Robert Wauters
Conseil en Relations de Travail-Reliance
Sur base de l'expérience acquise, on m'a demandé
de vous faire part de mes réflexions à propos du dialogue social, dans la mesure où ce
dialogue social peut être un des éléments moteurs du développement de la Wallonie. Je
vous parle donc en homme de terrain. J'ai fait, tout en étant économiste de formation,
métier dans la gestion des ressources humaines et, depuis un certain nombre d'années,
quasi exclusivement orienté sur le dialogue social puisque j'ai été contraint, par les
hasards de la vie, à me retrouver en 1980 à résoudre le merdier social
pour reprendre la formule de Philippe Bodson de Glaverbel à Charleroi. Puis quand
je croyais partir à la retraite, on est venu me chercher pour Belgacom, d'où on m'a
détaché à la Sabena pour déminer le terrain social après l'échec de Pierre Godfroid.
C'est dire que j'ai connu des situations conflictuelles. Elles font beaucoup de tort à
l'efficacité de la Wallonie. C'est donc un problème qui me paraît essentiel.
Je me suis, pour préparer cette rencontre, posé
la question : quel état d'esprit, quelle culture faut-il créer chez les Wallons
pas seulement chez les dirigeants, chez les syndicalistes ou chez le personnel
? On a dit, à cette tribune, qu'il valait mieux être provocant ! C'est
dans ma nature et ne me pose aucun problème. Je choquerai donc en disant qu'il y a trois
éléments culturels qui me paraissent indispensables pour que notre dialogue social et,
d'une manière générale, le climat propice au développement économique de la Wallonie
soient d'abord possible et, ensuite, un succès. Ces trois éléments me paraissent être
que nous devons essayer de créer une culture de l'utilité, une culture de l'efficacité
et une culture de communauté.
Une culture de l'utilité
Les entreprises ne sont faites pour créer de
l'emploi; les entreprises sont faites pour satisfaire les besoins de clients, de
consommateurs, par l'offre adéquate de services ou de produits. Si, effectivement, on
répond à ce besoin du consommateur, l'emploi est à la clé. Il est essentiel de rester
préoccupé de ce que nos entreprises produisent en fonction des besoins du consommateur
que nous sommes tous et non en fonction du profit ou de l'emploi. Ceux-ci ne sont que les
conséquences de ceux-là
et ils sont indispensables !.
Culture de l'efficacité
J'ai été très secoué par des réflexions que
m'ont faites des anglo-saxons, que je rencontrais en Afrique du sud, il y a quelques mois.
Ils me parlaient de l'affaire Dutroux et la réflexion était la suivante il faut
voir comment notre image est perçue par des gens qui voient cela à 7.000 ou 8.000 km de
distance : On ne vous comprend pas. Vous êtes un pays qui sanctionnez
l'efficacité, sanctionner dans le sens négatif bien sûr. Un peu surpris, je
cherchais l'explication. Il y avait une autre formulation : l'arrêt spaghetti.
Evidemment, cela surprend :donnons-nous vraiment cette image que l'efficacité ne
nous intéresse pas, avec en complément, on n'investirait jamais chez vous !
C'est très préoccupant. Cette parenthèse faite, ce que j'appelle la culture de
l'efficacité, c'est accepter la compétition, qui est source de progrès. Une
compétition sans dopage, évidemment.
Le pouvoir politique doit avoir un rôle
constructif dans le dialogue social en fixant les règles du jeu et en les faisant
respecter, tant par les dirigeants que par les organisations syndicales et le personnel.
Si ces règles sont fixées, que eux aussi montrent l'exemple et le respect.

La culture de communauté
Le professeur Quévit parlait de l'impossible
consensus. Je suis convaincu que le consensus n'est pas du tout impossible. Il est
fonction d'un certain nombre de conditions. Ce que nous devons créer, dans nos
entreprises, pour le dialogue social, c'est un esprit, je ne dis pas de collaboration mais
de co-élaboration. Il faut valoriser les bonnes idées existant dans la tête de chacun,
même dans la tête de l'analphabète qui est à la machine. J'ai fait de la gestion
participative, on m'a ri au nez, on m'a traité de gauchiste, de rêveur, d'idéaliste
mais six mois plus tard, on disait : c'est fou ce qu'il y a comme idées dans la
tête de ces gens-là. L'esprit de communauté, c'est faire en sorte que l'on
considère tout le monde comme apte à contribuer à la réussite de l'entreprise. Cela
signifie non seulement d'être participatif mais d'avoir aussi une culture de contrat. Le
contrat de travail, c'est un contrat comme un autre et ça implique que, du côté
patronal, on respecte les règles du jeu et que, du côté syndical, on les respecte
aussi.
Avec cette vision de trois éléments de culture à
introduire, l'entreprise, c'est d'abord une idée, un produit, un service qui
correspondent à un besoin réel. Pour mettre cela en uvre, il faut de l'argent, du capital,
c'est-à-dire quelqu'un qui génère de l'argent et ne veut pas le dépenser dans sa
totalité, qui se prive d'une partie de son revenu pour le mettre en réserve. Ce capital
est nécessaire, il faut le respecter et le rémunérer. Cela ne signifie pas qu'il faut
le faire de manière usuraire.
Le dirigeant, c'est l'animateur de son entreprise.
Autant qualifiants pour leurs collaborateurs que qualifié pour tenir son rôle
correctement. Cela implique que ce dirigeant nouveau prenne conscience que nous
sommes face à des travailleurs nouveaux, qu'il faut valoriser en leur disant
qu'ils sont capables de bien faire les choses et non en leur disant qu'on les fait mieux
qu'eux. Il faut parfois les aider, mais en leur créant un espace de liberté, ils sont
extraordinairement heureux. Le type de dialogue que l'on a avec eux ou avec leurs
organisations est complètement modifié. Tout dirigeant a la responsabilité de rendre le
consensus possible, de créer les moyens pour que le dialogue social puisse s'installer.
Quant au personnel, il doit évoluer vers un esprit de contribution à
l'entreprise.
Les organisations syndicales, elles, doivent
s'impliquer dans l'économie de marché. J'ai dit s'impliquer, pas intégrer. Chacun a son
rôle à jouer, le rôle de contre-pouvoir, le rôle d'auditeur social, c'est leur rôle;
la défense du travailleur aussi, mais il faut qu'ils acceptent l'économie de marché,
origine de notre niveau de vie d'aujourd'hui. J'ai été à la tribune des trois
organisations syndicales. J'ai toujours été très bien accueilli. Je crois qu'il faut
consacrer du temps à expliquer que, ce n'est pas ce qui nous étouffe, c'est ce qui nous
développe. Il faut aussi qu'elles acceptent que la vie d'entreprise est pleine de
risques. Quand on dit risque, on a droit à l'erreur. Nul n'est parfait, pas plus
les dirigeants d'entreprise que les opérateurs de machines.
Il faut qu'elles acceptent aussi ce que j'appelle
le profit éthique. Gérer une entreprise pour le profit a dit un
américain , c'est jouer au tennis en regardant le score et pas la balle. Le
profit est un élément de pérennité de l'entreprise.
ne petite remarque, en terminant, à propos
de la motivation des jeunes : lisez les journaux syndicaux du mois de juin : ils
expliquent comment s'inscrire au chômage, pas comment trouver un emploi. Est-ce ainsi que
nos jeunes Wallons se préparent aux risques de la vie et de l'emploi !
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