Henry Ingberg
Secrétaire général du
Ministère de la Communauté française
Merci à la présidente davoir très
clairement placé les balises du débat; les questions que je voulais évoquer devant vous
trouvent tout à fait leur place dans ce cadre.
Dabord, comme secrétaire général de la
Communauté française, je voudrais faire demblée une remarque à caractère
institutionnel : sil paraît logique dinterpeller ladministration
wallonne et le gouvernement wallon sur tel ou tel aspect de leurs réalisations, il faut
évidemment que nous sachions que la Communauté française est également appelée à
rendre des comptes aux Wallons; cette institution leur appartient également et ne peut
être considérée, sous le prétexte quelle couvre également la Région
bruxelloise, comme une entité en quelque sorte hors de la réalité, en dehors du
terrain.
En tout état de cause, ce nest pas dans cet
esprit que je travaille et permettez-moi de donner de ceci un exemple concret :
pendant deux ans, jai tourné avec les responsables de ladministration de la
Culture de la Communauté française dans les différentes régions wallonnes, plus
exactement dans les différents ressorts dinspection, pour faire le point sur les
rapports quentretient, avec ladministration et la décision de politique
culturelle, chacune de ces entités. Nous avons comme perspective dorganiser des
débats publics (le premier aura lieu à Liège) autour de cette démarche que nous avons
souhaitée la plus générale possible, en ne se cantonnant pas aux secteurs
dactivités habituellement placés en exergue (le théâtre, les arts plastiques,
les Centres culturels), mais au contraire, en examinant lensemble des initiatives
émanant des différentes entités wallonnes, leurs différences, leurs spécificités et
la manière dont les crédits publics culturels étaient utilisés pour les soutenir.
Cela veut dire que tous les responsables culturels
se sont retrouvés autour de ce type de questions, avec la consigne et la contrainte
dentrecroiser leurs approches, délargir leur angle de vue, de nourrir leur
analyse par une vision intersectorielle. Cet exercice permet, je vous lassure, de
détecter des choses tout à fait intéressantes que je ne vais pas évoquer ici, puisque,
de toute façon, je souhaite quelles soient mises en débat public.
Ceci pour vous dire essentiellement que, dans le
droit fil de ce quindique la présidente, je pense que le service public de la
Communauté comme les autres services publics doit rendre compte de
lusage quil fait des deniers publics, rendre compte de ses initiatives et que,
lorsque cela se passe, comme je viens de vous le dire, dans un esprit douverture et
de mouvement vers les acteurs locaux, le dialogue et la confrontation qui sensuivent
sont à la fois riches et vivants.

Permettez-moi maintenant de venir au cur de
lintervention particulière que je voudrais faire avec vous ici, et qui se place
bien au carrefour des éléments que la présidente a présentés il y a un instant.
Je voudrais vous parler très rapidement du rôle
des industries culturelles. Pour aller très vite, et pour définir ce quon entend
de façon générale par "industries culturelles", je vais rappeler la fameuse
phrase dAndré Malraux, prononcée à propos du cinéma : le cinéma,
cest un art et une industrie. Je crois que cette position résume excellemment
une série de questions, denjeux et de défis devant lesquels nous nous trouvons.
Parce que laffirmation faite par Malraux pour le cinéma peut tout aussi bien être
faite pour lindustrie du disque, pour lédition littéraire ou chaque jour
davantage, pour les industries de la communication qui connaissent un foudroyant
développement admirablement décrit par la présidente dans dautres circonstances.
Nous nous trouvons donc au cur dune étroite imbrication entre la dimension
économique et la dimension culturelle.
Je pense personnellement que, de ce croisement,
résultent des interpellations tout à fait passionnantes, parce quelles permettent
de sortir des concepts culturels classiques ou des rubriques traditionnelles du domaine de
la Culture, ceci étant dit naturellement sans aucun mépris, sans aucune condescendance
à légard des domaines classiques. Simplement, nous sommes confrontés à
laccélération de mouvements économiques qui nous imposent délargir
langle de vue que nous portons sur la création, mais sans pour autant perdre de vue
les valeurs et les vertus fondamentales de la création. Un Centre dart est très
important, un Centre culturel est très important, le théâtre, la musique, les concerts,
tout cela, présente une importance égale, sans hiérarchie particulière. Mais, vous le
savez, en particulier vis-à-vis du grand public, compte tenu de la manière dont la
diffusion culturelle imprègne, en fin de compte, les uns et les autres, le rôle des
industries culturelles est devenu à ce jour tout à fait déterminant, bien plus encore
auprès des jeunes que ce nest le cas auprès des autres tranches dâge.
Il serait donc tout à fait absurde dignorer
lexistence ou limpact des industries culturelles et de refuser de voir de
quelle manière favoriser leur développement en Wallonie. Parce que, sur ce plan, nous
avons des ressources, des initiatives, des idées, des créateurs au sens large du terme,
et un nombre considérable de projets à promouvoir. Ladministration de la
Communauté rencontre ces acteurs et leurs projets, dialogue avec eux; mais, très vite,
apparaît la limite de son intervention dans la mesure de la considérable dispersion des
moyens disponibles. Se pose alors linévitable question de savoir comment soutenir
ceux qui, parmi ces acteurs, sont de véritables entrepreneurs (au sens des industries
culturelles) en sortant des catégories traditionnelles des subventions culturelles.
Je crois que dans cette matière, nous pouvons
contribuer à construire un instrument important. Il mapparaît, en réalité, que
le problème de ces petites entreprises est de ne pas disposer dun capital qui leur
permette dopérer, à un moment donné, un développement ciblé, ponctuel et
rapide. Quelque intérêt que puisse avoir lidée dont elles sont porteuses, le
coinçage financier est total. Je ne prétends pas, bien évidemment, que ce problème est
réservé aux secteurs culturels, mais il faut savoir que ce problème est aussi
caractéristique de ce secteur-là. Il faut également savoir que ce secteur-là se
distingue aussi des autres, dans la mesure où le recours aux banques est souvent rendu
impossible, compte tenu de labsence de retour financier suffisant dans un délai
court.
Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas :
je ne revendique pas lintervention de cinq Bill Gates wallons, encore que la
caricature quon fait du personnage, en rappelant quil a commencé dans un
garage, présente quelques éléments de réalité; laudace et limagination,
cumulées aux moyens de réaliser un pari sur des gens et sur des projets, sont
dindispensables conditions de départ. Il faut bien reconnaître que, sur ce plan,
nous manquons dinstruments daction permettant de soutenir avec adéquation des
projets imaginatifs. Parce que, je le répète, les subventions constituent le mode
traditionnel dintervention et sont essentiellement orientées vers ce que lon
peut appeler le non-marchand. Jy insiste parce que le domaine des entreprises
constitue un univers qui génère également des recettes et qui est confronté au
marché. Rappelez-vous les débats (ils ne sont dailleurs pas terminés) qui ont eu
lieu récemment au niveau de lOrganisation mondiale du Commerce et de lOCDE,
lorsquon a parlé dun Accord multilatéral dInvestissement; le bulldozer
américain cherchant à pénétrer sur lensemble des marchés et à ratisser le
monde entier (ils y parviennent dailleurs à coup dénergie et de talent). Ces
débats étaient dautant plus frappants, plus inquiétants à mes yeux, quils
véhiculaient en même temps des représentations de la société, une certaine vision du
rôle que joue la Culture au plan mondial. Ce nest pas indifférent que tout
cela : ce ne sont pas des petits pois ! Cest aussi une manière de voir le
monde, une manière de le bâtir petit à petit et de déterminer notre avenir commun.
Face à cela, notre absence de moyens adéquats pour soutenir les industries culturelles
signifie-t-elle que nous navons rien à dire ? Pas du tout. Bien au
contraire ! Je vous lai dit, nous avons des choses à dire et nous disposons
dentrepreneurs de talent, prêts à prendre des risques sils sont
financièrement soutenus.

Que faire ?
Je reviens ici sur une idée qui avait déjà été
discutée il y a quinze ans; elle consiste à demander à la Société régionale
dInvestissement wallon, laquelle représente notre société de développement qui a
pour tâche de permettre que soit investi du capital à risque en Wallonie, de créer une
filiale spécialisée dans le domaine des industries culturelles et de la communication.
Il va sans dire que ce secteur couvre également les initiatives de radio-télévision qui
vont se multiplier : télévision à péage, service en ligne, ... Il me paraît
que le moment est venu de reprendre cette proposition, qui avait fait lobjet à
lépoque dune décision favorable du gouvernement wallon mais, hélas, une
huitaine de jours seulement avant sa chute; le gouvernement tombant, lidée est
passée aux oubliettes. Plus que jamais cette idée me paraît à lordre du jour. Il
ne convient même pas, à mes yeux, dattendre la constitution du prochain
gouvernement après les élections de 1999 : le gouvernement actuel est en plein
exercice de son mandat; il nest pas en affaires courantes et na aucune raison
dattendre passivement les prochaines élections; avec la SRIW, jai la
conviction que nous avons dès aujourdhui la possibilité de mettre en place un tel
outil, qui peut représenter un levier structurant et démultiplicateur.
Voilà, pour moi, une des priorités majeures dont
je voulais vous faire part. Permettez-moi dy ajouter que nous avons sous les yeux un
exemple pratique à observer, et qui nous vient du Québec. Jen reviens.
La société de développement des entreprises
culturelles au Québec (vous nignorez pas quils ont à côté deux un
grand voisin et au sud deux un plus grand voisin encore) fonctionne exactement comme
je viens de lindiquer et permet dafficher des résultats assez exceptionnels
sans lesquels, dailleurs, il ny aurait plus du tout, depuis longtemps,
dentreprises et dinitiatives industrielles de la communication et de la
Culture au Québec. Jajoute aussi, et enfin, que cet exemple est aussi une manière
dévoquer la coopération entre les institutions communautaires et régionales,
parce quil illustre dune façon tout à fait déterminante, que la Culture
nest pas un secteur cloisonné, mais quelle se nourrit de bien dautres
compétences, depuis léconomie jusquau tourisme, en passant par le sport,
laménagement du territoire ou le patrimoine. Rien de tout cela nest
enfermé
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