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Hommage rendu à Robert
Moreau
Charleroi, le 4 juillet 2000
Discours prononcé par Jean-Pol Demacq
Président de l'Institut Jules Destrée
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Charleroi, le 27 juin 2000
IJD/JPD/PhD/00316
Rendre hommage aux anciens n'est pas une
pratique courante à l'Institut Jules Destrée. Non que l'attachement que l'on doit à
ceux qui ont tracé la voie ne nous apparaisse pas nécessaire. Au contraire : notre
déférence est totale envers ceux qui, avec obstination et avec courage, ont lutté avant
nous pour une certaine idée de la Wallonie et de la Francité. Nos principes de
recherches historiques, la vocation même de la société savante que nous avons fondée
en 1938, le regard constant et l'attention que nous portons au futur, au projet, au
lendemain, tous ces éléments modèrent cependant l'élan qui devrait nous porter à
honorer les grands acteurs de notre dynamique.
La plupart de ces pionniers, loin de se
retirer sous leur tente, leurs exploits accomplis, restent vigilants face à l'évolution
de notre projet, attentifs à consolider ce qui existe, à anticiper ce qui s'annonce. En
cela, ils sont de remarquables conseillers.
Robert Moreau est de ceux-là.
Au risque de heurter sa modestie, vous me
permettrez de rappeler le parcours qui est le sien en m'appuyant pour cette démarche sur
la notice qui lui a été consacrée par notre collaborateur, l'historien Paul Delforge,
coordinateur du Pôle Recherche de notre Institut, en vue du deuxième tome de
l'Encyclopédie du Mouvement wallon.

Né à Tulle, en Corrèze - pépinière de
grands hommes - le 20 mai 1915, Robert Moreau est fils dun syndicaliste actif et
petit-fils dun des fondateurs de la Maison du Peuple de Marcinelle. Garçon de
course aux ACEC dès l'âge de 14 ans, il obtient un diplôme de dessinateur électricien
au cours du soir, puis se perfectionne à l'Université du Travail. Chômeur pendant la
terrible crise du début des années trente, mineur, ouvrier cuiseur d'émaux, il rentre
aux ACEC en 1937 ; il obtient alors un emploi au bureau de dessin de la grande
société électrique, emploi qui répond à sa formation.
Dès ses débuts professionnels, Robert
s'engage dans l'action syndicale à la Fédération des Métallurgistes où, au fil des
ans, il assume des responsabilités toujours plus importantes et participe aux actions des
Jeunes Gardes socialistes. En 1943, délégué syndical clandestin aux ACEC, Robert Moreau
adhère au Mouvement syndical unifié d'André Renard, et déclenche, dans son entreprise,
la grève des employés contre la déportation. C'est le début d'un long chemin qu'il
entame alors avec le leader syndical liégeois.
Au sortir de la guerre, Robert devient
permanent puis secrétaire régional de la FTGB de Charleroi. A cette occasion, il propose
que la FGTB nationale dispose dune direction wallonne et d'une direction flamande.
Lidée est repoussée. Néanmoins, désigné comme secrétaire national adjoint à
André Renard en 1954, Robert Moreau représente, dans les faits, la Wallonie auprès de
la direction du syndicat. Républicain convaincu, fondamentalement opposé aux options
politiques de Léopold III, il prend une part active dans la grève déclenchée en
juillet 1950. En 1953, Robert publie, dans L'Action un article intitulé Wallons,
debout !, qui est repris par La Wallonie libre. Il y défend le
principe du fédéralisme et attire l'attention sur l'émergence de la conscience wallonne
du peuple wallon. En 1959, alors que la crise du charbon frappe durement la région,
Robert déclare, lors d'un rassemblement à Quaregnon, que la menace qui pèse, de
manière intangible sur le Borinage, vise en réalité toute la Wallonie. Il est alors
secrétaire provincial de la FGTB pour le Hainaut.
Lors des grèves de 1960-1961, Robert
Moreau apparaît aussi comme un des chefs de file du mouvement wallon. Ainsi, alors que,
de novembre 1960 à mars 1961, il assume le secrétariat du Comité des régionales
wallonnes de la FGTB, quil a appelé de ses vux et dont l'action fut
déterminante, il met sa capacité d'organisation au service de la cause défendue par
André Renard : le fédéralisme et les réformes de structure.
Le séisme est gigantesque chez les
conservateurs de tout poil qui rejettent en bloc cette atteinte à leur sinécure
institutionnelle et à leur confort économique. La formule dénoncée avec vigueur par
Jules Destrée est alors à nouveau appliquée : si les Wallons sont mécontents, qu'on
leur envoie les gendarmes
Mais, à gauche, le choc a également des
répercussions. Elles sont doubles. D'une part, avec la FGTB. D'autre part, avec le PSB.
Au printemps 1961, tout comme André Renard
et André Genot, Robert Moreau démissionne de son mandat national à la FGTB, et
devient secrétaire du groupe syndical du Mouvement populaire wallon. Président de la
section MPW de Marcinelle où il dénonce à nouveau lintolérable déportation
dont léconomie du Hainaut est victime, Robert Moreau s'acquitte surtout de la
tâche qui lui a été confiée par André Renard : l'organisation du MPW naissant. Il y
excellera et sera, après la mort du président du Mouvement, un des organisateurs de
l'importante manifestation du 26 mai 1963 à Charleroi, ainsi que du Congrès d'Action
wallonne de Namur, du 21 mars qui a notamment lancé le pétitionnement.
En janvier 1964, Robert quitte le Mouvement
populaire wallon parce que André Genot refuse de transformer le mouvement en parti. Il
démissionne aussi du Parti socialiste dont il était membre depuis 1932 et dont il avait
été, de 1945 à 1953, le président de la section de Marcinelle. S'il quitte une
structure à laquelle il ne croit plus, c'est pour fonder, avec Victor Van Michel, le
Front wallon pour l'Unité et la Liberté de la Wallonie. Robert Moreau na pas
attendu le coup de crosse du PSB à l'égard du MPW, pour faire sienne la formule de
Maurice Bologne du 15 décembre 1963, selon laquelle la confiance est perdue envers ceux
qui, mettant l'unité du parti avant tout, considèrent que - je cite - la Wallonie
comme telle peut périr, pourvu que survive le parti.

Tandis que, à Liège, François Perin
lance le Parti wallon des Travailleurs et se présente aux élections législatives de
1965, Robert Moreau est élu député de Charleroi. Son programme sarticule alors
autour de quatre axes : fédéralisme ; réformes de structure économiques,
sociales et culturelles ; referendum ; retour des Fourons en province de Liège.
Avec deux élus, Perin à Liège et Moreau à Charleroi, les listes wallonnes ont
remporté leur tout premier succès électoral. La fusion entre les deux formations se
réalise en juin. Sappuyant sur un travail en profondeur, Robert intervient très
souvent à la tribune de la Chambre : opposition au bilinguisme généralisé,
défense des populations fouronnaises, opposition à la présence de lOTAN en
Wallonie, défense de la sidérurgie et des mines, développement dun plan de
reconversion, etc. Lors du premier congrès statutaire du Parti wallon, Robert Moreau
estime que le transfert de la section française de l'Université de Louvain en Wallonie
est inéluctable et quil ne pourra que revivifier la région où elle
simplantera. Il estime que la Wallonie doit saisir cette occasion unique de créer
chez elle un centre universitaire catholique.
Avec une détermination farouche et l'appui
de ses amis, Robert Moreau fait évoluer le Parti wallon vers le Rassemblement wallon,
dont il est l'un des fondateurs le 7 mars 1968. Secrétaire général du Rassemblement
wallon, il devient un des ténors dun parti qui, progressivement, fait du
fédéralisme intégral sa doctrine politique.
Président fédéral du Rassemblement
wallon en 1974 lorsque François Perin entre au Gouvernement, Robert se voit aussi confier
des fonctions ministérielles doctobre 1974 à 1977. Il exerce des charges
spécifiquement wallonnes, à savoir le secrétariat d'État aux Affaires sociales
wallonnes puis le ministère des Pensions et des Affaires sociales wallonnes. Il fait
ainsi partie du tout premier Comité ministériel régional pour la Wallonie, sorte de
premier Exécutif wallon officiel, créé par la loi Perin-Vandekerckhove. Ministre,
Robert Moreau se donne comme objectif dorganiser la régionalisation et le
regroupement en une seule administration wallonne des matières suivantes : famille
et démographie, hygiène et santé publique, emploi et accueil.
Après l'implosion du Rassemblement wallon,
le rejet de ce parti dans l'opposition et son durcissement vers l'autodétermination, -
nous sommes entre 1977 et 1981 - Robert Moreau rejoint un Parti socialiste désormais
sensibilisé à lidée fédéraliste et qui, présidé par Guy Spitaels, a renoué
avec la combativité wallonne des Destrée, des Truffaut, des Merlot et autre Terwagne.
Robert Moreau se rend disponible pour l'Institut Jules Destrée dont il préside la
section de Charleroi : il écrit plusieurs ouvrages, devient un des artisans du
premier congrès La Wallonie au futur et suscite la rédaction d'une Constitution
wallonne. Lors du congrès constitutif de Wallonie Région dEurope en septembre
1986, Robert Moreau apporte sa caution à la naissance du nouveau mouvement wallon lancé
par José Happart. Constamment, nous le voyons présent, à nos côtés, attentif à
l'ensemble des préoccupations qui ont marqué sa vie, bien chargée, d'homme politique de
premier plan.
Robert, s'il n'en a ni le chapeau, ni le
pardessus, a aussi un côté Colombo. Comme le policier de la télévision, en effet, il
fait constamment, avec insistance, référence à l'épouse qui l'accompagne dans sa vie
de réflexion militante comme dans sa vie privée. Merci, Madame, de veiller sur lui avec
attention et d'être cette part si importante de sa vie intellectuelle et politique.
La raison et l'historicité, que
j'évoquais au début de mon discours ne freine dès lors pas l'affection, mon cher
Robert. Affection que toutes et tous, ici, nous vous portons à tous deux et que vous nous
permettez de vous manifester aujourd'hui.