Économie sociale
Georges
Haine
Chef du Service des Animations
Direction des Affaires culturelles de la Province de Hainaut
1.
Introduction
En entreprenant la
rédaction de la présente contribution, j'ai veillé à m'en tenir aux souhaits des
organisateurs : présenter, selon mon vécu, de manière pragmatique, le concept,
l'histoire, les enjeux de l'Economie Sociale.
C'est donc bien du pont
de vue du Président du Conseil wallon de l'Economie Sociale, fonction que j'ai
exercée entre janvier 1989 et mai 1995, que je veux m'acquitter de cette mission
de défense et d'illustration, une mission que la perpétuelle évolution des
contextes socio-politiques rend délicate, voire difficile.
En effet, l'alternance et
l'imbrication des crises conjoncturelles et structurelles, l'urgence à réduire
la désormais tristement fameuse fracture sociale, pour des raisons tant éthiques
que socio-économiques, condamnent toutes les initiatives prises en ce domaine à
un réajustement permanent, qui les fragilise et les rend caduques avant même que
l'on puisse en évaluer les résultats et en approfondir les effets.
Toutes les stratégies
mises en place, qu'elles s'inspirent de politiques de droite ou de gauche
semblent être renvoyées dos à dos. Le doute s'installe, alors même que la
gravité de la situation exige une cristallisation dynamique de toutes les
énergies.
Dans nos contrées
occidentales où le libéralisme économique reste la seule forme d'organisation
sociale de référence, l'échec de la lutte contre l'exclusion sociale est patent
: isolement, individualisme, apathie sociale ont enrayé depuis longtemps la
machine du progrès.
Malgré les aides
publiques offertes aux entreprises, le chômage s'accroît, l'embauche régresse,
le déficit public irréductible est impuissant à mettre un terme à la spéculation
financière.
Aspiré par la spirale
infernale de "l'économisme triomphant", pour paraphraser Albert Jacquart, le
libéralisme économique lui-même est renvoyé à ses propres contradictions : le
chômage freine la consommation, l'exclusion alimente un sentiment de révolte
dangereux, en opposition avec le besoins fondamental de soumission à l'ordre qui
engendre le système et devrait lui assurer une certaine pérennité.
Face à la débâcle des
certitudes, certains se sont mis à croire à un changement des mentalités qui
passerait par l'exercice d'une citoyenneté active.
Au-delà de la croyance
classique en une nécessaire nouvelle répartition des richesses, c'est la
revalorisation de toute la dimension collective de la société qui devrait
assurer la mise en place d'une solidarité active, responsable, socialement et
économiquement efficace.
C'est dans ce cadre
précis que l'Economie Sociale prend un relief particulier : cette forme
d'organisation économique, qui ne réclame aucun monopole, privilégie en effet la
recherche et la mise en relief des potentialités au travers d'une dynamique qui
ne néglige aucune des artères vitales-locales, sub-régionales ou régionales, du
territoire wallon.

2. Economie sociale et
Région wallonne
En 1988, l'Exécutif
Régional Wallon accordait pour la première fois une attention particulière à l'Economie
Sociale en intégrant ce concept à sa déclaration de politique générale.
C'est à Philippe Busquin,
actuel Président du Parti Socialiste Francophone, alors Ministre de l'Economie
Régionale, que l'on doit l'initiative d'une intervention volontariste des
pouvoirs publics afin de donner un élan décisif au secteur de l'Economie
Sociale.
Le nom de Philippe
Busquin ne cessera plus dès lors d'être lié à l'évolution d'un dossier qui
bénéficie désormais d'une véritable légitimité.
Quelles dates
significatives ont jalonné ce parcours, qu'il nous faut à présent passer
rapidement en revue.
Le 1er décembre 1988,
l'Exécutif Régional Wallon crée le Conseil Wallon de l'Economie Sociale, dont la
vocation est de définir le secteur, ses difficultés et ses besoins. Cette
mission sera coordonnée par le Ministre-Président de l'époque, Bernard Anselme.
Conformément à sa volonté
de jouer réellement son rôle d'opérateur, le C.W.E.S. émettait sans attendre des
propositions concrètes visant le développement de ce secteur : accès aux lois
d'expansion économique, mise à disposition de capitaux d'amorçage, mesures
d'encadrement, etc.
D'autres part, le
C.W.E.S. exprimait son souhait d'être reconnu comme relais politique de
l'Economie Sociale vis-à-vis de l'Exécutif Régional Wallon.
Sous l'impulsion du
Ministre-Président suivant, Guy Spitaels, le Conseil Wallon de l'Economie
Sociale reçoit de nouveaux encouragements et sa composition modifiée et élargie
lui assoit dans les milieux économiques et politiques une reconnaissance
nouvelle.
Enfin, en 1994, la
tutelle du C.W.E.S. était assurée par le successeur de Guy Spitaels, Robert
Collignon.
Le "Livre Blanc" rédigé à
l'initiative du C.W.E.S. faisait la synthèse d'un nombre non négligeable de
propositions débattues au sein du Conseil. De là se dégagent des axes de
réflexion nouveaux et des pistes de recommandation dont il s'agit à présent de
nourrir une pratique.

3. L'Economie Sociale.
Le Secteur de l'Economie
Sociale couvre, on l'aura compris, un champ très large qui ne cesse de se
développer. Les Entreprises d'Economie Sociale naissent de situations diverses
et ont en commun une volonté de répondre à des problèmes primordiaux tels que :
-
le refus du chômage
inéluctable;
-
le travail pour des
personnes jugées non rentables ou moins rentables dans les entreprises
traditionnelles, en les faisant passer de la situation d'assistés à celle de
travailleurs et de créateurs;
-
la formation des peu
qualifiés par l'exercice même du travail;
-
l'insertion des
jeunes dans la vie active par un travail dans des entreprises où
l'intransigeance de productivité et l'exigence d'une qualification élevée
sont appréhendées;
-
la volonté de
changement des structures par une gestion démocratique associant les
travailleurs;
-
l'objectif social,
culturel ou socioculturel...;
-
la socialisation du
profit...
De plus en plus se
développent des initiatives et des entreprises de type associatif, mettant en
avant la solidarité plutôt que le profit personnel, tout en se situant dans le
domaine de l'économie marchande. C'est une nouvelle approche du concept "Economie
Sociale" qui mérite d'être encouragée.
Des initiatives nouvelles
voient le jour : des métiers traditionnels et disparus sont repris et se
redéveloppent, des produits dits artisanaux, biologiques ou écologiques
apparaissent en marge des produits industriels de grande consommation, des
métiers nouveaux naissent pour répondre à des besoins sociaux que l'activité
marchande ne couvre plus et que les pouvoirs publics ne peuvent plus ou pas
assurer, essentiellement pour des raisons budgétaires.

4. L'Economie Sociale,
champ possible de création d'emplois
Il est illusoire de
croire que l'économie de marché va donner du travail à tous les demandeurs
d'emplois.
Par ailleurs,
l'informatisation et la robotisation sont des acquis technologiques importants
et irréversibles mais qui engendrent des pertes importantes d'emplois.
Par contre, dans le champ
de l'environnement, du social, du culturel, du tourisme, du maintien du
patrimoine et des loisirs, des carences énormes persistent.
Aujourd'hui, les besoins
sociaux et collectifs non rencontrés sont énormes : logements salubres
insuffisants, habitat dégradé, espaces publics non entretenus, assainissement de
sites industriels à réaliser, équipements collectifs inexistants de certains
quartiers populaires, écoles délabrées, maisons de jeunes ou de quartier
vétustes et/ou exiguës, très peu de récoltes sélectives de déchets (papier, PVC,
piles, fer, métaux, médicaments,...) avec des coûts de stockage ou de déversage
de plus en plus exorbitants.
Plusieurs pistes peuvent
être suivies pour enrayer ce mécanisme de gaspillage et d'exclusion sociale, des
pistes pour lesquelles la mise en place d'entreprises d'Economie Sociale est une
solution.
4.1. La création de
postes de travail pour des travaux d'utilité collective et sociale.
Entretien de logements
sociaux, bâtiments et espaces publics, écoles, crèches, hôpitaux et institutions
sociales, assainissement d'anciens sites industriels, récupération sélective de
déchets et matières diverses, mise en valeur et entretien de patrimoine
historique et développement du tourisme social.
4.2. La création de
services à rendre à la population.
Services d'accompagnement
et de repas à domicile pour personnes âgées, garderie d'enfants, encadrement
scolaire et d'animation pour les périodes de congés en fonction de nouveaux
rythmes scolaires, accompagnement en insertion sociale (alphabétisation, remise,
à niveau de connaissances, resocialisation, centres de formation par le
travail,...)
Rien ne se fera pourtant
sans que ne se développent des outils de financement pour les entreprises du
secteur de l'Economie Sociale.
Le C.W.E.S., dans son
rapport à l'Exécutif Régional Wallon sur l'Economie Sociale, a bâti ses
propositions dans ce domaine sur deux axes : la création d'un Fonds de Garantie
et d'un Fonds de Participation, propres aux entreprises d'Economie Sociale.

5. Les résultats
La dernière législature a
vu se constituer des avancées importantes dans le domaine de l'Economie Sociale
: création par la SRIW d'une Société d'Economie Sociale marchande dont l'objet
social permettra des opérations de prises de participation et d'octroi de prêts
en faveur des entreprises relevant de l'Economie Sociale marchande et l'adoption
d'un statut supplémentaire à notre droit commercial.
Ces deux mesures ont
toujours constitué les principales revendications du C.W.E.S.. Elles constituent
en soi et pour l'ensemble du secteur une petite révolution attendue depuis de
nombreuses années.
Sans doute, des critiques
se font-elles entendre ici et là. Elles sont indispensables à une évaluation des
projets, à un réajustement de l'analyse, et plus généralement à la création
d'une véritable "pensée de l'alternatif", une pensée constructive, dialectique
et dynamique, capable d'engendrer pour notre société malade des solutions
profondément originales et à taille humaine dont elle a besoin.
Pour ma part, je crois
judicieux de mettre enfin ces outils à l'épreuve du réel et sur une grande
échelle.
L'heure d'un
redéploiement de l'Economie Sociale a sonné : c'est évidemment celle du dialogue
et de la créativité.
Le chantier est ouvert.

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