Débats avec les
participants
Georges Marchandise, professeur de
pédagogie à lécole normale secondaire de la Communauté française à Mons :
Mon intervention repose sur trois constats
judicieux faits par le professeur Durez au début de cette journée. Dune part,
limportance à apporter à léducation évidemment ma fonction ne vous
étonnera pas si je partage son point de vue , ensuite, la mobilisation insuffisante
des citoyens à laction politico-sociale et limportance des interactions dans
le monde moderne et, enfin, limportance de la pensée systémique.
André Libert, Président du Rassemblement
wallon :
La question posée à la salle me semble un peu
périlleuse et je suis un peu dubitatif. En effet, les intentions de tout gouvernement
sont toujours bonnes mais il faut voir ensuite, derrière les intentions, laction
menée et les résultats engrangés. Je crois quon doit surtout juger aux
résultats. Nous constatons létat actuel de la Wallonie qui est sous la moyenne
européenne et qui serait plutôt dans le fond du panier quau-dessus. Ce résultat
de la Wallonie actuelle, cest aussi le résultat dune gestion de ceux qui
lont dirigée, or ce sont souvent les mêmes qui reviennent. Alors, je me pose deux
questions : changeront-ils ? Leurs solutions sont-elles les bonnes ? Ne
faut-il pas, à lheure actuelle, sortir du cadre, cest-à-dire voir plus loin
que la Wallonie, quitter le cadre belge et envisager des solutions, peut-être dun
rapprochement avec la France ?

Jean-Marie Klinkenberg, Professeur à la
Faculté de Philosophie et Lettres de lUniversité de Liège :
Il me semble que, parmi les questions qui ont été
posées, il y en a une qui na pas assez rebondi. Elle est relative au concept
dévaluation. Cétait un des points forts de lexposé de Mme Elisabeth
Dupoirier et je crois pouvoir dire que cétait également un des points forts des
deux carrefours dhier. Dans les réponses que jai entendues, il me semble que
lon continue à confondre deux choses. Dune part, lévaluation interne
qui a toujours eu lieu puisque nous sommes dans un régime démocratique le
Parlement a toujours évalué laction des exécutifs , je crois quon
confond cette évaluation et, dautre part, ce qui était sous-jacent dans les
propositions qui ont été faites, à savoir une évaluation externe. Cette évaluation
externe est évidemment liée à la notion de contrat. Si contrat il y a, il doit y avoir
également définition préalable dindicateurs sur lesquels lévaluation
portera et il doit y avoir mise sur pied in tempore non suspecto,
cest-à-dire avant laction et non après laction, dinstances
dévaluation externes avec, donc, non seulement les représentants démocratiquement
élus mais également les experts et représentants de la société civile et là, il me
semble que je nai guère entendu de réponses sur ce point. Je dis simplement que je
le regrette et que je souhaite que le débat rebondisse.
Philippe Maystadt :
Sur la dernière question, je voudrais dire que je
suis tout à fait daccord avec lintervenant pour que cette évaluation puisse
se faire avec efficacité et transparence. Il faut que, au départ, il y ait des
indicateurs clairs. Cest vrai que cest un risque cest un risque
notamment pour les politiques dannoncer clairement à lavance quels
sont les objectifs que lon veut atteindre et de donner des valeurs de référence à
réaliser. Mais je pense que cest vraiment la démarche quil faut
suivre : cela permettra lévaluation que vous appelez interne et je
crois quelle reste nécessaire , mais aussi une évaluation externe,
cest-à-dire quon pourra vérifier dans quelle mesure on se rapproche de ces
valeurs de référence à réaliser.
Je crois quil est tout à fait possible, dans
une série de domaines, de donner des indicateurs relativement précis. Jai évoqué
tout à lheure le problème de la formation. On peut se fixer un objectif de
relèvement du pourcentage de jeunes de 19 à 25 ans qui sont titulaires dun
diplôme de lenseignement secondaire et du nombre de jeunes qui sont titulaires
dun diplôme de lenseignement supérieur. Je le répète en sachant quon
ne va pas augmenter en une année ce nombre de façon impressionnante, mais on peut se
donner un objectif et vérifier où on en est. On peut, dans le domaine de la recherche,
fixer des objectifs par exemple, de pourcentage des dépenses publiques
totales qui sont à fixer à la recherche. On peut, en matière de formation des
entreprises, par exemple, fixer des objectifs en terme de pourcentage de la masse
salariale consacrée à la formation et ainsi de suite.
Donc, je pense vraiment quil faut faire cet
exercice relativement neuf, qu'il faut donner des indicateurs relativement précis, parce
que cest en effet la condition même dune évaluation efficace.

Jean-Claude Van Cauwenberghe :
La question est importante. Je veux insister sur
les efforts qui sont déjà accomplis en matière dévaluation. Tout dabord,
il y a des évaluations internes au sein des différentes administrations et du
gouvernement. Nombre détudes que nous faisons exécuter sur lefficacité des
politiques que nous menons sont pour nous la démonstration de ce que nous essayons de
vérifier, à savoir si les politiques ont un impact. Prenons un seul
exemple : les arrêtés 123, ces universitaires qui sont affectés dans des
entreprises pour les aider à se développer dans le domaine de la qualité, dans le
domaine de lexportation, dans le domaine des nouvelles technologies ou dans le
domaine des économies dénergie. Nous avons fait réaliser une étude universitaire
qui nous indique que cest un mécanisme performant, puisque 70% des jeunes placés
à travers ce mécanisme ont un emploi qui se voit pérennisé, après la période
daide de deux ou de trois ans. Une entreprise de consultance wallonne nous a donné
une étude qui nous conforte. Cest le type dévaluation interne.
On pratique également lévaluation dans la
technique nouvelle des contrats de gestion. Quasiment tous les pararégionaux maintenant
ont un contrat de gestion qui les lie avec le gouvernement. Jai initié un contrat
de gestion avec le Forem, important organisme en Région wallonne, contrat qui lui met des
objectifs en terme dheures de formation à réaliser, de nombre de remises au
travail de chômeurs à obtenir, de taux de satisfaction des entreprises et nous sommes en
train danalyser ces résultats. Certains sont bons, certains sont mauvais. Pour la
première fois dans des contrats de gestion, on a indiqué des critères quantitatifs et
qualitatifs que lorganisme devait obtenir. Cest la responsabilité du Comité
de Gestion du Forem, avec le gouvernement, de voir pourquoi il y a des écarts entre ce
qui avait été annoncé et prévu et ce qui a été obtenu.
Enfin, dernier élément, je me permets
dattirer votre attention sur le fait que nous venons de mettre en place
lObservatoire de lEmploi avec un conseil scientifique interuniversitaire, qui
aura pour objectif détudier la difficile question de lévolution du marché
du travail, danticiper ses nécessités, de procéder à des évaluations. Là, je
rejoins ce que Jacques Defay disait lors de ce congrès, dans un carrefour : nous
avons un problème de statistiques et de déclinaison régionale des statistiques
nationales. Donc, là aussi, il y aura un effort à faire. Sans doute que demain nous
devrons plaider vis-à-vis du fédéral pour quil désagrège de façon régionale
et sous-régionale un certain nombre de statistiques quil s'obstine à faire de
façon nationale, ne nous donnant pas ainsi les matériaux pour des analyses. Les
chercheurs que nous plaçons dans un certain nombre de domaines perdent un temps infini
rien que pour la collecte de linformation, mais lObservatoire de lEmploi
sera demain pour nous un outil important, à la fois stratégique et
dévaluation.

Daniel Ducarme :
Sur le point de lévaluation, je crois qu'il
faut clarifier le débat, en cassant un peu le moule par rapport aux évaluations
traditionnelles. Je crois quune évaluation qui peut permettre de mobiliser un peu
plus est une évaluation qui doit être faite hors gouvernement. Je ne connais pas de
gouvernement qui se soit évalué à la baisse y compris, dailleurs, quand ma
formation politique y participait. Cela veut dire que si vous confiez à une partie
seulement la responsabilité de faire cette évaluation, vous naurez pas
nécessairement un reflet qui soit juste. Donc, imaginez une évaluation externe mais qui
soit indispensablement liée avec toutes celles et tous ceux qui ont contracté ce pacte
des décideurs dont jai parlé tout à lheure. Cela me paraît vraiment
important. Je tiens, en effet, à rappeler que, sil doit y avoir une phase de
redéploiement et de redressement au niveau de la Région wallonne, il faut que tout le
monde y contribue et, jespère, que lon n'est plus dans une période où on
croit que cest uniquement par le fait des politiques que lon aboutit à des
résultats. Donc, cette évaluation, elle doit être externe et elle doit permettre chaque
année davoir un débat sur le plan parlementaire, elle doit reposer sur un document
de travail qui ne vient pas du sérail politique. Lexpérience qui est actuellement
menée, à linitiative des présidents de partis concernant la situation de la
Région wallonne, dans lhypothèse éventuelle de quelque négociation fédérale
que ce soit, cest déjà un premier pas positif. Et je crois que la volonté des
politiques et des partis démocratiques wallons est vraiment, comme on dit maintenant,
dexternaliser lanalyse. Les pas sont posés, donc les choses changent et elles
vont dans ce sens-là.
Maintenant, voyons les questions qui doivent être
posées dans le cadre de lévaluation. Je crois quil faut casser le moule. Je
prendrai trois exemples :
La simplification administrative. Si lon veut
véritablement simplifier, indiquons par exemple que, pour les PME, s'il y a aujourd'hui
vingt-trois documents, il faut avoir le courage de dire que, au bout dun an, il
ny en aura plus que cinq; et il faut que, au bout de lannée, la pression ait
été mise en termes de décisions pour quil ny ait plus que cinq documents.
Déjà à la fin des années 60, il y avait des commissions concernant la simplification
administrative : ce nest pas cela quil faut faire, cest fixer des
objectifs effectivement quantifiés.
Deuxième exemple, emploi et enseignement. En
Région wallonne, nous avons un certain nombre doffres demplois à satisfaire,
il faut les cibler, voir quels sont les secteurs et pouvoir constater, un an, deux ans,
trois ans après, que le nombre de ces offres demplois à satisfaire diminue. Donc,
cest sur les points sensibles que lévaluation doit être faite.
Et troisième élément, la recherche : je
voudrais que lon voit les critères qui mobilisent le redressement. Cest exact
que l'augmentation des masses financières peut être un indice. Il faut, cependant, aller
plus loin dans la question et se demander combien il y a de brevets qui sont
déposés en Région wallonne. Avons-nous une augmentation en ce qui concerne ces brevets
et, qui plus est, combien de brevets déposés ont été repris par des entreprises en
Région wallonne pour créer la plus-value ? Lévaluation est à ce niveau. Si
nous ne prenons pas des critères précis dévaluation qui mobilisent
lensemble des acteurs, de ladministration politique en passant par les
entreprises, les syndicats et les financiers, si nous névaluons pas cela avec eux,
nous allons rester sur la langue de bois politique traditionnelle.
Donc, il faut oser, même dans la méthodologie qui
sera retenue, aller aussi loin pour que ce soit concret et je crois que seuls les indices
concrets permettent à ce moment-là de créer un dynamisme interne pour rencontrer un
certain nombre dobjectifs.

Jean-Luc Roland
Dans son intervention au sujet des stratégies de
développement, M. Van Cauwenberghe a évoqué les questions de réglementation et de la
nécessité dalléger et de simplifier les réglementations.
Sur le mot et sur le slogan, on peut se mettre
daccord, mais, derrière cet appel à la simplification des réglementations, il y a
évidemment des conceptions extrêmement différentes.
Pour ma part, je crois que les réglementations,
quelles quelles soient, doivent être transparentes et avoir un haut niveau
dexigence. Les deux sont indispensables. J'ai constaté, à plusieurs reprises, dans
les réformes aussi bien du code wallon daménagement du territoire que du
règlement général sur la protection du travail qu'il y a eu des tendances, au
sein du gouvernement, à accepter des propositions qui allaient dans le sens dun
arbitraire total par exemple, en permettant la délivrance de permis tacite.
Cest relativement inquiétant. Je crois quil devrait y avoir un débat calme
et serein sur cette simplification administrative. Quand on parle de réglementations et
dharmonisation des permis daménagement du territoire et dexploitation,
cest très bien, mais soyons attentifs aux problèmes que je viens dévoquer.
Deuxième point, lévaluation.
Aujourdhui, comment sont évalués les invests ou la SRIW ? Il ny a pas
de procédure externe et les administrateurs sont surtout attentifs à présenter un beau
bilan. Cela se traduit concrètement par des placements de trésorerie. Donc, ces
institutions qui sont sensées redynamiser le tissu wallon se contentent des
politiques les plus paresseuses et les plus passives qui soient. Autrement dit, ce sont
les critères dévaluation qui doivent être jugés à laune dun projet.
On revient ainsi à la définition dun projet wallon. Je crois que cest autour
de cela quon pourra organiser réellement une politique qui soit digne de ce nom.

Michel Quévit
Directeur général de European Business & Innovation Network (EBN)
Tout dabord je me réjouis de
lunanimité constatée au niveau de lévaluation.
Ensuite je voudrais rebondir sur
lintervention de Mme Elisabeth Dupoirier. LEurope a été le premier
gouvernement à imposer et à se doter dune structure dévaluation. Dans les
fonds structurels, il y a une évaluation externe ante, en cours et post
exercice. Jai eu loccasion dy participer à plusieurs reprises. Cette
méthodologie existe donc à partir dun pouvoir public, le gouvernement européen.
La Région wallonne et son administration se prêtent à cet exercice à travers les
programmes des fonds structurels.
Cela crée parfois des réticences lorsque
lévaluateur nest pas tout à fait conforme à ce à quoi on sattend
mais cela fait partie des règles du jeu. Jaurais tendance à demander pourquoi nous
ne développerions pas, à tous les niveaux de la politique de la Région wallonne, cette
méthodologie dévaluation. Cela impliquerait évidemment davoir un
projet wallon, davoir une stratégie wallonne, mais aussi davoir un programme
wallon défini dans le temps avec des objectifs, des budgets, des engagements, parce
quil faut évaluer sur des choses concrètes.
Ne croyons pas que lévaluation est quelque
chose qui nexiste pas, la méthodologie existe, il faut seulement vouloir
l'appliquer à notre propre politique. L'exemple européen est certainement une
expérience forte sur laquelle nous pouvons nous appuyer et dont nous devons nous
inspirer.
|