Des pistes concrètes
pour l'avenir
Jean-Pol
Demacq
Président de l'Institut Jules
Destrée
Monsieur le
Rapporteur général,
Mesdames et Messieurs,
En ouvrant le premier
congrès La Wallonie au futur, en 1987 à Charleroi, j'avais souligné à
quel point notre démarche était politique. Politique parce que affirmer qu'il y
avait un futur pour la Wallonie et que nous pouvions lui élaborer un modèle de
développement était ambitieux. Mais chacun ici le sait, la décision de s'opposer
à son propre immobilisme et de prendre son propre avenir en charge est
l'attitude responsable que la population attend de ses clercs autant que de ses
édiles.
Deux questions se posent
pourtant d'emblée : premièrement celle du cadre adéquat permettant d'aborder des
questions dont on nous répète sans cesse qu'elles sont européennes, voire
mondiales et, deuxièmement, celle de l'hypothèse philosophique ou politique dans
laquelle on s'inscrit puisque, aujourd'hui comme hier, toute mesure économique
paraît fatalement liée à un choix idéologique.
Rapporteur de l'atelier
économique en 1987, Jacques Defay y soulignait déjà que les responsabilités
régionales dans la relance de l'emploi concernaient l'action micro-économique de
terrain : stimulation de la création d'entreprises et d'activités de
reconversion, de la créativité technique, de la mise en oeuvre de capitaux à
risques et de l'expansion commerciale. Elles concernaient aussi - et concernent
toujours - la formation du facteur humain, l'appui des services publics et
l'infrastructure scientifique. Ces tâches ne sont nullement subsidiaires,
écrivait-il à juste titre
(1). Fort de
huit années supplémentaires de réforme de l'Etat, José Verdin, Directeur de la
Fondation André Renard, peut aujourd'hui renforcer cette opinion en écrivant que
la réforme de l'Etat a octroyé la plus grosse part de la décision aux régions et
que les régions peuvent dès lors conduire des politiques adaptées à leurs
difficultés et à leurs ambitions
(2).
Quant à la grande
question du choix entre le libéralisme économique et l'interventionisme
étatique, elle me paraît stérile si l'on évoque la Wallonie de la génération de
ce fin de siècle. Il est très difficile
- proclamait Francis Biesmans en 1987 - de soutenir que les difficultés
structurelles profondes, auxquelles est confrontée la Wallonie depuis trente
ans, pourraient disparaître sous l'effet des automatismes rééquilibrants du
marché (3).
Donc, mes amis, ne nous embarrassons pas d'inutiles états d'âmes...
C'est à ce même congrès
de Charleroi que Michel Quévit a posé la question du projet économique en
évoquant d'abord une libération et une rupture : libération en se dégageant des
rigidités héritées de notre passé industriel, rupture avec nos paradigmes
anciens , à savoir la croyance à l'industrie motrice, à la croissance
polarisée, au mythe du gigantisme. Mais - disait déjà le rapporteur général du
Congrès - il fallait surtout et plus fondamentalement encore opérer des virages,
des changements dans l'orientation de nos politiques de développement :
1. donner une
priorité aux investissements productifs par rapport aux investissements lourds;
2. favoriser le capital humain par rapport aux investissements
infrastructurels;
3. rendre possible l'innovation technologique à tous les échelons de la
vie économique, en visant les nouveaux produits de qualité plus que
l'accroissement de productivité
(4).
Assurément, toutes ces
pistes étaient déjà largement liées à la problématique de l'emploi. Ont-elles
été suffisamment suivies ? Ont-elles constitué les axes forts d'une politique
économique appliquée au niveau de la région wallonne depuis 1987 ? Ces questions
figurent parmi celles que vous vous êtes posées dès la préparation de ce
congrès.
Le défi de l'emploi
est inséparable du défi de l'éducation avait indiqué Jacques Defay dans sa
note du 5 juillet 1993. Le Congrès de Namur, en 1991, a - vous le savez -
largement traité de cette question de l'éducation, dont la formation, dont
l'enseignement. En cette matière, pourtant, nos propositions concrètes sont
restées lettre morte, comme le déplorait déjà Philippe Destatte en introduction
de la Conférence-Consensus que nous avons tenue à Namur les 3, 4 et 5 mars 1994
sur le thème du système éducatif. Certes, ces textes étaient bien présents aux
assises de l'enseignement mais les idées fortes qu'ils contiennent ne semblent
pas interpeller les acteurs de l'éducation de ce pays, qu'ils soient syndicaux,
administratifs ou ministériels.

Je voudrais vous rappeler
ces pistes ici, non pour des raisons d'actualité politique mais tant elles me
paraissent intimement associées à notre réflexion sur l'emploi. Ainsi, le 30
novembre 1991, l'Assemblée générale de l'Institut Jules Destrée approuvait une
résolution en dix points, directement induite des travaux du congrès, dont six
portaient directement sur le système éducatif :
-
Si elle est
indispensable au libre développement de la population wallonne, l'autonomie
de la Wallonie n'a de raison d'être qu'associée à un projet de société
cohérent et novateur auquel les Wallons adhèrent.
-
La jeunesse a un rôle
déterminant à jouer dans la conception et la mise en oeuvre de ce projet de
société. Il est donc nécessaire de favoriser le dialogue entre toutes les
générations qui doivent s'investir dans cette tâche.
-
Quelle que soit
l'approche que l'on souhaite réaliser de nos problèmes contemporains, il
faut de manière préalable prendre en compte la prédominance des facteurs
immatériels - et tout particulièrement des ressources humaines - sur les
facteurs matériels dans l'organisation de la vie en société. Cela
signifie l'absolue nécessité d'investir à court terme dans l'intelligence -
véritable valeur stratégique -, dans la culture et dans le social.
-
Une réforme de notre
système éducatif s'impose immédiatement en optant pour une formation
interdisciplinaire visant le développement d'une culture générale alliée à
une culture technologique et scientifique solide.
-
Une réforme durable
des contenus scolaires n'a de sens que si elle est accompagnée d'une
profonde réforme pédagogique. Un effort budgétaire tangible devrait
permettre d'accorder aux sciences de l'éducation et à la recherche dans ce
domaine toute l'attention qu'elles méritent.
-
Aux facteurs de
développement du professionnalisme des enseignants, notamment par la
formation continue, doit s'associer une réforme des modes d'organisation de
notre système éducatif. Il est urgent de rendre aux professeurs une
autonomie responsable.
-
Des instruments de
veille, d'analyse et d'évaluation des filières doivent être mis en place
entre le monde de la recherche et l'ensemble de la société. Le grand public
doit être sensibilisé aux problématiques et relations
Science-Technologie-Société.
-
Il est indispensable
d'appuyer tout redéploiement mental sur des médias attentifs aux problèmes
de la société dans laquelle ils évoluent. Aussi, il est urgent de créer une
offre structurée d'information et de production audiovisuelle en Wallonie.
-
La création d'un
département wallon du Bien-être apparaît comme une nécessité pour permettre
une approche globale des problèmes de la petite enfance, associant
étroitement la garde des enfants, leur éducation et la mise en place de
modèles cohérents en matière alimentaire.
-
La politique sociale
du logement ne doit pas se limiter à un problème d'accès au logement mais
doit intégrer les démarches d'ordre culturel et éducatif d'insertion sociale
des habitants, tout particulièrement là où il existe une situation de
marginalisation.
Faut-il souligner que
l'on trouve, dans ces propositions, ce qu'il est convenu d'appeler de "nouveaux
gisements d'emploi", notamment en ce qui concerne la proximité des lieux de vie.
Puis-je vous rendre
attentifs également aux questions culturelles et à celles des médias, telles que
je viens de les évoquer ? Favoriser l'évolution des mentalités en Wallonie ne
peut se faire que par la création d'un espace médiatique véritablement wallon,
notamment au sein de la RTBF qui reste, dans sa structure même, tellement
étrangère au fait wallon. En effet, il est fondamental qu'un même message
mobilisateur puisse être diffusé de Mouscron à Welkenraedt et de Wavre à Arlon -
quel que soit le créneau économique, culturel, social ou politique qu'il
recouvre -. Les chefs d'entreprise ici présents savent qu'une culture de société
ne peut naître en l'absence de communications internes et de formation au sein
même de la société. Il s'agit d'une simple question de bon sens sur laquelle,
malheureusement, nous n'en finissons pas de buter. Au Congrès de 1987, déjà,
Philippe Busquin en appelait à la mobilisation de toutes les forces notamment
culturelles pour entraîner l'adhésion de tous les Wallons au changement
permanent [...]
(5).

Mesdames, Messieurs,
Chacun d'entre-vous
connaît la formule du Professeur Jacques Drèze : le chômage est une calamité,
mais pas une fatalité. Beaucoup sous-estiment la calamité, mais exagèrent la
fatalité (6).
En tentant de formuler de
nouvelles politiques de l'emploi, en répondant à l'appel de notre Institut et du
Comité scientifique de la Wallonie au Futur, vous montrez que vous prenez
en compte, à la fois, la gravité et la complexité de la problématique de
l'emploi et que vous refusez toute vision déterministe de la dynamique du
chômage. Soyez-en remerciés. Merci à vous, Mesdames et Messieurs, que vous soyez
participants, contributeurs, rapporteurs de commission et rapporteur général,
merci pour votre volonté et votre investissement concret à nos côtés.
Le projet de Constitution
wallonne sur lequel une commission d'administrateurs, d'experts et d'amis de
l'Institut Jules Destrée travaille depuis deux ans comprend un article relatif
au droit au travail. Utopie, direz-vous! Non, pas du tout, simplement
reconnaissance d'un droit à la dignité de la personne et volonté de reconnaître
une qualité de vie aux habitants de la Wallonie, au même titre que le droit au
logement, à un environnement convenable ou à une citoyenneté participative. Vous
contribuez aussi à ce projet, non au niveau du principe - auquel je me garde
bien de vous proposer d'adhérer dès à présent - mais en activant toutes vos
compétences pour tracer des pistes concrètes pour notre avenir en Wallonie.
Enfin, par votre présence
efficace, vous contribuez à la concrétisation de cet objectif à la fois simple
simple et ambitieux que le Ministre wallon de l'Emploi, Jean-Claude Van
Cauwenberghe, définissait voici quelques semaines : utiliser au mieux les
champs de compétence ouverts aux Régions pour combattre, le plus efficacement
possible et de manière concertée, le fléau du chômage dans le cadre d'une
politique de l'emploi non seulement curative mais aussi préventive, incitative
et surtout transversale et globale(7).
Les travaux du Troisième
Congrès de La Wallonie au Futur entrent donc dans leur dernière phase
afin de déterminer Quelles stratégies pour l'emploi ? J'ai la conviction
que la qualité et la densité de vos contributions alimenteront les riches débats
qui renforceront les pistes que nous avons tracées ensemble.
Notes
1.
Jacques DEFAY, Rapport de l'atelier 12, La Wallonie dans l'Europe et dans le
monde, Actes du Congrès "La Wallonie au Futur", "Vers un nouveau paradigme",
coll. Etudes et Documents, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1989, p. 515.
2. José VERDIN, L'Emploi en Wallonie, dans La Wallonie, 24
octobre 1995.
3. Francis BIESMANS, Une politique économique pour la
Wallonie, Actes du Congrès La Wallonie au Futur, op. cit., p. 43.
4. Michel QUEVIT, Rapport général, op. cit., p. 527-528.
5. Philippe BUSQUIN, S'inscrire dans le grand marché
européen dès 1992, op. cit., p. 52.
6. Jacques H. DREZE, Le Chômage, hier, aujourd'hui et
demain, dans Wallonie, Conseil économique et social de la Région wallonne,
1994-3, p. 3sv.
7. Jean-Claude VAN CAUWENBERGHE, Discours des Fêtes de
Wallonie, Huy, 27 septembre 1995, p. 8.

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