La Wallonie et la
réforme de l'Etat
Jacques Brassinne de La Buissière
Docteur en Sciences politiques
La présente contribution est un essai d'analyse
visant à déterminer la place occupée par la Wallonie dans la réforme de l'Etat depuis
1970.
La première partie est consacrée à un rappel
historique des quatre grandes étapes qui ont caractérisé la réforme des institutions;
pour chacune d'entre elles, de brèves considérations sont émises in fine.
L'évolution institutionnelle au cours de ces 28
années n'a pas été linéaire pour la Wallonie, pas plus d'ailleurs que pour l'Etat
Belge; la seconde partie est consacrée à ce constat. Sur la base de ce qui précède,
une troisième partie tente d'établir une prospective pour nos institutions et en
particulier pour la Wallonie.
1. Les réformes de l'Etat entre 1970 et 1998
Les révisions constitutionnelles de 1970 à 1998
ont marqué un processus de réforme dont l'aboutissement n'a pas été ni défini ni
limité dans le temps. L'analyse de cette période peut se subdiviser en quatre grandes
étapes axées sur la chronologie des événements basée sur les politiques
institutionnelles des différents gouvernements qui se sont succédé au pouvoir.
La première étape commença en 1970 avec une
révision de la Constitution visant notamment à instaurer deux grandes communautés
culturelles, elle se poursuivit par la mise en uvre d'institutions régionales
provisoires prévues par la loi Perin - Vandekerchove de 1974 et se termina en
1979 par la suppression des conseils consultatifs régionaux.
La deuxième étape débute en 1980 par le vote des
lois spéciale et ordinaire de réformes institutionnelles d'août 1980, réforme
complétée, en 1983, par l'instauration de la Cour d'arbitrage et la mise en uvre
de la Communauté germanophone.
La troisième étape démarre en juillet 1988 avec,
au cours d'une première phase, une nouvelle révision de la Constitution et le vote de la
loi spéciale du 8 août 1988 de réformes institutionnelles modifiant celle du 8 août
1980. Elle fut suivie d'une deuxième phase caractérisée par l'adoption d'une loi
spéciale relative au financement des communautés et des régions, une loi spéciale
relative aux institutions bruxelloises et de diverses autres dispositions légales, dont
la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Celle-ci se termina au début
de 1989, les principaux objectifs du gouvernement Martens VIII ayant été réalisés.
La quatrième étape commença en 1993, elle prit
en considération les différents problèmes non résolus antérieurement.

1. 1. La première étape de la réforme de
l'Etat : de 1970 à 1979
L'instauration du suffrage universel en 1920-1921 a
profondément marqué la vie politique de la Belgique, il faudra cependant attendre une
cinquantaine d'années avant que la Constitution connaisse une importante révision. Cette
dernière intervint entre juin et décembre 1970 et porta sur des aspects fondamentaux du
texte constitutionnel. En effet, il fut décidé de créer trois communautés
culturelles : la française, la néerlandaise et l'allemande, et de leur reconnaître
des pouvoirs propres (anciens articles 59 bis et 59 ter). Concomitamment à la fin
décembre 1970, les quatre régions linguistiques : la région de langue française,
celle de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et celle de
langue allemande, furent constitutionnellement reconnues (ancien article 3 bis) avec comme
corollaire que les limites de ces régions ne pouvaient être changées que par une loi
adoptée à la majorité spéciale.
Avec l'instauration de l'ancien article 59 bis, les
conseils de la Communauté culturelle française et de la Communauté culturelle
néerlandaise furent dotés de compétences propres. Pour la Communauté culturelle
allemande, l'ancien article 59ter laissait au législateur le soin de déterminer la
composition et les compétences du conseil.
En 1970, le Constituant décida la création des
trois régions : wallonne, flamande et bruxelloise, elles furent définies par
l'ancien article 107 quater.
Il faudra attendre le 1er août 1974 pour que le
gouvernement de l'époque prenne une initiative concernant la mise en place d'institutions
régionales. La loi Perin - Vandekerckhove fut votée. Elle permit la création
de trois conseils régionaux pouvant donner des avis non contraignants dans des matières
régionales définies par cette loi votée à la majorité absolue (1). Il s'agissait d'une phase
préparatoire à la mise en uvre de l'article 107 quater de la Constitution qui
permit également la création de comités ministériels régionaux au sein du
gouvernement national.
Pour des raisons politiques, le Parti socialiste
n'étant pas au pouvoir lors du vote de la régionalisation provisoire, une loi supprima,
en juillet 1979, les conseils régionaux de 1974 tout en maintenant les comités
ministériels dont le CMAW pour les affaires wallonnes.
Conclusions : deux grandes communautés
culturelles prennent place dans la paysage constitutionnel; la Région wallonne est mort
née quant à celle de Bruxelles, faute d'accord politique entre flamands et francophones,
aucune décision n'intervint.

1. 2. La deuxième étape de la réforme de
l'Etat : de 1980 à 1987
Après des mois de préparation, la deuxième
étape démarre, au début d'août 1980, par le vote de deux lois : la loi spéciale
du 8 août 1980 de réformes institutionnelles adoptée à la majorité spéciale et la
loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles votée à la majorité
ordinaire. L'objectif était de mettre en uvre les nouvelles institutions, le
gouvernement de l'époque ayant la conviction qu'un climat de confiance pourrait ainsi
s'établir et être de nature à faciliter la solution du problème bruxellois au cours
d'une période ultérieure.
Les modifications constitutionnelles de juillet
1980 et de juin 1983 eurent pour objectifs de reconnaître l'existence des communautés,
de donner au décret régional la même force juridique qu'à la loi, de prévoir
l'instauration d'une Cour d'arbitrage et de d'organiser la Communauté germanophone.
Ces dispositions constitutionnelles et légales
permirent de prendre des décisions de 1980 à 1987 visant à mettre en place les
nouvelles institutions pour la Flandre, la Communauté française et la Région wallonne
qui entrèrent en vigueur à la date du 1er octobre 1980. Leurs compétences furent
élargies aux matières personnalisables.
Cette réforme fut définitive en ce qu'elle
réglait tout ce qui était relatif à la Flandre, à la Communauté française et à la
Région wallonne. La "fusion" éventuelle de la Communauté française avec la
Région wallonne était prévue par la Constitution; elle était subordonnée à un vote
des assemblées compétentes à la majorité des deux tiers.
Cette étape était incomplète car elle ne
réglait ni le problème de la Région bruxelloise, ni celui du système bicaméral des
assemblées, dont le rôle spécifique du Sénat, ni le financement des entités
fédérées. Les dispositions générales à l'égard de la Communauté germanophone et de
la Cour d'arbitrage furent réglées en 1983, le statut de la troisième communauté fut
déterminé et la Cour fut mise en place, son organisation, sa compétence et son
fonctionnement furent déterminés, ainsi que le statut de ses juges, référendaires et
greffier.
Conclusions : La Flandre, la Communauté
française, la Région wallonne et la Communauté germanophone sont organisées et
fonctionnent. Pour Bruxelles, aucune décision n'a été prise.

1. 3. La troisième étape de la réforme de
l'Etat : de 1988 à 1993
La troisième étape de la réforme de l'Etat
visait à renforcer les structures fédérales de la Belgique; elle se déroula en deux
phases.
1.3.1. La première phase de la réforme :
la révision constitutionnelle de juillet 1988.
Au cours de la première partie de cette troisième
étape en juillet 1988, le législateur créa le nouveau cadre constitutionnel nécessaire
à l'élargissement des compétences des communautés et des régions, ainsi qu'à
l'adoption d'un système de financement pour les entités fédérées.
Des modifications furent apportées à sept
articles de la Constitution. La communautarisation de l'enseignement fut inscrite dans la
charte fondamentale ainsi que les garanties qui étaient antérieurement accordées par le
Pacte scolaire de 1958 et les matières personnalisables.
L'extension des compétences des communautés
touchait principalement l'enseignement dont seuls la fixation du début et de la fin de
l'obligation scolaire, les conditions minimales pour la délivrance des diplômes, ainsi
que le régime des pensions restaient de la compétence de l'autorité fédérale. Il fut
également prévu que les communautés pourraient conclure des traités dans les matières
culturelles, personnalisables et d'enseignement; une loi votée à la majorité spéciale
détermina ultérieurement les formes de coopération entre l'Etat et les communautés
ainsi que les modalités relatives à la conclusion de traités.
Outre l'élargissement des compétences régionales
par la suppression de nombreuses exceptions qui grevaient les anciennes compétences, les
régions ont vu leurs compétences être étendues à deux domaines : celui des
travaux publics et celui des communications vicinales et locales.
La Cour d'arbitrage a bénéficié d'un
élargissement de ses compétences; statuant par voie d'arrêt, elle règle les éventuels
conflits entre la loi, le décret et l'ordonnance. Sa compétence fut aussi étendue aux
garanties constitutionnelles des anciens articles 6, 6bis et 17 pris de manière conjointe
ou séparée.
En ce qui concerne la Région bilingue de
Bruxelles-Capitale, une loi à majorité spéciale a désigné les autorités qui exercent
les compétences dans cette région dans les matières culturelles dans l'enseignement et
dans les matières personnalisables à l'exception des compétences déjà dévolues par
la Constitution aux communautés française et flamande. Le transfert des monuments et
sites de la Communauté française vers la Région wallonne et la Région de
Bruxelles-Capitale fut également appliqué à Bruxelles.
La loi spéciale du 8 août 1988 de réformes
institutionnelles avait pour objet de revoir la répartition des compétences existantes
"par le transfert de compétences et d'instruments supplémentaires le but étant
d'arriver à créer des ensembles homogènes de compétences.
Le principe de base qui a présidé à la
répartition des compétences est resté donc identique à celui mis en avant dès
1980 : l'attribution des compétences aux entités fédérées s'effectue par une
énumération limitative de ces dernières qui sont donc déterminées par la loi sauf ce
qui est déjà prévu dans la Constitution. Le pouvoir fédéral conserve donc les
compétences résiduelles, mais les communautés et les régions se voient octroyer des
compétences beaucoup plus larges que celles qu'ils avaient reçues par la loi du 8 août
1980.
La loi spéciale de 1998 a éliminé une partie des
tensions nées de l'interprétation de la répartition des matières selon ce qui avait
été décidé en 1980. Cependant, tous les conflits n'étaient pas résolus notamment
dans des matières demeurées fédérales, telles que les relations internationales, la
sécurité sociale ou dans des matières qui font en fait l'objet de compétences
concurrentes, telles que le commerce extérieur et la recherche scientifique.

1.3.2. La seconde phase de la réforme : la
révision constitutionnelle de juin 1989 et les dispositions législatives.
D'autres dispositions légales particulièrement
importantes furent prises au cours de cette seconde phase. En juillet 1988, le
gouvernement avait déclaré que la deuxième phase devait comprendre la loi de
financement, la loi relative à la Région de Bruxelles-Capitale, la loi relative à la
Cour d'arbitrage, et diverses dispositions relatives aux compétences internationales des
communautés et des régions, à la mise en uvre de la première phase, telles que
les transferts de personnel, l'adaptation de certains parastataux, etc. et à
l'amélioration des procédures de résolution des conflits.
Au cours de la période d'avril à juin 1989,
l'ancien article 59ter de la Constitution fut modifié dans le but de donner à la
Communauté germanophone "une autonomie sensiblement égale à celle des deux autres
communautés" en étendant sa compétence aux matières relatives à l'enseignement
et aux matières dites "personnalisables".
Furent votées dans les six mois qui suivirent la
loi du 16 janvier 1989 sur le financement des communautés et des régions et la loi du 6
janvier sur la Cour d'arbitrage.
La Cour d'arbitrage demeure compétente pour faire
respecter la répartition des compétences entre les diverses entités dotées d'un
pouvoir de nature législative qui composent l'ensemble belge. De plus, les compétences
de la Cour ont été étendues au respect de certaines dispositions constitutionnelles,
qui n'ont pas trait à la répartition des compétences. Elle reçoit de nouvelles
compétences par l'extension de son contrôle de constitutionnalité aux anciens articles
6 (l'égalité des Belges devant la loi), 6bis (reconnaissance des droits et libertés des
minorités idéologiques et philosophiques) et 17 (liberté de l'enseignement) de la
Constitution.
La loi spéciale du 12 janvier 1989, relative aux
institutions bruxelloises, qui prévoyait la collaboration des deux communautés à la
gestion des 19 communes de Bruxelles, la modification de la composition du Comité de
concertation, le régime linguistique et la répartition des emplois dans l'administration
bruxelloise.
Les mécanismes de coopération furent réglés par
la loi spéciale du 8 août 1988 en y intégrant un nouveau titre IV bis : La
coopération entre l'Etat, les Communautés et les Régions. La collaboration
s'instaurera par la conclusion facultative ou obligatoire d'accords de coopération.
Conclusions : la Région de Bruxelles-Capitale
est organisée sur des bases à la fois régionales et communautaires. Avec la compétence
en matière d'enseignement, les communautés sont au zénith de leur gloire, la Flandre y
restera, l'apogée de la Communauté francophone se situe en 1988 qui marque le début de
son déclin. La loi de financement de 1989 sonnera le glas.

1. 4. La quatrième étape de la réforme de
l'Etat : de 1993 à 1998
Selon le gouvernement Dehaene, la réforme de 1993
avait comme objectif d'achever la structure fédérale de l'Etat en modifiant le
texte constitutionnel ainsi que les lois spéciales et ordinaires de réformes
institutionnelles.
Un accord politique dit "l'accord de la
Saint-Michel" fut négocié par la majorité gouvernementale sociale chrétienne
socialiste avec certains partis de l'opposition. Cet accord fut complété sur
différents points par l'accord de la Saint-Quentin, négocié entre les partis politiques
francophone le 31 octobre 1992, qui fut précisé par l'accord PS-PSC-Ecolo du 4 juin
1993.
La révision de la Constitution, effectuée en
1993, avait pour objet de modifier l'organisation et les attributions des diverses
institutions à la suite de la modification du système bicaméral et de l'élection
directe des conseils régionaux, du transfert de compétences de l'Etat fédéral vers les
communautés et les régions, et de donner la possibilité à la Communauté française de
transférer l'exercice de compétences à la Région wallonne et à la Commission
française de la Région de Bruxelles-Capitale, et de modifier la structure provinciale à
la suite de la scission du Brabant.
L'élection directe des conseils flamand et wallon
fit l'objet d'une loi ordinaire réglant les élections, modifiant les modalités de
l'élection du Conseil de Bruxelles-Capitale, adaptant le Code électoral, modifiant
l'élection de la Communauté germanophone, modifiant l'élection du Parlement européen,
adaptant les lois provinciales et communales ainsi que les élections des organes
concernés.
A la suite des nouvelles dispositions
constitutionnelles, deux lois furent adoptées, la première à la majorité spéciale
modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, modifiant
également le loi spéciale du 12 août relative aux institutions bruxelloises, la loi
spéciale du 16 janvier 1989, relative aux financements des communautés et des régions,
la loi du 2 août 1963 sur l'emploi des langues en matière administrative et la loi
spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. En second lieu, une loi à majorité
ordinaire a modifié la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles.
Les accords de la Saint-Quentin : le transfert
de l'exercice de compétences de la Communauté française à la Région wallonne et à la
Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale.
L'article 138 de la Constitution instaure un
mécanisme permettant à la Communauté française, à la Région wallonne et à la
Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale, de décider, de
commun accord, que telle ou telle compétence de la Communauté française sera exercée
par la Région wallonne et par la Commission communautaire française. Les compétences
sont exercées, par voie de décrets, d'arrêtés ou de règlements selon le cas.
Selon les développement de la proposition de loi, ce
mécanisme s'adapte davantage aux spécificités des composantes wallonne et bruxelloise
de la Communauté française que celui de la fusion des organes communautaires et
régionaux prévus à l'ancien article 59 bis, § 1er, al. 2 de la Constitution jusqu'ici
appliqué seulement pour la Communauté flamande.
Le mécanisme proposé mettait fin à la
possibilité de fusion entre Communauté française et Région wallonne et donne la
priorité au fait régional contrairement à la situation inverse que connaît le nord du
pays (2).
Les transferts de compétences devaient être
votés par les trois assemblées avec un même contenu à la majorité des deux tiers pour
le Conseil de la Communauté française et à la majorité absolue pour le Conseil
régional wallon et l'Assemblée de la Commission communautaire française.
Ce mécanisme n'était pas nouveau car il s'est
inspiré de celui qui permet l'exercice de compétences de la Région wallonne par la
Communauté germanophone dans la région de langue allemande.
Si, en théorie, la compétence communautaire
francophone reste intangible, il faut constater que l'exercice de certaines compétences
de cette dernière peut être transférée à deux autres institutions. La mise en place
de ce mécanisme entraîna l'octroi du pouvoir décrétal à la Commission communautaire
française pour l'exercice des compétences transférées.
Conclusions : L'Etat belge continue à perdre
de sa substance avec notamment l'abandon, à échéance, du pouvoir résiduel avec le
choix d'un bicaméralisme très difficile à expliquer. Avec les accords de la St Quentin,
le déclin de la Communauté française est quasi définitivement scellé et la fusion de
la Communauté avec la Région wallonne, remplacé par l'absorption larvée de celle-ci
par la Région wallonne et la Cocof.

2. Le constat : principales
caractéristiques de la structure de l'Etat fédéral
Pour rappel, depuis 1970, la structure de l'Etat
s'est progressivement et mentalement modifiée; la première fois en 1971 en créant la
Communauté culturelle française et la Communauté culturelle néerlandaise. De
nombreuses lois de réformes institutionnelles suivirent, dont la plus importante est la
loi spéciale du 8 août 1980 qui élargit les compétences communautaires et organisa la
Région wallonne et la Région flamande créées par la Constitution dès 1970. Au début
de 1989, le Parlement adopta la loi sur le financement des entités fédérées et créa
la Région de Bruxelles-Capitale.
La structure institutionnelle, mise en place par le
pouvoir législatif, est caractérisée par sa complexité; elle résulte de compromis au
détriment, pour partie, d'une vue globale cohérente. Cette structure appelle les
considérations ci-après.

2.1. La création et l'organisation d'entités
fédérées différentes : trois communautés et trois régions (3)
Constitutionnellement, la Belgique est composée de
trois communautés et de trois régions; les limites de ces dernières ne coïncident pas
et leurs compétences sont essentiellement différentes.
La révision constitutionnelle de 1970 avait
instauré l'autonomie culturelle et prévu la régionalisation du Royaume. Cette autonomie
culturelle a été mise en uvre par les lois de 3 et 21 juillets 1971 qui
organisèrent les communautés culturelles françaises et néerlandaises tandis que le
Conseil de la communauté culturelle allemande, visé à l'ancien article 59ter, était
organisé par la loi du 10 juillet 1973 et modifiée par la loi du 31 décembre 1983.
En 1980, le Constituant reconnaît l'existence des
trois Communautés française, flamande et germanophone, les compétences furent
élargies; de nouvelles matières culturelles ainsi que les matières personnalisables
leur furent confiées. Dans cette phase de développement, les communautés perdent leur
qualificatif de "culturelles" et prennent de plus en plus d'importance avec
l'apport de la politique de santé et celle d'aide aux personnes.
La régionalisation du pays ne fut que
partiellement mise en uvre par la loi du 1er août 1974 organisant les institutions
régionales, à titre préparatoire à l'application de l'ancien article 107 quater de la
Constitution; les institutions ainsi créées consistèrent en conseils consultatifs
régionaux d'une part, et en comité ministériels régionaux, d'autre part.
En vertu des dispositions de 1980, seule la Région
wallonne fut dotée d'organes propres, en Flandre, les compétences régionales étant
exercées par les organes de la Communauté flamande. Le statut de Bruxelles ne fut pas
réglé, cette région restait définie par les lois antérieures.
En août 1988, la loi spéciale du 8 août 1980 fut
modifiée pour accorder une plus grande autonomie interne aux communautés et aux
régions. Cet élargissement de l'autonomie se traduisit par le transfert de nouvelles
compétences aux entités fédérées, dont l'enseignement aux communautés, et par une
importante extension des compétences octroyées au régions.
Cette époque marque l'apogée des communautés.
Fait politique majeur, après avoir mis en place la
Communauté flamande et la Communauté française, la Communauté germanophone et la
Région wallonne, le Constituant et le législateur décidèrent en 1988 et 1989
d'organiser le "Région de Bruxelles-Capitale". Cette dernière est selon les
uns "une région à part entière" et selon les autres une entité différente,
les tenants de la Belgique à deux ou trois, n'ont pas désarmé.

2. 2. Une réalité belge : la structure
politique de la Belgique fédérale repose sur les régions linguistiques (4)
Lorsque en 1970, le Constituant instaura les quatre
régions linguistiques et les inscrivit dans la Constitution, était-il conscient qu'il
jetait les bases sur lesquelles la Belgique allait s'édifier ultérieurement ?Ce
n'est pas évident. Depuis le 24 décembre 1970, l'article 4 de la Constitution reconnaît
l'existence de quatre régions linguistiques, celle de langue française, celle de langue
néerlandaise, celle de langue allemande, et la région bilingue de Bruxelles-Capitale
comprenant les dix-neuf communes.
Le domaine de compétence des communautés et des
régions est lié aux quatre régions linguistiques; par la force des choses, ces
dernières sont devenues un élément fondamental de la structure interne de la Belgique.
En effet, selon que les régions linguistiques sont prises seule ou deux à deux, elles
forment soit des régions, soit des communautés.
Les trois régions recouvrent le territoire des
quatre régions linguistiques de la manière suivante :
-
la Région wallonne s'étend à la région de langue
française et à la région de langue allemande,
-
la Région flamande s'étend à la région de langue
néerlandaise,
-
la Région de Bruxelles-Capitale s'étend à la
région bilingue de Bruxelles-Capitale.
Les trois communautés recouvrent les quatre
régions linguistiques de la manière suivante :
-
la Communauté française s'étend à la région de
langue française et la région bilingue de Bruxelles-Capitale,
-
la Communauté flamande s'étend à la région de
langue néerlandaise et la région bilingue de Bruxelles-Capitale,
-
la Communauté germanophone s'étend à la région
de langue allemande.
Ces régions linguistiques doivent être
considérées comme intangibles, car elles ne peuvent être modifiées que par le vote
d'une loi à majorité spéciale impliquant l'accord du Sud et du Nord du pays.

2. 3. La perte de substance de l'Etat au profit
des entités fédérées
Les diverses réformes successives ont eu pour
résultat de transférer vers les entités fédérées une partie importante du pouvoir
législatif qui était antérieurement détenu par les Chambres et par le Roi. Depuis
1980, le pouvoir législatif a été démembré par l'octroi du pouvoir décrétal et en
1988 celui d'ordonnance. Actuellement, l'Etat, les communautés et les régions ont un
pouvoir équipollent dans les matières relevant de leurs compétences exclusives :
les lois fédérales, décrets de communauté, décrets régionaux ont la même force
juridique. Ce qui précède est valable, à quelques nuances près, pour les ordonnances
prises par la région de Bruxelles-Capitale.
En ce qui concerne les différents transferts de
compétences, ils peuvent être synthétisés comme suit : ils ont été effectués
dans chaque cas au bénéfice des communautés et des régions, donc aux dépens de l'Etat
fédéral, en vue de constituer des "groupes de compétences homogènes".
L'objectif visé, sans qu'il ne soit véritablement atteint, était une meilleure
définition de l'ensemble de ces compétences.
Le transfert de compétences aux entités
fédérées a constitué jusqu'en 1988 un apport incontestable à l'autonomie des
communautés comme à celle des régions.
Pour les communautés, les dernières matières
octroyées visaient non seulement l'enseignement, mais également la publicité
commerciale à la radio et à la télévision, l'aide à la presse, certaines compétences
en matière de protection de la jeunesse et la gestion du Fonds des handicapés. En 1993,
la législation organique relative aux centres publics d'aide sociale leur fut également
transférée.
En 1988, l'extension des matières régionales
concerne différents aspects de la politique énergétique, de la politique de l'eau, de
la politique de l'emploi et de la tutelle administrative. Les régions sont également
compétentes pour : le financement des administrations subordonnées, ce qui implique
la régionalisation du Fonds des communes, du Fonds d'aide au redressement financier des
communes et du Fonds des provinces et l'extension de la politique économique qui vise
outre l'économie, l'expansion économique régionale et les cinq "secteurs
économiques nationaux" réservés antérieurement à l'Etat par la loi de 1980.
A cette date également, l'autonomie régionale
s'élargit à l'important domaine de l'infrastructure, c'est-à-dire aux travaux publics
et aux transports. En 1993, vinrent s'ajouter des compétences en matière de commerce
extérieur, d'agriculture, d'environnement, de la politique de l'eau, les associations de
provinces et les intercommunales ainsi que la législation organique relatives aux
administrations locales.
A la lecture de ce qui précède, on constate que
la notion de "compétence" est primordiale dans l'explication de la nouvelle
structure de la Belgique; l'analyse de cette dernière doit s'effectuer en fonction des
matières attribuées aux entités fédérées.
La loi spéciale de 1988 avait énuméré et
défini un premier train de compétences réservées exclusivement à l'Etat, il
s'agissait notamment de matières essentielles comme : la politique monétaire, la
politique financière et la protection de l'épargne, la politique des prix et des
revenus, le droit des sociétés. A cette époque, le droit du travail et la sécurité
sociale relevaient d'une manière expresse de la compétence exclusive de l'autorité
fédérale. On peut affirmer aujourd'hui, sans crainte d'être contredit, que certaines de
ces matières seront renégociées après les élections de juin 1999.
Enfin, un changement drastique intervient en 1993
en matière de pouvoir résiduel; ce pouvoir qui appartenait à l'Etat fédéral, est
octroyé sous conditions suspensives aux communautés et aux régions. Il s'agit d'un
changement fondamental sur le plan de la doctrine constitutionnelle : antérieurement
les compétences des entités fédérées étaient énumérées et pleinement
identifiées, à l'avenir, ce sont les compétences fédérales qui le seront.
Avec le transfert aux régions d'une partie
limitée des impôts, l'évolution tendant à vider l'Etat de sa substance n'est pas
terminée.

2. 4. Le déclin ou la perte de substance de la
Communauté française
A la suite de la réforme de 1993, la mise en
uvre des accords de la Saint-Quentin, les législateurs wallon, francophone et
bruxellois ont pris, essentiellement pour des questions de financement, une série de
dispositions visant à transférer vers les Régions wallonne et bruxelloise l'exercice de
compétences appartenant à la Communauté française.
Un premier transfert de matières avait déjà eu
lieu antérieurement, les monuments et sites avaient été régionalisés mais l'année
fatidique pour la Communauté française est 1993 avec les décisions politiques
ci-après.
Rappelons que l'assemblée de la Communauté
française n'est pas élue directement. Composée de 75 wallons élus à la Région et de
19 membres bruxellois choisis au sein du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, les
représentants de la Communauté française sont des élus au second degré. Même s'ils
se sentent profondément francophones, les membres du Conseil sont d'abord wallons ou
bruxellois de par leur élection au niveau régional.

Une partie importante des matières culturelles
octroyées en 1970, des matières personnalisables reçues en 1980 et celles de
l'enseignement transféré en 1988, sont devenus, par la force des choses, des matières
régionales. Sont restées communautaires le pouvoir d'organiser l'enseignement, la
culture et l'audiovisuel. Ces dernières compétences sont certes importantes et tant que
la Communauté française en assumera la compétence, elle restera un symbole pour tous
les francophones.
Cependant, les transferts effectués ne sont pas
des moindres, ils furent précisés dans les accords de la Saint Quentin du 4 juin 1993
qui prévoyait que la Communauté française allait transférer l'exercice de ces
dernières à la Région wallonne et à la Commission communautaire française afin de
permettre le refinancement de la Communauté.
Il s'agit de :
1. L'enseignement
La première série de décrets concerne
l'enseignement qui prévoyait que la Région wallonne et la Commission communautaire
française exerçait la compétence de créer, financer et contrôler, conjointement avec
la Communauté française, des organismes publics chargés d'acquérir, d'administrer,
d'aliéner des biens immeubles, bâtis ou non, hébergeant en tout ou en partie des
établissements scolaires, internats et centres psycho-médico-sociaux affectés à
l'enseignement organisés par les pouvoirs publics à l'exclusion de l'enseignement
supérieur.
Notons que la Communauté conservait l'ensemble de
ses prérogatives de pouvoir organisateur en matière d'enseignement.
Outre les bâtiments scolaires, les transports
scolaires étaient également transférés aux régions.
2. Les matières culturelles
Il s'agissait de la régionalisation du tourisme,
de la promotion sociale, de la reconversion et du recyclage professionnels. En matière
d'éducation physique, de sport et de vie en plein air, seules les infrastructures
communales provinciales, intercommunales et privées sont transférées.
3. Les matières personnalisables
Dans ces dernières, l'ensemble de la politique de
santé curative est transférée aux régions à l'exception des hôpitaux et du Centre
hospitalier de l'Université de Liège. Il en est de même pour une partie de la politique
d'aide aux personnes et de la politique familiale ainsi que les normes déterminant les
catégories de handicapés pris en charge, la protection de la jeunesse, l'aide sociale
aux détenus, ont été également régionalisés. Par contre, les missions confiées à
l'ONE restent de la compétence de la Communauté française.

- L'absence de pouvoir fiscal de la Communauté
Bien que la Constitution reconnaisse aux
communautés un pouvoir fiscal, la Communauté française n'a jamais pu le mettre en
uvre faute de pouvoir en déterminer le champ d'application.
En effet, les tentatives d'instauration d'impôts
communautaires ont été voués à l'échec au niveau de Bruxelles, cette dernière
appartenant à la fois aux deux communautés.
- La composition du gouvernement de la Communauté
française
L'accord de la Saint Quentin prévoyait également
que le gouvernement de la Communauté française pourra être composé d'un maximum de
ministres du gouvernement wallon, étant entendu qu'au moins un des membres devait être
obligatoirement bruxellois francophone. C'est ce qui fut réalisé après les élections
de 1995, la ministre-présidente étant la seule à détenir uniquement des compétences
propres à la Communauté française.
La double appartenance de la plupart des ministres
francophones est donc un fait acquis, ils sont à la fois membre du gouvernement wallon ou
du gouvernement bruxellois et de celui de la Communauté française.
Prétendre, comme certains l'on fait, que la
Communauté française est devenue une coquille vide est peut-être aller vite en besogne,
cependant les dispositions prises à la suite de la révision de 1993 , n'ont certes pas
été dans un sens visant à renforcer cette dernière. Pour des raisons financières
notamment, il est peu vraisemblable que l'on revienne sur les décisions prises sur la
base des accords de la Saint Quentin.
3. Prospective relative au fédéralisme à la
Belge
L'évolution de la structure institutionnelle
visant à instaurer un type de fédéralisme intrinsèquement propre à la Belgique
suggère les réflexions et considérations ci-après.

3.1. Les deux grandes entités :
l'asymétrie entre le nord et le sud du pays à tendance à s'estomper
Le Constituant a créé deux grandes communautés
culturelles : la française et la néerlandaise; cette évolution était voulue par
des hommes politiques flamands qui souhaitaient une Belgique à deux, alors que les
francophones souhaitaient une Belgique à trois basée sur les régions.
Le compromis réalisé à l'époque donnait
satisfaction aux deux parties, les textes législatifs permettant à la Communauté
flamande d'exercer les compétences de la Région flamande. Pour les francophones, la
Communauté française était bien distincte de la Région wallonne mais la Constitution
prévoyait expressément que moyennant un vote du Conseil de la Communauté française et
de celui du Conseil de la Région wallonne, il était possible de "fusionner"
communauté et région (6). Le
législateur fédéral avait voulu permettre à la Communauté française
d'éventuellement adopter un schéma institutionnel proche de celui du Nord du pays.
Depuis 1993, cette éventualité de
"fusion" a été supprimée dans le texte constitutionnel; un changement dans la
structure institutionnelle pourrait cependant être réalisé par le vote d'une loi à la
majorité spéciale, ce qui implique que les députés et sénateurs flamands devraient
donner leur accord pour qu'une fusion entre francophones puisse intervenir. Une décision
de ce type serait contraire à l'autonomie des entités.
Entre 1980 et 1993, les idées ont fortement
évolué du côté francophone sous l'influence d'un courant régionaliste wallon, une
fusion entre la Région wallonne et la Communauté française, n'est plus à prendre en
considération dans les circonstances présentes.
En conséquence, l'émergence de deux grandes
entités est un fait acquis : la Wallonie et la Flandre existent politiquement,
économiquement et socialement, malgré le souhait des Bruxellois; il n'en est pas de
même pour Bruxelles, éternel enjeu politique entre flamands et francophones.
3.2. L'émergence du fait régional : la
plénitude de la Wallonie
Les débats préparatoires en vue de déterminer
les positions à défendre par les partis francophones et flamands lors des futures
négociations après le 13 juin 1999, ont mis en exergue des matières qui, gérées
actuellement par l'Etat fédéral, seront éventuellement confiées aux régions. Il
pourrait être question de transfert en matière de sécurité sociale, des pensions, de
la coopération au développement, du problème de la représentation flamande à
Bruxelles, du statut des Fourons ou de celui de la périphérie bruxelloise, sans parler
de la dette publique !
Les transferts au départ de l'Etat fédéral ne
sont pas les seuls qui pourraient intervenir en faveur de la Wallonie. En examinant les
matières qui sont encore de la compétence de la Communauté française, on peut
présumer à terme une possible évolution vers une régionalisation de ces dernières.
De quelles matières s'agit-il ? A l'exception
de l'emploi des langues qui ne pose aucun problème, il pourrait être question de
l'enseignement, de la culture et de l'audiovisuel, une grande partie des autres matières
ayant été pratiquement régionalisées par les accords de la Saint-Quentin.

L'exercice de cette compétence communautaire est
primordiale pour l'avenir, elle sera le centre d'un futur débat. Quelle que soit la
formule choisie, il est fondamental que les établissements d'enseignement wallons et
bruxellois aient des programmes communs, offrent les mêmes possibilités et délivrent
des diplômes ayant la même autorité.
Cela étant, il faut constater qu'en matière
d'enseignement officiel, l'enseignement maternel et primaire sont gérés par le pouvoir
communal. L'enseignement provincial constituant une des principales compétences et qui
bénéfice d'une partie importante des crédits budgétaires des provinces, est déjà en
partie régionalisé par sa localisation et par la tutelle régionale exercée sur les
provinces.
Si on ajoute à cela la volonté de certains hommes
politiques de voir disparaître les provinces en tant qu'organe politique, pour ne plus
être qu'un niveau de décentralisation administrative, on peut penser dès lors que
l'enseignement provincial est déjà implicitement régionalisé.
Reste l'enseignement secondaire, l'enseignement
supérieur et universitaire dont la régionalisation posera d'importants problèmes en
matière de pouvoir organisateur, de gestion et de financement. Il faut y réfléchir et
les appréhender dans leur globalité en termes de qualité et d'efficacité.
A l'instar de la Communauté française,
développer une politique culturelle accessible à tous est également une des missions
primordiales des régions wallonnes et bruxelloises. Le droit à la diversité culturelle
implique de la part des responsables politiques l'octroi d'une garantie de liberté aux
créateurs, de développer et de protéger l'acquit culturel des entités fédérées.
La "régionalisation" de la politique
culturelle a été au centre de débats particulièrement animés au cours de l'automne
1998. De nombreux représentants wallons ont estimé que la part "wallonne" dans
les dépenses culturelles n'était pas assez représentative par rapport à celle dédiée
à la "culture française", il faut élever le débat car l'épanouissement de
la culture ne se pose pas en termes financiers.
La plupart des intervenants dans ce débat sont
d'accord sur le fait qu'il faut assurer la pérennité de la culture française en
Wallonie et à Bruxelles. Cependant, nombreux sont ceux qui estiment qu'il faut également
développer la ou les cultures existantes et qui sont plus proches des citoyens.
Ce qui précède nous amène à réfléchir sur
l'existence d'une culture wallonne ou de cultures wallonnes et d'une culture bruxelloise
(humour bruxellois : la zwanze, manifestations culturelles : Toone VII, la
plantation du Meyboom, le cortège de l'Ommegang, une architecture Horta
).
Il existe des cultures wallonnes même si des
caractéristiques communes peuvent être discernées mais les valeurs culturelles d'un
hennuyer proche de la Picardie, d'un liégeois principautaire, d'un luxembourgeoisne sont
identiques. Vouloir réduire et mettre les cultures de la Wallonie dans un seul moule
serait une erreur, autre chose est de vouloir développer l'identité wallonne.
En aucun cas les cultures wallonnes et bruxelloises
n'entreront en concurrence ni se substitueront à la culture française, au contraire,
elles sont complémentaires et s'inscrivent dans un cadre plus large, celui de la
Francophonie. En l'occurrence le Québec, la Louisiane, la Suisse romande, les pays
africains francophones connaissent un phénomène de même nature : sauvegarder leur
culture tout en promouvant la Francophonie sur le plan international.
La culture française n'est pas l'apanage d'un pays
mais bien de différents pays, il est donc nécessaire d'en faire apprécier les
spécificités, dont celles de la Wallonie et celles de Bruxelles. Opposer des cultures,
favoriser les unes au détriment des autres serait une erreur impardonnable, seules les
régions pourront s'en préoccuper valablement à l'avenir.

3.3. La solidarité entre francophones, le
maintien et le renforcement d'une Communauté Wallonie - Bruxelles face aux
revendications flamandes
L'impact des revendications flamandes s'est
matérialisé à différentes reprises dans le discours des hommes politiques flamands
mais aussi lors de la rédaction de la "Constitution flamande", texte ayant
déjà fait l'objet d'un examen au Vlaams Raad. Dans cette dernière, une série
d'idées et de propositions sont émises, elles ne vont pas exactement dans le sens de ce
que souhaitent les francophones.
Plus que jamais, la volonté de maintenir la
Communauté française que de nombreuses personnalités souhaiteraient rebaptiser
Communauté "Wallonie - Bruxelles" doit prévaloir; elle ne
peut résulter que d'une volonté politique.
Pour y arriver, faut-il maintenir la Communauté
telle qu'elle existe actuellement ou la modifier ? La prudence s'impose en cette
matière car le principal mérite de la Communauté française a un mérite exceptionnel
qui est celui d'exister.
Pour donner à la Communauté
Wallonie - Bruxelles un nouveau départ, il faudrait peut être qu'un changement
drastique intervienne dans la manière dont on l'a conçue jusqu'à présent.
Son avenir pourrait résider dans une structure
interrégionale associant étroitement la Wallonie et Bruxelles. Il faudrait abandonner
pour cela la notion de Communauté française au profit d'une association destinée à
gérer et à mettre en uvre une coordination permanente entre les responsables
wallons et bruxellois, leur parlement et leur administration.
Cette hypothèse de travail devrait être
approfondie sur la base d'un premier principe qui veut que chaque région soit maître
chez elle. Mais tout aussi important est un second principe axé sur la volonté
consensuelle visant à établir un dialogue permanent entre les deux entités fédérées
et cela au niveau des parlements, des gouvernements et des administrations. L'objectif est
de mettre les efforts de ces institutions en commun dans les matières relevant leurs
ompétences et donner une image commune sur le plan international.
Cette solution pragmatique prévoirait que se
tiendraient en commun des réunions des gouvernements wallons et bruxellois, des séances
des deux parlements et des réunions de groupes de travail au niveau des administrations
pour toutes les matières où des intérêts communs peuvent être décelés.
Cette volonté doit se traduire par la création de
structures adéquates collant à la réalité d'aujourd'hui. Cela signifie aussi qu'il
faudrait adapter les structures afin de permettre aux administrations wallonnes et
bruxelloises (notamment en créant une Direction régionale bruxelloise de la Culture et
une Direction régionale wallonne de la Culture) d'uvrer en étroite collaboration.
Dès lors, promouvoir la Communauté d'intérêt
Wallonie - Bruxelles revient à affirmer l'existence des Régions wallonne et
bruxelloise, à consolider leur complémentarité et à conforter la volonté des
francophones de vivre ensemble. Cette solidarité doit se traduire par des accords de
coopération visant à donner une image favorable de la Wallonie et de Bruxelles, que ce
soit en Flandre ou à l'étranger.
Intégrer le fait régional ne doit pas empêcher
de préserver et de renforcer l'espace francophone Wallonie - Bruxelles dont la
langue et la culture constituent un patrimoine commun aux Wallons et aux Bruxellois. Cette
communauté francophone revalorisée consacrerait la véritable union entre Bruxelles et
la Wallonie. Elle aurait le pouvoir politique pour organiser la solidarité, la cogestion
des intérêts communs de la Wallonie et de Bruxelles. Elle ne sera pas une autorité
supérieure aux deux régions qui la composent mais elle est le lieu de concertation, de
collaboration et de décision entre les autorités wallonnes et des autorités
bruxelloises francophones.
Un parlement et un gouvernement Wallonie
Bruxelles est possible dans l'immédiat. L'article 92 bis de la lois spéciale du 8 août
1980 dispose, de manière très générale, que les Communautés et les Régions
peuvent conclure des accords de coopération qui portent notamment sur la création et la
gestion conjointe de services et institutions communs, sur l'exercice conjoint de
compétences propres, ou le développement d'initiatives en commun.
Ce parlement Wallonie - Bruxelles devrait
représenter tous les Wallons et tous les Bruxellois francophones. La base de la
représentation devrait être liée au chiffre de la population; la proportion actuelle de
19 bruxellois pour 75 wallons correspondant à la répartition de la population doit, en
tout état de cause, être maintenue. L'augmentation du nombre de membres wallons peut
être rendue possible grâce à l'autonomie constitutive dont jouit le Parlement wallon;
cette proportion devrait être respectée au sein du nouveau Parlement.
Le gouvernement Wallonie - Bruxelles
devrait être organisé de manière telle qu'il réunisse tous les ministres wallons et
bruxellois francophones. Cet objectif est réalisable dans la structure institutionnelle
actuelle, il faudrait appliquer l'article 52 relatif aux assemblées qui prévoit des
réunions communes des gouvernements. Les mêmes conséquences peuvent donc en être
tirées.
Ce qui précède est possible à la condition qu'il
existe une volonté politique pour le réaliser.

3.4. Vers une tendance implicite à la
reconnaissance de l'existence de quatre entités
Calquée sur les quatre régions linguistiques, on
peut envisager l'existence in abstracto de quatre entités fédérées nanties
d'une large autonomie ayant des compétences à la fois dans des matières régionales et
communautaires. L'évolution qui se dessine depuis quelques années va dans ce sens et un
certain nombre de faits semble vouloir le confirmer.
Une mise en place définitive de ces quatre
entités ne pourra se concevoir que dans le cadre des Régions d'Europe étant donné
qu'il est peu vraisemblablement qu'une telle structure obtienne l'aval du nord du
pays (7).
Il s'agirait des quatre entités suivantes :
La Région wallonne : à côté de ses
matières régionales, elle gère déjà une grande partie des matières communautaires.
La Communauté flamandeune : dans les
faits , elle est depuis 1980, à la fois région et une communauté.
La Région bruxelloise :
La position occupée par la Région bruxelloise est
beaucoup plus complexe car elle résulte d'un subtil compromis donnant, pour le moment,
satisfaction à la fois aux Bruxellois francophones et néerlandophones; momentanément
car des hommes politiques flamands revendiquent déjà une plus grande représentation
flamande au sein des organes bruxellois.
En schématisant quelque peu, Bruxelles est
considérée comme une région à par entière dans la conception qu'en ont les
francophones, elle ne l'est pas pour les flamands qui mettent en avant l'existence de
certaines différences, ces dernières ne sont pas les mêmes pour les Bruxellois flamands
ou pour les flamands de Flandre. Sous la tutelle communautaire des deux grandes
communautés, les organes bruxellois exercent déjà des compétences communautaires sur
le territoire bruxellois. Bruxelles comme la Communauté flamande depuis 1980 et la
Région wallonne depuis 1993, exerce à la fois des compétences régionales et
communautaires par le biais de la Commission communautaire française, la Commission
communautaire flamande et la Commission communautaire réunie.
La Communauté germanophone : il s'agit
probablement de la minorité la mieux protégée au monde; pratiquement, elle gère à la
fois son enseignement en langue allemande, des matières communautaires. L'usage de la
langue allemande a entraîné la Région wallonne à déléguer les compétences
régionales à cette communauté par des conventions et des accords.
Pour s'organiser, ces entités devront toutes les
quatre bénéficier d'une autonomie constitutive, cette dernière devrait être élargie.
Ces constatations permettraient de penser que la Région wallonne, la Communauté
flamande, la Région bruxelloise et la Communauté Région germanophone pourraient
émerger après l'an 2000.
* * *
A terme, l'intégration de ces entités dans
l'Union européenne doit être envisagée positivement, l'Europe des Régions constitue un
aboutissement raisonnable.
En renforçant leurs compétences, ces quatre
entités pourraient se développer d'une manière autonome dans le cadre d'une Belgique
fédérale, soit en dehors de celle-ci. Ce processus prendra du temps, beaucoup de temps,
l'échéance électorale du 13 juin 1999 marquera le départ d'une réflexion importante
vers de nouvelles réformes institutionnelles dont le contenu dépendra de la clairvoyance
et de la sagesse des futurs négociateurs.

Notes
(1) Note : Les matières
régionales de l'époque sont sensiblement les mêmes que celles de 1980, à la
différence de ces dernières, les matières de 1974 comprennent déjà des matières
personnalisables telles que "la politique familiale et démographique", "la
politique en matière d'hygiène et de santé publique" ainsi que "la politique
d'accueil".
(2) Référence : La
Belgique fédérale, Jacques Brassinne, CRISP, 1994, p. 64.
(3) Cfr Constitution, art. 2 et
3.
(4) C. art. 4.
(5) En vertu de l'art. 138 de
la Constitution.
(6) C. , ancien art. 59bis §
1er, deuxième phrase (alinéa supprimé en 1993).
(7) Cfr "La Constitution
flamande" préconise un fédéralisme à "2 + 2", c'est-à-dire deux Etats
fédérés, un flamand et un francophone, plus l'entité bilingue de Bruxelles-Capitale et
l'entité fédérée germanophone.
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