Contributions écrites
Marc Bertholomé
Secrétaire politique du groupe parlementaire socialiste
du Parlement de la Communauté française
Conseiller provincial, Liège
Dentrée de jeu, je réagirai aux propos de
M. Brassinne quand il dit constater une régionalisation effective de lenseignement.
Son analyse est par trop sommaire. Et il nest pas certain que la régionalisation de
lensemble du système éducatif ne conduise, à terme, à sa privatisation. Dans le
contexte institutionnel actuel, ce serait en tout cas accepter dabandonner, dans la
pratique et les principes, lenseignement officiel dinitiative publique au
profit dun enseignement totalement subventionné.
Ceci dit, il me paraît nécessaire de lier les
réflexions relatives à leffectivité des institutions et à la culture politique.
Le débat politique se focalise pour linstant
sur lappellation de la Communauté française dont il faut bien dire quelle ne
laisse pas dêtre ambiguë, surtout quand on lutilise au delà de nos
frontières. Sans doute trouvera-t-on un accord pour que les mots "Wallonie" et
"Bruxelles" soient accolés à celui de Communauté. Cela pose plus de
problèmes quil ny paraît, car la Wallonie comprend également une
Communauté germanophone et Bruxelles voit cohabiter deux communautés de langue. Sans
parler des francophones de Flandre...
Le changement dappellation de
linstitution exigerait une modification de la constitution et donc une négociation
avec les élus flamands. Il y a peut-être des dossiers plus intéressants à traiter avec
eux aujourdhui.
Pour certains, derrière la controverse à propos
du nom, cest plus profondément le sort de la Communauté française qui est en
cause. Faut-il conserver cette institution ? Nest-il pas possible de souder
autrement les rapports que pratiquement tous jugent indispensables entre
Wallons et Bruxellois ?
Il serait malvenu quune certaine fuite en
avant vers lidentité régionale serve à dissimuler lobsolescence dun
projet politique. Sil y a bien une identité wallonne à construire, il nest
pas certain quon lui rende service en la distinguant trop de la capitale européenne
qui est, comme daucuns lont affirmé, sa porte ouverte sur le monde.

Passée la mode rétro de lenracinement
nostalgique dans une culture wallonne wallonisante qui serait la nouvelle
"construction historique" destinée aux enfants des écoles après celle de
Pirenne , il est encore moins sûr que cette identité wallonne ne se découvre pas
une passion francophone, aspirée goulûment par une culture vivante dans sa diversité et
sa véritable capacité créative. Et que cela soit pour résister au rouleau compresseur
anglo-saxon ne devrait pas être pour nous déplaire. Oser être francophone !
Aussi, il est raisonnable dimaginer dans le
moyen terme une Communauté française qui évolue sans avoir à se soucier den
débattre, au sein de la sphère politique fédérale, avec les Flamands. Une Communauté
qui saffirme comme loutil dune coopération constante entre Région
wallonne et Région de Bruxelles Capitale, comme lexpression dune
complémentarité, voilà bien la plus belle façon de traduire en actes ce que les
Wallons radicaux appellent une identité ouverte qui serait le contraire du nationalisme.
Reste que la culture politique doit senrichir
dune pratique multiculturelle et dune réelle remise en cause de notre rapport
actuel avec les pays du sud. Jai voulu confirmer à Marcel Levaux que des
socialistes sont soucieux de continuer le combat pour le droit de vote des étrangers,
quelles que soient leurs origines. Et cela ne suffira pas, car il faut reconsidérer
complètement la politique dimmigration, en cessant de se complaire dans son
assimilation facile avec la politique de droit dasile. Accueillir des réfugiés est
un devoir et un honneur. Refuser tous les autres est une erreur et une impossibilité. On
ne peut plus se contenter de seulement envisager une politique dintégration des
étrangers qui ferait quantitativement peur; il faut tabler sur des flux migratoires plus
importants, au sein de lespace européen et au delà.
A titre dexemple, je relève que, tant pour
les entreprises privées que pour les services, une partie de loffre de
main-duvre qualifiée ne trouve pas de réponse. Sil est vrai que cela
nous invite à renforcer les initiatives et à innover dans le domaine de la formation; on
ne peut ignorer que cela prendra du temps. Dès lors, une politique dimmigration
contrôlée et positive est dès à présent nécessaire dans une société wallonne qui
est majoritairement âgée (ce qui en constitue une caractéristique majeure, trop
ignorée encore dans la conception dun projet de société).
Je ne prétends pas avoir compris exactement ce que
recouvrait le troisième point laissé en débat, celui de lexpérience citoyenne.
Jattire simplement lattention sur une composante qui me paraît essentielle
dans notre culture politique et sociale : la concertation. Je ne suis pas totalement
de lavis de ceux qui prétendent améliorer le fonctionnement démocratique en
prêchant le référendum ou la consultation populaire.
Je pense que ces techniques qui sondent les
individus citoyens, conduisent souvent à des politiques peu progressistes. La gauche est
bien plus largement dépositaire de démarches collectives. Elle se nourrit de la
revendication de mouvements sociaux et a réussi à imposer des systèmes qui complètent
durablement la démocratie politique en ayant le mérite de la continuité. On pourrait
mener un très long débat rien que sur cette question. Nos remarquables mécanismes de
concertation (par exemple le modèle des commissions paritaires dans le domaine du
travail), nos conseils davis dans de nombreux secteurs de la vie sociale et
culturelle, sont des lieux dexpression, de revendications, de négociations qui me
paraissent générateurs dune démocratie adulte et affirmée.
La participation telle que lenvisageaient
surtout les libéraux et les écologistes pas forcément pour les mêmes raisons
ne révèle-t-elle pas surtout leur cruelle absence de ces grands lieux de débats,
ou lincapacité constante de la classe moyenne dy trouver sa place ?

Georges Liénard
Professeur à l'UCL
Nous sommes persuadés de l'impérieuse nécessité
de maintenir et même développer le rayonnement de la langue française à Bruxelles, par
ailleurs capitale de l'Europe. Qui dit langue dit culture, cependant force est de
constater que la culture française est plurielle en fonction de son enracinement,
c'est-à-dire du poids de l'histoire et / ou de la proximité de cultures
étrangères qui l'influencent; c'est le cas du Québec, de la Romandie et de Bruxelles.
En revanche, la ville de Québec; celle de Liège ou encore celle de Genève ne subissent
pratiquement pas de telles influences, car là, la romanité existe à l'état pur et
n'est pas, comme à Bruxelles, le résultat d'une francisation pacifique.
Si nous prônons la régionalisation de la culture
(enseignement, moyens audiovisuels, etc ...), c'est à la fois pour nous démarquer de la
belgitude, qui imprègne encore trop fortement la Communauté "française" de
Belgique et pour nous rapprocher de la France.
Cela n'implique nullement l'affaiblissement de la
solidarité entre ces deux composantes actuelles de la Belgique francophone, mais, au
contraire, son renforcement sur d'autres bases qui tiendront compte de sensibilités
socio-culturelles et de réalités économiques différentes.
L'identité wallonne se distingue notamment de la
bruxelloise par le fait qu'elle est plus française au sens pluriel du terme :
substrat indéniable de dialectes romans (wallon, picard et lorrain) et histoires
différentes. Cette identité mérite d'être sauvegardée pour sa valeur propre dans le
cadre de la Francité et parce qu'elle est le meilleur atout de la Wallonie pour
s'intégrer dans la grande famille française. Alors que Bruxelles est à l'origine et
restera jusqu'au début du siècle passé une ville essentiellement de langue flamande, en
revanche, dans les Etats féodaux qui constitueront la Wallonie, les actes notariés, ceux
de toutes les administrations locales (échevinage, etc ...) et ceux de la justice sont
rédigés uniquement en français. De même, les curés prêchent en français et les
maîtres d'école n'enseignent que dans cette langue. Au niveau du peuple, la connaissance
passive du français est avérée dès la fin du 16ème siècle dans les villes et les
bourgs même si, dans la vie de tous les jours, les Wallons continuent à se servir de
leurs dialectes au même titre d'ailleurs que les Champenois ou les Occitans.
Autre distinction fondamentale, la sympathie
populaire pour la France et les Français est constante dans le pays wallon : au
15ème siècle, avec les Tournaisiens et Jeanne d'Arc, et les Liégeois luttant contre
Charles le Téméraire; au 17ème siècle, avec Sébastien Laruelle, chef du parti
français à Liège; en 1793 avec les vux de rattachement à la France; en 1815,
1830, 1870-1871, 1914-1918, 1039-1945, sans oublier le 14 juillet fêté à Liège dans la
liesse populaire depuis la fin de la dernière guerre mondiale. Le très belge historien
Godefroid Kurth a d'ailleurs relevé, à la fin du 19ème siècle, que, dès le Moyen Age,
la francophilie est le trait le plus saillant du caractère national des Liégeois.
Rien de semblable à Bruxelles !
Sur le plan des institutions, une modification de
la Constitution n'est pas nécessaire. L'aménagement interne de la Communauté française
Wallonie - Bruxelles dans un sens régional est possible par un accord à
trouver entre Wallons et Bruxellois francophones, comme celui dit de la Saint-Quentin.
On peut aussi concevoir la régionalisation de
fait : de la politique culturelle, de l'enseignement (notamment de l'histoire,
matière clé pour une nette prise de conscience, par les jeunes Wallons, de leurs racines
gauloises, latines, wallonnes et françaises), des moyens audiovisuels (notamment
transferts en Wallonie du Centre de décision de la radio-télévision avec un maintien à
Bruxelles d'un centre important de production).
En résumé, nous sommes davantage Wallons que
"communautaires", et de ce fait plus Français que bien des tenants de la
Communauté "française".

Jacques Pyfferoen
Directeur Centre de Jeunes de Lodelinsart
Quelques précisions s'imposent lorsque l'on parle
d'identité(s) : trop souvent, on entend et on lit l'identité wallonne, c'est
... et, trop souvent, on constate que celle-ci est définie par rapport à un
rassemblement d'éléments épars tels que la langue, le wallon (lequel ? dit-on tchapia,
capia, capiau pour chapeau ?), l'espace de vie (lequel ? vivre à
Liège, à Tournai, à Virton ou à Steinkerque, serait-il identique ?), les
habitants (lesquels ? le Flamand sixième génération, le Gaumais de souche,
l'Italien quatrième génération, le Maghrébin première ou deuxième génération
sont-ils tous d'ici ?), des attributs officiels tels que l'hymne ou le drapeau
wallon ? Le côté artificiel, construit abstraitement, apparaît immédiatement et
ne permet pas de cerner ce qui serait une identité wallonne proche de la réalité. La
psychologie sociale nous apprend, par ailleurs, que l'être humain est parcouru en
permanence par son identité sociale et son identité personnelle. L'identité, tant sur
le plan individuel que collectif, est la construction d'une différence, l'élaboration
d'un contraste, la mise en avant d'une altérité.
L'identité sociale et personnelle sont liées aux
groupes dont font partie les individus et les phénomènes d'identités sont fortement
ancrés dans les relations du groupe d'appartenance (endogroupe) et un hors-groupe
(excogroupe). Des travaux récents de Bourhis et Leyens, 1994 sur base des travaux de
Tajfel et Turner de 1981, montrent que le domaine des perceptions (des représentations)
intergroupes et le domaine des relations intergroupes ne s'excluent pas de manière
tranchée et, en tout cas, ouvre de nouvelles voies de recherches pour tenter d'expliquer
comment fonctionne l'identité sociale et personnelle. L'identité et l'appartenance
collectives sont fortement liées au prestige social (statut social) et qu'il faut
entendre le mot groupe comme étant un rassemblement de personnes conscientes d'en être
membres, partageant un destin commun et où les relations entre les personnes sont
organisées en rôles et en hiérarchie de pouvoir et de statut. La Wallonie, sans en
faire un laboratoire, apparaît être un réservoir extrêmement riche en diversités pour
illustrer cette approche de l'identité. J'y reviendrai dans les conclusions.
Ceci étant posé comme repères de l'identité
sociale et personnelle et non comme une définition exhaustive, il apparaît :
-
que les Wallons ou les habitants de la Wallonie,
selon qu'ils soient simples citoyens ou investis dans des rôles politiques ou autres,
perçoivent la réalité de manière différente;
-
que le monde politique pour exister se fabrique une
sphère où l'organisation et les modes de fonctionnement se différencieraient de celui
du reste de la population;
-
qu'il y a, de la part des politiques, une
réinterprétation du réel non comprise par la population ayant élu ses représentants;
les analyses et choix appliqués;
-
qu'il y a une dichotomie entre le public et le
politique, au moins au niveau des perceptions;
-
que le politique use plus d'une hiérarchie de
pouvoir et de statut que de rôles dont il est investi.
Et qu'en Wallonie, on continue de fonctionner dans
les associations, les organisations, les institutions, les administrations selon le
modèle analytique où les éléments ne s'expliquent que pris séparément et selon la
méthode de Taylor, basée sur la division du travail. Les groupes fonctionnent donc
indépendamment les uns des autres. Et cela a pour conséquence, notamment, d'être
efficace sur la tâche, sur l'action, sur le programme d'actions, quels qu'ils soient et
quel qu'en soit le domaine plutôt que sur le projet. Le Wallon se pense ici et
maintenant. Demain ... Economiquement, les Wallons ont cru au " paradis terrestre
" dans les années 1962 à 1974 et, pour continuer à y croire, l'Etat providence a
pris le relais jusque dans les années 1988-1990. C'est surtout ces dernières années que
les bassins sidérurgiques ont montré leurs limites économiques. Avant, ils étaient en
compétition, maintenant, ils sont en compétitivité. Nous sommes ici encore dans le
domaine des perceptions du point de vue des travailleurs et des chômeurs, construite sur
un imaginaire collectif inscrit dans le passé. Les Wallons n'ont pas, jusqu'à présent,
réussi à s'inscrire dans une Europe des régions tournées résolument vers l'avenir et
vers de nouveaux secteurs. Ils auraient privilégié leur appartenance à un groupe social
régional, vu au niveau européen, basée sur le passé et des savoir-faire connus depuis
70 ou 100 ans. Ceci ne reflète qu'une vue d'ensemble de type macro, il est aussi certain
aujourd'hui que d'autres Wallons se sont investis dans de nouveaux secteurs mais
insuffisamment que pour entraîner et rassurer l'ensemble de la Wallonie.
Depuis la réforme de l'Etat belge de 1970, la
révolution institutionnelle dure depuis bientôt 30 ans et ce sans effusion de sang et,
30 ans, c'est à peine un peu plus d'une génération, les changements au niveau de
l'appartenance des uns et des autres est donc bien rapide et en confrontation symbolique
permanente entre les jeunes et les "vieux". La psychologie sociale nous apprend
également qu'un individu essaiera de maintenir son appartenance à un groupe et cherchera
à adhérer à d'autres groupes si ces derniers peuvent renforcer les aspects positifs de
son identité sociale. Et qu'en est-il dans une Wallonie où le chômage est structurel
depuis plus de 20 ans, comme en Flandre ou en Europe d'ailleurs, mais où on a mis 15 ans
pour s'en rendre compte ? Est-ce que le fait que la Wallonie est perçue aujourd'hui
comme en déclin favorise le sentiment d'appartenance ? La réponse est clairement
non. Comment l'image d'une Flandre qui s'en sort mieux et qui est tournée vers le futur
agit-elle sur les Wallons ? A force de dire et probablement d'intérioriser des
phrases comme on fait son p'tit possible ou c'est toudis bon ainsi ou Pour
ce qu'on est payé, ... n'est-on pas en train de développer un sentiment
d'infériorité, de ne plus être capable de réagir ou d'agir sur la destinée
wallonne ? De ne plus pouvoir s'en sortir par soi-même ! A force de développer
des actions au coup par coup, d'année en année, de paix électorale en paix électorale,
n'est-on pas en train, depuis plus de 50 ans, de restreindre le champ des possibles, des
audaces ? Car, si comme l'écrit le sociologue Guy Bajoit, l'homme se réalise en
adaptant son projet personnel aux limites et aux orientations légitimes en dépassant les
contraintes sociales, sommes-nous encore capables en Wallonie de nous dépasser ?
L'identité wallonne, si elle existe un jour, ne se décrète pas et je pense qu'elle se
construira et s'affirmera par la connaissance et l'échange avec les autres peuples
européens. C'est par l'ouverture aux autres que l'identité des habitants de la Wallonie,
des Wallons existera même si cela apparaît paradoxal aujourd'hui. S'ouvrir aux autres ne
veut pas dire disparaître, mais bien exprimer le fait que nous existons avec les autres
sur un village appelé la terre.

Conclusions
Afin de ne pas surcharger d'analyses cet écrit, je
me bornerai à tracer quelques pistes en guise d'hypothèses de solution. Dépasser les
particularismes par la réappropriation de l'histoire de la Wallonie dans l'histoire de la
Belgique afin de répondre aux questions : Qui sommes-nous ? D'où
venons-nous ? Où allons-nous ? Construire l'histoire de la Wallonie
par-delà ses historiettes et effectuer le même travail pour la Culture. Dépasser les
expressions culturelles individuelles ou locales en favorisant l'émergence, même
contestable, de figures culturelles symboliques, oser des choix quitte à se tromper et à
rectifier les erreurs, les oublis quelques années plus tard. Rien que cela risque de
prendre une ou deux décennies Approche systématique et interdisciplinaire, le fait
wallon n'est pas un corps démembré plus en Wallonie qu'ailleurs, permettant de
travailler avec une vision globale et agir sur les liens des différents éléments de la
société. L'économique sans le social et le culturel n'aurait pas d'effet dynamisateur
en soi. Pire, il pourrait engendrer un repli sur soi, déjà tellement présent, pour des
temps encore plus mauvais. Devenir des acteurs de lendemain, des prospecteurs du futur par
le développement de toutes les composantes connues du XXIème siècle. Entrer dans le
XXIème siècle plutôt que de sortir du XXème siècle. Traduire concrètement et
rapidement des mesures afin de les rendre visibles et compréhensibles par les citoyens.
Remodeler certaines institutions comme la RTBF, l'enseignement, créer une maison de la
Wallonie, des représentations à l'étranger.
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