Renaud Degueldre
Directeur général
Bureau économique de la Province de Namur
Il nest jamais facile de jouer le rôle de
témoin objectif dans un colloque. Dailleurs, lobjectivité existe-t-elle
vraiment ? En fait, ce que nous exprimons est le reflet de notre personnalité, de
notre éducation ou encore de notre culture.
Aussi, dès labord, je tiens à mettre les
choses au point, au risque dapparaître, aux yeux de certains, comme fort
archaïque : je suis un sous-régionaliste convaincu et cela transpirera sûrement
dans mes propos.
Si j"avoue mon péché", cest
moins pour faire montre de bonne foi que pour vous permettre de percevoir ma mauvaise foi
et donc de porter votre propre jugement sur mon analyse. Soit dit en passant, être, de la
sorte, la mauvaise foi ne me pose aucun problème car je rejoins ainsi Yves de Wasseige
qui, dans un récent article, soulignait que, à linstar du modèle français, nos
sous-régions devraient être les forces du développement économique de la Wallonie de
demain.
Trois questions de lInstitut Jules Destrée
pour "baliser" ma réflexion :

Suis-je en accord avec les recommandations et
avis émis sur la thématique des infrastructures structurantes ?
Le constat des colloques précédents portait sur
la nécessité de changer de paradigme face à un héritage culturel dépassé et basé
sur quatre approches :
-
avec, par voie de conséquence, un trop faible
développement du tertiaire dappui aux entreprises : structures de conseils en
R&D, en management ou en marketing et structures de capital à risque pour
linnovation des PME.
En dautres termes, le besoin en encadrement
et en ressources immatérielles doit sinscrire dans une stratégie à long terme car
nos entreprises petites et moyennes ont, avant tout, besoin, dun encadrement soft
qui est plus du ressort de lingénierie des ressources humaines que du génie civil.
Un changement de perspective simpose donc car, trop souvent, les politiques se sont
concentrées sur le développement de grandes infrastructures et non sur une réelle
animation économique.
En ce qui me concerne, je suis intimement persuadé
quil simposerait que le nouveau paradigme mette plus clairement en évidence
limportance, pour tous les acteurs publics et privés du développement, de
sinscrire dans une dynamique de réseau.
Les entreprises lont compris. Il est vrai
que, dans lindustrie, le rôle de la demande a bien changé : on est passé
dun paradigme axé sur la production le Fordisme à un paradigme axé
sur le marché. Il ne sagit plus de vendre ce que lon produit mais de produire
ce que lon vend. Le système de production a dû sadapter à la variabilité
de la demande sur les plans tant quantitatif que qualitatif.
Par sa propre logique, cette exigence de
flexibilité conduit à une tendance à lexternalisation. La filière de production
nest plus le fait dune entreprise centrale mais est assurée par un ensemble
de petites unités qui se combinent entre elles en vue de la production de tel ou tel
produit. On parle, dans ce cas, dentreprise réseau.
Il va de soi que la capacité de ces entreprises à
louverture, notamment pour détecter les technologies à transférer, est très
supérieure à celle des autres sociétés. En outre, la richesse et la flexibilité des
relations entre les divers individus et services qui composent lentreprise réseau
rendent celle-ci apte, à tout moment, à intégrer les technologies quelle estime
utile de transférer pour être en mesure de mieux répondre aux défis permanents de la
compétitivité. Comme le disait Peter Drucker : mieux vaut, par tempête, une
flottille de petits bateaux quun gigantesque porte-avion.
En conclusion du premier colloque, Michel Quévit
signalait : nous ne sommes plus au temps où une grande industrie motrice commandait
au développement de toute une région. Les entreprises innovantes sinscrivent dans
une multiplicité de réseaux : les réseaux des relations horizontales (entre
entreprises et services productifs); les réseaux des relations obliques (entre
entreprises et laboratoires de recherche ou systèmes éducatifs); les réseaux des
relations transversales entre entreprises et pouvoirs publics. Le seul défi mais
il nest pas le moindre nest-il pas dinscrire également les
entreprises dans des réseaux de solidarité sociale ?
Alors, tandis que toutes les philosophies du
développement régional ont incité les entreprises à sinscrire dans un maillage
par réseau, il est paradoxal que les acteurs publics dans leur ensemble et
pourtant les premiers à prôner cette approche soient encore loin de
sinscrire dans une telle dynamique, préférant toujours, dans leurs propres
organisations ou dans leurs relations inter-organisationnelles, senfermer dans des
relations de type hiérarchisé, impersonnel et taylorien ?
Jen arrive, à ce stade, à la deuxième
question.

La politique actuelle de la Région wallonne
est-elle en passe de répondre au constat posé ?
Certes, la Déclaration de Politique régionale
complémentaire de novembre 1997 sinscrit dans plus de transversalité; certes, un
des projets majeurs de cette législature vise à la création dun réseau intranet
wallon; certes, lorsque lon évoque la réforme de lOFI et de lAWEX, on
parle dune plus forte interactivité entre les deux, ...
Bref, le discours et les projets
daujourdhui prônent clairement un développement de la dynamique de réseau.
Il est, cependant, manifeste que, dans les faits, sauf exceptions trop rares
rien na encore vraiment changé au niveau de lensemble des acteurs wallons,
plus enclins à lindividualisme quà la démarche collective. Les actions
politiques visant la transformation du tissu socio-économique doivent aller de pair avec
des actions précises visant à la transformation des mentalités au niveau des structures
porteuses du développement régional, la transformation des mentalités étant un
préalable à une modification importante du paradigme culturel.
Ai-je des recommandations à exprimer en la
matière ?
Il est plus facile de formuler la question que de
lui donner réponse !
Nous vivons à lère du y a quà
et du na quà. Chacun veut donner son avis sur tout et sur rien et est
vite enclin à la critique. Plus rares sont ceux qui ont la volonté de construire, de
proposer des solutions ou des pistes de solution. Jessaierai dêtre de ces
derniers et, dans le temps qui mest imparti, je mefforcerai de relever quatre
pistes qui il me semble nont pas été mentionnées dans les colloques
précédents, quatre pistes relevant du choix politique, de la stratégie, de la
formation, et des relations inter-organisationnelles.
-
Le passage à un paradigme de dynamique de réseau
nécessite, à mon sens, un discours politique plus clair sur la stratégie de
développement régional. Quel est lobjectif visé : lattractivité
dentreprises extérieures, le développement des entreprises existantes ou la
complémentarité de ces deux approches ?
Dans la durée et contrairement à beaucoup
didées répandues, je pense que le développement endogène doit avoir la priorité
sur le développement exogène. Là est le véritable choix politique. Braquer le
projecteur sur les potentialités endogènes dirige automatiquement lattention sur
la compétitivité des petites et moyennes entreprises wallonnes. Or, le renforcement de
cette compétitivité passe, de plus en plus, par les possibilités de stimulation de la
fonction "réseau" entre les entreprises elles-mêmes ainsi quentre les
entreprises, les universités et les centres de recherche.
Le réseau est un mode de développement qui
sappuie sur le tissu économique existant et notre tissu wallon est essentiellement
composé de PME. Il implique donc la volonté de soutenir le développement endogène.
Qui plus est, la stratégie de réseau permet de ne
pas senfermer dans léquation : attraction des entreprises
politique déquipement et de subventions concurrence des régions. Qui plus
est, le renforcement de la politique endogène au départ dun réseau des
entreprises wallonnes permet de se donner à lextérieur une image positive, gage de
lattractivité externe. Lendogène construit lexogène et pas
linverse.
-
Georges Monon, dans son Histoire de lAvenir,
mentionnait que la crise nous force à choisir et, par conséquent, à
prédire. Le problème est que le futur nous est inconnu. Nos choix relèvent donc de
notre capacité destimation et de prévision et, plus nos prévisions se révèlent
exactes, plus notre action savérera efficace.
Les grandes organisations privées développent une
stratégie de réseau depuis plus de dix ans, alors que, comme je le soulignais plus haut,
nos organisations publiques commencent seulement à y réfléchir.
Je suis, dès lors, convaincu que la création, au
sein du gouvernement wallon, dune cellule prospective serait hautement souhaitable.
Cette cellule devrait sinscrire dans un vaste réseau déchange
dinformations et de "signaux" alimenté notamment par ses membres. Sa
tâche principale serait léveil et la veille.
Il appartient au politique de mettre en uvre
les structures et les fonctions qui favorisent lémergence de lintelligence.
La Région wallonne doit sintégrer dans une
approche systémique : la veille doit nécessairement conduire à de nouvelles
stratégies innovantes la prospective , le tout construit dans une approche
globale dans laquelle la Région se situe par rapport à son environnement. Il lui faut
aller à la recherche des incertitudes car cest précisément dans les incertitudes
que résident les possibilités daction.
-
Si les acteurs publics doivent changer de paradigme,
cest-à-dire sortir dun système de valeurs basé sur lordre, la
hiérarchie, le rendement et léconomie, il faudra nécessairement développer, à
leur intention, des formations adaptées à la gestion organisationnelle, aux techniques
de changement, à la pédagogie et à la culture dentreprise. Les thèmes de
lorganisation et de la gestion enrichissante du personnel deviennent fondamentaux et
demandent des investissements majeurs, susceptibles de créer lespace de liberté et
de créativité sans lesquelles aucun progrès réel nest possible,
cest-à-dire un progrès qui sappuie davantage sur le développement de la
société que sur la simple croissance économique.
-
Enfin, si les infrastructures doivent être
structurantes, elles ne peuvent être portées que par des structures structurantes. A
cela, trois prérequis : que la Région wallonne prenne conscience quelle ne
peut jouer le rôle dopérateur et quelle a besoin dopérateurs
sous-régionaux seuls capables dintégrer le caractère pluriel de la Wallonie, que
la Région wallonne définisse, pour chacune de ses politiques, un plan de développement
concerté; et enfin, que les sous-régions prennent, quant à elles, conscience des
limites de leur autonomie pour inscrire leurs actions en soutien dune politique de
développement régional.
En dautres termes, la porte doit être
ouverte sur une contractualisation formelle des rapports entre les partenaires du
développement, sur base dun cahier des charges précisant les objectifs et les
devoirs de chacun.

Jy vois personnellement plusieurs
avantages :
-
un réseau structuré formellement renforce
limage de la Région à lextérieur;
-
un réseau structuré développe léchange
dinformations et la valorisation de lexpertise ;
-
un réseau structuré permet daccentuer la
politique de lobbying à légard des intervenants supérieurs;
-
un réseau structuré, de par la coordination des
actions, accentue les effets dentraînement.
En conclusion, je citerai trois références.
-
Dominique Colinet, past-president de
lUnion wallonne des Entreprises, soulignait récemment que la Wallonie nattend
quune chose : que tous ceux portant des responsabilités se remettent à
louvrage, redonnent des valeurs et des modèles à la jeunesse, stimulent ses
adultes, laissent fleurir les projets dans tous les domaines où nous pourrions si
nous le voulions vraiment être à nouveau fiers de nos uvres. Mais si tous
les responsables sont interpellés, cest clairement des responsables politiques que
le signal doit venir pour initier ce changement et donner le sens du mouvement.
-
Philippe Busquin, quant à lui, signalait que le
renouveau wallon ne peut être la victoire de lun sur lautre mais, au
contraire, une uvre collective.
Un chef dentreprise, un politique et un
économiste, voilà une belle rencontre didées dans la vision de solidarité :
lunion est indispensable, il ne reste plus quà structurer les maillons de la
chaîne, ce qui nest pas la tâche la plus aisée. Mais parce que ce paradigme est
davantage basé sur la confiance des institutions et des personnes, ne se trouve-t-on pas
à lamorce dun véritable projet humaniste ?

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