Préretraite et
conditions de vie des personnes âgées
Sergio
Perelman et Pierre Pestieau
(1)
Centre de Recherches en
Economie publique et de la Population (CREPP)
Université de Liège
Résumé
Cette note porte sur
les conditions de vie des personnes ayant plus ou moins volontairement quitté la
vie active prématurément et sur les perpectives qui les attendent. Il apparaît
que ces préretraités doivent s'attendre à des revenus plus bas que les retraités
actuels pour deux raisons. D'abord, du fait du vieillissement démographique et
de la stagnation économique, les retraites connaîtront un tassement réel.
Ensuite, les préretraités disposent d'une épargne plus faible que les personnes
dont la carrière poursuit un cours normal. Ces résultats indiquent les limites
de la préretraite comme instrument de lutte contre le chômage.
1. Introduction
La Belgique a connue ces
dernières années un nombre non négligéable de départs à la retraite anticipée.
Plusieurs facteurs relevant notamment des préférences individuelles peuvent
expliquer cette tendance. On ne peut cependant s'empêcher de penser que bon
nombre de ces départs sont involontaires.
L'objet de cette note
n'est pas d'analyser les raisons mais plutôt les conséquences de cette
évolution. Qui sont les travailleurs les plus exposés à la préretraite
(2)
? Sont-ils avantagés du fait de leur départ prématuré ? Vivront-ils dans des
conditions satisfaisantes le reste de leur vie ? Ont-ils pu accumuler un
patrimoine suffisant ? Voici quelques questions auxquelles nous voudrions
répondre à l'aide des informations contenues dans la première vague du panel des
ménages belges réalisée en avril 1992 (PSBH, 1992).
Pourquoi s'intéresser aux
conditions de vie des préretraités dans un colloque qui porte sur l'emploi et
sur le futur ? Parce que la préretraite est sans conteste une des composantes de
la politique d'emploi en Belgique. La question est de savoir ce qu'il adviendra
de ces préretraites qui entrent progressivement dans l'âge de la vraie retraite.
Elle est aussi de se demander si l'on pourra indéfiniment avancer l'âge de la
retraite. On sait que cette stratégie soulève deux difficultés. La première est
celle du financement de plus en plus difficile des retraites et préretraites
dans un régime de répartition. La seconde difficulté est de ne pas habituer la
société belge, wallonne en particulier, a une vie active de plus en plus brève
alors qu'à l'horizon 2050 la structure d'âge pourrait imposer un départ à la
retraite à 70 ans.
Dans cette note, nous
donnerons de la retraite et de la préretraite un tableau à première vue
rassurant. Cela n'est pas surprenant. La Belgique n'échappe pas au phénomène de
l'âge d'or des retraites qui s'étend aux préretraites. Elle n'échappe pas non
plus à la fragilité de cet âge d'or dont temoignent des engagements financiers
de plus en plus lourds à l'égard des générations futures
(3).
Dans quelques années, les
premières cohortes issues du "baby boom" arriveront à l'âge des préretraites. Si
la tendance actuelle des fins de carrière précoces venait à se confirmer, les
régimes de pension seraient confrontés à des problèmes de financement
insurmontables, qui se solderaient inévitablement par une réduction des
prestations et par une détérioration des conditions de vie au sein de la
population âgée. Dans cette note, nous présentons une série de scénarios
permettant de mesurer l'impact que ces difficultés de financement pourraient
avoir sur la distribution des revenus des personnes âgées au cours des
prochaines décennies. Mais tout d'abord, il nous faut faire le portrait de cette
population de préretraités.

2. Les caractéristiques
de la population âgée selon le PSBH
Nous avons sélectionné
les ménages dont le chef est un homme âgé entre 50 et 79 ans. Le Tableau 1 donne
une brève description de cette population en distinguant deux groupes d'âge et
deux catégories de personnes, les travailleurs et les allocataires sociaux
(4).
Au total, notre échantillon est composé de 1375 ménages
(5).
De prime abord, quand on
observe le Tableau 1, on s'aperçoit que, parmi les hommes chefs de ménage, ce
sont majoritairement les anciens ouvriers et les personnes n'ayant qu'une
éducation de base (études primaires) qui forment le groupe des allocataires
sociaux dans la classe d'âge de 50 à 64 ans
(6).
Par contre, les employés et les cadres, ainsi que les personnes ayant obtenu des
diplômes de niveau secondaire et supérieur, restent en activité jusqu'à un âge
plus avancé, tout comme naturellement les travailleurs indépendants. On notera
également que les allocataires sociaux ont généralement travaillé dans le
secteur privé. Enfin, c'est le contraste entre la structure des groupes
d'allocataires et de travailleurs par type de ménage qui attire notre attention.
On remarquera que les 'isolés' représentent plus de la moité des allocataires
sociaux au sein du sous-échantillon des hommes âgés de 50 à 64 ans, alors qu'ils
ne représentent qu'un tiers des travailleurs.
Dans le Tableau 1, comme
par la suite, nous présentons à titre comparatif les caractéristiques de la
population masculine âgée de 65 à 79 ans. Etant donné qu'il s'agit généralement
de personnes ayant quitté la vie active, nous ne ferons pas dans ce cas de
distinction entre allocataires sociaux et travailleurs. Quand on compare les
structures des groupes '50 à 64' et '65 à 79', on observe un niveau d'éducation
supérieur au sein du premier groupe (effet de génération), ainsi qu'une
modification prévisible dans la répartition des ménages par type.
Tableau 1 :
Caractéristiques de la population âgée de 50 à 79 ans
|
50 à 64 ans |
65 à 79 ans |
Caractéristiques |
Avec emploi |
Allocataires sociaux (%) |
Total |
Total (en %) |
Niveau d'éducation |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
Etudes primaires |
21,6 |
53,2 |
38,1 |
49,4 |
Etudes secondaires |
52,1 |
39,0 |
45,0 |
37,4 |
Etudes supérieures |
26,3 |
7,8 |
16,9 |
13,1 |
Profession (actuelle ou ancienne) |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
ouvrier |
22,6 |
59,9 |
41,2 |
39,7 |
employé, cadre |
42,3 |
29,5 |
35,9 |
32,4 |
petit indépendant |
17,5 |
3,5 |
10,6 |
14,1 |
gros indépendant |
9,9 |
2,1 |
6,1 |
6,6 |
autres |
7,6 |
5,1 |
6,2 |
7,3 |
Secteur d'activité (actuel ou ancien) |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
privé |
70,2 |
78,4 |
74,3 |
72,4 |
public |
29,8 |
21,6 |
25,7 |
27,6 |
Type de ménage |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
isolé |
34,6 |
54,0 |
44,5 |
64,2 |
couple |
55,3 |
31,8 |
43,3 |
14,2 |
couple avec enfants |
10,1 |
14,2 |
12,2 |
21,6 |
(1) Hommes chefs de ménage
Source : PSBH, 1992.

3. Les revenus
individuels et les revenus du ménage
Les renseignements
fournis par la première vague du PSBH permettent une comparaison détaillée des
niveaux de revenus individuels. Les valeurs moyennes de cette variable en
fonction des caractéristiques individuelles sont indiquées dans le Tableau 2.
Les revenus individuels
présentés au Tableau 2 correspondent pour l'essentiel à des revenus
professionnels et à des transferts de sécurité sociale. On remarque
immédiatement que les revenus individuels des allocataires sociaux dans le
groupe '50 à 64 ans' sont, en moyenne, très proches des montants observés pour
les '60 à 75 ans' (à l'exception toutefois de la catégorie 'petits
indépendants').
Tableau 2 : Revenus
mensuels individuels
|
50 à 64 ans |
65 à 79 ans |
Caractéristiques (2) |
Avec emploi |
Allocataires sociaux (en francs) |
Total |
Total (en francs) |
Niveau d'éducation |
|
Etudes primaires |
49370 |
34135 |
38094 |
31772 |
Etudes secondaires |
59180 |
42314 |
51384 |
43108 |
Etudes supérieures |
90254 |
55464 |
80876 |
56536 |
Profession (actuelle ou ancienne) |
|
ouvrier |
46391 |
35046 |
37934 |
33648 |
employé, cadre |
74782 |
47769 |
62979 |
49545 |
petit indépendant |
51362 |
19894 |
44635 |
29422 |
gros indépendant |
86758 |
41696 |
380256 |
39665 |
autres |
72122 |
44029 |
60766 |
44504 |
Secteur d'activité (actuel ou ancien) |
|
|
|
|
privé |
63663 |
37236 |
49144 |
35757 |
public |
70285 |
46075 |
59472 |
48682 |
Total |
65690 |
39047 |
51522 |
39210 |
(1) Hommes chefs de ménage
(2) Caractéristiques du chef de ménage
Source : PSBH, 1992.
Les différences de
revenus entre allocataires sociaux et travailleurs sont en revanche très
importantes et dépendent fortement du diplôme (des écarts de 15.000 à 45.000
francs) et de la profession (des écarts de 11.000 francs pour les ouvriers et de
27.000 francs pour les employés). On remarquera aussi que les disparités sont
plus importantes entre les différentes catégories de travailleurs qu'entre les
allocataires sociaux en raison de l'effet redistributif de la Sécurité sociale.
Enfin, les revenus des employés et des retraités du secteur public sont, de
manière générale, plus élevés que ceux du secteur privé. Pour rappel, les
pensions des fonctionnaires garantissent un taux de remplacement supérieur aux
pensions de la Sécurité sociale, du fait que les premières sont calculées en
fonction des salaires perçus au cours des cinq dernières années d'activité
tandis que les secondes le sont sur base des rémunérations de l'ensemble de la
carrière professionnelle.
Nous avons également
analysé la distribution des revenus standardisés des ménage (c'est-à-dire les
revenus des ménage ajustés en fonction de leur composition). Ces revenus
comprennent l'ensemble des revenus professionnels et des transferts de la
Sécurité sociale perçus par tous les membres du ménage, ainsi que les éventuels
revenus de la propriété (loyers, intérêts, dividendes, etc.). D'une manière
générale, les résultats sont proches de ceux obtenus pour les revenus
individuels. Les écarts entre les revenus des allocataires sociaux et ceux des
travailleurs sont cependant relativement moins importants que pour les revenus
individuels. Ceci est dû à un effet de lissage. Un ménage dont la personne de
référence est active peut comprendre des allocataires sociaux; inversement, un
ménage dont la personne de référence est retraitée peut comprendre des actifs.

4. Situation
patrimoniale
Afin d'avoir une vision
plus complète de la situation financière des ménages dont le chef est âgé de
plus de 50 ans, nous reproduisons dans le Tableau 3 leur situation patrimoniale.
Les conditions de vie des ménages sont déterminées non seulement par la
disponibilité des revenus courants mais également par la possibilité de disposer
d'un patrimoine important. Ce patrimoine est important en tant que source
potentielle de revenus et réserve pour le financement de consommations futures.
Il représente la possibilité de financer des besoins non couverts par la
Sécurité sociale.
Dans l'enquête PSBH,
chaque ménage a été invité à donner une estimation de la valeur vénale de
l'ensemble de ses actifs (mobiliers et immobiliers). Le Tableau 3 indique que
les ménages dont le chef est un allocataire social âgé de 50 à 64 ans disposent
en moyenne d'un patrimoine d'à peu près 4 millions de francs, contre 7 millions
en moyenne pour les actifs dans les mêmes tranches d'âge.
Contrairement à ce que
nous avons observé à propos des revenus, les différences entre les patrimoines
des allocataires sociaux et des travailleurs sont moins importantes au fur et à
mesure que le niveau des études augmente. On peut en déduire que les jeunes
retraités ayant une formation plus importante affrontent leur période
d'inactivité dans de bien meilleures conditions financières que les autres. En
revanche, les ouvriers et les personnes isolées, dont les patrimoines moyens
s'élèvent respectivement à 2,9 et 2,0 millions de francs, doivent faire face à
la perte d'un emploi dans une situation financière nettement plus précaire.
Tableau 3 : Patrimoine
moyen du ménage
|
50 à 64 ans |
65 à 79 ans |
Caractéristiques (2) |
Avec emploi |
Allocataires sociaux (%) |
Total |
Total (en %) |
Niveau d'éducation |
|
Etudes primaires |
4988 |
3178 |
3797 |
3154 |
Etudes secondaires |
6665 |
4609 |
5760 |
5879 |
Etudes supérieures |
9763 |
8424 |
9570 |
7693 |
Profession (actuelle ou ancienne) |
|
|
|
|
ouvrier |
3722 |
2885 |
3098 |
2543 |
employé, cadre |
7118 |
6338 |
6872 |
6362 |
petit indépendant |
7924 |
7264 |
7400 |
6162 |
gros indépendant |
13492 |
10558 (3) |
13221 |
8455 |
autres |
7017 |
4085 |
5826 |
4169 |
Secteur d'activité (actuel ou ancien) |
|
privé |
7290 |
3847 |
5489 |
4935 |
public |
6565 |
5255 |
6086 |
4400 |
Type de ménage |
|
isolé |
4774 |
2005 |
3057 |
3123 |
couple |
6827 |
4755 |
5528 |
5062 |
couple avec enfants |
7615 |
4061 |
6431 |
5940 |
Total |
7071 |
4148 |
5624 |
4781 |
(1)Ménages dont le chef
est un homme
(2) Caractéristiques du chef de ménage
(3) Moins de 10 individus
Source : PSBH, 1992.
Dans le Tableau 4, la
problématique du patrimoine est abordée sous un angle quelque peu différent.
Tout d'abord, en ce qui concerne la structure de distribution, on constate que
parmi les '50-64 ans', plus de 20% des allocataires sociaux possèdent un
patrimoine inférieur à 1 million de francs, ce qui est aussi le cas parmi les
ménages de personnes âgées de plus de 64 ans. Par contre, plus de 90% des
travailleurs possèdent un patrimoine supérieur au million de francs.
Ces observations sont
ensuite corroborées par la structure du patrimoine. On remarque en effet, dans
le Tableau 4, que d'une manière générale les allocataires sociaux sont
relativement moins nombreux à posséder des biens mobiliers (bons d'Etat, Sicav,
actions) et immobiliers (maison propre ou de rapport, terrains).
Tableau 4 : Situation
patrimoniale des ménages dont le chef est un homme âgé de 50 à 79 ans
|
50 à 64 ans |
65 à 79 ans |
Patrimoine et
actifs patrimoniaux |
Avec Emploi |
Allocataires sociaux (en %) |
Total |
Total (en %) |
Patrimoine (en milliers de francs) |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
moins de 100 |
2,4 |
7,2 |
4,9 |
5,6 |
de 100 à 500 |
4,0 |
7,6 |
5,9 |
8,2 |
de 500 à 1000 |
2,3 |
6,9 |
4,7 |
7,9 |
de 1000 à 2500 |
12,6 |
17,1 |
15,0 |
20,3 |
de 2500 à 5000 |
26,6 |
37,8 |
32,4 |
26,5 |
plus de 5000 |
52,1 |
23,4 |
37,1 |
31,5 |
Immobilier (taux de détention) |
|
Propriétaire de l'habitation |
82,9 |
76,2 |
79,4 |
74,8 |
Possède d'autres immeubles |
27,5 |
20,0 |
23,6 |
24,4 |
Possède des terrains |
22,9 |
10,7 |
16,5 |
15,0 |
Mobilier (taux de détention) |
|
Epargne pension - assurance vie |
58,7 |
33,7 |
45,6 |
13,1 |
Bons, actions, Sicav |
55,0 |
31,2 |
42,5 |
40,7 |
Source : PSBH, 1992.
La conclusion qu'il
convient de tirer de cette analyse est que les préretraités vont connaître une
double difficulté. Ils connaîtront une période moins faste en termes de retraite
du fait du vieillissement démographique et de la stagnation économique. Cela est
abordé dans la section suivante. Mais en outre, par rapport à leurs
contemporains qui ont pu mener leur activité jusqu'au terme normal, ils n'ont
pas pu épargner autant.

5. L'impact du
vieillissement de la population
Depuis quelques temps,
les personnes âgées connaissent un niveau de vie sans précédent dans la plupart
des pays industrialisés, et notamment en Belgique (Kessler et Pestieau, 1990).
Mais cette situation relativement favorable au troisième âge pourrait être
éphémère dans la mesure où le vieillissement démographique risque d'affecter les
prestations financées par répartition. En termes d'incidence
intergénérationnelle, les études concluent généralement à une détérioration de
la situation des personnes âgées due à l'accroissement des taux de dépendance
pour les retraites de base. Il est également primordial de se placer dans une
optique d'équité intragénérationnelle, car les effets du vieillissement
concernent autant la répartition des revenus que leur niveau moyen.
L'impact du
vieillissement démographique sur la distribution des revenus des personnes âgées
dépend de la part des retraites de base dans le revenu de ces personnes, de la
logique de protection (beveridgienne ou bismarckienne) suivie par le régime de
base, du mode d'organisation des régimes de retraites complémentaires ainsi que
de la capacité d'accroître les prélèvements obligatoires.
La question de
l'incidence redistributive du vieillissement est abordée dans une étude réalisée
par Delhausse et al. (1994) portant sur différents pays de l'OCDE, dont la
Belgique. Le taux de dépendance enregistré dans notre pays à l'horizon 2020 se
monte à plus de 50% comme dans les autres pays, contre 35% en 1985 (Tableau 5).
Mais la part des retraites de base dans le revenu brut des ménages est la plus
élevée en Belgique, avec un pourcentage de 80%. On constate aussi que les
systèmes basés sur une logique commutative, selon laquelle la structure des
retraites épouse celle des rémunérations du travail, conduisent à des fortes
inégalités entre les retraités.
Tableau 5 : Comparaison
internationale. Taux de dépendance et revenus des personnes âgées
Pays |
taux de dépendance |
Part dans le revenu des ménages |
Philosophie des régimes |
|
1985 |
2020 |
Retraites de base |
Revenu de base du capital |
|
Allemagne |
0,352 |
0,532 |
0,75 |
0,05 |
BM |
Belgique |
0,348 |
0,532 |
0,80 |
0,06 |
BM |
Etats-Unis |
0,299 |
0,544 |
0,55 |
0,20 |
MI |
France |
0,336 |
0,537 |
0,68 |
0,09 |
BM |
Pays-Bas |
0,298 |
0,548 |
0,68 |
0,24 |
MI |
Royaume-Uni |
0,396 |
0,522 |
0,43 |
0,33 |
BV |
Suède |
0,437 |
0,548 |
0,63 |
0,08 |
BV |
BM : régime bismarkien; BV
: régime beveridgien; MI : régime mixte
Source : Delhausse et al.
(1994).
Delhausse et al. (1994)
envisagent différents scénarios afin de cerner les implications du
vieillissement démographique sur la distribution des revenus aux horizons 2020
et 2055. Le scénario de référence (REFE) est basé sur l'hypothèse que les
prestations du premier pilier diminuent uniformément en fonction de la
croissance du taux de dépendance. Un scénario alternatif suppose une
modification de la structure des prestations de façon à assurer une pension
uniforme à tout retraité (scénario EQUI). Dans le Tableau 6, nous présentons les
résultats de ces estimations correspondant aux projections pour l'année 2020.
Pour mesurer le degré d'inégalité nous utilisons le coefficient de Gini qui
varie de 0 (parfaite égalité) à 1 (inégalité absolue).
Tableau 6 : Taux
d'inégalité parmi la population âgée. Scénarios alternatifs pour l'année 2020
Pays |
Année de base |
REFE |
EQUI |
|
(Coefficients de Gini) |
Allemagne |
0,265 |
0,321 |
0,225 |
Belgique |
0,223 |
0,264 |
0,190 |
Etats-Unis |
0,385 |
0,441 |
0,399 |
France |
0,288 |
0,312 |
0,200 |
Pays-Bas |
0,275 |
0,364 |
0,366 |
Royaume-Uni |
0,265 |
0,289 |
0,294 |
Suède |
0,244 |
0,266 |
0,162 |
Source : Delhausse et al.
(1994).
Sous les hypothèses du
scénario de référence, l'inégalité globale s'accroît suite au vieillissement
démographique. Par contre, le scénario EQUI permet un gain d'égalité dans les
pays à philosophie bismarckienne, comme la Belgique. Il en ressort qu'une
réforme instaurant une plus grande uniformité des retraites de base n'est
souhaitable que dans les pays où le premier pilier obéit à une logique
commutative.
En corollaire de cette
étude se pose la question d'une éventuelle réforme de la répartition des
prestations. Le problème du vieillissement se pose avec bien plus d'acuité dans
les systèmes à philosophie commutative, et particulièrement en Belgique où les
retraites de base représentant une part extrêmement importante du revenu des
personnes âgées. Dans un contexte de coexistence de petites et de grosses
retraites, une réduction étale de chaque prestation peut s'avérer intenable pour
les allocataires de petites retraites. Dès lors, l'instauration d'une retraite
uniforme permettrait une plus grande égalité dans la distribution des revenus
des personnes âgées. Pour éviter de trop fortes différences entre les revenus
antérieurs et ultérieurs à la cessation d'activité, le recours généralisé à des
retraites complémentaires s'avérerait alors souhaitable.

6. Conclusions
Tout au long de ce
travail, nous avons mis en évidence les difficultés croissantes auxquelles se
trouvent exposés les travailleurs âgés face à l'écueil des départs anticipés à
la retraite. Les prévisions de long terme sur l'évolution démographique et sur
le développement des systèmes de pension ne font qu'anticiper une probable
aggravation de cette situation dans la mesure où des restrictions budgétaires
devraient avoir des répercussions sur l'égalité des revenus des personnes âgées.
Des mesures correctives
en vue de faire face à la situation ont été proposées. Elles s'inscrivent
généralement dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler les "trois piliers"
du financement des retraites. Ces trois piliers font référence, respectivement,
aux régimes publics fondés sur le principe de la répartition, aux régimes
professionnels complémentaires (fonds de pension ou assurances de groupe) et à
l'épargne individuelle. La capacité de ces trois piliers à absorber l'impact du
choc démographique est cependant limitée et depend fortement de l'évolution de
la conjoncture économique.
Un quatrième pilier, de
nature non financière, a également été identifié. Il s'agit de la possibilité de
différer l'âge du départ à la retraite par le biais de formules que l'on
présente sous le nom générique de "retraites à la carte".
Ainsi, le prolongement de
la vie active des travailleurs âgés devrait être rendu possible par
l'aménagement de programmes appropriés, qui pourraient être conçus à l'image de
ceux qui sont proposés pour l'intégration des jeunes chômeurs sur le marché du
travail. Ces programmes iraient dans le sens des souhaits exprimés par les
Ministres des Affaires sociales des pays de l'OCDE (1994), selon lesquels "une
nouvelle conception de la politique sociale axée sur le développement des
potentiels humains et respectueuse des possibilités de choix de l'individu
devrait voir le jour".
Force est de constater
que le problème est complexe dans la mesure où des générations successives de
travailleurs sont en concurrence sur le marché de l'emploi
(7).
Ainsi, ces dernières années, la plupart des négociations collectives et des
restructurations d'entreprises se sont soldées systématiquement par des "mises à
la retraite anticipée" qui ont favorisé l'embauche des jeunes au détriment des
travailleurs âgés. Des voix se sont déjà élevées pour dénoncer ce que d'aucuns
n'hésitent pas à qualifier de pratiques discriminatoires vis-à-vis des
travailleurs âgés (Drury, 1994).
Cependant, il faut à
notre avis distinguer deux problèmes : le premier concerne la retraite de la
génération actuelle des '55-64' qui ne travaille plus, volontairement ou pas. Le
second, plus général, concerne la possibilité de concilier la nécessité de
prolonger la vie active pour faire face au vieillissement démographique et au
financement des retraites de base avec la crise de l'emploi qui oblige l'Etat a
privilégier l'emploi des jeunes pour des raisons d'équité et d'efficacité.
A la première question,
nous repondons qu'il n'y a pas à tergiverser. En quelque sorte, le mal est fait.
Il faut simplement demander que les montants minimaux de retraite de base soient
maintenus voire élevés à un niveau décent. Il y aura en effet de plus en plus
d'allocataires touchant ces montants.
La seconde question
appelle une réponse plus nuancée. Il faut certainement continuer à privilégier
l'emploi des jeunes mais garder à l'esprit que cela ne se passe pas toujours par
le prépensionnement des travailleurs âgés. Ensuite, il importe d'introduire par
le biais de retraites à temps partiel ou de retraites reculées à la demande une
culture du travail des personnes âgées. Et cela, afin de préparer les jeunes
générations à massivement opter pour une retraite à 65 voire à 70 ans lorsque la
conjoncture le permettra et la démographie l'imposera. Ici comme ailleurs
l'effet d'annonce est important.

Reférences
Bouillot, L. et S. Perelman (1994), Evaluation patrimoniale des droits à la
pension en Belgique, Cahiers de Recherche du CREPP, 94/05.
Carnoy et al. (1988), Dérider la retraite : profil socio-économique des 55-64
ans, Fondation Roi Baudoin.
Cochemé, B. et F. Legros (éds.) (1995), Les retraites. Genèse, acteurs,
enjeux, Armand Colin.
Delhausse, B., S. Perelman et P. Pestieau (1994), Retraite et vieillissement :
quelle logique de protection?, Revue de l'IRES, 15, pp. 211-221.
Drury, E. (1994), Age Discrimination Against Older Workers in the European
Union, Studies on the four pillars, Numéro Spécial des Cahiers de Genève,
73, 496-502.
INS (1993), Enquête sur les forces de travail, Bruxelles.
Kessler, D. et P. Pestieau (1990), Pensions publiques et niveau de vie des
personnes âgées, dans Loriaux, M. D. Remy et E. Vilquin (éds), Populations
âgées et révolution grise, Chaire Quetelet 86, Ciaco, Louvain-la-Neuve,
829-844.
OCDE (1994), Les nouvelles orientations de la politique sociale, Paris.
PSBH (1992), Panel study of Belgian households, Point d'Appui Panel Démographie
Familiale, Universiteit Antwerpen et Université de Liège.
Notes
1.
Les auteurs tiennent à remercier Philippe Compagnie et Myriam Sluse pour leur
aide pré cieuse dans la préparation de ce travail. Cette étude a bénéficié du
soutien financier de la Fondation Roi Baudoin (Programme Prospective Sociétale)
et du Service de Programmation de la Politique Scientifique (Programme Economie
Publique).
2. Nous emploierons le terme "préretraite" dans son
acception la plus large, celle d'un dé part à la retraite anticipé que ce soit
par un programme de préretraite, l'anticipation de la retraite, le chômage ou
l'invalidité . Nous parlerons aussi d'"allocataires sociaux".
Voir
note 4.
3. Dans une étude récente, Bouillot et Perelman (1994) ont
estimé l’équivalent patrimoniale des droits à la pension détenus par l’ensemble
de la population belge. Leurs résultats montrent que l’importance de ces droits
est aujourd’hui supérieure à celle de la dette publique à laquelle ils peuvent
être assimilé s et qu’à législation constante ils seront multipliés par trois au
cours des prochaines décennies suite au vieillissement de la population.
4. Nous considérons ici comme “allocataires sociaux” toutes
les personnes qui relèvent des différents programmes de sé curité sociale (y
compris les anciens fonctionnaires qui relèvent du budget de l’Etat) et dont les
ressources proviennent essentiellement de revenus de remplacement. Sont compris
dans cette catégorie les retraités et préretraités ainsi que les chômeurs, les
malades et les invalides. Nous adoptons cette large définition afin de couvrir
l’ensemble des situations. En effet, on sait que d’un pays à l’autre les fins de
carrière prennent des formes différentes bien qu’ils recouvrent le plus souvent
le même type de situations. C’est ainsi que, par exemple, les préretraités et
les chômeurs âgé s belges ont leur équivalent chez les “invalides” aussi bien en
Allemagne qu’aux Pays-Bas.
5. L'ensemble des statistiques présentées ici a fait l'objet
d'une pondération afin d'assurer leur représentativité en fonction des régions
et de la structure par âge de la population.
6. Selon l’Enquête sur les forces de travail de l’Institut
National de Statistiques (INS, 1993), les allocataires sociaux représentent
52,0% de l’effectif total des hommes dans la classe d’âge de 50 à 64 ans (81,0%
dans la classe d’âge de 60 à 64 ans).
7. Cette problématique de la transition de la vie active à
la retraite n'est pas absente des préoccupations des gouvernements, mais
également des institutions. On citera ici l'ouvrage de Carnoy et al. (1988),
"Dérider la retraite : profil socio-é conomique des 55-64 ans", paru sous les
auspices de la Fondation Roi Baudoin, le numéro spécial des Cahiers de Genève "Studies
on the four pillars", publié en 1994 par l'Association Internationale pour l'Etude
de l'Economie de l'Assurance (Association de Genève) ansi que l'ouvrage
collectif "Les retraites. Genèse, acteurs, enjeux", édité en France sous les
auspices de la Caisse de dépôts et consignations (Cochemé et Legros, 1995).

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