Rapport
du carrefour 2
Education, culture dinitiative
et autonomie
Danielle Liétaer
Chargée de mission au Conseil de
l'Education et de la Formation
Ce texte constitue la synthèse des idées
dégagées du carrefour. Elles ont été formulées par les trois témoins invités et par
les vingt participants qui ont pris la parole au cours du débat.
Les idées ont été regroupées en sept grandes
thématiques, pour lesquelles la problématique a été examinée, et des pistes de
solutions ont parfois été suggérées. Lorsquelles avaient déjà été abordées
par lInstitut Jules Destrée lors des congrès antérieurs, il en est fait mention.
Le président du carrefour en a dailleurs fait le rappel en début de séance.
Les participants dont les interventions ont nourri
ces sept thématiques ne sont pas identifiés dans le texte du rapport puisquil
sagit dune synthèse restructurant transversalement lensemble des
contributions.
1. Le bagage élémentaire du jeune Wallon
Lacquisition par tous les élèves dau
moins un "savoir de base" ou "bagage élémentaire" qui leur permette
dêtre autonomes, créatifs, capables de gérer leurs apprentissages et de
construire leurs savoirs était une recommandation des congrès antérieurs. Les
participants, comme les témoins, se sont inscrits dans cette perspective, dont ils ont
voulu définir les contours.
Ils ont dabord envisagé les contenus qui
devraient y figurer. A cet égard, ils recommandent que ces contenus ne soient pas trop
élevés. Ils constitueront plutôt une base pour les acquis ultérieurs. Cest
pourquoi on a utilisé à leur propos le terme dalphabétisation.
Celle-ci comportera trois dimensions. Lalphabétisation
culturelle comprend le savoir communiquer (lire, écrire, connaître sa langue
maternelle et au moins une langue étrangère), le savoir gérer (calculer) et le
"savoir se situer" dans le temps et dans lespace. Lalphabétisation
technologique concerne une ouverture à la compréhension de lensemble des
technologies, sans se limiter aux nouvelles technologies de linformation. Lalphabétisation
citoyenne englobe le respect de soi, le respect des autres et le respect de
lenvironnement.
En outre, on évitera absolument de faire de ces
contenus une approche purement utilitaire : ils doivent contribuer à la formation de
l'esprit et comporter une dimension critique.
Dans un deuxième temps, les membres du carrefour
se sont demandé sil y avait correspondance entre le souhait de définir un
"bagage élémentaire" pour tous les jeunes Wallons et la politique
gouvernementale qui a mis laccent sur lacquisition de compétences (socles de
compétences et compétences transversales).
Pour les participants, il ny aura
correspondance quà la condition de prévoir et de réaliser un pilotage effectif du
système éducatif et de pratiquer systématiquement une évaluation externe et
indépendante des politiques menées. Celle-ci aura pour objet de mesurer les
résultats produits et de vérifier si les objectifs fixés ont été atteints. Il ne faut
donc pas confondre évaluation externe et radioscopie.
Si le pilotage, élaboré sur base des résultats
de lévaluation externe permanente, nest pas réalisé, il risque bien de
ny avoir aucune différence, au plan de la formation des élèves, entre les anciens
programmes détudes et les futures batteries de compétences. Le concept de bagage
élémentaire / socles de compétences n'a de sens que s'il est articulé à
celui de pilotage.

2. Le système scolaire est inéquitable :
la variabilité des établissements scolaires est très grande
De nombreux intervenants ont mis laccent sur
la grande iniquité du système scolaire de la Communauté française de Belgique. Les
résultats denquêtes internationales récentes ont montré combien la dualisation
était à luvre entre les écoles. Cen est au point quil suffit de
connaître létablissement scolaire fréquenté par un jeune pour prédire le niveau
de compétence auquel il peut prétendre.
Lexamen des populations délèves qui
fréquentent lenseignement général, dune part, et les filières de
lenseignement qualifiant (technique et professionnel) dautre part, montre bien
que linscription dans celles-ci ne procède pas dun choix dorientation
mais de processus de relégation.
Dans les congrès précédents déjà,
lInstitut Jules Destrée sétait préoccupé de cette situation. Parmi les
chantiers quil suggérait douvrir pour laméliorer, on peut
rappeler :
- la remise en question du système éducatif actuel,
hérité du passé, et la suppression des clivages qui empêchent les échanges et les
collaborations entre secteurs sociaux;
- la définition dobjectifs généraux fondés
sur des valeurs dégalité, de solidarité, de démocratie et de pluralisme;
- le refus de dissocier la politique déducation
et les politiques connexes que sont laménagement du territoire, les communications,
laccueil des activités économiques, la qualité de lhabitat et la garde des
petits enfants;
- larticulation de lenseignement en
général et, plus particulièrement, de lenseignement technique et professionnel
sur les compétences plus que sur les qualifications, et son ancrage dans la réalité en
jetant des ponts entre les écoles et le monde extérieur, notamment les activités
économiques, sociales et culturelles.
Certes, des mesures décrétales récentes (juillet
1997) ont défini pour lensemble des établissements de la Communauté française
des missions générales. Elles nont pourtant pas fondamentalement remis en question
les clivages du système ancien : il demeure notamment une hiérarchie affirmée
entre les formations à caractère général et celles qui sont dites qualifiantes.
Les valeurs dégalité et de solidarité se
sont notamment exprimées dans les prescrits du récent décret relatif aux
discriminations positives, mais on na pas mis fin à la dualisation croissante du
système éducatif : la synergie entre les politiques sociales et éducatives
nest pas entamée.
Dans le carrefour sest exprimée une volonté
de mener un combat contre liniquité du système éducatif, en promouvant notamment
des collaborations entre établissements, en réduisant les concurrences qui font de
lenseignement un système féodal et alimentent ainsi la dualisation.
Dans cette perspective, il faudrait coupler une
décentralisation des prises de décisions, en reconnaissant une certaine autonomie aux
établissements, et la nécessaire concertation de leurs politiques, en favorisant entre
les écoles des synergies nourries de profonde solidarité. Il conviendrait de réaliser
ce couplage de manière dialectique.

3. L'enseignement et le monde économique
LInstitut Jules Destrée a souvent
préconisé détablir des ponts entre le système scolaire et le monde des
entreprises. Il a recommandé dassocier aux projets des écoles plusieurs types de
partenaires (entreprises innovantes, services productifs, laboratoires de recherche,
pouvoirs publics, agents culturels). Il a suggéré dancrer lenseignement en
général et, plus particulièrement, de lenseignement technique et professionnel
dans la réalité en jetant des ponts entre les écoles et le monde extérieur, notamment
les activités économiques, sociales et culturelles. Il a proposé de lancer des
passerelles entre écoles techniques et professionnelles et entreprises, de réorganiser
cet enseignement en le centrant sur une formation commune autour de familles de métiers,
en développant les formations en alternance.
Des dispositions ont été prises ou sont en cours
de réalisation à propos de la modernisation de lenseignement technique et
professionnel, à travers les travaux de la CCPQ () où travaillent
ensemble des représentants du monde des entreprises et de lenseignement. Toutefois,
le débat concernant louverture de lécole sur le monde extérieur na
pas vraiment avancé.
Cette problématique a retenu lattention des
membres du carrefour. Il leur a semblé indispensable que l'enseignement et le monde
économique trouvent ensemble un compromis entre la satisfaction des objectifs du monde
économique et les valeurs d'autonomie et de démocratie portées par le monde éducatif.
Un contrat clair devrait être établi entre les deux parties, prévoyant le respect des
exigences de chacun.
Cependant, il arrive de plus en plus fréquemment,
semble-t-il, que les exigences du monde économique deviennent trop élevées : il ne
veut plus engager des jeunes peu formés ou porteurs de diplômes quil estime trop
bas. Tout compromis devient alors impossible à conclure.
Il a semblé aux participants que, dans ce cas, il
faut, dune part, inciter les responsables de lenseignement à faire en sorte
que la formation professionnelle devienne plus performante, de telle sorte quelle
produise le moins possible d'exclus. Mais il faut aussi, dautre part, que des
politiques sociales contrecarrent les effets néfastes du marché en permettant une
insertion des jeunes concernés.
En outre, il convient de mener une réflexion sur
lesprit qui règne dans les formations qualifiantes de lenseignement
secondaire. On sait que les grands jeunes gens qui y sont inscrits ont souvent accumulé
un certain retard dans leur scolarité antérieure. Or, on les traite comme sils
étaient de très jeunes enfants.
Il faut absolument faire en sorte que les
formations techniques et professionnelles soient moins infantilisantes pour les jeunes qui
les fréquentent, plus axées sur l'acquisition de compétences et de démarches
transférables, et qu'elles comportent une dimension critique et humaniste. On pourrait,
comme cela se pratique dans dautres pays (on a cité le Danemark), mettre en place
un système de formation qualifiante ouvert aux jeunes de plus de 18 ans qui comporte
aussi une dimension critique et humaniste, et traite les jeunes en adultes.

4. La coopération entre les réseaux
Les travaux antérieurs du congrès La Wallonie
au futur ont mis en évidence la nécessité de remettre en question, dans le système
éducatif actuel, certains héritages du passé, notamment les clivages qui empêchent les
échanges et les collaborations entre secteurs sociaux. On proposait même de créer une
Commission de coopération pluraliste.
Les membres du carrefour se sont inscrits dans
cette analyse, en estimant quil faut encourager les coopérations entre les acteurs
sociaux, éducatifs et politiques, et favoriser la coopération entre écoles en misant
sur leur complémentarité.
Certaines dispositions prévues par le décret
Missions vont dans ce sens, mais dautres visent à renforcer létanchéité
des réseaux.
Deux types de propositions sont formulées par les
participants. Il sagirait, par exemple, de susciter des coopérations entre
établissements, sur le plan local, en refusant de sinscrire dans la concurrence.
Cet aspect rejoint ce qui a été évoqué au point 2, ci-dessus. Une autre piste,
complémentaire, reviendrait à instaurer dans les écoles une réflexion éthique qui ne
soit pas basée sur une seule tradition, mais soit pluraliste, comme cela se passe dans la
société.
A lappui des propositions, il est fait état
des changements profonds qui ont été récemment mis en uvre dans les universités.
Elles vont dans le sens dun rapprochement entre institutions et dune ouverture
sur lextérieur. Il sagit du décloisonnement des institutions universitaires
vis-à-vis du monde industriel, des efforts de complémentarité entre elles, déjà
concrétisés pour les troisièmes cycles, de la création de passerelles avec les Hautes
Ecoles, et des initiatives prises en matière de formation continuée ou complémentaire
et de recyclage.

5. La formation à la démocratie par l'action,
dans l'école
Comme lont fait remarquer des participants du
carrefour, lidée de former les jeunes à la démocratie napparaît pas
explicitement dans la synthèse des congrès antérieurs. Or, il leur apparaît que cette
dimension de léducation est fondamentale, pour lutter contre la violence,
promouvoir la créativité des élèves et concrétiser les objectifs généraux de
lenseignement.
Des pistes ont été formulées à cet égard.
La Communauté française doit offrir une aide
méthodologique aux directions d'école et aux acteurs locaux pour l'animation des
conseils de participation : leur fournir des formations spécifiques et des
animateurs itinérants.
Il convient de favoriser lapprentissage de la
citoyenneté par la pratique de la citoyenneté à lécole et la participation de
tous les acteurs, y compris bien sûr les élèves, sur des enjeux essentiels.
Il faut aussi soutenir les organismes (mouvements
de jeunesse, monde associatif) qui offrent la possibilité aux jeunes dexercer leur
citoyenneté et de prendre des responsabilités en dehors de lécole.
Les participants ont insisté sur la nécessité de
généraliser une éducation démocratique à la démocratie pour tous les élèves, sans
la réserver aux plus âgés : elle devrait prendre cours dès lécole
fondamentale.

6. La formation des enseignants
Cette thématique avait retenu lattention des
précédents congrès La Wallonie au futur. Ils estimaient quil fallait
rendre les éducateurs / enseignants capables de simpliquer dans la
réalisation des objectifs généraux de lécole. Il faudrait les former pour leur
donner la maîtrise des savoirs, des méthodes et des significations de ces savoirs pour
le devenir de la société.
Si lon dresse un état des lieux des
réalisations conduites en cette matière, on est frappé par labsence de toute
initiative. Il y a là quelque chose de proprement scandaleux. Comme le déplorait un
participant, la formation des enseignants nest pas prise au sérieux !
Dans ce contexte, le carrefour na pas souhaité faire de propositions. Il a
seulement insisté sur le manque de coordination existant entre la formation des
enseignants et lorganisation du système dans lequel ils sont amenés à exercer
leurs compétences : cette absence de coordination apparaît notamment dans la
répartition des compétences ministérielles.
7. La dimension locale
Le congrès La Wallonie au futur a insisté
bien souvent sur la nécessité de conjuguer, de façon complémentaire,
lenracinement et luniversalité. Il a semblé aux participants que
luniversel était mieux rencontré par le système éducatif que
lenracinement.
Pourtant, il semble essentiel que la formation
tienne compte de la collectivité locale et de la culture locale dans lesquelles elle est
insérée.
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