Communautés autonomes.
On a souvent répété
l'expression de François Mitterand,
Maastricht magnifie les Régions. Elle est particulièrement exacte. En
effet, le Traité de Maastricht permet à des ministres n'appartenant pas aux
gouvernements fédéraux de siéger au Conseil des Ministres de l'Union européenne.
C'est l'article 146. Par ce canal, le Traité ouvre réellement la porte à
l'implication des Régions dans le processus de décision communautaire. C'est
ainsi que le ministre-président de la Région wallonne a pu présider le Conseil
"Industrie" pendant la présidence belge de l'Union européenne.
Une autre innovation très
importante du Traité de Maastricht est la mise en place du Comité des Régions.
Composé de 212 membres, celui-ci doit obligatoirement être consulté dans le
domaine de l'enseignement, de la culture, de la santé publique, des réseaux
transeuropéens, ainsi que de la cohésion économique et sociale. Il peut
également être consulté sur d'autres sujets par le Conseil et la Commission, et
émettre des avis sur les points examinées par le Comité économique et social. On
peut partager l'espoir de ceux qui pensent que, à terme, le Comité des Régions
pourra préfigurer un Sénat des Régions, seconde chambre du Parlement européen
et, pour nous Wallons, ça doit être un objectif.
Mais la politique
extérieure de la Région wallonne ne se limite pas à l'Union européenne, même
s'il est vrai que les relations existant entre notre région et l'Union
constituent 80 % du commerce extérieur wallon.
Ainsi, il me paraît utile
de rappeler ici que la Wallonie entretient également des relations avec l'Est de
l'Europe. Elle y compte plusieurs représentations permanentes à Varsovie,
Prague, Bratislava, Budapest et Moscou. De même, les cinq principaux partenaires
de la Wallonie en Europe centrale et orientale sont, par ordre chronologique
d'implantation des relations : la Géorgie, le compté hongrois de la Baranya, la
province de Cracovie, la Slovaquie et la Slovénie. Trois des cinq entités sont,
par la suite, devenues indépendantes, ce qui n'a pas remis en cause les
orientations retenues. Les accords qui existent avec ces Régions sont
principalement des échanges d'expériences, des efforts d'expertises ainsi que
des positions conjointes par rapport à la construction de l'Europe et de ses
institutions.
Si, actuellement, la
Wallonie n'a pas davantage de relations avec les pays de l'Est de l'Europe,
c'est que la plupart d'entre eux sont en train de se chercher un nouveau cadre
de référence, de nouveaux points de repères, leurs identités nationales ayant
été annihilées par le système bureaucratique et les particularismes régionaux
étant ignorés par des pouvoirs étatiques trop centralisateurs.
Pour conclure, je dirai
que la Région wallonne entend être une Région citoyenne, c'est-à-dire une Région
responsable et solidaire qui veut, tout à la fois, être porteuse des aspirations
des Wallonnes et des Wallons, et une Région admise et reconnue au rang européen
et international. C'est un pari. C'est l'ambition d'une Région qui avance, c'est
l'ambition de la Région wallonne.
Robert Collignon,
L'ambition de la Région wallonne, dans
La Wallonie, une région en Europe,
CIFE-IJD, 1997

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