Dialogue stratégique Développement
Martine Durez
Professeur à la Faculté Warocqué des Sciences économiques et
sociales de l’Université de Mons-Hainaut
Urbain Destrée
Secrétaire général de l’Interrégionale wallonne de la FGTB
Daniel Ducarme
Député wallon
Philippe Maystadt
Député fédéral – Président du PSC
Jean-Luc Roland
Secrétaire fédéral Ecolo
Jean-Claude Van Cauwenberghe
Ministre du Budget et des Finances, de l’Emploi et de la Formation
de la Région wallonne – Ministre du Budget, des Constructions et
de la Promotion sociale de la Communauté française

A la suite de leurs exposés, les rapporteurs des
carrefours Développement économique, évolution technologique et ressources humaines
et Infrastructures structurantes et information ouvrent le débat en posant une
question à chaque intervenant du panel politique ainsi qu’à la salle.
Une question à Jean-Claude Van Cauwenberghe :
Etes-vous prêt, M. le Ministre, à proposer au
gouvernement de passer, avec les fonctionnaires généraux des trois ministères
régionaux et communautaires et des pararégionaux qui n’ont pas, ou pas encore, de
contrats de gestion comme la SRIW par exemple, un contrat d’objectifs pour chacune de
leurs principales fonctions et, en tout cas, pour celles qui sont liées au
développement ?
Une question pour Philippe Maystadt :
Etes-vous prêt, M. le Président, à mener des
négociations sur la formation éventuelle d’un prochain gouvernement régional, sur
base d’un document rédigé sous forme de programme de gouvernement, avec des
objectifs quantifiés, des indicateurs de résultats et un système permanent
d’évaluation des politiques mise en œuvre ?
Une question pour M. Urbain Destrée :
En tant que responsable syndical, accepteriez-vous
de vous engager dans une concertation régionale sur un projet global de développement
wallon et quelle contribution positive spécifique y apporteriez-vous ?
Une question pour M. Jean-Luc Roland :
Etes-vous d’accord de vous inscrire dans la
logique reconnaissant les entreprises comme acteurs de première ligne de développement
et, dans cette hypothèse, quels engagements réciproques vous semblerait-il nécessaire
de faire figurer dans des contrats de développement à passer avec elles ?
Une question pour M. Daniel Ducarme :
Etes-vous prêt à passer d’un système de
subvention des opérateurs locaux à un système de contractualisation dans le cadre de
plans locaux de développement, assorti d’objectifs et d’un système
d’évaluation des prestations réciproques, notre idée étant toujours de revenir à
l’évaluation ?
Et nous avons aussi une question pour la
salle :
Etes-vous prêts à faire confiance à un
gouvernement qui s’engagerait sur une telle politique de développement ?

Urbain Destrée :
Le développement économique pose régulièrement
des problèmes et suscite autant de projets de société. Si l’on a des doutes sur le
sujet – je vais donner chaque fois un éclairage syndical – il suffit de penser
au dernier rapport, dit confidentiel, de l’OCDE.
Parlant de développement économique, l’OCDE
a dit, fin septembre 1998 – c’est rapporté dans la presse –, qu’il
fallait revoir les conventions collectives du travail, ne pas les conserver, négocier
avec l’entreprise, supprimer après un certain temps les allocations de chômage,
mettre en cause l’indexation des salaires, faire sauter les salaires minima et ainsi
de suite. Or, dans un certain nombre de débats académiques, on interroge tous les
acteurs sur des problèmes qui restent souvent des problèmes théoriques et quand les
acteurs se retrouvent chacun sur le terrain, ils sont confrontés à toute une série de
réalités et à des réalités de ce type-là aussi.
Deuxième remarque, et j’en viens à la
question posée, nous sommes prêts à nous engager dans des mécanismes –
j’emploie volontairement le pluriel – de concertation régionale sur un projet
global.
Nous le voyons dans deux grands axes : le
premier concerne le rôle des interlocuteurs sociaux au plan wallon et le deuxième celui
des pouvoirs publics. Je souhaite rappeler – parce que, souvent, on a la mémoire
courte, peut-être plus en Wallonie qu’ailleurs – que les interlocuteurs
sociaux, depuis des années, à l’intérieur du Conseil économique et social de la
Région wallonne, ont des concertations permanentes. Ils ont conclu avec le gouvernement
une déclaration commune qui était une sorte de programme d’ensemble concernant
énormément de domaines et qui a servi, en partie, de base à des déclarations de
politique régionale, y compris à la déclaration de politique complémentaire.
Nous sommes désireux de pouvoir continuer dans
cette voie-là , c’est-à-dire avoir avec le prochain gouvernement wallon un
certain nombre de débats transversaux. Nous le sommes d’autant plus que nous allons,
même par rapport à ce gouvernement-ci – et je me tourne vers Pierre Beaussart qui
présidera encore la délégation lors de la rencontre avec le gouvernement –
demander au gouvernement wallon d’animer plus activement ces concertations-là.
J’ai dit qu’il y avait deux volets dans
les mécanismes de concertation parce que ce que nous croyons, c’est que, au delà
d’une concertation générale structurante du type déclaration commune, il est
important de mener des concertations sectorielles ou des concertations par filières qui,
elles aussi, doivent être structurantes au maximum. Un exemple : les politiques de
l’eau dans le domaine des filières. Le domaine de l’eau est directement lié
aux besoins de l’ensemble de la population.
L’eau a un coût et un prix. Il faut faire en
sorte que ce type de bien ne commence pas à peser abusivement dans un certain nombre de
budgets familiaux. Cela suppose une série de politiques et parfois il y a à concilier
des choses difficilement conciliables. J’ai dit que l’eau a un coût :
construire des stations d’épuration cela représente des milliards, des milliards et
des milliards. Cet argent, il faut le trouver quelque part, pas nécessairement et
exclusivement dans la poche des seuls consommateurs.
L’eau pose des problèmes d’environnement
et d’épuration, l’eau pose aussi des problèmes de coordination à
l’intérieur de la Wallonie. Le gouvernement a mis sur la table des projets de
société de gestion de l’eau parce que, en Wallonie, nous souffrons encore trop
souvent d’une sorte de balkanisation de toute une série d’initiatives.
Le problème des politiques dans le domaine de
l’eau pose clairement le problème des relations entre le secteur public et le
secteur privé. Nous croyons que, en toute hypothèse, on ne doit pas s’engager, dans
le secteur de l’eau, dans des politiques qui laisseraient les mains libres et
donneraient une place importante et déterminante au secteur privé. Toute une série
d’exemples étrangers montrent que, dans ces cas-là, plus qu'à l’intérêt de
la population, le secteur privé pense en terme de rentabilité et de bénéfice.
Nous voyons aussi les problèmes de concertation et
de politique globale en tenant compte du rôle, qu’à notre estime, les pouvoirs
publics doivent jouer.
A l’interrégionale wallonne de la FGTB, nous
croyons que les seules règles du marché ne vont pas permettre à la Wallonie et à un
certain nombre de sous-régions de s’en sortir. Il faut donc que tous les
interlocuteurs acceptent de reconnaître que le secteur public au sens large – que ce
soit le gouvernement wallon ou la Société régionale d’Investissement de Wallonie
–, doit jouer un rôle important dans ces mécanismes-là. Cela n’exclut pas le
secteur privé, les initiatives du secteur privé, même l’Interrégionale wallonne
de la FGTB – et Dieu sait lui-même l’image que nous avons – a toujours
souhaité que le secteur privé se développe de manière autonome et indépendamment du
rôle des pouvoirs publics. Mais nous pensons que la Société régionale
d’Investissement, doit rester un holding public et doit mener des politiques de
filières. Dans le domaine de l’eau, mais aussi du logement ou des
télécommunications, il y a pour nous place pour des filiales mixtes – dont il
faudra débattre les compétences et le poids respectif du privé, du public.
Voilà quelques réflexions rapides rejoignant les
divers thèmes qui ont été évoqués. J’ai essayé de montrer qu’il y avait
place pour prendre en compte un certain nombre de besoins de la population. C’est
vrai que nous pensons que le secteur que l’on appelle généralement le "secteur
non-marchand" – c’est-à-dire le secteur de la santé, de l’éducation
et de la formation – doit, dans nos préoccupations, jouer un rôle important à
côté du secteur de l’entreprise qu’elle soit publique ou privée.

Philippe Maystadt :
Vous m’avez posé une question assez directe,
à savoir si je suis prêt à négocier l’inscription, dans le programme du prochain
gouvernement wallon, d’un programme qui comporterait à la fois des objectifs clairs,
des indicateurs de résultats et un système permanent d’évaluation.
Il est bien évident que je ne serai pas seul à
décider si je suis appelé à négocier ma formation de programme du prochain
gouvernement wallon – je peux comprendre que certains trouveraient que ce serait
peut-être mieux si je n’étais pas là, néanmoins on attendra le résultat des
élections. Mais si le résultat est tel que nous sommes invités à participer à la
négociation du programme du prochain gouvernement wallon, alors ma réponse est oui. Nous
sommes prêts à négocier cela parce que je crois que c’est la meilleure démarche
possible. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai proposé
d’élaborer ce que j’ai appelé un plan de convergence pour la Wallonie.
D’abord se fixer des objectifs qui doivent
être ambitieux mais rester réalistes et déjà rien que cela peut susciter un certain
nombre de débats.
Par exemple, si on réfléchit en termes de taux
d’emploi – je pense qu’un des objectifs prioritaires est de relever le taux
d’emploi dans notre région qui est manifestement inférieur à que ce qu’il est
dans les régions voisines. Par taux d’emploi, j’entends le nombre de personnes
occupées par rapport à la population totale en âge d’activité. Il est clair
qu’on peut, en effet, essayer de faire croire qu’on peut atteindre le niveau de
taux d’emploi des régions voisines en deux ou trois ans, mais c’est tout à
fait irréaliste. Il faut déterminer quel est l’objectif correct. Je dirai que, à
ce stade de nos réflexions, nous pensons que nous fixer un objectif qui consisterait à
relever le taux d’emploi de la Wallonie – qui est actuellement de 52 %
– à un niveau proche de ce qu’est aujourd’hui la moyenne des trois pays
environnants – 62 % – sur dix ans, cela me paraît un objectif ambitieux et
réaliste.
Il ne suffit pas de déterminer l’objectif, il
faut aussi présenter les moyens pour y parvenir. Cela implique un choix dans les types de
moyens – et aussi qu’on ne l’oublie pas –, dans le choix des moyens,
le diagnostic qu’on a tout d’abord posé. Par exemple, j’ai entendu dans le
rapport de M. Vandendorpe que, lors de ce congrès, on avait fait remarquer qu'il
était inexact de dire que le secteur non-marchand est trop développé en Région
wallonne et que c’est plutôt l’emploi marchand qui est insuffisant. C’est
un élément important qu’il faut garder à l’esprit parce que, sinon, on peut
se tromper dans les moyens que l’on propose.
Pour donner un autre exemple de liens avec le
diagnostic, il apparaît de plus en plus – et des travaux récents de chercheurs
universitaires le démontrent – qu’aujourd’hui le retard de la Wallonie
s’explique moins que ce n'était le cas auparavant par sa structure industrielle
– M. Quévit a fait des travaux célèbres à cet égard – que par une
différence de productivité. Ce qui veut dire en clair que, dans le même secteur, il y a
une productivité inférieure au revenu par rapport à ce qu’elle est dans
d’autres régions. Donc, il faut garder en tête cet élément de diagnostic dans le
choix des moyens et notamment, quand on sait que cette différence de productivité
s'explique, pour une bonne part, par un niveau de qualification moyen, inférieur en
Wallonie par rapport à d’autres régions. Il est clair que, dans le choix des
moyens, une priorité doit être donnée au relèvement du niveau moyen de qualification.
Et je pourrais ainsi multiplier les exemples. On peut ainsi balayer tout le champ des
instruments d’action possibles mais, chaque fois, en faisant cet effort de se
référer au diagnostic pour être sûr de choisir les moyens les plus adéquats.
Donc, des objectifs ambitieux mais réalistes, des
moyens adéquats en liaison avec ces objectifs et un timing, un calendrier. Je crois que
c’est très important pour la démarche dans laquelle nous voulons vous engager. Cela
doit être une démarche qui s’inscrit délibérément dans la durée et cette
durée, c’est plus qu’une législature. Il faut établir, je le pense vraiment,
un plan sur dix ans en indiquant comment nous allons progressivement atteindre les
objectifs.
Reprenons l’exemple du niveau moyen de
qualification. Essayer de faire croire que l’on peut corriger la situation en deux ou
trois ans, ce n’est pas vrai. On sait bien qu’on est dans des processus qui sont
nécessairement longs. Donc, il faut établir un plan sur la durée. Je propose dix ans,
on peut en discuter, avec des étapes intermédiaires et – vous avez, à juste titre,
insisté là-dessus et Mme Elisabeth Dupoirier, dans son exposé, l’a fait également
– des évaluations en cours d’exécution de ce plan pluriannuel, de manière à
pouvoir vérifier si on a bien fait ce qu’on annonçait. C’est un
exercice qu’on peut commencer aujourd’hui. Il y a une déclaration de politique
régionale complémentaire et il m’est arrivé, avec mon collègue le président
Busquin, de dire : faisons le point sur l’état d’exécution de ce qui
est prévu dans cette déclaration de politique régionale.
L’évaluation a deux objectifs : on
évalue pour voir si on fait effectivement ce qu’on a annoncé et puis on évalue
aussi pour voir si on atteint bien les résultats annoncés. Cela permet d’être
encouragé à continuer, cela permet parfois aussi de corriger le tir à temps.
Pour répondre précisément à votre question
– je la mettrai au conditionnel – si nous sommes invités à participer à la
négociation du prochain gouvernement wallon, alors nous nous inscrirons dans cette
démarche qui vise à avoir des objectifs ambitieux et réalistes, des moyens adéquats et
surtout, un calendrier de réalisations et un système permanent d’évaluation. Je
dirais même que ce n’est qu’à cette condition-là et si l’on tente cette
démarche-là que cela m’intéresserait de participer à la négociation pour le
prochain gouvernement wallon.

Jean-Luc Roland :
La question qui m’était posée – à
savoir, serions-nous d’accord pour que les entreprises soient un acteur de première
ligne dans un projet de développement – a, bien sûr, un sous-entendu. Le
sous-entendu selon lequel Ecolo est connu et reconnu pour son travail en faveur de ce
qu’on appelle le secteur non-marchand, secteur qui répond, qui doit répondre et
bien souvent avec trop peu de moyens, à un grand nombre de besoins difficilement
solvables sur l'aide aux personnes, dans le domaine de l’environnement. Ce secteur
doit faire l’objet de toute l’attention parce que, effectivement, c’est un
secteur perpétuellement en difficulté. Mais votre question me permet de dire combien,
parallèlement, nous considérons qu'une dynamique entrepreneuriale, une dynamique
d’entreprises, est extrêmement importante à nos yeux pour définir un projet de
développement pour la Wallonie.
Nous avions tenu, dans le cadre des Etats
généraux de l'Ecologie politique, plusieurs forums avec des entreprises et,
notamment, un avec les PME. Cela nous a permis de nous rendre compte à quel point les PME
sont largement insatisfaites par ce maquis, cette jungle d’aides qui leur sont
proposés. Elles ne s’y retrouvent pas et les PME revendiquent une grande
simplification.
Essentiellement ce qu’elles attendent,
c’est, d'une part, une aide au démarrage dans le capital à risque, d'autre part, de
la consultance et, enfin, que ces aides soient accessibles largement selon des critères
objectifs, ce qui est loin d’être le cas maintenant. Donc, une simplification pour
favoriser la transformation de ce qu’on appelait tout à l’heure les idées en
projet. Pourtant, nos structures actuelles ne favorisent pas cette transformation.
Nous sommes preneurs depuis de longues années
d'une évaluation de tout ce maquis des aides économiques en Wallonie. Les structures
sont pléthoriques : SRIW, intercommunales, invests, et j’en passe, filiales
multiples également. Ce maquis est illisible, peu efficace et surtout, il n’a jamais
été évalué. C’est un sujet qui a été abordé à plusieurs reprises, notamment
par l’exposé de Mme Elisabeth Dupoirier. Cette évaluation est effectivement
indispensable. Pour nous, la restructuration de l’ensemble de ces structures
d’aides est indispensable pour la définition d’un projet. Ce projet de
développement, depuis que la Wallonie est en difficulté, depuis la perte des vieux
bastions industriels, depuis les années 80, depuis que la Wallonie dispose de
l’autonomie, de la capacité législative, a énormément de difficultés à se
constituer. Pour nous, il faut – et je reprends une expression qu’Urbain
Destrée avait évoquée – effectivement définir un projet de développement autour
d’un certain nombre de filières qui seraient définies comme prioritaires. Nous
pourrions en classer, du reste, un certain nombre en filières d'extinction. Il faudrait
avoir le courage de reconnaître que certaines filières devraient disparaître. D'autres
sont des filières de consolidation de nos points forts qui sont vulnérables
aujourd’hui, des filières de création dans le domaine de l’environnement par
exemple, de l’agriculture, agriculture de qualité. Bref, avoir un débat autour de
ces axes programmatiques-là, d’une part, et, d’autre part – c’est un
des points que vous aviez relevé d’ailleurs dans cette définition du nouveau
paradigme – partir d’un certain nombre de besoins.
Nous avons eu trop tendance, depuis 1830 – ce
n’est pas propre à la Wallonie – à axer notre mode de développement sur les
marchés extérieurs. Nous sommes une économie extrêmement ouverte, une des plus
ouvertes au monde, plus de la moitié de notre commerce est un commerce extérieur. Cela a
contribué indéniablement à notre richesse, aujourd’hui ça contribue à notre
fragilité et ce que nous devons faire, c’est nous ressouder autour de la prise en
compte de ces besoins importants.
Je pense à la rénovation urbaine, il y a un
rapport très intéressant de la Direction générale de l’Aménagement du
Territoire, du Logement et du Patrimoine du ministère de la Région wallonne (DGATLP)
– qui s’appelait antérieurement Avant-projet de Plan régional
d’Aménagement du Territoire – qui pointe qu’un des défis majeurs de la
Région wallonne c’est la désurbanisation. Il faut redéployer notre développement
au cœur des villes. La rénovation urbaine, c’est par conséquent tout un
secteur que nous devrions relancer puisqu'il y a distorsion géographique entre offre et
demande d’emplois.
On sait bien que c’est ici, à Mons, que les
taux de chômage sont les plus élevés, ce n’est pas ici que l’emploi
s’est créé. Donc, avoir cette réflexion semble indispensable et bien sûr,
j’ai le sentiment, en disant cela, de nous inscrire totalement dans ce nouveau
paradigme. Quelqu’un d’entre-vous disait – je crois que c’est
Jean-Louis Dethier – que l’ancien paradigme semble commencer à être révolu.
Je n’en n’ai pas le sentiment, je vois toujours des propositions de zonings
industriels complètement excentrés, l’appel au capital étranger, s’il est
intéressant, ne peut plus être l’axe, l’alpha et l’oméga de notre
politique et, bien sûr, ce nouveau paradigme, c’est la définition d’un projet
de développement. Nous l’appelons de nos vœux.
Un autre problème majeur de la Wallonie,
c’est le sous-régionalisme. On l’a trop peu évoqué ce matin, me semble-t-il.
Je proposerais qu’un geste fort soit accompli, parce que je crois que, s’il y a
un problème culturel au sein de la Wallonie, il y en a un aussi au sein du monde
politique. Si nous pouvons nous quitter en disant il est indispensable de définir un
projet de développement, concrètement, dans les faits, demain, les tiraillements, les
sous-localistes pourront prédominer. On le sait. Il faut contrer cela par un geste fort.
Une proposition simple que je soumets à votre réflexion, à celle de M. Busquin en
particulier, c’est d’avoir, pour les prochains scrutins, une seule
circonscription électorale pour la Wallonie, de telle sorte que les futurs députés
wallons se sentent dépositaires de l’intérêt général de l’ensemble de la
Wallonie et pas de leur seule circonscription locale.

Jean-Claude Van Cauwenberghe :
Etant hier présent, j’ai bien entendu
l’appel de Michel Quévit à être intellectuellement indiscipliné pour faire
avancer les choses et donc, je ne me contenterai pas de la question un peu réductrice
qu’on a bien voulu m'adresser pour savoir s’il fallait ou non des objectifs à
toute une série de nos organismes et je voudrais, comme tous les autres intervenants,
vous faire part de quelques considérations.
Tout d‘abord, il faut se méfier des mots. Il
n’y aura pas un projet wallon. Personne ne réunira des dirigeants politiques,
syndicaux, dans un lieu, qui définiront l’avenir de la Wallonie. Ce qui peut se
passer, ce qui doit se passer, c’est qu’il y ait un accord le plus large
possible sur une stratégie de développement multiforme qui implique aussi bien les
acteurs politiques, les acteurs économiques, les acteurs sociaux que les associations
culturelles de base et toute une série d’organismes intermédiaires. C'est de
l'addition de pluralité d’actions dans une série de domaines variés que dépendra
l’avenir de la Wallonie. C’est de cette capacité pour tous les acteurs wallons
de faire des pas en avant que naîtra une Wallonie meilleure, une Wallonie déclinée dans
un futur positif. Donc, je ne crois pas, intellectuellement, que l'on puisse se mettre
d'accord à un moment donné sur un projet précis dans quelque état-major que ce soit.
Je constate d’ailleurs – les interlocuteurs sociaux ne m’en voudront pas de
le dire – que, même quand on se met d’accord sur un certain nombre d'objectifs,
on voit combien il est difficile, à un moment donné, pour les états-majors, de faire
exécuter par les troupes ce qui a été défini théoriquement et idéalement. Prenons le
domaine de la formation où les entreprises devraient pouvoir offrir à nos jeunes un
certain nombre de stages de formation. Il ne suffit pas de se réunir avec les amis avec
lesquels nous travaillons, comme Pierre Beaussart, et dire il nous faudrait dix mille
stages; encore faut-il que les troupes suivent, que les entreprises se fassent
accueillantes, qu’elles recrutent des stagiaires, qu’elles soient candidates à
des opérations de formation en alternance ou preneuses de plans de formation à
insertion. Donc, nous devons ensemble essayer de définir une stratégie de
développement.
Deuxième remarque, j’ai bu du petit lait en
entendant Mme Elisabeth Dupoirier indiquer, parmi ses priorités dans le message
qu’elle nous délivrait ce matin, que l’offre de sens était essentielle et que
la promotion d’une identité régionale collective était "un levier de
mobilisation". Il faut donc Oser être wallon, oser être fiers de notre
passé, de notre présent, parce que c’est une perspective de projection sur le
futur. C'est quelque chose que nous devons soigner. Hier, j’ai entendu avec beaucoup
de plaisir Michel Fromont qui plaidait pour que les médias et la presse en général
– et Christian Druitte semblait lui faire écho – ne mettent pas essentiellement
en évidence ce qui va mal mais qu’ils soient aussi positifs. Il y a eu un débat
pour savoir si le rôle de la RTBF était d’être militante ou pas. En tout cas, elle
ne doit pas être militante dans le mauvais sens, à rebours. Je ne pense pas que l'on
puisse développer un mental wallon fort si on a un environnement culturel et médiatique
qui est toujours pessimiste, morose.
Troisième élément de réflexion, il y aura, le
13 juin 1999, une évaluation des politiques menées par l’électeur, il tranchera
– Jean-Luc Roland s’est avancé sur une proposition osée en matière de mode de
scrutin. Il faut réfléchir sur ce que devrait être cette grande circonscription
wallonne à scrutin majoritaire, partiellement majoritaire et sur l'intérêt de cette
question sur l’impact de la dynamisation politique en Wallonie. Beaucoup de choses
ont été remises sur le rail dans le domaine de la recherche; des efforts nouveaux,
conséquents, sont faits dans le domaine des infrastructures, des télécommunications,
ainsi que dans des réformes d’outils essentiels comme l’AWEX, l’OFI ou la
SRIW. Au niveau du budget, les choses sont stabilisées et les projections futures ne nous
laissent pas croire que nous aurons des séismes, des problèmes. Nous progressons,
certes ce serait mieux d’avoir dix ou quinze milliards de marge de recettes
complémentaires à partir de l’an 2000, mais le train est à la progression :
un peu stagnant en l’an 2000 puis redonnant des marges de trois milliards après
l’an 2000. Donc, je pense que beaucoup de choses ont été acquises du débat
général qui a eu lieu en Wallonie et je pense que le gouvernement en a tenu largement
compte.

Quelques derniers messages :
Je rejoindrai Urbain Destrée pour dire qu’il
ne faut pas, en Wallonie, moins d’Etat; pour le dire autrement, il ne faut pas moins
de Région. Surtout en ce moment où la Wallonie doit encore faire de tels efforts de
développement. Il faut bien entendu utiliser l’ensemble des moyens financiers qui
sont les nôtres pour essayer de se redéployer dans toute une série de domaines. Je
n’ai pas les yeux fixés sur des données comptables, maastrichiennes, pour
savoir ce qu’il faut pour la Wallonie. Ce n’est pas le Conseil supérieur des
Finances qui nous dictera demain ce qui est bon ou mauvais pour la Wallonie, nous le
savons. Nous avons des besoins dans une série de politiques. Ce n’est pas le moment
de quitter le terrain de l’initiative publique que ce soit dans le domaine du
non-marchand – je vous signale quand même que rien que dans les programmes de
résorption du chômage nous mettons au travail 35.000 personnes par an, ce qui n’est
pas négligeable et ce qui demande un effort considérable financier de l’ordre de 15
à 20 milliards – ou des positions stratégiques dans les entreprises, à la Sonaca,
à Alcatel, à Cockerill, à la FN et de laisser des secteurs complètement désertifiés,
effacés de la carte. Et on pourrait ainsi multiplier les exemples dans le domaine
du social, dans le domaine du logement pour démontrer que ce n’est pas le moment
pour avoir moins de Région, moins d’Etat dans la politique wallonne
Par ailleurs, il faut travailler, me semble-t-il,
dans des filières nouvelles. Nous avons des points forts en Wallonie, que ce soit les
matériaux nouveaux, les technologies du vivant, l’environnement, l’eau, les
nouvelles technologies de la communication, l’aéronautique, la métallurgie fine,
les industries culturelles – la SRIW aura, ainsi que l’a affirmé le
ministre-président Robert Collignon, une filiale qui devrait être dédiée aux
industries culturelles. Donc, il faut que le gouvernement garde son rôle d’impulsion
et d’animation dans toute une série de secteurs économiques et qu’il n’en
oublie pas pour autant, évidemment, toute une série de secteurs classiques.
Troisième message, je pense que, dans ce pays qui
est le pays spécialiste des commissions d’enquête, il en faudrait une qui serait
excellente à créer. Voilà mon apport : créer une commission sur la
débureaucratisation de la Wallonie et la mise à jour de tous les éléments de paralysie
de son développement. Nous avons hyper-réglementé toute une série de domaines. Je
crois que ce sont les caractéristiques des nouveaux pouvoirs. Nous constatons tant de
dossiers de modifications du plan de secteur par-ci, de règlement d’urbanisme
par-là, de règlements sur les conditions d’exploitation : tout cela est en
train de paralyser l’expansion économique en Wallonie. Je ne peux plus accepter
cette perspective où, parfois, pour un problème de plan de secteur, nous devons refuser
l’implantation d’une entreprise. On a fait des efforts pour améliorer le
CWATUP : ils sont encore insuffisants.
Autre problème : les sites industriels
désaffectés. Nous devons les éradiquer rapidement. Il y en a partout en Wallonie qui
sont des taches et des cicatrices. Que constatons-nous ? Le gouvernement veut faire
un effort important, 750 millions pour mettre à bas toute une série de ces sites que
nous connaissons bien dans nos régions industrielles. Des contrats ont été noués avec
le monde des intercommunales qui seront opérateurs dans ces domaines, mais on a indiqué,
dans les contrats, que des organismes devraient faire des analyses de sol et on nous
signale qu’il va falloir plusieurs mois pour faire les analyses de sol. C'est trop
long, il faut essayer de débureaucratiser et de déréglementer.
Un dernier point, il faut essayer de faire émerger
un intérêt régional mais cet intérêt régional ne naîtra que si une identité
régionale naît en même temps. Nous avons historiquement des intérêts locaux, ils ont
été nos points d’accrochage, même avant la création de la Belgique. On
n’efface pas cela en une parole à une tribune. Il faut travailler à
l’émergence d’une identité régionale et dans la foulée un intérêt
régional naîtra.

Daniel Ducarme :
De manière extrêmement synthétique, je donnerai
la position de ma formation politique par rapport à la question du développement.
Jean-Claude Van Cauwenberghe vient de dire qu'il ne
faut pas moins d’Etat, mais qu'il faut plus de politiques. Cela veut dire que subir
l’événement n’est pas une bonne chose et nous croyons que, pour que le
politique agisse et existe, il faut au départ deux conditions : première condition,
déterminer de manière claire un objectif; seconde condition, déterminer une méthode.
L’objectif – et là je suis d’accord
avec Philippe Maystadt –, c’est de déterminer quel doit être, dans un terme à
définir ensemble, le niveau que la Wallonie doit atteindre. La démarche imaginée au
niveau du PRL est de prendre un premier point de repère qui est l’objectif 100. La
Wallonie est, dans le cadre européen, à un niveau de l’ordre de 85. Mobilisons nos
efforts pour atteindre cette moyenne européenne.
Quels sont les paramètres qui doivent être pris
en compte ? Cela peut être, effectivement, les paramètres déterminés au niveau
européen et qui sont des paramètres reconnus, en veillant aussi à tenir compte des
particularités en ce qui concerne la Région wallonne. Donc, le fait d’avoir un
objectif quantifié, de faire concourir les politiques en ce sens, de le déterminer en
fonction d'une durée et de l’évaluer chaque année, nous croyons que c’est une
bonne chose.
Ceci étant, pour le mener à bien, nous croyons
qu’il doit faire l’objet, non pas seulement d’une déclaration
gouvernementale mais d’un contrat qui doit être passé avec l’ensemble des
Wallons et, plus précisément –c’est un des éléments de développement
certain pour une région, quelle que soit la région, – avec l’ensemble des
partenaires.
Nous croyons que l’originalité d’une
déclaration de politique régionale serait d’être sous-tendue, non seulement par un
accord de type politique mais par un véritable pacte des décideurs, y compris les
politiques, les interlocuteurs de l’économie et les représentants des organisations
syndicales, et aussi –c’est un élément important – l’administration
wallonne, avec sa responsabilité de proximité, ainsi que les financiers au niveau de la
Région wallonne.
Donc, le choix de la méthode, le fait
d’intéresser les Wallons à la politique qui doit être menée, c’est déjà un
réflexe d’identité. Si vous participez et que vous vous engagez, vous répondez
d’une identité parce que vous faites un certain nombre de choix. Ce que nous disons,
c’est que le débat est incontestablement amorcé, il est amorcé sur le fond et
c’est la raison pour laquelle nous sommes déterminés à participer à ce débat en
Région wallonne d’ici au 13 juin et, qui sait, après le 13 juin.

Il s'agirait de travailler autour de quatre
axes :
1. Comment utiliser au mieux les moyens financiers
de la Région wallonne pour obtenir cet objectif, qui est un objectif de croissance ?
2. Comment envisager l’autre assise
économique et industrielle au niveau de la Région wallonne et, avec différents acteurs,
déterminer les choix politiques qui doivent être envisagés ?
3. Comment envisager l’amélioration du cadre
de vie et fixer à ce moment-là, également par objectif, ce que nous voulons ? On a
parlé de l’aménagement du territoire, on peut parler de la gestion de la politique
de l’eau, des déchets ou autres, mais que ce soit déterminé avec l’accord de
chacune des parties.
4. Quelle doit être l’intervention du pouvoir
fédéral pour soutenir la politique que nous voulons en Wallonie ? On oublie souvent
ce point et je terminerai par là, sans développer les trois autres, ce quatrième point
est important.
Il ne peut être facile de développer une
politique en Wallonie si les leviers dont dispose le Fédéral ne sont pas utilisés, en
tenant compte du caractère spécifique de la Région wallonne. Il est clair que, pour
nous, la façon dont on peut utiliser les marges disponibles au niveau fédéral vers la
politique de l’emploi, en tenant compte spécifiquement du tissu industriel ou des
nécessités de développement des PME au niveau de la Région wallonne, est importante.
S’il n’y a pas cette volonté-là, cette cohérence entre les Wallons –
qu’ils siègent à quelque niveau de pouvoir que ce soit –, il sera très
difficile de répondre à nos préoccupations.
Quand on pose la question des marges pour
l’emploi, c’est toute la dynamique utile concernant le coût du travail –
je parle du coût du travail, je ne parle pas du salaire – que nous souhaitons.
Il nous paraît tout à fait décisif d’en
arriver, en 1999, à une déclaration gouvernementale pour une législature de cinq ans
mais aussi, au delà des politiques, à ce que l’identité wallonne s’assume.
Tous les Wallons, tous ceux qui décident, doivent pouvoir y contribuer et ce, dans une
période déterminée, avec un objectif quantifiable et avec, chaque année, tous les
décideurs qui évaluent effectivement quelle est la part du chemin qui a été faite et
surtout la part du chemin qui reste à faire.
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