Rapport de la Commission
5 :
Le financement de la solidarité
Marcel
Gérard
Professeur aux Facultés
universitaires catholiques de Mons (FUCAM)
La libre
concurrence semble être le maître-mot des relations économiques
internationales, y compris au sein de l'Union Européenne. Dans
pareil contexte, la question que s'est posée notre Commission est
celle de la compatibilité entre une organisation de l'économie
mondiale basée sur les lois du marché et le maintien ou le
développement de mécanismes de solidarité. En d'autres mots, la
Belgique, ou la Wallonie, intégrée dans le concert des échanges
internationaux, peut-elle être à la fois compétitive et solidaire ?
Ce texte se veut, d'une
part, une présentation sommaire des différentes contributions des membres de la
Commission - sur la base des écrits des auteurs mais aussi de leurs exposés lors
de la séance en commission -, et d'autre part, une tentative de situer l'enjeu
dans une vision de société.
Ces différentes
contributions suivent un chemin qui va de la réflexion théorique - même si elle
est imagée - à l'observation de la position des acteurs institutionnels, en
passant par l'identification des besoins et la discussion des possibilités
d'actions pour les autorités publiques appelées à les rencontrer.
Après cette introduction,
Mr Tanguy van Ypersele de Strihou, chercheur à l'Université Catholique de
Louvain, apporte sa contribution à l'éclairage théorique de la question. Plus
précisément, il met en lumière les mécanismes de la concurrence fiscale et
sociale et traite de l'effet de l'intégration des économies européennes sur les
possibilités de financement de la solidarité. Ceci le mène à souligner
l'importance de s'interroger sur la coordination des politiques sociales en
Europe, en vue de casser un mouvement qui pousse les niveaux de protection
sociale vers le bas.
Ensuite, nous abordons
les besoins de solidarité, puis les réponses ou éléments de réponse qu'il est
possible de mettre en oeuvre en Belgique.
Ces besoins de
solidarité, nous leur donnons d'abord un éclairage démographique avec Mr André
Lambert de l'asbl Adrass à Ottignies. Mr Lambert met en évidence l'impact du
recul de la mortalité sur le développement du vieillissement démographique et
sur la charge en inactifs qui repose sur les actifs occupés. Il s'intéresse
aussi à celui des migrations et à celui de la déscolarisation et de la prise de
retraite, avant de poser la question de la possibilité, du seul point de vue
socio-démographique qui est le sien, d'augmenter la part des actifs occupés dans
la population et d'émettre une série de propositions.
Le Professeur Pierre
Pestieau de l'Université de Liège s'attache ensuite aux conditions de vie des
personnes ayant plus ou moins volontairement quitté la vie active prématurément
et aux perspectives qui les attendent. Il apparaît au Professeur Pestieau et à
son co-auteur, Mr Sergio Perelman, également de l'Université de Liège, que ces
préretraités doivent s'attendre à des revenus plus bas que les retraités
actuels, et cela pour deux raisons : d'abord, parce que le vieillissement
démographique et la stagnation économique induiront un tassement réel de leurs
revenus; ensuite parce que ces personnes disposent d'une épargne plus faible que
celles dont la carrière a suivi un cours normal. Ce faisant, ces auteurs
indiquent les limites de la préretraite comme instrument de lutte contre le
chômage.
Pour le Professeur
Pestieau, si aujourd'hui, dans notre pays, 6,8 pour cent des retraités vivent
sous le seuil de pauvreté, ce chiffre risque de grimper à 30,2 en 2020 si aucune
mesure n'est prise dans le domaine des pensions. Par contre si on opte pour une
répartition uniforme du montant global des pensions, ce chiffre peut être
contenu à 7,4 pour cent, au même horizon. C'est pourquoi il préconise une telle
retraite uniforme mais assortit cette suggestion de l'exigence d'une annonce
préalable suffisante pour que les personnes concernées puissent prendre les
dispositions adéquates, en particulier souscrire à des régimes complémentaires
de retraite opérant par capitalisation. Dans cette perspective de tels régimes
complémentaires devraient aussi être accessibles à la fonction publique.
Cette intervention et le
débat qui la suit marquent le passage de la réflexion théorique et de
l'identification des besoins à la présentation des réponses ou éléments de
réponse que les autorités fédérales belges peuvent apporter au défi du
financement de la solidarité.
Mr Réginald Savage,
Conseiller au Service d'Etudes du Ministère des Finances, fait remarquer que le
taux de prélèvement est plus élevé en Belgique qu'ailleurs, alors que les
dépenses publiques hors charges de la dette, y sont proportionnellement
moindres. C'est pourquoi, à ses yeux, la poursuite du financement de la
solidarité passe par une condition: un assainissement socialement équilibré des
finances publiques, à articuler correctement et progressivement avec une réforme
en profondeur de la structure et du mode de financement d'un niveau global de
protection sociale. Il situe ensuite ce financement dans le nouveau contexte
institutionnel et budgétaire de la Belgique pour souligner que les marges d'un
financement spécifiquement wallon, ou encore francophone, de la solidarité sont
limitées. L'essentiel des leviers d'une politique de solidarité restent donc
aujourd'hui dans les mains de l'autorité fédérale

Mr Christian Valenduc,
également Conseiller au Service d'Etudes du Ministère des Finances, note que
parmi les différentes stratégies proposées par le Livre Blanc pour réduire le
chômage, figure celle d'une restructuration de l'ensemble des prélèvements
obligatoires (impôts et cotisations sociales) dans un sens qui soit favorable à
l'emploi. Le but de sa contribution est précisément d'apporter quelques repères
pour l'évaluation de cette stratégie. Il s'agit, d'abord, d'éléments
quantitatifs sur la pression fiscale et sa répartition entre catégories de
revenu et facteurs de production : cette pression est, chez nous, plus forte sur
le travail que sur le capital, et cet écart s'est aggravé au moins jusqu'au
début des années nonante. Il s'agit ensuite des effets économiques qu'on peut
attendre d'une telle stratégie de promotion de l'emploi. Ceux-ci dépendent des
réponses apportées à quelques questions essentielles : les mesures doivent-elles
être ciblées sur des catégories de bénéficiaires particuliers? Pour Christian
Valenduc, elles doivent l'être sur les bas salaires. Doivent-elles être
structurelles ou ne toucher que les accroissements nets d'emploi? Et puis :
quels sont les mérites et inconvénients des différentes compensations possibles
(hausse de la tva, des accises sur les biens nuisibles à la santé ou à
l'environnement, taxation de l'énergie, taxation accrue du capital ou encore
instauration d'une cotisation sociale généralisée avec des exemptions minimes et
pour financer ce qui, dans la sécurité sociale, relève de la solidarité
générale) ?
Traitant des mêmes thèmes
que Mr Valenduc, Francis Bossier et ses collègues du Bureau Fédéral du Plan nous
entraînent au pays des milles et unes simulations. Ils nous proposent la
synthèse d'une étude approfondie sur les effets macroéconomiques d'opérations de
redéploiement de la pression fiscale et parafiscale consistant en une réduction
de cotisations patronales de sécurité sociale de 30 milliards, compensée au
niveau budgétaire par d'autres types de prélèvements.
Il apparaît des
simulations qu'une réduction de 30 milliards des cotisations patronales de
sécurité sociale ciblée sur les bas salaires peut permettre la création de
20.000 emplois en quatre ans. Et parmi les modes de compensation possibles, il
semble que le moins bon soit le recours à une hausse de tva. L'étude du Bureau
Fédéral du Plan encouragerait donc plutôt le recours à d'autres formules de
compensation comme la hausse du précompte mobilier - mais celle-ci trouve une
limitation sérieuse dans la libre circulation de l'épargne - la modification de
l'impôt des sociétés, la taxe énergie/co2 ou la contribution sociale
généralisée.
Avec Mr Pierre Reman du
Service "Formation-Education-Culture" de la Confédération des Syndicats
Chrétiens, nous quittons l'univers des chiffres. Sa contribution part d'une
question posée par Michel Rocard: comment reconstruire une conception du progrès
et de la solidarité qui, en cette fin de siècle, ait la même force que lorsqu'il
s'agissait d'intégrer le prolétariat dans la société et de lutter pied à pied
pour diminuer le malheur et l'injustice? Mr Reman soulève ensuite une série de
questions dont celle des trois crises de la solidarité: crise financière, crise
d'efficacité et crise de légitimité. Il propose enfin deux lectures de la notion
de sélectivité en matière de sécurité sociale.
Nul ne sera étonné que
l'on ait demandé à Mr Etienne Arcq, Chargé de Recherches au Centre de Recherche
et d'Information Socio-Politiques, le CRISP, de nous présenter et de nous
commenter les positions respectives des partis politiques belges et des
interlocuteurs sociaux face à la sécurité sociale. Sa contribution est organisée
autour de quelques thèmes, enjeux fondamentaux à propos desquels ces acteurs de
notre vie publique manifestent convergences et divergences : le transfert de la
sécurité sociale vers les communautés, la restructuration de la sécurité sociale
autour de deux piliers, la solidarité professionnelle d'une part, la solidarité
générale d'autre part, le financement dit alternatif, la privatisation et la
sélectivité.
On retient notamment de
son intervention que le clivage parmi les acteurs varie d'un thème à l'autre, ce
qui est de nature à bloquer toute tentative de réforme en profondeur. Et Mr Arcq
de remarquer qu'en 1949 déjà, un Commissaire Royal à la réforme de la sécurité
sociale était désigné.

Permettez-moi maintenant
de tenter de cerner l'enjeu de société présent dans un débat que sa technicité,
parfois exacerbée, risque d'occulter. Et de le faire en vous conviant d'abord à
assister à une brève pièce en trois actes ...aux traits délibérément forcés
(1) .
Acte 1: Prologue.
- Un petit pays nommé Belgique où les ménages n'avaient d'autre lieu pour placer
leur épargne que la holding nationale et la dette publique, et où, ingénieurs de
la finance ou manoeuvres, ils n'avaient d'autre lieu pour travailler que les
filiales de cette holding, elles-mêmes toutes situées dans le pays. Et les
habitants du pays ne consommaient que belge. De plus, un consensus politique,
d'une part, fermait les yeux sur l'exploitation par cette holding de sa position
monopolistique, y compris à l'égard de la dette publique, et d'autre part,
organisait le financement tant par la holding que par les citoyens au travail,
d'un ensemble fort élaboré de mécanismes de solidarité.
Acte 2 :
Concurrence et fameux traité. Scène 1. - Un Belge visite un pays
étranger moins porté que le sien sur les mécanismes de solidarité. Là-bas, point
de prélèvement sur les intérêts et les dividendes pour financer soins de santé
ou vieillesse: à chacun de se débrouiller et tant pis pour le pauvre. Mais
là-bas aussi, de ce fait même, possibilité d'obtenir en intérêt net ce que notre
Belge n'obtient qu'en montant brut dans son pays. Or voici que le gouvernement
belge vient justement de signer un traité permettant la libre circulation des
capitaux.
Notre homme tire la
conclusion que lui dicte son portefeuille et adresse au gouverneur de la holding
et au ministre de son pays une carte postale avec ses mots "donnez-moi en net -
et non plus en brut - ce que je puis avoir en net à l'étranger".
Acte 2, scène 2.
- Le gouverneur de la holding convoque son conseil d'administration et ils
conviennent que dans certaines des filiales, le monopole de la holding est
suffisamment juteux pour obtempérer au prix d'un simple grappillage sur la rente
des dirigeants : on y monte taux d'intérêt et dividendes avant impôt. Mais que
dans d'autres, il est bien évident que la rentabilité est trop basse pour cela
et qu'il faut les fermer.
De l'autre côté du parc,
le ministre fulmine : acculé à prendre à sa charge le précompte sur les intérêts
de la dette publique, le gouvernement va devoir couper dans d'autres dépenses, à
commencer par la sécurité sociale.
Acte 2, scène 3.
- Le téléphone sonne chez le gouverneur.
C'est le Belge
baguenaudeur, et qui est aussi un des ingénieurs financiers de la holding. Il
s'explique : "d'où je suis, je peux vous rendre les mêmes services que depuis
Liège, et ici, si je travaille pour les gens d'ici plutôt que pour vous, j'aurai
en net ce qui chez vous n'est que mon salaire brut, tirez-en la conclusion...
car le gouvernement a signé un traité permettant la libre circulation des
travailleurs". Le gouverneur lui réplique "mercenaire, je me passerai de vos
services". Quand même piqué par ces mots, l'ingénieur reprend : "et si vous
transfériez ici vos services financiers... j'y trouverais mon compte - j'aurais
en net mon brut de Belgique - et vous y trouveriez le vôtre - vous me payeriez
toujours le même montant". Le conseil décide de suivre l'avis de son ingénieur
ingénieux.
C'est le cafetier du parc
qui est en colère : les ingénieurs financiers sont ses fidèles clients. Il court
chez le ministre qui arrange cela : on ne taxera plus les cadres qui peuvent
rendre leurs services indépendamment de leur localisation.
Ouf, les autres
ingénieurs financiers resteront.
Acte 2, scène 4.
- Le gouverneur sourit de manière sarcastique : "mes créanciers me coûtent plus
cher, mes rentes diminuent, et bien on va voir ce qu'on va voir..." Il appelle
le ministre : "voici mon deal : ou bien vous rétablissez mes rentes, par exemple
en faisant payer aux ouvriers les charges patronales... ou bien je mets la clé
sous le paillasson, car là-bas je puis travailler sans supporter pareilles
charges! "
Le ministre s'inquiète
"ce sera la révolution!"
"Pardieu non!" s'écrie le
gouverneur "ils n'ont pas le choix; pour eux c'est vivre moins bien ou ne plus
vivre ...qu'ils aillent voir là-bas, les travailleurs s'y contentent de ce
qu'ils ont!"
Le ministre supprime les
cotisations patronales, mais plutôt que de les reporter sur la rémunération du
travailleur, il compense la perte pour le Trésor par une hausse de tva...
Acte 2, scène 5.
- Le fameux traité permet aussi la libre circulation des marchandises. Un, puis
des consommateurs s'aperçoivent que des produits sont moins chers ailleurs, que
là-bas la concurrence, leur explique-t-on, fait que la charge de la tva est
partagée entre le vendeur et l'acheteur... Ils encouragent les vendeurs de
là-bas à venir ici. Le gouverneur obtient bien du ministre qu'il aligne sa tva
sur celle de là-bas, il doit quand même, comme ses concurrents - un mot nouveau
pour lui - prendre sa part du fardeau de la tva... A contrecoeur, il rogne ses
marges, dégraisse son groupe - encore une nouvelle expression -... et, dépité,
finit par s'en aller. Il jette un dernier regard sur le parc.
Dans l'allée, des
rentiers devisent d'arbitrages internationaux : trop âgés pour encore voyager,
ils font le tour du monde des places financières, par gazette interposée.
Plus loin, des jeunes
hommes devisent aussi de leur avenir. Pessimistes, ils le voient sombre et
incertain : en ont-ils même un ? Le ministre s'est joint à eux et leur explique
à regret qu'en cas de chômage, ils n'auront plus d'indemnités, mais que, comme
ils sont jeunes, ils pourront toujours s'occuper en tondant les pelouses des
rentiers ou en pratiquant le basket-ball sur la place voisine. Et que de toute
façon, leur sort n'est pas moins bon que celui de leurs collègues de là-bas.
Quelques centaines de
mètres plus loin, sur un tableau le professeur achève d'effacer un graphique
avec deux courbes d'offre et une courbe de demande, toutes à pente raide. Il les
remplace par des lignes à pente douce, presque des horizontales, et écrit : "La
concurrence des marchés met un terme aux monopoles et rend inopérante toute
velléité des gouvernements à distordre les prix par des taxes et autres
prélèvements obligatoires". Il ajoute à l'intention des étudiants : "dans pareil
contexte, les taxes directes ne peuvent efficacement porter que sur les revenus
du facteur immobile, le travailleur peu qualifié et insuffisamment payé pour se
mouvoir sans coût significatif d'un pays à l'autre".

Acte 3 : E
(Espérance, Enjeu, Epilogue).
- La voiture du ministre défie doucement les étendues mouillées de l'autoroute
du sud. Le ministre lui-même repasse dans sa tête sa conversation du parc et les
événements qui l'ont précédée. Son secrétaire lui passe le téléphone mobile :
son collègue néerlandais l'appelle pour lui conter une aventure semblable. Et
quelques kilomètres plus loin, c'est le Danois, puis l'Allemand. A sa surprise,
même le Suisse l'appelle. Ils tombent d'accord sur un point : les lois du marché
ne peuvent dicter les choix de société. Et, sans attendre, ils lancent une
opération humanitaire qu'ils baptisent "Give them a Future". Première action :
un prélèvement coordonné sur les revenus des facteurs mobiles en Europe, destiné
au financement de la solidarité. Il faut l'unanimité du Conseil Européen, des
paiements latéraux feront l'affaire : à Londres le Parlement Européen, à
Luxembourg la Banque Centrale. Les frileux disent que oui mais la Suisse... mais
celle-ci connaît son intérêt. Et les dirigeants des pays plus à l'est ne veulent
pas compromettre leurs chances de rejoindre le club des démocraties
occidentales. L'initiative déterminée, née de coups de téléphone dans une
voiture un soir d'automne, tire les politiques de leur torpeur et fait tache
d'huile, elle passe de l'Union Européenne au G7 et à l'Ocde. A l'automne
suivant, la nouvelle présidente des Etats-Unis, une femme, démocrate et noire,
la fait adopter par les Nations-Unies. Et l'Organisation Mondiale du Commerce se
propose de veiller à la mise en application...
Dans le parc, les jeunes
hommes, sourient : l'avenir est revenu. Ils fondent leur entreprise.
En synthèse de cette
introduction, on peut dire que notre commission a travaillé à trois niveaux.
1. Un niveau
réaliste ou d'urgence, ce que peuvent faire les autorités de notre
pays: baisser les cotisations patronales de sécurité sociale sur les bas
salaires et compenser la diminution de recettes pour le trésor par autre chose
qu'une hausse de la tva.
2. Un niveau
prospectif dans la perspective de la prochaine C.I.G, la conférence
intergouvernementale qui devra se pencher l'année prochaine sur la réforme du
traité de Maastricht: en appeler à une politique coordonnée dans le domaine de
la solidarité sociale, et notamment des prélèvements pour son financement
tant sur les revenus du travail que sur ceux du capital, et à la création d'une
véritable Aire Sociale Européenne.
3. Un niveau
utopique ou de vision de société. Il n'est pas possible en effet de
vouloir le libre échange, la régulation des échanges de biens par un ensemble de
marchés compétitifs, sans accepter que, aux différentiels de productivité près,
les coûts des facteurs s'égalisent. Et à leur suite, les niveaux de vie et les
niveaux de protection sociale qui en font partie.
Inéluctablement, si nos
échanges avec la Pologne, la Tchéquie ou la Roumanie, s'opèrent selon les lois
des marchés libres, nos niveaux de vie et ceux des citoyens de ces pays se
rapprocheront et tendront à s'égaliser.
L'enjeu politique est de
savoir si nous voulons que ce soit nos niveaux de vie qui s'alignent sur les
leurs ou les leurs sur les nôtres.
Dans le premier cas, il y
a urgence à mettre sur pieds une Europe de la Solidarité, une Aire Sociale
Européenne, qui devrait sans doute dépasser les frontières de l'actuelle Union
Européenne.
Une telle initiative doit
venir des politiques, relais des citoyens : la solidarité est une externalité et
le marché est incapable d'en révéler la dose désirée. Elle appelle donc une
reprise d'autonomie du politique par rapport à l'économique.
Dans le second cas,
laissons faire les marchés et se développer la concurrence fiscale. Ils
révéleront, et à nous-mêmes d'abord, que nous sommes peu demandeurs de
solidarité et qu'en détricotant les mécanismes de prélèvement et de transfert
construits depuis cinquante ans, le marché fait oeuvre salutaire : il nous
libère de Leviathan
(2)
.
Nous acceptons alors que
le libre échange et la compétitivité sont, sinon l'unique du moins, "le meilleur
moyen de gérer un village global en pleine mutation" (Club de Lisbonne, 1995).
Nous acceptons la fatalité qu'Albert Jacquard (1995) nomme "économisme" avant de
nous inviter à décider aujourd'hui "la barbarie ou la démocratie".
Quant aux mesures que
peuvent prendre de leur côté les autorités publiques belges et dont il a été
question plus haut, elles sont des mesures d'accompagnement, souhaitables et
indispensables.

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Notes
1.
Des approches plus rigoureuses sont proposées dans la littérature scientifique
sur le sujet, voir infra; dans notre pays des équipes de recherche sont actives
sur ce thème, notamment au Core (Ucl) et aux Fucam.
2. Voir la discussion proposée par Michael Keen, 1995, et
ses références, notamment à Sinn (1994) d'une part et Brennan et Buchanan (1980)
d'autre part.

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