Modèle
alimentaire et agriculture : du médical au diététique
Walter Burniat
Pédiatre - Obésité de l'enfant, Hôpital universitaire des Enfants "Reine
Fabiola", ULB
Claude
Van Aelst
Diététicien - Hôpital universitaire des Enfants
"Reine
Fabiola"
Modèle
alimentaire et agriculture... Le médecin reste rêveur. Deux images :
les files de gens qui se bousculent le vendredi soir devant les
caisses du super-marché, poussant un chariot regorgeant de denrées;
le moutonnement bucolique d'un champ de blé mûr, un vaste pré où
paissent des vaches - au loin le clocher sonne...
Le médical doit-il une
fois de plus intervenir, pourquoi, comment ?
La nutrition a fait
irruption dans le domaine de la santé au travers de maladies bien spécifiques et
désormais connues comme la phénylcétonurie, l'insuffisance rénale, l'intolérance
au gluten, l'allergie aux protéines de lait de vache, etc... Mais son rôle est
aussi reconnu dans certaines situations pathologiques : chez les grands brûlés,
les opérés, les insuffisants respiratoires, les cancéreux, par exemple.
Incontestablement les patients luttent mieux contre leur maladie lorsqu'ils sont
dans un état nutritionnel correct. Et ceci rejoint des observations anciennes :
les médecins des armées napoléoniennes s'étonnaient de voir mieux résister à
leurs blessures des prisonniers prussiens que leurs propres médecins faisaient
nourrir de soupes riches tandis que l'on continuait de saigner régulièrement les
blessés français... Il est des évidences qui rencontrent tardivement la science
!
Plus généralement, nous
mangeons "mieux" qu'au début du siècle - du moins, une large partie de la
population accède-t-elle à une alimentation diversifiée et suffisante.
Globalement nous vivons plus vieux. Mais si en 1900, aux USA par exemple, 9.4 %
des décès étaient attribués aux maladies cardiaques - principalement d'origine
coronarienne - en 1985, cette proportion était de 33.3 %. L'Organisation
mondiale de la Santé constate que la moitié des décès survenant dans les
sociétés industrialisées avant l'âge de 65 ans, sont dus aux maladies
cardio-vasculaires, aux cancers et à des affections digestives. Dans ces trois
catégories, la nutrition joue un rôle important. Symbole de l'excès, l'obésité a
augmenté spectaculairement ces dernières décennies : aux USA encore, la moitié
des adultes est en surpoids, près d'un tiers est obèse. Entre 1965 et 1980, dans
ce même pays, l'obésité chez les enfants âgés de 6 à 11 ans est passée de 17.5 %
à 28 % et de 16 % à 23 % chez les adolescents de 12 à 17 ans. La nutrition n'est
pas le seul facteur en cause mais joue un rôle prépondérant.
Dès lors s'est développée
ces dernières années une médecine de la nutrition qui n'est plus celle des
carences - malnutrition calorique ou protéo-calorique comme dans le Tiers Monde,
insuffisances vitaminiques (le rachitisme des cités industrielles occidentales),
etc... - mais qui traque les excès et/ou la balance inadéquate des nutriments.
Rien n'est simple toutefois et bien des différences régionales subsistent tant
dans la composition des bols alimentaires que dans les conséquences observées
sur la santé. Ceci a justifié la mise en route de programmes multicentriques
comme l'étude MONICA de l'OMS, visant plus particulièrement les maladies
cardio-vasculaires et à laquelle la Belgique participe.

Nonobstant ces
différences régionales, le bol alimentaire global de nos pays a changé ces
dernières décennies. Entre 1950 et 1980, par exemple, en Grande-Bretagne, la
part des graisses - principalement animales - est passée de 35 % à 40 %; en
Norvège, de 38 % à 43 % entre 1954 et 1974. En Belgique, nous ne disposons pas
de telles données au niveau national. Au sein de certaines populations ciblées,
comme celle des enfants et adolescents obèses que nous suivons, la consommation
des lipides est également élevée (39 %), l'alimentation est très concentrée et
pauvre en fibres.
Cependant, si nous savons
comment il faudrait mieux nous alimenter, nous nous heurtons au problème de la
diffusion de ce message et au contre-message permanent que délivre l'industrie
alimentaire. Le secteur marchand échappe en effet aux lois de la diététique et
de la santé. Avec des moyens puissants, il inonde les médias d'une publicité
dont le but essentiel, sinon unique, est de faire vendre ses produits. Il est
bien difficile de contrer l'image télévisée qui vante les barres chocolatées
entre deux dessins animés ou l'emballage des pommes chips qui promet un billet
de loterie!
Au pays de la libre
concurrence commerciale, l'éducateur de la santé est, par définition, un parent
pauvre, lui qui ressortit au secteur non marchand. Comment concevoir une éthique
de l'information nutritionnelle qui lui rendrait une juste place? Même s'il peut
accéder à des circuits sanitaires classiques comme l'ONE, l'IMS, il reste de peu
de poids en face d'une publicité omniprésente.
Cette barrière existe non
seulement entre le consommateur et son conseiller sanitaire mais aussi entre le
consommateur et le véritable producteur - l'agriculteur par exemple - soumis lui
aussi aux exigences des intermédiaires. Il nous paraît indispensable de
réfléchir aux moyens concrets de contourner cette barrière.
Il est de même
indispensable d'intéresser tous les intervenants actuels et potentiels à une
politique concertée de la bonne nutrition, d'élaborer ensemble les messages et
de les diffuser par les voies les plus appropriées. Le producteur doit être
associé à cette démarche.
Ce
texte est extrait de : QUEVIT Michel (sous la direction de), La Wallonie au
Futur, Le défi de l'éducation, Actes du Congrès, Institut Jules Destrée,
Charleroi, 1992.

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