Débats avec les
participants
Jean-Claude Gérard, Professeur et
conseiller communal :
Tout le monde est daccord, il faut évaluer.
Mais il y a une divergence importante sur la conception de lévaluation. M. Beaussart a dit qu'une démarche dévaluation, cest pénible
psychologiquement. Je pense quun des gros problèmes en Wallonie, que ce soit dans
lenseignement ou dans lattitude des politiques, cest cette capacité de
résistance à être remis en question, parfois de manière très importante.
Jai entendu M. Busquin dire quil ne lui
appartenait pas de définir les modalités dévaluation, quil laissait cela à
des spécialistes. Je crois que cest une erreur fondamentale.
Par contre, jai entendu José Daras dire que
la vie d'une décision, dès quelle est prise, vous échappe. Effectivement, il y a
toute une série de paramètres quon ne saurait pas prévoir. On ne sait pas faire
de la science sur le futur. Il est vraiment important de séparer la logique
intentionnelle de la logique objective et de la logique des résultats. Il faut mettre
laccent cest là, à mon avis, que le politique a un problème
plus sur la démarche que sur les résultats et sur le contenu de lévaluation. En
terme de démarche, je pense que, s'il y a quelque chose à faire en Région wallonne,
peut-être par le biais de lenseignement, cest de pouvoir travailler avec les
étudiants quel que soit leur niveau, le fondamental, le secondaire ou même le
supérieur et luniversité beaucoup plus individuellement à ce qui pour
chacun fait résistance. Cest comme ça que lon créera un esprit plus
entrepreneurial, cest aussi une conception du développement de lhomme
beaucoup plus globale que simplement un spécialiste dans différents secteurs.
Ce qui manque en Wallonie, cest une
conception de spécialisation très forte dans la formation et je voudrais savoir ce que
les politiques pensent par rapport à cette idée. Tout le monde va-t-il s'y mettre, cela
ne va-t-il pas rester le monopole des universités ou des instituts spécialisés ?

Serge Kubla
Il y a eu deux volets.
Concernant le premier, le décloisonnement, je suis
tout à fait daccord avec ce qui vient dêtre dit. La façon dont
aujourdhui la transversalité qui était, soi-disant, le grand thème de la
déclaration de politique régionale complémentaire trouve des difficultés à
être mise en uvre me paraît un des blocages de notre société. Nous vivons dans
une structure où chacun soccupe de son département et où les passerelles sont
faibles. Il faut des passerelles entre lentreprise et lenseignement, il faut
des passerelles entre les diverses disciplines, transport, logement, développement
économique, aménagement du territoire. Donc, manifestement, il faut une autre
mentalité.
A propos du problème de lévaluation, nous
avons tous à peu près les mêmes idées dans l'esprit : à savoir, il y a un
diagnostic. Est-ce que cest ça lévaluation ? Dans certaines matières,
on en est encore au stade du diagnostic. Dois-je dire, par exemple, qu'il ny a pas
de politique de mobilité aujourdhui ? Donc je ne vois pas comment vous
pourriez lévaluer. Il ny en a pas, il ny a pas dobjectif, il
ny a pas de quantification, il y a un problème quon reporte à plus tard.
Donc, on doit peut-être davantage faire un diagnostic qu'une évaluation.
Le politique doit-il se remettre en cause ?
Oui, le politique a été investi dun pouvoir un peu supérieur à simplement
lémanation de la démocratie. La remise en cause est quotidienne. On le voit dans
toutes les décisions, quelles soient de municipalistes ou à dautres niveaux.
Il faut accepter cette remise en cause. Doit-on, pour autant, déboucher sur une
participation active de chacun à tous les niveaux ? Oui, sil ny a pas
perte dénergie : cessons de nous encombrer de procédures qui font perdre
beaucoup de temps au processus de décision, entraînent sans cesse des débats et des
remises en question. Lunanimité, on ne laura jamais. Des grands débats où
tout le monde a des idées qui sont contradictoires et qu'il faut arbitrer, cela peut
épuiser pas mal dénergie. Cest pour ça que, quand vous mavez demandé
en premier lieu de réagir, jai plaidé pour laction. Je suis daccord
pour la remise en question du politique, indiscutablement. Je suis daccord pour la
participation de chacun à une réflexion, mais je reste fondamentalement déterminé à
ce quon avance et à ce quon ne senglue pas dans des procédures.
Cest là léquilibre qu'il me paraît falloir trouver.

Véronique de Keyser :
La deuxième question va nous permettre de creuser
le vrai thème du panel : le décloisonnement. Je pense que le décloisonnement, la
nécessité du décloisonnement, se vit principalement dans les problèmes rencontrés
dans les dysfonctionnements, mais quune façon de lutter contre les cloisonnements,
cest à travers un projet, une action : c'est au moment où les gens
sengagent dans des actions communes que les cloisons si résistantes tombent.
Doù lidée que, pour le développement de la Wallonie, dans le domaine de
lenseignement ou dans le domaine de l'aménagement du territoire, la notion de
projet est importante. L'idée de projets enracinés dans une région donnée, voire dans
une sous-région, est apparue très fort dans les panels. A partir du moment où on
imagine des projets de développement réunissant différents types dacteurs,
enracinés dans une sous-région donnée, cette globalisation à géométrie variable,
comme le disait Mme Elisabeth Dupoirier ce matin, doit tout de même reposer sur un
dynamisme existant dans ces unités. Tant dans le domaine de lenseignement que dans
le domaine de l'aménagement du territoire, la question posée maintenant par les deux
rapporteurs est à la fois de savoir si on peut réussir à former ces micro-unités de
changement et de décloisonnement à travers des projets communs, mais aussi de
déterminer quels sont les freins et dans quelle mesure les politiques, les forces vives,
les entreprises peuvent se faire le relais de ce type de coopération.

Anne-Marie Corbisier :
Nous devons décloisonner si on veut répondre à
un projet global, je pense que tout le monde est daccord sur ce point-là. On a
déjà dailleurs inscrit des politiques transversales dans la Déclaration de
Politique régionale complémentaire et cest dans ce sens-là que nous devons
avancer pour la suite. Il faut évidemment décloisonner aussi bien les budgets que tous
les départements. Si on ne décloisonne pas lun et lautre, on navancera
pas.
Pour une bonne évaluation, les réactions de la
salle lont montré, il faut que nous puissions mettre ensemble toutes les forces et
toutes les politiques et donc tous les budgets, les uns pouvant servir aux autres. On le
pratique déjà lorsque l'on met des télécommunications à lécole, dans le
transport scolaire : cest une coopération des régions, de la communauté et
des budgets fatalement. Il faut continuer à avancer dans ce sens-là, à condition, je le
répète, de décloisonner budgets et départements. Actuellement, il reste des rigidités
et des difficultés.
Concernant un schéma de développement
régional : ce schéma doit être un instrument qui puisse servir à une puissance
publique "régulatrice", qui puisse englober toutes les lignes qui servent à un
développement durable de notre société.
Quels outils pour faciliter la concertation entre
acteurs ? Actuellement, nous avons tendance à multiplier les lieux de décision
alors qu'il y en a déjà beaucoup. Personnellement, je pense quil faut se poser la
question de savoir si tous les niveaux de pouvoir que nous avons actuellement doivent
être absolument maintenus. On doit avoir le courage de se poser la question et de voir si
certains ne peuvent pas prendre le relais dautres. Puis, à partir du moment où
nous ne les maintenons pas, nous devons nous interroger sur l'utilité de créer des lieux
où les niveaux de pouvoir qui resteraient puissent mieux se concerter. On a parlé de
communauté urbaine, daccord, à condition que cela ne double pas des situations qui
existent dans les intercommunales.
Concernant lécole, je suis favorable à une
coopération entre écoles et entre réseaux. Je pense quon ne résoudra rien en
créant un autre réseau quon appellerait pluraliste, mais je pense
quil faut avoir une certaine pluralité dans la gestion de nos écoles, quil
faut envisager ces questions différemment selon le niveau de formation, le problème
étant différent dans le fondamental ou à l'université. Mais il ne faut pas dire
certaines choses et en faire d'autres. Par exemple, au niveau des universités, avoir un
discours de coopération et de rationalisation et, dans le même temps, essayer de
renforcer les piliers. Au niveau du secondaire, on peut avancer dans les coopérations ou
dans les infrastructures : dans les coopérations pour des tâches de relais avec
lextrascolaire et tout ce qui tourne autour de la "société scolaire",
dans des coopérations communes avec les entreprises, quand on parle de formation en
alternance, de profil, cest évidemment au travers de coopérations avec les
entreprises et entre réseaux quon pourra avancer. Ce nest quen
collaboration avec des réseaux quon pourra avancer sur le plan de la formation de
centres dexcellence ou de la formation pour plusieurs réseaux en technique et
professionnel. Voilà des exemples précis : il y a encore beaucoup de travail pour y
arriver.

José Daras :
Quel est lobstacle au décloisonnement ?
Lobstacle au décloisonnement, cest que les cloisonnements ont encore des
lieux de pouvoir. Le problème du cloisonnement est un problème de pouvoir. On le sait
tous, mais disons le clairement. Un pouvoir est soit localisé dans lespace, soit
sur des compétences, soit sur des personnes et ce dans un tas de domaines, pas
uniquement dans le domaine politique : si on décloisonne, on touche au
pouvoir de certains. Dans le domaine de lenseignement, pas besoin de faire un
dessin. Donc, nous, écologistes, on na pas tellement de problèmes parce quon
na pas beaucoup de pouvoirs. On est très favorables au décloisonnement, on essaie
de le pratiquer au maximum et même de donner des coups de boutoir dans les cloisons des
autres. Je reconnais que cest plus facile dans notre position que dans celle de
Philippe Busquin, cest le poids de l'histoire.
Cela veut dire quil est difficile de trouver
des majorités politiques pour décloisonner. Je dis cela uniquement dans les cas où la
décision appartient aux politiques. Effectivement, il y a des moments où nous avons des
décisions à prendre, des décisions qui peuvent décloisonner et cest très
difficile. Exemple : lenseignement, le décret mission. Soit vous êtes du
côté officiel, soit vous êtes du côté libre confessionnel. Cest strictement
organisé avec une cloison. Cest un texte récent. On a sacralisé, dans le décret,
les fédérations des pouvoirs organisateurs . On a fait le contraire de ce quil
fallait faire, à ce niveau-là. Il y a de bonnes choses par ailleurs dans ce décret
mais, là, on a sacralisé les cloisonnements qui existaient. Evidemment, nous sommes
favorables à ce que cela change.
Pour répondre à la question concernant de la
coopération entre écoles, je ne me fais pas dillusion. Je ne vais pas vous faire
un discours sur lenseignement pluraliste, parce que je ny crois plus. Par
contre, on arrive à abattre certaines cloisons, progressivement. Ne serait-ce que mettre
des infrastructures en commun, faire des activités ensemble, sinviter lun
lautre, apprendre à se connaître : je crois que cest quand même
possible. Par la suite, au niveau supérieur, créer des formations en commun et
travailler en commun entre hautes écoles, universités, cela ne me semble pas totalement
impossible. Je ne suis pas certain quil y ait encore beaucoup de jeunes qui
choisissent leur université en fonction de sa couleur.
A propos de l'aménagement du territoire,
lorsqu'une entreprise veut sinstaller, elle a besoin dun permis
denvironnement et dun permis globalisé. Je pense que, jusquà présent,
laménagement du territoire a fonctionné de manière cloisonnée. Cela a permis de
protéger toute une série de zones.
De plus en plus, je pense que les politiques
doivent se penser en termes de flux et en termes de secteurs, par exemple de secteurs
dactivités. Une conception future de l'aménagement du territoire où le
système des zones, qui doit rester sinon on fera nimporte quoi, nimporte où
doit apporter aussi un système de maîtrise des flux à lintérieur du
territoire wallon. Quant au développement économique, je ne crois plus aux entités
localisées géographiquement, surtout pas aux intercommunales de développement
économique qui, elles-mêmes se trouvant trop petites, viennent de décider de fusionner,
en un groupement dintérêts économiques, une partie de leurs moyens, de mettre en
commun un certain nombre de choses. De plus en plus, je pense quil faut travailler
par secteur. Une des idées est de remplacer les invests localisés géographiquement
il y en a qui marchent plus ou moins, dautres qui font des placements
par des invests sectoriels qui travailleraient dans un domaine, un secteur
dactivités. La Wallonie, cest tout petit, alors ces rivalités entre
sous-bassins, ces non-collaborations entre intercommunales de développement, ces invests
qui signorent, tout cela engendre du cloisonnement.
Le malheur des gens qui durent, comme moi, c'est
d'avoir limpression de faire le même discours depuis quinze ans, que, depuis quinze
ans, tout le monde dit "il va falloir arrêter tout cela parce que ça ne marche
pas" et que, aujourdhui, quinze ans après, on dit toujours "il va falloir
arrêter parce que cela ne marche pas".

Philippe Busquin :
Je crois que ce qui est important cest
quon se mobilise tous et je voudrais, par rapport à cela, vous faire part d'une
série de réflexions.
Jai parfois le sentiment quici on
cultive le mieux, mais le mieux peut parfois être lennemi du bien.
Je voudrais reprendre lexemple des sites
industriels désaffectés. Il est évident que le visage wallon dans ces bassins
industriels est handicapé par la révolution industrielle et par ces sites. Depuis de
nombreuses années, je demande, avec d'autres, que lon mène une politique forte en
la matière. Donnons un exemple concret : la Déclaration de Politique régionale
complémentaire a prévu huit cents millions dengagements pour raser des sites qui
sont des pollutions visuelles et des atteintes à la qualité de la vie des populations.
Comme Jean-Claude Van Cauwenberghe la dit dans le panel précédent, il y a un an
que la décision a été prise politiquement et nous ne sommes nulle part. Il y a un mois,
javais dit que je voulais voir des bulldozers travailler et ils ne travaillent pas.
Pourquoi ? Parce quil y a querelle entre, dune part, le ministre qui veut
appliquer la politique gouvernementale, les intercommunales de développement qui ont
été chargées parce quelles en ont lexpérience et la qualité
requises de mettre en uvre les politiques et qui sont prêtes à le faire et,
d'autre part, une administration qui, elle, va jusquau bout dune logique
qui peut se comprendre dans certains cas mais qui est inapplicable ici ,
cest-à-dire qu'elle veut vérifier la nature des sols avant de commencer à raser.
Si on veut vérifier la nature des sols du sillon industriel Sambre et Meuse, il vaut
mieux arrêter les frais, vous ne créerez plus d'activité économique. Cest
dailleurs contraire à tout ce que lon dit sur laménagement du
territoire puisquon dit quil faut éviter une occupation de lespace
désordonnée. Mais si les industries doivent payer des frais de remise en état ou
d'analyse du sol avant de commencer à investir et à développer de lemploi, elles
ne le feront pas. Le choix est là. Le mieux, dans ce cas-là, est lennemi du bien.
Je dis quil faut pouvoir raser les friches sans se poser la question du sol .
L'autre démarche est, évidemment, tout à fait défendable et acceptable écologiquement
mais elle n'est pas adéquate en ce moment, dans léconomie wallonne et dans les
problèmes que rencontre la Wallonie.
Cest ce genre de questions que nous devrions
dabord évoquer entre nous, parce que jai le sentiment quon est dans des
querelles byzantines sur la question de lévaluation, sur la question de
laménagement, etc. Les barbares sont aux portes. La Wallonie est en état de guerre
économique. Si nous naméliorerons pas notre situation dans les deux ou trois ans
à venir je ne parle pas de dix ans, parce que dix ans ce sera trop tard
nous allons être placés dans une situation plus difficile encore. Je voudrais quand
même faire quelques comparaisons vous trouverez peut-être que je fais appel à
lennemi extérieur pour mieux expliquer la situation intérieure, mais lennemi
extérieur est là. En ce moment, se discute, au niveau du Comité et du gouvernement, le
budget fédéral. Dans la discussion sur le budget fédéral, il y a des différences
danalyses complètes entre les politiques demploi que lon peut mener. On
a soit un traitement social du chômage, soit un traitement économique du chômage, ce
qui fait de très grandes différences dans les politiques demploi. On a soit une
politique de santé qui tient compte de létat et des situations des populations,
soit une politique de santé qui opte pour le juste retour. Tous ces éléments-là sont
en discussion ce week-end et les effets pour la Wallonie sont particulièrement
importants.
Pour évoquer avec vous le décloisonnement, il
faudrait que, mentalement, nous dépassions des cloisonnements qui sont encore fréquents
dans les applications. Il faut les transcender, il y a des possibilités. Prenons
lexemple concret des garderies scolaires : pourquoi ne peut-on pas accepter que
les garderies scolaires soient organisées par les autorités locales qui sont prêtes
avec la participation des parents, des enseignants, de telle manière quil
ny ait pas dappréhension sur une dominance dun réseau par rapport à
un autre ? Pourquoi cela nest-il pas possible aujourdhui ?
Simplement parce qu'il y a des craintes, certaines frilosités au changement : en
conséquence l'intérêt général ne prime pas.
En ce qui concerne le schéma de développement
régional, je pense comme vous tous quil doit être sur la table. Le ministre André
Baudson en avait déposé un et puis il y a eu la difficulté, quil ne faut pas
cacher, du choix entre le développement du sillon Sambre-et-Meuse et le développement de
la Nationale 4. Ce sont des choix, on doit mesurer quil faut traiter inégalement
des choses inégales. Cest vrai quil faut faire plus defforts
dassainissement et daménagements dans lancien sillon industriel que
dans des zones qui sont pour le moment plus adaptées au développement. Il faut donc
accepter quil y ait des formes de sous-régionalisme positives, cest-à-dire
que lon aide plus ceux qui en ont le plus besoin, comme on la fait dans
lenseignement avec les zones de discrimination positive, cest-à-dire que les
écoles avec des milieux plus défavorisés, avec un plus haut taux dimmigration,
reçoivent plus daide que des écoles de quartiers favorisés qui ont moins de
problèmes.
Tout cela doit être déterminé, pas selon des
critères dits politiciens parce que, soi-disant, le sillon Sambre-et-Meuse serait plus
socialiste que le reste, mais selon les nécessités. D'ailleurs, si nous avons voulu le
fédéralisme, cest parce que nous voulions lutter contre cette injustice quon
avait faite à la Wallonie, au niveau de lEtat belge, lorsque les aides européennes
navaient pas été discriminées positivement. Et cest grâce à l'existence
de la Région wallonne quon a pu obtenir enfin des objectifs prioritaires pour la
Wallonie, que lon n'obtenait pas dans lEtat belge par rapport à
lEurope. Souvenons-nous, dans les années 70 et 80, la répartition des subsides
européens se faisait dune manière non discriminatoire positivement pour la
Wallonie or elle en avait davantage besoin.
Par rapport à la Wallonie, il ne faut pas non plus
être trop pessimiste. Nous avons fait une évaluation régionale par rapport aux régions
avoisinantes. Quand on dit que la Wallonie est à 85 par rapport à la moyenne européenne
du PIB, posons-nous la question de savoir si le PIB est un bon paramètre pour mesurer la
qualité de la vie. Si on compare le score de la Wallonie et celui du Nord
Pas-de-Calais, de Champagne Ardennes, du Limbourg hollandais, de la Rhénanie
Westphalie, notre situation est assez semblable. Evidemment, d'habitude nous nous
comparons à Bruxelles, mais Bruxelles est, en terme de PIB par habitant, une des régions
les plus riches dEurope puisquelle est sa capitale. Elle a un développement
énorme. Quant à la Flandre, elle est en expansion économique pour le moment, parce
quelle bénéficie au maximum des retombées de lindustrialisation des années
60, mais elle aussi va avoir des problèmes : voyez le secteur de lautomobile,
voyez le secteur du textile. Il faut donc penser en termes de solidarité.
Je voudrais terminer en vous disant que,
mentalement, nous devons décloisonner, cest tout à fait clair. Mais nous sommes
aussi en économie de guerre et je ne pense pas quon est assez conscient quil
faut, tous ensemble, essayer de se mobiliser : oser être wallon, comme un autre
la dit.

Pierre Beaussart :
Je limiterai mon propos à ce que vous avez dit en
matière daménagement du territoire. J'apporterai deux réflexions.
Je plaiderai énergiquement pour la juste mesure.
Je crois quon ne peut pas vouloir, en Wallonie, des zones qui sont réservées à
tel ou tel type dactivité sauf quand la nature des choses lindique. Il
est clair que le pipeline va jusque Feluy et, par conséquent, lindustrie
pétrochimique va se développer essentiellement dans cette zone-là. Mais, cela étant
dit, on doit accepter quune entreprise qui serait peut être mieux à Charleroi,
s'implante à Tournai parce que, pour des raisons internes à lentreprise, elle sera
mieux à Tournai. C'est comme cela, elle a peut-être perdu certains avantages, elle en a
trouvé dautres, cest sa liberté dimplantation qui est en cause ici. Je
crois que cest vrai dans beaucoup dautres domaines, il faut accepter
quil y ait un certain choix possible pour les responsables de lefficacité de
lentreprise en question.
Je voudrais dire également quil ne faut pas
toujours vouloir. Les entreprises ne sinstallent pas nécessairement à
lendroit où une autre entreprise était installée auparavant. Il y a des communes
qui avaient de belles entreprises dans le temps, qui malheureusement nen ont plus
aujourdhui. Jentends leurs responsables dire "il faut absolument amener
des entreprises de remplacement ici". Ce serait lidéal, ce nest pas
possible. Et sil y a, dans la commune voisine, une zone dactivités qui
nest pas complète, il faut accepter que ce soit là que les entreprises
s'installeront préférentiellement. Les personnes concernées devront faire 15, 20, ou 25
km de trajet, on parle assez de mobilité maintenant pour demander un type deffort
semblable avec les moyens de communication que lon a aujourdhui. Acceptons que
certains endroits, qui ont été occupés dans le temps, soient maintenant des parcs, des
zones quon fait reverdir et peut-être que, dans 20 ou 25 ans, à cet endroit-là
également, on verra des entreprises se réimplanter.
Je suis pour une juste mesure; à savoir pas de
contrainte exagérée et pas de laisser-faire non plus. Il faut trouver la mesure valable
et cest au cas par cas quil faut travailler dans ce domaine-là, comme le
schéma qui est en cours délaboration semble le vouloir.

Serge Kubla :
Je vais répondre directement aux questions qui ont
été posées, plus spécialement en terme daménagement du territoire.
Je considère que laménagement du territoire
nest pas une discipline au même niveau que les autres par toutes les applications
quelle comprend. Jai le sentiment que cette discipline doit coordonner dans
une large mesure dautres politiques qui, pour linstant, sont considérées
comme égales. Vous avez un ministre du Logement, un ministre de lAménagement du
Territoire et un ministre des Infrastructures. Laménagement du territoire se trouve
au-dessus des autres parce quon ne peut pas développer dinfrastructures qui
ne sont pas conformes à ce qui a été conçu dans laménagement du territoire. De
la même manière, vous ne pouvez pas mener une politique de logement si vous navez
pas défini clairement quels sont les pôles dans lesquels vous voulez développer du
logement. Il me paraît donc que laménagement du territoire a un rôle à un moment
donné, au moment de la conception des schémas supérieurs aux autres par la force des
choses.
Ensuite, quels sont les outils du développement en
termes institutionnels ? Je crois quil y avait à un moment donné une espèce
d'engouement pour une technique budgétaire qui était le "zéro base budget",
cest-à-dire quon remettait tout à zéro. On considérait ce qui se passerait
si tel article budgétaire nexistait pas. On doit faire à peu près la même chose
au niveau de nos institutions. Nous avons une pléthore dinstitutions qui sont très
hermétiques entre elles et qui, très souvent, sont marquées par la durée,
cest-à-dire par le fait que les gens qui occupent des fonctions à ce niveau, les
occupent très durablement. Donc, il faut, à la fois, remettre en question les
institutions et les durées. Je suis partisan, par exemple, des mandats limités dans le
temps avec, chaque fois, évaluation, au terme de lexercice et prolongement de la
fonction ou bien remplacement. Mais je suis assez convaincu quune sclérose
inévitable intervient dès lors que les mêmes personnes restent indéfiniment aux mêmes
endroits, un peu jaloux de leurs territoires et de leurs prérogatives. Il faut une
mobilité entre les personnes, une remise en question des choses. Aujourdhui, je
crois quil y a manifestement des concurrences entre certains de ces outils. Quand un
investisseur étranger se présente, les intercommunales vont se battre entre elles pour
lattirer chez elles. Ce nest pas cela qui est lintérêt de la Wallonie.
Donc il faut une remise en question.
Par contre, je suis favorable au principe de
subsidiarité. Que celui qui est le plus proche de lefficacité et de la décision
remplisse son rôle.
Je vous ouvre un chantier qui sera peut-être
lobjet dun autre congrès : que seraient idéalement les institutions de
demain, sont-elles limitées à un espace géographique, sont-elles celles
daujourdhui avec le maintien dune série de défauts visibles ou
sont-elles, au contraire, à repenser ? Je crois quelles sont à repenser et,
dès lors, vous ne serez pas étonnés que je sois résolument favorable à un
décloisonnement dune série de blocages daujourdhui. Par exemple, entre
les universités, il reste énormément de coopération à imaginer. Ce nest pas une
question de coût mais cest une question de performance au niveau des recherches,
des synergies, des mises en commun dintelligences. Plutôt que de les laisser
parfois sans les passerelles nécessaires, je plaide résolument pour un décloisonnement
entre elles.
Véronique de Keyser :
Il faut conclure ce débat. Quelques pistes ont
été lancées qui montrent bien que tout est encore à faire, mais on peut commencer à
décloisonner nos têtes : comme le disait Shimon Perez, le reste suivra
peut-être.

Christophe Derenne, économiste :
Pour rapidement mettre ensemble une série
dinterventions dhier, la première chose qui est ressortie, en termes
daménagement du territoire, cest que nous avons besoin dune stratégie
globale de la région. Il faut une stratégie globale pour éviter la dislocation, comme
le disait M. Kubla, la marginalisation de la Wallonie, la dislocation externe par la
polarisation avec les régions qui nous sont limitrophes, la dislocation interne via nos
querelles sous-régionales sillon industriel, axe Nationale 4, puis campagnes, etc.
Premier point, est-ce que, dans ce cadre-là, vous
êtes prêts à dire que laménagement du territoire, au sens large, est la matrice
dans laquelle se coordonnent lensemble des politiques sectorielles de la Région et
de la Communauté ? Cela veut dire un décloisonnement de laction
administrative aussi, évidemment, pour mettre en uvre de façon cohérente
lensemble de ces politiques sectorielles. Le deuxième point, cest quon
voit émerger le niveau sous-régional, à un niveau pertinent de laction concertée
entre acteurs sociaux, économiques, culturels, associatifs. Quel niveau
sous-régional ? Lidée avancée est celle du bassin demplois, bassin
industriel en France on appelle cela pays, dans la littérature ergonomique
on appelle cela district industriel.
Si on veut impulser des dynamiques de changement au
niveau sous-régional, des efforts de coordination pour développer linitiative,
linnovation pour répondre aux urgences, à une série dobjectifs, on peut,
par exemple, faire baisser radicalement le chômage des jeunes et inscrire le tissu
économique dans une perspective durable écologiquement et économiquement. Cela commence
à sencombrer : entre la commune et la région, il y a la province, les
communautés urbaines, les intercommunales; si maintenant on commence à parler de bassins
qui sont manifestement les lieux où les acteurs se reconnaissent les uns les autres et
sont capables de se concerter, quel outil, quel opérateur public met-on en uvre
pour faciliter la concertation entre acteurs ?
Est-ce que, dans ce cadre, les intercommunales ne
pourraient pas muter vers des agences de développement locales en souvrant à la
société civile, à la concertation avec lensemble des acteurs ? Dans le cadre
dune stratégie cohérente, de lacteur régional et du développement
despaces de changements au niveau des bassins, ne faut-il pas, pour structurer la
coordination entre ces deux niveaux, imaginer, un peu à limage française, des
contrats Etat régions et imaginer des contrats régions bassins avec des
obligations de résultats qui engagent lensemble des partenaires ?
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