Rapport
préliminaire
Chapitre 4
4. Le projet scientifique et technologique
4.1. Le projet scientifique et technologique
Synthèse
La Wallonie est, parmi les régions d'Europe, une
de celles qui dispose du potentiel scientifique le plus élevé par tête d'habitant. Le
domaine de la science et de la technologie est donc au coeur du paradigme wallon.
Il est généralement admis (mais non évident)
qu'une forte culture scientifique et technique favorise le développement d'un pays ou
d'une région. Une culture scientifique et technologique peut donc être considérée
comme essentielle au développement économique et culturel de la Wallonie. Une telle
politique peut servir de base à un redressement économique et doit être soutenue par
les pouvoirs publics d'une manière volontariste en matière d'éducation. Cette
éducation doit à la fois maintenir une culture générale solide et une culture
scientifico-technique.
Gérard Fourez
1995.
D'abord, il s'agit de maintenir cet atout
considérable et d'accroître les potentialités existantes. Ces nécessités impliquent
la consolidation et l'amplification des équipes de recherche, particulièrement dans les
domaines de pointe de la recherche fondamentale. Cet objectif nécessite à la fois la
modification du système de financement des universités, l'organisation efficace de la
mobilité des chercheurs entre nos laboratoires et l'encouragement accru des formations
complémentaires à l'étranger.
Ensuite, il s'agit de construire des structures
d'interfaces entre la recherche appliquée et l'industrie. Il est donc nécessaire de
mettre en place, entre les laboratoires et les entreprises, de nouveaux réseaux de
transfert et de valorisation de la recherche. Le décloisonnement de l'université et de
l'industrie implique l'organisation institutionnelle de leur collaboration, notamment par
un accroissement de la mobilité des chercheurs vers les entreprises et celle des cadres
d'entreprises vers les laboratoires universitaires.
Ainsi deux priorités essentielles détermineront
une politique de la science et de la technologie pour la Wallonie : d'une part, la
consolidation des acquis de la Wallonie pour viser le niveau d'excellence dans des
recherches précompétitives au sein des grands programmes européens; d'autre part,
l'appui aux entreprises pour atteindre, grâce aux interfaces avec les universités, le
seuil critique de l'innovation technologique.
Dans cette optique, le congrès permanent a invité
le gouvernement wallon à mettre en place un Office pour l'évaluation des relations entre
Science - Technologie - Société, dont la mission consistera à informer
toutes les institutions d'éducation de l'état des sciences et des techniques dans le
monde et dans la société wallonne, mais aussi à sensibiliser le grand public aux
problématiques Science - Technologie - Société.
4.2. Le projet scientifique et technologique
Constats, analyse, pistes et exemples
Constats |
Analyse |
Pistes et exemples |
C1
Une culture scientifique et technologique peut être considérée comme essentielle au
développement économique et culturel de la Wallonie. La Wallonie dispose du potentiel
scientifique le plus élevé par tête dhabitant en Europe. |
A1
Le potentiel scientifique est élevé mais mal exploité (les universités et centres de
recherches manquent de moyens et les chercheurs sont trop isolés). |
P1
- Maintenir et développer le potentiel technologique
(appuyer les chercheurs, consolider les équipes de recherche, refinancer les
universités)
- Mettre en place un Office pour l'évaluation des
relations entre Science Technologie Société.
|
C2
Il existe beaucoup dincompréhension entre les milieux de la recherche et des
entreprises. |
A2
Les cellules dinterface entreprises /universités apportent une amélioration par
leur collaboration. |
P2
Continuer à développer l'interface recherche appliquée/industrie par la mise en place,
entre les laboratoires et les entreprises, de nouveaux réseaux de transfert et de
valorisation de la recherche. |
C3
L'innovation des entreprises est insuffisante. |
A3
L'organisation et la gestion des entreprises sur le plan technologique sont à
développer. |
P3
Faire évoluer la culture managériale (faire percevoir linnovation comme un
processus global, articuler politique économique, politique technologique et
rationalisation de la gestion des entreprises pour obtenir une intégration de toutes les
connaissances nécessaires à la gestion, constituer et gérer des réseaux de partage des
connaissances, ...). |
C4
Les moyens financiers investis dans la recherche en Belgique sont inférieurs à ceux des
pays voisins. En Wallonie, ces moyens sont inférieurs à la Belgique. |
A4
La faiblesse des moyens financiers provoque une fuite importante des cerveaux. |
P4
- Augmenter les moyens mis à la disposition des
chercheurs,
- accroître la mobilité des chercheurs vers les
entreprises et celle des cadres d'entreprises vers les laboratoires universitaires.
|

4.3. Le projet scientifique et technologique
Enquête réactive
4.3.1. La Wallonie : un potentiel
scientifique élevé ?
Sil a longtemps été souvent considéré
et plusieurs fois affirmé dans les congrès La Wallonie au futur que
la Wallonie dispose du potentiel scientifique le plus élevé par tête dhabitant en
Europe, cette affirmation divise aujourdhui les décideurs. En effet, les
personnalités politiques et les recteurs duniversités sont encore convaincus de la
qualité de nos scientifiques, mais certains décideurs et observateurs de la Wallonie
sinterrogent pour savoir jusquà quel point cette qualité est encore
d'actualité, ou si elle pourra être encore longtemps conservée étant donné la
faiblesse des moyens mis à la disposition de la recherche scientifique. Certains
observateurs estiment d'ailleurs que c'est à ce niveau que les congrès La Wallonie au
futur ont montré la limite de leur influence. Aux yeux de certains, il y aurait une
marge considérable entre le discours volontariste sur la nécessité de valoriser les
facteurs immatériels en Wallonie et la faiblesse budgétaire des efforts fournis dans ce
domaine.
Par ailleurs, un interlocuteur a insisté sur le
fait que la recherche universitaire ou même d'entreprise ne constitue pas le seul
paramètre déterminant un potentiel scientifique élevé. En effet, le manque de culture
scientifique et technique de l'ensemble de la population, lié aux déficiences de
l'enseignement fondamental et secondaire apparaît comme un facteur déterminant de la
crise qui touche la Wallonie. En effet, le potentiel d'une région en culture
technoscientifique ne dépend pas seulement de ses écoles supérieures mais de la
formation reçue par la totalité de la population.
Selon un responsable duniversité, le budget
de la recherche est si lon ne prend pas en compte lindex le
même en 1998 qu'en 1972, alors que le nombre détudiants dans les universités a
augmenté de 48 %. Ainsi, la Belgique et c'est encore plus vrai pour la
Wallonie aurait un budget consacré à la recherche parmi les plus bas
dEurope (en pourcentage du PIB). C'est pourquoi, pour pouvoir encore effectuer un
travail de qualité, les universités financent leur recherche jusquà 50 % de
manière exogène, et parfois avec des recherches purement alimentaires, qui les
détournent de leurs missions.
Ce même responsable fait observer que la Région
wallonne, consciente de ce problème, a décidé, dans la Déclaration de Politique
régionale complémentaire 1997, daugmenter les moyens consacrés à la recherche.
Mais, ce décideur ajoute que, pour que les efforts fournis soient comparables à ceux des
pays voisins, il faudrait quils soient soutenus sur le long terme.
Pour continuer à pouvoir disposer d'un potentiel
scientifique de qualité, malgré les difficultés budgétaires, de nombreux décideurs
tous secteurs et toutes orientations politiques et philosophique confondus
insistent sur le nécessaire développement de pôles dexcellence et sur une
rationalisation du nombre duniversités en Communauté française, deux thèmes
plusieurs fois développés dans les congrès La Wallonie au futur. La plupart des
interlocuteurs rencontrés indiquent que trois universités seraient suffisantes. Selon un
patron du secteur économique, fortement impliqué dans la recherche et le développement,
si rationaliser veut dire supprimer des universités, cela ne signifie pas
nécessairement une diminution du nombre de localisations car il ne faut pas oublier que
les pôles de recherche technologique drainent des pôles de développement économique.
Les réduire serait une erreur. Un regroupement des universités existantes
permettrait par ailleurs une meilleure valorisation des équipes de recherche et
lexistence de centres de compétences de niveau international dans lesquels les
meilleurs chercheurs seraient rassemblés avec des moyens financiers plus importants,
ajoute un dirigeant duniversité. De plus, chacune des trois universités subsistant
pourrait être spécialisée dans des domaines particuliers.
Cette rationalisation et cette spécialisation se
justifient également par la nécessité datteindre une masse critique pour être
compétitif au niveau mondial. Pour assurer un enseignement de qualité, il est
nécessaire que les universités fassent de la recherche et, pour que cette recherche soit
de qualité, il faut atteindre une masse critique en moyens tant financiers
quhumains. Ce seuil à atteindre sera dailleurs bientôt de taille
européenne et non plus régionale ou nationale, prédit un observateur de la Wallonie.
Selon un décideur économique, la seule raison
justifiant quun aussi grand nombre duniversités soient implantées en
Communauté française est le sous-régionalisme, chaque ville exigeant son centre
universitaire. Un observateur relève toutefois la capacité pour des universités de
taille moyenne de prendre des initiatives plus difficiles à prendre dans de grands
centres.
Les congrès La Wallonie au futur ont
affirmé que linnovation et la recherche et développement sont insuffisantes au
niveau des entreprises. Ce jugement a amené des décideurs à réagir.
Tout dabord, sur le plan actif de la
recherche et développement, il convient de différencier les grandes entreprises des PME
(à lexception de celles spécialisées dans les nouvelles technologies). Il
est certain que, si le tissu économique wallon se base de plus en plus sur des PME, il
faudra extérioriser les coûts liés à la recherche et développement, les entreprises
de petite taille ne pouvant les supporter financièrement. Se posera alors la question de
savoir si cette externalisation doit avoir lieu au profit des universités ou de centres
dinnovation
Ensuite, sil revient aux pouvoirs publics
dencourager les entreprises à faire de la recherche, il faut savoir que, même
lorsque des fonds peuvent être dégagés dans ce but (par exemple grâce à la taxe sur
les déchets), les entreprises ne présentent pas suffisamment de projets de recherche.
Dans ces conditions, il faut se demander pourquoi linnovation en entreprises est
insuffisante. Peut-être parce que lon manque de culture technologique et de
promotion de la réussite entrepreuneriale, parce qu'on na pas assez introduit les
concepts de "qualité totale et d'excellence". La qualité, c'est un tout,
il faut que chaque maillon de la chaîne soit le meilleur possible pour que l'ensemble
soit bon. Il y a une dépendance forte entre les maillons de la chaîne. La qualité de
l'ensemble dépend de la qualité de chacun. Il y a un problème de fierté, indique un
responsable duniversité.
Selon plusieurs décideurs politiques et
économiques, cest grâce aux nouvelles technologies en général et à des projets
comme le WIN (Wallonie Intranet) en particulier, que le développement de la
Wallonie redémarrera, bien que ce soit un secteur où il est difficile de trouver des
financements car il n'y a rien à mettre en gage.

4.3.2. Les difficiles relations
universités - entreprises
Si les congrès La Wallonie au futur n'ont
cessé d'insister sur la mise en uvre de filières et d'organes dinterfaces
universités-entreprises, les initiatives actuellement prises au départ de l'un ou de
l'autre pôle semblent se heurter à des difficultés nombreuses.
Les relations entre luniversité et
lentreprise sont insuffisantes, disent certains décideurs; mauvaises, notent
dautres; en voie damélioration, indiquent les politiques et les recteurs.
Or, comme le soulignent plusieurs décideurs, les
relations entre les universités et les grandes entreprises sont réelles :
-
des interfaces existent, elles fonctionnent de
façon plus ou moins satisfaisante même si des coordinations seraient souhaitables;
-
certaines universités favorisent les passages de
leurs chercheurs vers lentreprise par des doctorats en entreprise;
-
les recteurs simpliquent dans des associations
économiques.
Cependant, lentreprise a encore, globalement,
une mauvaise image de luniversité et vice versa. Ainsi, selon certains décideurs
économiques et entrepreneurs, les universitaires ne sont pas conscients des problèmes de
prix de revient et ont du mal à faire la part des choses entre ce qui doit être
applicable immédiatement et ce qui est de la recherche à long terme. D'un autre côté,
selon les universitaires, les entreprises manquent desprit dinnovation.
Des problèmes existent aussi quant au financement
de la recherche. Si les entrepreneurs admettent que la recherche fondamentale est une
mission des universités, plusieurs souhaitent que les aides à la recherche appliquée
soient plus équitablement réparties entre les universités et les entreprises. Dans ce
domaine, selon un recteur duniversité, des changements devront apparaître car les
recherches vont être de plus en plus interdisciplinaires et leur mise en uvre de
plus en plus onéreuse. Les moyens devront donc être mis en commun et des collaborations
devront exister, non seulement entre les différentes universités, mais aussi avec les
entreprises. Ainsi la proportion de recherche universitaire, actuellement financée à
hauteur de 20 % par des contrats avec des entreprises, va augmenter.
Si, entre universités et grandes entreprises, les
relations saméliorent, les relations des université avec les PME restent
problématiques. Ainsi, plusieurs chefs d'entreprises soulignent la nécessité, pour les
chercheurs, de faire leur travail en ayant à l'esprit la volonté de développer une
activité économique. Pour un décideur économique, travailler avec des universités
pour de la recherche qui doit être directement applicable est difficile, celles-ci ayant
peu conscience des impératifs propres au monde des entreprises, tels les coûts et les
délais.
Dans ce domaine, des organes dinterfaces doivent encore être créés pour rendre
les universités plus accessibles aux PME qui ne travaillent pas dans le domaine des
technologies de pointe et pour dissiper la peur quont les PME de luniversité.
Afin de rapprocher ces deux réalités, des programmes spécialisés en création
dentreprises à destination des ingénieurs ont été instaurés dans plusieurs
universités afin de motiver les universitaires à créer leur entreprise, même à côté
dun travail de recherche universitaire. Certains entrepreneurs sont opposés à
cette idée : ils soulignent que les jeunes sortis de luniversité ont besoin
davoir des expériences professionnelles avant de pouvoir envisager le lancement de
leur propre entreprise.
La nécessité de renforcer, voire de mettre en
place des structures communes entre les universités et les entreprises est également
évoquée de part et d'autre : il s'agit de faire circuler l'information
technologique en donnant accès à des bases de données recensant les travaux en cours,
les découvertes, les blocages scientifiques et techniques, avec pour vocation
d'accélérer les processus de passages d'idées et de permettre les flux dans les deux
sens.
Décideurs d'entreprises et chercheurs insistent
également sur la nécessité de multiplier les appuis à la création d'entreprises au
départ des centres de recherches (spin-off), tout en simplifiant les mécanismes
régionaux d'aides à ces entreprises. La nécessité d'ouvrir des capitaux à risques à
ces entreprises d'innovation a également été soulignée, notamment à cause de ce que
certains acteurs considèrent comme une timidité coupable de la part des invests
traditionnels. Enfin, un interlocuteur souligne le fait qu'il est indispensable qu'une
entreprise nouvelle qui rentabilise les résultats de la recherche continue à financer
cette recherche avec ses fonds propres pour maintenir le niveau d'innovation des produits
de la société.
A contrario, un industriel estime qu'il ne
faudrait subventionner aucune recherche appliquée, mais uniquement la recherche
fondamentale en prévoyant des mécanismes de détaxation pour les autres.
Outre les contacts entre les universités et les
entreprises, des liens sont aussi à mettre en uvre entre les universités et
dautres secteurs tels ladministration, le non-marchand, etc.
Ainsi, à une vision linéaire des transferts
d'entreprises, il s'agirait de substituer une organisation en réseaux d'échanges
transcendant les deux mondes qui apparaissaient jusqu'ici : celui de l'université (le
monde académique) et celui de l'entreprise (le monde économique). De même,
le décloisonnent entre les secteurs traditionnels et les produits porteurs (centres
d'excellence) apparaît tout à fait indispensable.

4.3.3. Les nouvelles technologies de
l'information et de la communication
Certaines personnes interrogées estiment que les
congrès La Wallonie au futur n'ont pas suffisamment intégré la révolution que
les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) entraînent.
D'autres relèvent le côté paradoxal de ce constat compte tenu de l'implication de
l'Institut Jules Destrée dans ce secteur depuis la fin des années quatre-vingt. Ce qui a
constitué un déficit au sein des congrès est l'analyse des implications des NTIC sur la
création d'entreprises, la gestion des réseaux ainsi que sur le rôle de l'Etat face aux
nouvelles technologies. Un décideur politique et un cadre d'entreprise, évoquant le
rapport du sénateur français René Trégouët, insistent sur le nouveau système de
valeurs positives que véhicule la société de l'information : la tolérance,
l'ouverture, la curiosité intellectuelle, l'inventivité, le désir d'échanger et de
partager, et surtout la décentralisation et la fin des cloisonnements hiérarchiques.
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