Pistes pour
une ville de moyenne importance
Alain Guéritte
Avocat
Imaginons une
ville de moyenne importance. J'entends par là une ville ne comptant
pas plus de 25.000 habitants. Imaginons, par ailleurs, que cette
ville soit située dans une région économiquement défavorisée. Une
région au passé riche et à l'avenir incertain.
Imaginons que cette ville
soit moyenne en tout : pas d'atouts majeurs reconnus, une population
vieillissante, aucune raison particulière d'espérer des lendemains qui
chantent...
Dans cette ville, un
Centre public d'Aide sociale comme dans chaque commune de Belgique.
Une population d'environ
125 minimexés, un budget en boni, un home public, un service social de 4
personnes et dans l'ensemble, un CPAS qui fonctionne à l'appréciation générale
de façon positive.
Quelles sont les pistes
qu'un esprit "novateur" pourrait tracer dans pareil environnement?
Vu sur place, dans le
chef d'un demandeur de formation qui fait partie de la catégorie des femmes
abandonnées ayant entre 30 et 60 ans et n'ayant pas un diplôme d'humanités
supérieures, ce contexte plutôt bonhomme et en apparence rassurant devient tout
à fait inquiétant.
En effet, hormis la
perspective d'émarger pendant toute la durée de sa "vie professionnelle" au
CPAS, cette personne "type" n'aura quasi aucune perspective de trouver un
emploi.
Bien entendu, il lui sera
possible de faire quelques ménages de-ci de-là; il sera possible qu'elle
accomplisse au sein du couple qu'elle pourrait former toutes les tâches
ménagères qui constituent d'une certaine manière une profession traditionnelle
non remise en question pour la plupart des femmes.
En dehors de ces
perspectives éminemment motivantes, le néant.
N'est-ce pourtant pas là
que se situe le principal problème de cette ville moyenne?
A côté des grandes villes
qui sont des lieux idéaux de tous les développements et de toutes les
initiatives (dixit les grandes villes), la ville moyenne peut-elle être autre
chose que statique, froide, bureaucratique et incompétente pour résoudre le
problème essentiel du temps présent : le travail de ses habitants?
La première piste à
tracer apparaît clairement. Le lieu de vie qu'est la ville moyenne doit être un
chemin qui conduit au travail.

Cette piste se situera
donc d'emblée au carrefour des "propositions concrètes d'action pour le pouvoir
politique" et des valeurs. Le mot est libéré : le travail doit être conçu comme
une valeur. Valeur au premier sens du terme puisque normalement le travail
rapporte. Valeur morale également. Traditionnellement, le travail élève l'homme
(en ce compris d'ailleurs la femme qui a souvent plus travaillé que l'homme).
Une remarque préliminaire
s'impose à ce stade sur la nécessité des valeurs dans une ville. Sans valeurs,
la ville moyenne, deviendra rapidement une jungle urbaine, insécurisante et
envahissante. Sans valeurs, les gestionnaires de cette ville moyenne se
complairont d'ailleurs dans le cumul des mandats, l'amélioration du réseau
d'égouttage et les fancy-fairs des écoles communales. On conclut donc
logiquement que sans éléments susceptibles de rassembler un nombre croissant
d'individus autour d'un moteur commun et de les amener à reculer leur quotidien,
rien ne sera possible pour nos habitants.
Il reste alors à
déterminer les valeurs communes et communales à adopter, à défendre et surtout à
faire triompher.
Emprunter la piste du
travail signifiera donc reconnaître que celui-ci constitue une valeur. Cette
reconnaissance impliquera que notre citoyen se départisse volontairement de tout
ce qu'apprécient les gens qui travaillent trop : le réveil sans horaire, la
journée paisible, la soirée relax (sans que cette énumération soit limitative).
Cependant, s'il fait
choix d'emprunter cette piste au mépris des mille dangers qui l'y guettent,
notre assisté social devenu un chercheur de travail ou plus exactement un
"demandeur d'emploi" pourra, grâce aux services offerts par sa ville, se
réaliser pleinement grâce à un travail.
Notre première piste nous
amène donc à proposer la création dans chaque ville moyenne d'une "Agence locale
de l'emploi" aux compétences élargies par rapport à celles qui leur sont
actuellement reconnues.
Cette nouvelle ALE sera
non plus l'antichambre du bureau de pointage mais un service décentralisé
d'information - formation sur tout ce qui touche au travail. Elle pourrait même
coordonner des initiatives existantes.
En effet, à l'heure
actuelle dans les villes moyennes, quelques initiatives modestes sont
généralement mises en place, essentiellement sous le couvert des CPAS : il
s'agit de la mise au travail en application de l'article 60 de la loi organique
des CPAS où d'une convention passée avec un centre de formation ainsi que le
Fonds national de Reclassement des Handicapés.
Ces perspectives sont
toutefois limitées.
L'utilisation de
l'article 60 reste confidentielle, il semble qu'elle constitue un tabou
difficile à enfreindre d'autant plus que le coût de cette mise au travail doit
être supporté par le CPAS.
Par ailleurs, même si les
conditions d'accès au Fonds national de Reclassement des Handicapés semblent
plus larges qu'auparavant, il est clair que cette possibilité d'aide reste
réservée aux handicapés et que cette définition ne correspond pas nécessairement
à la reconnaissance d'un handicap de société, un handicap social au sens le plus
large du terme.
Les ALE nouvelle formule
pourraient donc être un moteur décentralisé à la condition d'être accompagnées
par un changement de mentalité.
Il semble à cet égard que
la majeure partie des Communes et CPAS de Wallonie restent bien en dessous des
possibilités d'action qui pourraient être les leurs.

Hormis quelques
exceptions propres aux grandes villes qui disposent alors de moyens plus
importants et d'une volonté d'action plus nette, le constat semble relativement
amer.
La mentalité des
gestionnaires du CPAS est d'assurer le fonctionnement de la machine sans plus ni
moins, ouvrant les vannes du robinet financier au profit des plus défavorisés et
ne prenant que peu ou pas d'initiatives destinées à modifier les fondements
mêmes de la situation et la structure de dépendance fondamentale d'une certaine
catégorie de personnes, peut-être des marginaux qui dépendent de l'aide
publique.
Pour modifier cette
situation, un seul recours, une seule réelle efficacité : le changement de
mentalité et le passage à l'action.
Les instruments
juridiques d'action existent tant en ce qui concerne l'article 60 qu'en ce qui
concerne les possibilités de conclure des conventions avec des établissements
d'enseignement ou des organismes susceptibles de donner une formation
appropriée.
Le problème financier
semble, par ailleurs, pouvoir être tourné dès lors qu'il est possible de
consacrer des sommes non négligeables à de tels projets susceptibles de diminuer
la charge financière des personnes émargeant à l'aide sociale.
Une solidarité
apparaîtrait alors entre tous les intéressés, tant mandataires qu'assistés et ne
serait pas que la solidarité de l'administration mais également une forme vécue
et directe de participation au changement.
On aurait tort en effet
de croire que la solidarité est un moyen d'action qu'il suffit de prévoir dans
des textes pour qu'il devienne réalité.
La réalité la plus
fondamentale vécue sur le terrain est celle de l'immobilisme ou des initiatives
longuement mesurées. Une sorte de fatalité contraignante envahit les esprits et
les conduit à ne mettre aucun point à l'ordre du jour d'une réunion, à ne pas
troubler l'harmonie artificielle qui se dégage de celle-ci et produit le
consensus.
Reste finalement que les
problèmes essentiels sont peut-être reculés mais que les solutions ne sont
certainement pas trouvées. Pour arriver à ouvrir quelques pistes permettant
d'atteindre de telles solutions et d'établir une liaison entre l'emploi, la
formation et la solidarité, il faut sans aucun doute agir sur le principal
blocage actuel : le blocage des mentalités.
La première piste est
donc sauvage.

Parmi les autres pistes à
emprunter, les plus importantes sont de toute évidence celles de "l'information
- participation". Ces pistes conduisent, par ailleurs, à toutes les autres.
Pour vivifier la ville
moyenne, seules des initiatives qui touchent à l'information du citoyen et à sa
participation peuvent, en effet, engendrer un renouveau.
Comment comprendre que
des esprits éclairés ne créent pas de service communaux d'information et de
participation? Ces services pourraient agir dans tous les domaines de la vie
communale et constituer les liens privilégiés entre l'organisation
administrative et les habitants. Ils constituent donc des atouts et pas
automatiquement de nouveaux services qui entreront en conflit avec les autres.
Ces pistes du renouveau
de la ville moyenne dépendent donc elles aussi en définitive d'un changement de
mentalités.
Notre conclusion rejoint
nos moyens d'action.
Les pistes défrichées
dépendent des explorateurs.
Elles peuvent conduire à
de nouveaux mondes et être ainsi des sources de renouveau et d'enthousiasme.
Seulement pour les ouvrir, il faut de nouvelles mentalités.
Les principaux obstacles
ne sont pas à l'extérieur mais bien à l'intérieur de nous-mêmes.
N'est-ce pas là que doit
se situer le renouveau?
(Octobre 1991)
Ce
texte est extrait de : QUEVIT Michel (sous la direction de), La Wallonie au
Futur, Le défi de l'éducation, Actes du Congrès, Institut Jules Destrée,
Charleroi, 1992.

|