Allocution de Clôture du
Congrès
Bernard
Anselme
Premier Ministre wallon
Tirer les
conclusions d'une pareille journée, succédant en outre à tant
d'orateurs de qualité, est forcément une gageure. C'est un défi que
je vais cependant m'efforcer de relever pour dégager cette "certaine
idée" de la Wallonie et de son avenir, tels que les différentes
réseaux se sont employés à définir de manière très précise.
Je relèverai, d'abord, ce
constat:
Les Wallons, vous l'avez
montré aujourd'hui, n'ont plus peur des mots. Non qu'ils soient, comme certains
l'imaginent, prêts à s'engager dans toutes les aventures.
Non. Les Wallons, vous le
démontrez ici, construisent leur devenir en suivant la démarche pesée et pensée
de leurs intellectuels et de leurs chercheurs, de leurs praticiens, de leurs
acteurs économiques et sociaux.
Votre cheminement
lui-même exprime à la fois la volonté des Wallons de construire la Wallonie sur
des fondements solides et celle de le faire sur base d'un projet de société
élaboré par tous et pour tous.
Ce projet de La Wallonie
au Futur, j'ai voulu m'associer à son développement dès mon arrivée à la tête de
l'Exécutif, tant je suis persuadé, qu'à côté de la gestion quotidienne menée par
un gouvernement, un parlement et une administration, il est nécessaire de
s'inscrire dans une réflexion prospective. La seule apte à appréhender notre
avenir dans sa totalité complexe.
Prolonger la ligne de
notre temps, ouvrir les espaces de nos horizons, abattre les murs qui séparent
nos préoccupations particulières constituent les impératifs de toute action
durable.
Ainsi, vous avez redit
aujourd'hui, comme lors de la définition du paradigme wallon, en 1987, que le
projet économique est indissociable de ses corollaires technologique,
scientifique, culturel, éducatif et institutionnel.
En axant prioritairement
la réflexion sur l'éducation au sens large - l'acquisition de nouvelles
connaissances, les nouveaux apprentissages de la vie sociale et les nouvelles
solidarités, vous avez, je le crois, fait le choix essentiel.
Je pense avec vous de
l'éducation qu'il s'agit du défi majeur auquel nous devons faire face
aujourd'hui. Comme l'a dit le Professeur De Landsheere, dans nos sociétés, et à
l'heure où l'on parle du "non-marchand", l'intelligence est devenue une des
marchandises les plus recherchée, "une valeur stratégique".
Il ne suffit pourtant pas
de constater la nécessité d'investir dans la matière grise, il faut être
convaincu de l'urgence d'adapter l'école à la société.
Le défi de l'éducation
réside en effet dans notre capacité à mettre en place des valeurs et des
attitudes nouvelles en matière d'enseignement.

Le réseau de
l'enseignement a précisément rappelé le soin qu'il fallait accorder à la petite
enfance, à l'enseignement fondamental, à la reconstruction de l'enseignement
secondaire et à l'université, tant dans ses aspects d'apprentissage que de
recherches. Il nous faudra trouver la résultante entre cette région d'éducation
qu'est la Wallonie et l'émergence d'une civilisation nouvelle dans cette Europe
qui se bâtit.
Songeant par ailleurs à
ce truisme que les sciences et les techniques ne sont pas régionales, comment ne
pas épingler cette réponse de Gérard Fourez disant que la Wallonie ne se
développera bien que si elle s'enracine dans une véritable identité culturelle,
qu'elle ne tirera probablement pas d'une technicité pure, séparée de ses
significations sociales.
Les axes qui ont été mis en avant sont ceux de mon Exécutif, même si les moyens
restent insuffisants: soutien à la Recherche-Développement, incitation vers les
entreprises pour coopérer à l'effort commun, chasse aux surcapacités et aux
redondances dans le cadre de nos compétences.
Cette identité, cet
enracinement, cette modernité nouvelle aussi nous voulons la construire.
Il n'est que trop vrai
que la crise de l'enseignement en Wallonie est en partie liée à la dépossession
de son histoire par le Wallon. Les études que j'ai fait faire dans ce domaine
l'ont montré et nous avons commencé à réagir: la publication de plusieurs
supports comme l'exposition "Mon pays c'est la Wallonie" qui a accueilli plus de
11.000 visiteurs pendant les fêtes de Wallonie, ou encore, l'édition de l'aperçu
historique sur l'Identité wallonne vont dans ce sens.
Mon souci est de
développer durablement le sentiment d'appartenance des Wallons à leur Wallonie
en alliant une nouvelle cohésion sociale à la nécessaire ouverture sur le monde
et l'Europe.
Vos propositions
concrètes s'inscrivent parfaitement dans ces perspectives. Il faudrait
effectivement que les médias et les industries culturelles puissent participer
de façon plus tangible à cette représentation de la Wallonie.
Autre réflexion
essentielle: malgré les bons points qui nous sont souvent distribués dans le
domaine économique et qui contredisent les scénarios catastrophes que l'on avait
promis, il ne serait pas raisonnable de taire nos faiblesses. Les identifier est
la première nécessité car effectivement, il y a de la place pour la prise en
compte d'une attitude volontariste des acteurs économiques wallons.
Oui à la volonté de créer
des emplois dans le secteur secondaire, oui à une épargne régionale pour
soutenir notre croissance et nos investissements. C'est aussi question
d'éducation. Notre volonté de renouveau est réelle. Avec tous nos partenaires il
faudra, - et nous nous y efforçons déjà dans la mesure de nos compétences
légales-, élever le niveau des qualifications et privilégier la réinsertion
socio-professionnelle des jeunes travailleurs.
Notre équilibre passe par
un quotidien fait de stabilité sociale et d'harmonie physique. Il reste beaucoup
à faire. Quatorze mille Wallons aidés par les CPAS, un taux de mortalité trop
élevé... Ce sont deux exemples parmi d'autres.
Vos propositions en ce
sens méritent d'être envisagées, étudiées, appliquées: j'évoquerai les agences
locales pour l'emploi, la politique globale de la petite enfance, le département
wallon du bien-être social, la formation alimentaire des consommateurs, nouveaux
outils d'analyse pour l'aménagement du territoire,...

J'en viens à présent aux
enjeux institutionnels évoqués au cours de vos travaux.
La Wallonie est demeurée
longtemps en marge. Permettez-moi ce jeu de mot: elle est désormais en marche.
Le fédéralisme de responsabilité dont elle est l'actrice permet aux Wallons de
démontrer la force de leur volonté comme leur capacité de prendre en main leur
propre devenir.
A cet égard, les réformes
de l'Etat de 1980 et 1988-89 paraissent déjà insuffisantes en regard des
nouvelles ambitions wallonnes. Mais il y a deux niveaux d'analyse.
Le premier tient au
principe même du fédéralisme.
Concernant le rôle de l'Etat
central, le principe fédéral implique effectivement le transfert d'un maximum de
compétences - dont les compétences résiduaires - vers les pouvoirs fédérés, l'Etat
central gérant une liste limitative d'attributions...
Le fédéralisme tel que
voulu par les Wallons étant par ailleurs un fédéralisme de régions, c'est
naturellement au profit de la Région wallonne que doit s'effectuer tout
transfert en ce sens.
De même, en matière de
compétences internationales, je ne peux que rappeler à mon tour la nécessité de
défendre une représentation réelle et efficace de la Wallonie et, en
particulier, au sein des institutions européennes.
Pour les compétences qui
sont du ressort exclusif des régions, il paraît évident qu'il ne doit pas
revenir à l'Etat de les négocier sur la scène internationale, mais aux régions
elles-mêmes.
Le deuxième niveau
d'analyse est plus prosaïque: la cohérence de la fédéralisation de l'Etat impose
sans aucun doute un prolongement des responsabilités régionales dans les
matières ou la Région wallonne est déjà compétente. Il en va de l'homogénéité
des institutions comme de leur capacité à assumer pleinement l'autonomie qu'on
leur confie.
Ainsi, le commerce
extérieur, comme l'agriculture, doivent au plus tôt être transférés aux régions
car il est non seulement absurde mais intolérable que le sort de la Wallonie
demeure subordonné aux diktats d'une autre région, fut-ce par le biais de l'Etat
central.
Par ailleurs, la
régionalisation des matières personnalisables et des matières visées par
l'accord de coopération conclu entre la Région wallonne et la Communauté
française s'inscrit parfaitement dans le cadre de la recherche d'une répartition
homogène et claire, pour le citoyen, des compétences entre la communauté et la
région.
Quant au maintien à long
terme de la Communauté française, il me paraît tout à fait évident que cette
question doit en tous cas être réglée par les francophones eux-mêmes.
J'ai ainsi proposé
plusieurs fois très concrètement une modification de l'article 59 bis de la
constitution, de manière à permettre aux francophones de décider seuls de leur
organisation institutionnelle. Le transfert de compétences de la Communauté
française vers la Région wallonne résulterait alors d'une décision de leurs
propres assemblées.
C'est le sens même de la
démocratie.
Ce mécanisme me paraît en
outre commode, car il limite à une seule négociation avec les représentants
flamands toute perspective institutionnelle engageant l'avenir de la Région
wallonne et de la Communauté.
A cet égard, je ne vois
pas pourquoi les Flamands trouveraient anormal que chacun de son côté puisse
régler sa propre organisation ou ses formes de solidarité communautaire.

Mesdames et Messieurs,
Voici jetés, très
brièvement, quelques commentaires et réflexions résultant de vos travaux. Ils
mériteraient évidemment qu'on les approfondisse.
Dans la journée de lundi
1er octobre, il y a donc quatre jours, un des vice-premiers ministres de l'Etat
belge, Willy Claes, a déclaré que ce matin-là, il s'était réveillé dans un autre
pays.
Mon sentiment est qu'il
ne s'est pas trompé.
En le paraphrasant, je
vous dirai que ce même jour, je me suis moi aussi réveillé dans une autre
région. Dans une Wallonie offrant un tout nouveau visage.
Ce visage est celui de la
maturation de notre conscience. Nous savons désormais que les Wallons n'ont plus
peur d'eux-mêmes. Qu'ils sont capables de prendre - comme je l'ai affirmé devant
l'Assemblée wallonne - toutes leurs responsabilités pour assurer leur avenir.
Ce nouveau visage de la
Wallonie est celui de la sérénité: les Wallons ont désormais la certitude
d'avoir tourné la page, d'être passés, comme nous l'avions exprimé récemment
dans la presse, de ces photos en noir et blanc de notre désindustrialisation ,
aux couleurs des nouvelles initiatives de nos entreprises.
Ce visage de la Wallonie
est encore celui la confiance retrouvée en ses forces rassemblées, dans un même
effort pour franchir l'obstacle et affirmer l'épanouissement de l'Etat fédéré
qu'est la Wallonie.
Ce nouveau congrès
consacré à la Wallonie au Futur en est la démonstration exemplaire.
C'est pour ma part la
première leçon que les Wallons pourraient en tirer.
Je vous remercie.
(Octobre 1991)

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