Le rôle du capital à
risque
Bernard
Bolly
Responsable des participations
MEUSINVEST s.a.
Introduction
Les invests, des cousins
si différents
La crise sidérurgique des
années quatre-vingts, avec ses conséquences importantes sur la structure même du
tissu industriel wallon, a fait apparaître la nécessité impérieuse d'un
remaillage de ce tissu, en axant prioritairement les efforts vers les petites et
moyennes entreprises.
En effet, l'effondrement
des grandes industries traditionnelles avait laissé sans marché bon nombre de
PMEs sous-traitantes. Ces petites entreprises formant les hinterlands respectifs
des bassins sidérurgiques furent parmi les premières touchées par cette
récession. Au delà des difficultés sociales et économiques résultant directement
des restructurations des grandes industries, tout un monde se situant tant en
aval qu'en amont de celles-ci suivait dans une même spirale destructrice
d'activités et d'emplois.
Afin de tenter de
remédier à cette situation, dans le courant des années 80, entre autres mesures,
les pouvoirs publics ont pris l'initiative de créer des invests.
Un invest est une société
de droit privé, à capitaux publics et/ou privés, dotés de moyens d'actions (la
plupart du temps sous forme de droits de tirages) publics, et ayant pour objet
de mettre en oeuvre des politiques de reconversion et/ou de développement
régional.
Historiquement, on
distingue deux catégories d'invest: ceux créés par le pouvoir national et ceux
créés à l'initiative du pouvoir régional. Par ailleurs, il est communément admis
de classer ces invests en quatre générations:
-
la première
génération ne concerne en fait qu'un seul invest créé en 1983, il s'agit d'INVESTSUD.
-
la seconde génération
concerne BOELINVEST, créé également en 1983 dans le cadre de la
restructuration des Usines Gustave Boël;
-
la troisième vise
MEUSINVEST, SAMBRINVEST et NIVELINVEST, créés entre 1985 et 1987;
-
enfin, INVEST
BORINAGE CENTRE, HOCCINVEST et OSTBELGIENINVEST, et la SIBS, créés en 1988
et 1989 (sauf la SIBS créée en 1982) constituent ce que l'on appelle les
invests de la quatrième génération.
Au delà de ces
distinctions, deux types de situation doivent encore être distinguées:
-
les invest
capitalisés (BOELINVEST et MEUSINVEST) où la Région Wallonne est
minoritaire dans le premier et majoritaire dans le deuxième;
-
les invests non
capitalisés mais dont l'enveloppe globale des droits de tirage a été
mise à disposition pour lesquels chaque décision des conseils
d'administration doit être soumise pour approbation à la SOWAGEP. Dans le
cas où les modalités d'intervention ne sont pas conformes aux normes
statutaires ou conventionnelles, le Ministre de tutelle en est informé et
peur refuser l'intervention.
Il existe donc
aujourd'hui en Wallonie neuf invests couvrant chacun une zone géographique plus
ou moins déterminée et dont les modes de fonctionnement, de financement et de
tutelle diffèrent suivant leur histoire respective.

Le capital à risque
Le rôle des Invests
Globalement, la Wallonie
se caractérise par un sous-emploi structurel important et supérieur à la moyenne
européenne. Une des causes communément admise de ce sous- emploi réside dans la
faiblesse des investissements productifs, créateurs de valeur ajoutée et
d'emplois durables.
En autres raisons, la
difficulté de mobiliser des capitaux suffisants mais surtout à des taux
compatibles avec le développement d'activités économiques est un frein
indéniable au processus d'investissement.
Les taux d'intérêts réels
que nous avons connu durant la décennie précédente et la première moitié des
années nonante ont eu, dans le cas présent, deux conséquences non négligeables:
Dans la vie courante des
PMEs, cela se traduit par une situation financière déséquilibrée et l'absence de
moyens suffisants à l'investissement.
Le secteur privé de
l'économie ne répondant plus, les pouvoirs publics ont pris l'initiative
d'accroître la mise à disposition de capitaux à risque via la création des
invests.
L'objet principal des
Invests est donc la mise à disposition de capitaux à risque vers les PMEs. Pour
ce faire des moyens et des instruments sont à leur disposition.
Comme indiqué plus haut,
la forme juridique des moyens à disposition des invest peut revêtir deux
aspects: le capital propre et les droits de tirages.
Pour chacun des invests,
les moyens de répartissent comme suit :
Invests |
Capital |
Droits de tirage |
Boelinvest |
5770 mios |
7000 mios |
Sambrinvest |
20 mios |
2043 mios |
Nivelinvest |
25 mios |
890 mios |
Meusinvest |
3217 mios |
0 |
Investsud |
200 mios |
1680 mios |
Hoccinvest |
21 mios |
538 mios |
Invest - Borinage - centre |
20 mios |
890 mios |
Ost belgieninvest |
26 mios |
150 mios |
SIBS (Namur Invest) |
20 mios |
500 mios |
Le montant total des
moyens financiers affectés aux Invests est donc d'un peu plus de 23 milliards
BEF.
Pour exemple, MEUSINVEST,
qui dispose d'un capital de 3,217 milliards, le montant des participations
(nettes de réductions de valeurs) s'élève à 1,85 milliards, réparti dans
cinquante-trois sociétés.
Sur l'exercice 1994, ces
entreprises ont fait un chiffre d'affaires de plus de 7,485 millions en 1994.
Par ailleurs, elles
représentent un emploi de plus de 1950 personnes.
Depuis sa création en
1985, cet invest est intervenu dans 98 entreprises, pour un total de 3,1
milliards BEF, dont 1,9 milliard en capital et 1,2 milliard en prêt.
On estime à plus de
quatre mille le nombre d'emplois ainsi préservés et/ou créés.
Cet exemple , choisi car
mieux connu de l'auteur, montre combien les moyens mis en oeuvre, mais également
l'apport de ces institutions dans l'économie wallonne sont, par conséquent, non
négligeables.

Le champs d'action des
invests
Comme pour le reste, les
situations varient suivant le groupe d'invests auquel on s'intéresse. Ainsi, les
invests de la quatrième génération sont liés à la région wallonne par des
conventions qui précisent clairement les secteurs économiques "éligibles" à
leurs interventions.
Il s'agit des secteurs
éligibles aux aides à l'expansion économique tels que prévus dans les décrets du
25 juin 1992.
En ce qui concerne les
autres invests, il leur a été recommandé de se conformer aux mêmes règles mais
sans instruments coercitifs.
Cependant, dans un
allocution au conseil d'administration de MEUSINVEST au mois de novembre 1994,
le ministre de tutelle a encouragé à une plus grande ouverture dans le spectre
des secteurs d'interventions. Ainsi, les secteurs serviciels, notamment
touristique, devraient dorénavant faire l'objet d'une attention plus soutenue de
la part des invests. Il en est de même des entreprises touchant au secteur de
l'environnement.
Enfin, certains invests
ont été très tôt des piliers importants du développement de pôles d'attraction
économique demandant des investissements importants à long terme.
Pour reprendre l'exemple
de MEUSINVEST, celle-ci est à l'origine du développement de la zone
aéroportuaire de Liège-Bierset, de la s.a. SORASI (filiale spécialisée dans la
réhabilitation des zones d'activités économiques désaffectées), mais également
dans la réaffectation du centre économique wallon du Vertbois et dans le dossier
actuel de la zone d'accueil de Train à Grande Vitesse.
De sociétés mixtes de
reconversion créées pour faire face aux pertes d'emplois subies dans les grands
bassins sidérurgiques, d'une vision que l'on pourrait qualifier de défensive,
les invests se sont ou se transforment petit à petit en véritables holdings de
développement économiques avec des stratégies plus offensives adaptées aux
réalités des zones géographiques qu'ils couvrent. Ces nouvelles stratégies
impliquent souvent des risques financiers importants, risques sans doute
incompatibles avec les impératifs de rentabilité à court terme des institutions
strictement privées.

Les capitaux d'amorçage
Comme indiqué plus haut,
il est généralement admis qu'un des axes essentiels de relance des régions de
vieille industrialisation sont les PMEs. En pratique, leur création ou leur
développement se heurtent à de nombreux problèmes.
Ainsi, pour ce qui
concerne la création, les ressources financières propres aux créateurs
d'entreprises, ou celles qu'ils ont pu réunir sont généralement faibles. Or,
certains projets, particulièrement lorsqu'ils sont innovateurs, peuvent être
extrêmement intéressants.
Par ailleurs,
l'expérience montre qu'une fois ces entreprises créées, la croissance se fait,
tant des structures que des moyens à mettre en oeuvre, par paliers successifs. A
chacun de ces paliers, que l'on peut qualifier de zone de transition,
correspondent des difficultés dont l'adaptation de l'organisation aux besoins
d'une entreprise en croissance et la réunion des moyens financiers nécessaires.
Pour les entreprises
innovantes, c'est souvent le moment où un nouveau produit techniquement au point
requiert des moyens importants pour sa production (investissement, besoin en
fond de roulement), pour sa mise sur le marché (mise en place d'un réseau
commercial, constitution des stocks minima pour alimenter ce réseau, frais de
promotion et d'introduction du produit). L'insuffisance de moyens financiers
sous une forme adéquate et les faiblesse dans la structuration progressive de
l'entreprise constituent donc une des principales causes d'échec dans le
développement des PMEs.
Pour répondre à ces
besoins, les invests se dotent, le plus souvent avec l'aide de l'Union
Européenne, de filiales ou de fonds spécialisés dans l'amorçage d'entreprises et
dans le développement et la diversification.

Les nouveaux moyens
européens
Dans le cadre des
différents programmes européens mis en oeuvre au niveau wallon (tel objectif 1,
2 et 5b ou RESIDER ...), des moyens complémentaires provenant du Fonds Européen
de Développement et de Reconversion (FEDER) ont été affectés à des actions de
capital d'amorçage et de diversification.
Ces moyens sont répartis
comme suit :
|
FEDER |
Wallonie |
Sambrinvest |
216 mios |
216 mios |
Invest Borinage |
228 mios |
228 mios |
Hoccinvest |
156 mios |
156 mios |
Meusinvest |
160 mios |
? |
Nivelinvest |
30 mios |
? |

En ce qui concerne les
deux derniers invests, les modalités d'application n'ont pas encore pu être
approuvées par la Commission européenne à ce jour. On peut d'ailleurs s'étonner
de ce que ces programmes, censés avoir débuté depuis le 1 janvier 1994 ne soient
pas encore mis en oeuvre.
Le retard pris par ladite
commission pour approuver ces mesures provient sans doute principalement d'un
débat interne qui oppose les tenants d'une politique volontariste d'intervention
à ceux qui estiment devoir réduire la participation du secteur public (au sens
le plus large du terme !) dans l'économie.
Toujours est-il que le
choix (politique) qui avait été fait au niveau de la Région wallonne de proposer
ces mesures se trouve aujourd'hui suspendu à une décision européenne qui se fait
attendre depuis près de 18 mois.
Pour peu que cette
décision intervienne pour ces deux derniers cas, on peut estimer que cette
mesure aura un impact réel sur la politique menée afin d'augmenter la
disponibilité du capital à risque pour les sociétés en démarrage ou en phase de
diversification.
En effet, outre le fait
qu'un délai d'exécution a été fixé par la Commission, le risque économique
propre à chaque dossiers présentés est partagé entre les fonds régionaux et les
fonds en provenance du FEDER.
Ce partage des risques
(et, par conséquent des réductions de valeurs éventuelles) permet une attitude
plus volontariste de la part des gestionnaires de fonds d'investissement. Ceci
concerne tout particulièrement les projets innovants pour lesquels le marché
potentiel est le plus souvent méconnu voire même à créer.

Conclusion
Depuis une dizaine
d'années, les Invests, sociétés mixtes de capital à risque, ont acquis une place
non négligeable se situant entre les entrepreneurs et les organismes financiers
traditionnels tels que les banques.
Ils sont permis
l'amorçage, la diversification et la stabilisation de nombreuses petites et
moyennes entreprises qui, sans leur intervention, auraient sans doute disparu.
Pour la plupart, ces PMEs
sont aujourd'hui des sociétés créatrices de valeur ajoutée et pourvoyeuses
d'emplois. En permettant leur éclosion et leur développement, la mission de
reconversion et de développement régional assignée aux invests est donc bien
poursuivie. De plus, la plupart de ces invests ont aujourd'hui créé des fonds
spécialisés ou des filiales concentrant leurs moyens sur les projets
technologiquement innovants. L'aide de l'Union européenne, bien que parfois
laborieusement obtenue, est dans ce cas d'un apport appréciable en permettant
une dissolution du risque économique des ces sociétés. Cependant, ces mesures
répondent également au voeu exprimé dans le Livre Blanc de promouvoir
l'Innovation technologique appliquée.
Il s'agit donc bien d'une
piste de réponse positive de l'initiative régional au défi ou à la stratégie
développée par l'Union européenne.

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