Modèles
alimentaires - Education et agriculture
Georges Neuray
Professeur à la Faculté des Sciences agronomiques de Gembloux
Organisation
mondiale de la Santé (OMS) relève que la moitié des décès, survenant
avant l'âge de 65 ans dans les sociétés industrialisées, sont dus
aux maladies cardio-vasculaires, aux cancers et aux affections
digestives. En Wallonie tout particulièrement, le taux de mortalité
est nettement supérieur à celui d'autres régions et d'autres pays.
L'alimentation n'est pas le seul facteur en cause, mais elle joue un
rôle important dans le développement de ces maladies.
La médecine ne pouvant
rester indifférente à cette évolution, une branche consacrée à la nutrition
s'est développée ces dernières années. Elle ne traque plus les carences, mais
bien les excès et/ou la balance inadéquate des nutriments. En effet, au cours
des dernières décennies, le bol alimentaire a connu une augmentation générale et
exagérée des graisses, surtout animales.
Le modèle alimentaire
idéal est assez largement connu, encore qu'il y ait entre nutritionnistes des
divergences, largement exploitées par ceux qui ont intérêt à semer le doute dans
l'esprit du consommateur au sujet de certains produits ou certaines habitudes
d'alimentation. Mais néanmoins, tout le monde s'accorde sur l'apport énergétique
moyen et l'équilibre général du bol alimentaire.
La réduction de la
surnutrition et le rééquilibrage de l'alimentation selon le modèle proposé par
l'OMS réduirait le taux des maladies pour lesquelles la nutrition est un des
agents responsables. L'éducation diététique est donc aujourd'hui, tant pour le
bien-être de tous que pour des raisons économiques évidentes, un problème de
première importance.
Mais la compréhension par
le grand public des règles diététiques n'est pas toujours aisée. Il est plus
facile de l'assurer de la nocivité d'un aliment ou de ses qualités que de
l'aider à maîtriser les règles d'hygiène alimentaire en lui faisant prendre
conscience des notions d'excès et d'équilibre.
Enfin, remarquons que ce
n'est pas parce que quelqu'un est persuadé du danger d'une pratique alimentaire,
dont les conséquences ne se révèlent qu'à long terme, qu'il va changer sa
manière de manger. Entre la raison et le comportement la marge est souvent
grande, d'autant qu'aux habitudes s'ajoutent les traditions, les pressions
sociales, la publicité et la mode.
Le développement
extraordinaire de l'agro-alimentaire depuis vingt ans, est à la base de
changements profonds à la fois pour les producteurs agricoles et pour tous les
consommateurs. Par voie de fusion, de rachat et de regroupement, une part
croissante de l'industrie de la transformation des produits agricoles, passe
dans les mains de grandes firmes multinationales (Nestlé, Unilever... ).

Pour pouvoir assurer des
économies d'échelle tant au niveau de la production, de la recherche que de la
publicité, les efforts de ces firmes portent à la fois sur un élargissement
constant de la gamme des produits fabriqués et sur une extension géographique du
Marché. La mondialisation de certains produits est déjà un fait. L'introduction
du fast-food en URSS a presqu'été saluée comme un progrès vers la démocratie!
La logique, tout à fait
défendable d'ailleurs, de ces firmes qui comptent parmi elles les entreprises
les plus puissantes du monde, est le profit. Elles ont donc intérêt à vendre des
produits qui leur assurent la rentabilité la plus importante. Pour y arriver,
elles vont essayer, d'une part d'orienter les goûts du consommateur par une
puissante publicité, notamment en utilisant les médias sur une très grande
échelle, et d'autre part, elles vont peser de tout leur poids et utiliser leur
position de domination du marché pour réduire au maximum les prix qu'elles
paient aux producteurs. On comprend la difficulté de faire passer le message
diététique. En inondant les médias de publicités, de plus en plus souvent
appuyées d'ailleurs sur des références scientifiques, l'industrie
agro-alimentaire engendre la surconsommation et des déséquilibres nutritionnels.
Indirectement, avec des moyens puissants, des contre-messages alimentaires
permanents sont délivrés aux consommateurs.
Il est donc indispensable
que les messages médiatiques publicitaires puissent être contrebalancés par la
formation des consommateurs et par une information indépendante. La campagne
télévisée lancée par le Ministre de la Santé publique va dans ce sens.
Ce sont évidemment
les enfants qu'il faut éduquer en priorité, par une information correcte et par
l'adoption de comportements bénéfiques pour leur santé. Une enquête récente de
la Ligue des Familles a d'ailleurs montré que les enfants sont très sensibles à
tout ce qui concerne leur propre santé. Comme les habitudes alimentaires de
l'enfance se conservent le reste de la vie, les jeunes sont une des cibles
favorites des vendeurs de produits alimentaires, car, non seulement, ils
constituent les consommateurs de demain mais, de plus en plus, ils sont très
réceptifs à des messages habilement présentés. La diffusion mondiale du
Coca-cola montre comment, en s'appuyant sur la jeunesse, on peut créer un marché
pour un nouveau produit.
L'éducation des enfants
se heurte non seulement aux incitants à des modes de consommation inadaptés ou
déséquilibrés ou encore simplement excessifs, distillés par les médias, mais
aussi aux différences entre le contenu des approches théoriques (les leçons
qu'ils reçoivent éventuellement en classe) et celui de la réalité quotidienne.
La première peut provenir
de la contradiction entre les habitudes alimentaires familiales et les règles
inculquées à l'école.
La seconde résulte des
repas qu'ils reçoivent dans les cantines scolaires et qui, pour des raisons de
coût ou de méconnaissance des règles diététiques, ne sont pas nécessairement
conformes au bon équilibre alimentaire.
La troisième provient des
ventes de boissons et de sucreries (moins de 20% proposent épisodiquement des
fruits et moins de 10% des yaourts) effectuées à dix heures ou à d'autres
moments de la journée dans les établissements scolaires, et dont les bénéfices
servent à couvrir différents petits frais que l'école ne peut plus assurer :
bibliothèque, voyages scolaires...
Les efforts devraient
tout d'abord porter sur une bonne coordination entre les différents niveaux de
pouvoir, notamment entre le national, le communautaire, le régional et le
communal pour accroître les possibilités d'action des institutions qui oeuvrent
déjà dans le domaine de l'éducation alimentaire. Il faut encourager les actions
déjà entreprises pour améliorer les repas des cantines scolaires. Peut-on
espérer que la naissance du Conseil national de la Nutrition qui vient d'être
mis en place contribue à renforcer des organismes qui, comme l'ICAN (Institut
communautaire de l'Alimentation et de la Nutrition), ont déja été chargés de la
coordination des actions dans les domaines de l'alimentation et la nutrition.
A défaut de pouvoir
procurer aux écoles les moyens qui leur sont nécessaires pour assurer toutes
leurs tâches, ce qui est hélas impossible actuellement, il faut aider les
enseignants à trouver des produits de qualité nutritionnelle acceptable,
susceptibles d'être appréciés par les enfants et donc achetés.
L'action d'éducation,
tout en portant tout spécialement sur les enfants, doit donc être assurée d'un
relais très large au niveau des adultes et être tout aussi omniprésente que la
publicité.

Pour que les
consommateurs puissent juger eux-mêmes, au moment d'acheter, il faut largement
améliorer et renforcer l'information déjà fournie sur les emballages des
produits, ainsi que le réclament régulièrement les associations de
consommateurs, mais surtout les messages publicitaires doivent être très
largement nuancés par des informations complémentaires.
Il n'est cependant pas
normal que ce soit les pouvoirs publics qui payent pour avertir les
consommateurs des conséquences néfastes sur leur santé dues aux excès de
consommation et déséquilibres nutritionnels engendrés par les campagnes
publicitaires des firmes agro-alimentaires. Ne faudrait-il pas envisager que sur
le coût de toute publicité en faveur d'une boisson ou d'un aliment soit prélevé
automatiquement un certain pourcentage qui serait consacré à une éducation et à
une information alimentaire neutre et indépendante?
A côté des goûts
standardisés, on peut penser et espérer qu'il subsistera en Europe une
consommation alimentaire de plaisir et de découverte, qui associera des produits
locaux et régionaux aux goûts typiques et marqués. L'agriculture a une partie
difficile à jouer, entre l'inévitable production destinée à une consommation de
masse, de plus en plus dominée par l'industrie agro-alimentaire et des produits
spécifiques et régionaux sur lesquels il faut attirer l'attention des
consommateurs et notamment des jeunes. Grâce à une politique de qualité,
l'agriculture pourra sauvegarder un lien direct entre producteurs et
consommateurs.
Ce
texte est extrait de : QUEVIT Michel (sous la direction de), La Wallonie au
Futur, Le défi de l'éducation, Actes du Congrès, Institut Jules Destrée,
Charleroi, 1992.

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