Relation Travail -
Famille - Solidarité
Joseph Gillain
Premier Président de la Cour du Travail de Mons
L'égalité est rarement un donné de
la nature ou de la société, elle est une conquête, une difficile conquête
qui puise ses meilleures armes dans l'analyse des causes de l'inégalité.
Idéal et réalité ne s'opposent pas, dès l'instant où l'on considère que la
science est l'action en fonction de nos buts et de notre volonté.
René ZAZZO, Les
Jumeaux, le couple et la personne,
Paris, PUF-coll. Quadrige, 2ème éd., 1986, p.114.
Citer d'entrée de jeu la
réflexion d'un généticien pour situer les travaux de l'atelier que j'ai
l'honneur de diriger en déconcertera sans doute plus d'un au même titre, au
demeurant, que les auteurs des contributions ci-jointes et moi-même l'avons été
lorsque nous fut quasi-enjoint le thème extrêmement résiduaire de notre
entreprise.
N'est-ce pas faire oeuvre
résiduaire, en effet, que d'avoir, dans un Congrès où sont recherchées des
perspectives d'actions, à se cantonner dans l'analyse de facteurs qui se
situent nécessairement en amont et en aval de la relation de travail? N'y-a-t-il
dès lors aucune fatalité à redouter de la mise en évidence de certaines
pesanteurs sociales particulièrement révélatrices d'un état d'esprit wallon qui
serait antinomique à toute idée d'actions ?
La question a été posée
et les réponses qui y ont été fournies, si elles ne traduisent pas une grande
originalité, témoignent d'une volonté de s'en sortir ou, à tout le moins
d'améliorer les choses dans les limites du réalisable ou de l'envisageable.
Parler des relations
du travail, c'est s'insérer dans un contexte de relation mercenaire
impliquant une nécessaire précarisation du travail et par conséquent pour le
travailleur une menace permanente dans la gestion économique de son budget
familial. Certes, pareille précarité est-elle également le lot de l'employeur
mais dans une mesure moindre si tant est que plus grands sont ses moyens
d'infléchir l'outil économique. Parallèlement à cette relation de travail
parfaitement balisée par le droit privé et notamment par la loi du 3 juillet
1978 relative aux contrats de travail, s'est développé, avec des fortunes
diverses et des conceptions hétéroclites, un réseau de relations tirées du droit
public, engendrant la notion de fonctionnaire attributaire d'un statut
constitutif, en principe, d'une relative stabilité d'emploi. On sait qu'au fil
du temps, la situation économique des fonctionnaires s'est dégradée et la
plupart d'entre eux se sont trouvés rejetés dans une zone de
second ordre.
Parler de famille,
c'est prendre en compte à la fois l'idée communautaire qu'elle sous-tend en tant
qu'organisation patrimoniale avec tout ce que cela implique de compétence et
d'autorité ainsi que la radicale transformation des relations familiales due à
une nouvelle approche de la relation sexuelle. Cette transformation affecte
directement la rencontre quotidienne de l'homme et de la femme; elle oblige à
comprendre d'une façon nouvelle la vie familiale et l'institution du mariage.
Notre système de protection sociale a été, à cet égard, un pionnier dans
l'approche de cette transformation particulièrement évidente dans une société de
types industriel et urbain. En même temps que s'y décelait une relativité de
plus en plus affirmée du domaine sexuel, s'opérait le passage du parental au
conjugal et l'apparition de nouveaux foyers et de nouvelles relations sociales.
La vie sexuelle
change avec la vie sociale : de parental, le lien est devenu conjugal. Dans
le système parental, le mariage était considéré avant tout comme une
institution ajoutant une cellule à un monde social organisé et préexistant;
dans la perspective conjugale, il est d'abord relation interpersonnelle,
rencontre d'un homme et d'une femme pour une histoire à faire à deux. Quand
l'important n'est plus la lignée ni la maison avec ses traditions à
transmettre, c'est simplement l'autre, le partenaire tel qu'il est, qui
prend toute la place, avec la perspective ouverte sur l'avenir - en ce sens.
A. JEANNIERE, V°
Famille, dans Encyclopaedia Universalis, Vol. 6 p. 907.

En outre, ce changement
facilite d'autant mieux l'insertion de la femme dans la vie professionnelle
active où le masculin et le féminin se confondent. Néanmoins, cette insertion se
heurte à certains archaïsmes de fait ou de droit. De même que la mise en cause
de la cellule familiale où la femme a un rôle fixe et limité, rôle encore
privilégié notamment dans la classe ouvrière, de même la question de la
surveillance et de la garde des enfants dont les parents travaillent selon
souvent des horaires difficilement aménageables, fait problème.
Parler de solidarité,
enfin, c'est, comme nous le rappellent les dictionnaires, avoir conscience d'une
communauté d'intérêts, qui entraîne, pour un élément du groupe, l'obligation
morale de ne pas desservir les autres et de leur porter assistance.
A première vue, le Wallon
pourrait avoir tendance à s'emparer de cette définition pour s'écrier
"solidarité, ça on connaît..." Voire dès lors qu'un certain démantèlement du
système de protection sociale opéré durant la précédente décennie et
heureusement endigué sous le dernier gouvernement a pu raviver les égoïsmes
exacerbés par la crise et que la parcellisation de la relation de travail et les
opérations de flexibilité ont ébranlé le droit du travail d'autant plus
facilement que la précipitation de couches de travailleurs chevronnés et
militants dans les limbes de la prépension, a fait s'essouffler la vigilance
syndicale. Ces considérations imposent de redynamiser la solidarité entre
pauvres et riches; jeunes et vieux; actifs et non-actifs; valides et moins
valides; mariés et célibataires, dans un contexte particulièrement difficile et
aléatoire : les régimes d'assistance remplacent insidieusement le système
d'assurance sociale.
Pareil champ de réflexion
ainsi borné, restait à l'adapter au socle wallon tel qu'il nous a été demandé de
l'envisager. Faute de moyens et parce que les collaborateurs amis et moi-même
sommes carolorégiens ou y travaillons, l'essentiel des données recueillies
provient du grand Charleroi, réserve faites de celles communiquées par l'entité
de Saint-Ghislain. D'avance, nous acceptons le reproche qui pourrait nous en
être fait en contre-attaquant immédiatement.
Indépendamment de
l'attachement aussi viscéral qu'inexplicable qu'éprouve pour Charleroi celui qui
y vit, cette grande métropole a le triste privilège de contenir en elle, tel un
creuset de laboratoire, tous les maux sociaux que révèle cette fin de siècle
tourmentée : Ville champignon sans tradition historique où l'usine est dans la
Ville - à l'échelon urbanistique, seules La Louvière et Seraing présentent des
données comparables quoique plus modestes et où la paupérisation croît à la
mesure de l'indigence culturelle constatée par le monde de la formation... Bref,
un parfait outil de travail au demeurant déjà maintes fois éprouvés et qui n'a
d'égal que la volonté de ses forces vives unanimes de le doter d'une image de
marque positive dont le plus bel exemple est l'extraordinaire "projet ville" mis
en chantier par son bourgmestre.
De ces données ainsi
localisées, peuvent se déduirent certaines directives de nature à infléchir le
cours de la Région wallonne ou de la Communauté française dans la mesure de
leurs compétences, affinités et sensibilités électives.
A ce propos que le Wallon
se garde de céder au mirage des mots en invoquant le "déjà donné", le "je n'ai
de leçon à recevoir de personne", etc.
Au contraire, qu'il se
fasse humble, comme l'ont été ceux qui ont contribué aux travaux de l'atelier.
Ils ont trouvés dans le passé socio-politique wallon le témoignage d'une volonté
de se dépasser dont tout le monde devrait s'inspirer. Non pas pour sombrer dans
un catastrophique revanchardisme du genre : "la prospérité wallonne et la
conscience syndicale des travailleurs wallons ont largement contribué à l'essor
de la Belgique et de la sorte à la prospérité flamande. Partant, à celles-ci de
nous aider".
Ce pitoyable plaidoyer
n'aurait d'ailleurs que peu de chances d'aboutir pour peu que l'on analyse, au
sens où R. Zazzo l'entend, ce qui structure encore l'Etat belge.

Foin donc de tout
passéisme et de tout regret, oeuvrons à renverser l'inversion Flandre belge c/
Wallonie dans un esprit de coopération et d'égalité des chances.
Et Bruxelles me
direz-vous? Ah oui, j'allais l'oublier tellement elle manifeste peu
d'enthousiasme de partage. Va donc pour Bruxelles, où les problèmes envisagés
ici sont aussi criants qu'ailleurs.
Il nous a paru logique de
développer nos travaux selon trois axes :
-
Le donné social
européen tel qu'il devrait apparaître lors de l'unification du grand marché
à l'échéance du 31 décembre 1992 c'est-à-dire, à s'en tenir au calendrier du
Congrès, dans quelque 452 jours... Cette analyse de Jean Russe est à mettre
en parallèle avec celle de Jacques Fontaine qui interroge "Pourquoi une
Europe sociale" et y répond en syndicaliste universaliste.
-
Le tissu wallon
envisagé dans son aspect socio-industriel par André Ruol avec toutes les
conséquences liées à la paupérisation, aux interpellations adressées aux
Centres publics d'aides sociales parfaitement mises en évidence par
Jean-Marie Berger ainsi qu'aux responsables locaux pris de court, faute de
moyens adéquats, face à la montée de la violence et à la banalisation de la
drogue et de la prostitution comme le soulignent Christian Renard et Alain
Gueritte.
-
Le devenir d'une
Wallonie prospère doit se vérifier, selon Gisèle Caprasse au travers de sa
percutante formule "A travail admis, parents admis, enfants admis". Pour
l'heure, sa réalisation est difficile ainsi qu'en témoigne l'expérience
concrète en matière de garde des enfants à Charleroi, relatée par
Dominique-Paule Decoster.
C'est quasi un truisme de
relever qu'en dépit d'encourageantes déclarations d'intentions contenues
notamment dans la Charte sociale européenne avalisée par onze Etats membres, le
social européen fait figure de parent pauvre au regard de l'Europe des
marchands. Ce n'est pourtant la faute ni de Monsieur le Président J. Delors ni
de la Commission qu'il anime, ni même du Parlement européen. Mais on sait que
ces organes n'ont pas les moyens de leur politique ni la plupart des Etats, la
volonté sincère d'un abandon sérieux et suffisant de leur souveraineté.
Néanmoins des embellies
se dessinent, la politique actuelle du Gouvernement anglais et celle de son
opposition travailliste exprimée surtout par le Shadow Cabinet, ne sont plus
aussi négativistes qu'elles ne l'étaient et certaines mises en place
irréversibles sont de bon augure surtout pour ceux qui ne sont pas pressés.
Ainsi paraît bien avoir
été adoptée le 10 juillet 1991 par le Parlement européen, la décision de voir
mettre au point des Conseils ou Comités d'entreprises au sein d'unités
industrielles ou économiques groupant à l'échelon européen, un nombre déterminé
mais important de travailleurs pour autant que ces entreprises occupent dans l'Etat
membre un nombre minimum d'entre eux. Voilà de quoi oeuvrer à ce droit
conventionnel qui remplacerait comme l'écrit J. Russe "le droit réglementaire
classique en permettant ainsi aux partenaires sociaux de tenir un plus grand
rôle dans l'élaboration et la mise en oeuvre d'une législation sociale
communautaire et dès lors, en quelque sorte, de transposer à l'échelle
européenne le modèle belge de concertation sociale". Voilà aussi de quoi
procurer quelqu'apaisement à J. Fontaine soucieux de développer une politique
européenne de nature à "créer les instruments de la cohésion sociale".
André Ruol développe à ce
sujet des idées qu'il tire des projets encore en gestation, du Cabinet de
Monsieur le Ministre Ph. Busquin et dont les auteurs sont MM. Dispersyn et
Vandervorst.
Ainsi le serpent
social européen pourrait favoriser d'autant mieux l'égalité sociale des
travailleurs européens assujettis à un régime de protection sociale que le
scénario de la reconnaissance d'un Treizième Etat, sorte de paradis social,
obligerait chaque Etat membre à vérifier l'efficacité de son système national
pour y atteindre.
Néanmoins des zones
d'ombres subsistent notamment par la multiplication comme générateurs de postes
de travail, d'emplois dits "atypiques" dont l'inéluctable effet, souligne encore
J. Russe, est de créer deux "races" de travailleurs européens.
Or si la perspective d'un
développement de la concertation sociale européenne favorisera incontestablement
la cohésion à l'échelon des grandes entreprises où, en règle, elle existait
déjà, elle n'atteindra nullement, si ce n'est par osmose, les petites et
moyennes entreprises, trop souvent rebelles à toute intrusion syndicale et où
les rapports professionnels sont plus de collaboration imposée et de
paternalisme social. Mais, je ne crois pas aux effets aléatoires d'une osmose
sociale et si une certaine planification des relations industrielles peut
pallier tout dumping social, il faudra veiller à ce que ce dumping
ne réapparaisse à un échelon plus bas, dans l'entreprise de taille plus réduite,
au personnel nécessairement plus docile.
Dans cet ordre d'idées,
le contrôle européen d'aide économique aux Régions que la Communauté économique
européenne octroie aux Etats membres par l'entremise du Fonds européen de
Développement régional, en abrégé FEDER - voir articles 130 A à E du Traité, de
même que la politique du Fonds social européen - voir articles 123 à 128 du même
Traité, devraient davantage se manifester en collaboration plus étroite avec la
Région wallonne et selon des critères plus circonstanciés.

Reviendrait alors à la
région le devoir de parfaire l'ouvrage à l'aide de critères qu'elle serait seule
parfaitement à même de déterminer et où le "social" devrait être largement pris
en compte.
Certes, des efforts sont
entrepris à cet échelon depuis trois ans et ils commencent à porter leurs fruits
mais il faudrait simplifier les procédures et éviter que le tatillon ne
l'emporte sur le but recherché.
Nombres de petites
entreprises, de celles qui n'occupent qu'un nombre réduit de travailleurs, par
exemple de 1 à 5 travailleurs ou de 5 à 10, ignorent encore la portée de
certaines aides alors qu'elles occupent une place de plus en plus importante
dans le secteur économique wallon.
Et ce n'est pas un des
minces mérites d'André Ruol que de s'être attaché à mettre en évidence la
dynamique générée par les PME.
Certes, là n'est pas
l'essentiel de ses préoccupations, beaucoup plus générales et tout aussi
pertinentes en matière d'emplois. La Wallonie y est défavorisée ne fût-ce qu'à
considérer la charge familiale qu'y supporte le travailleur actif et que
certains secteurs, porteurs d'avenir, témoignent de faiblesses inquiétantes
notamment dans le domaine marchand. Et de suggérer diverses réformes pour
conclure par la nécessité de redynamiser le secteur tertiaire wallon.
Reste évidemment le
lancinant problème du sous-emploi, de ce chômage qu'il est difficile d'endiguer
selon des normes compatibles avec la dignité humaine.
Dans deux chroniques
récentes publiées par Le Monde des 2 et 9 juillet 1991, Paul Fabra combat l'idée
qui serait communément admise selon laquelle une économie de compétition a
nécessairement pour corollaire l'élimination du marché de l'emploi de toute
frange de la population plus ou moins incapable de s'adapter aux nouvelles
conditions de la production ou réfractaire à ces disciplines.
Pour ce faire, il défend avec beaucoup de pertinence la thèse que plutôt, pour
un entrepreneur, que de s'arrêter uniquement aux paramètres que sont les
salaires et les coûts, il serait plus sage de se référer au temps de travail.
Ceci implique de laisser jouer au maximum le principe de la meilleure
utilisation du temps, y compris donc, s'il le faut, par l'acceptation d'une
hiérarchie des salaires relativement ouverte. Car écraser la pyramide salariale
a toujours eu des effets négatifs sur la production et le dynamisme général
d'une économie. La raison en est probablement qu'en l'absence d'une incitation
pécuniaire, l'aptitude - sauf vocation impérieuse - ne serait pas un moteur
suffisant d'orientation des carrières et des métiers.
Rendre le travail
attractif en développant une politique de l'emploi pour autant que le phénomène
soit considéré avec franchise c'est-à-dire autrement qu'à travers une analyse où
étaient expurgées systématiquement plusieurs des causes principales mais
gênantes du point de vue de la sensibilité politique. Madame Martine Aubry,
Ministre du Travail du gouvernement Cresson s'y attache en proclamant son
intention de substituer à la logique de l'exclusion la dynamique de l'insertion.
Certes, notre législation en matière de chômage n'a rien à envier à celle de la
France. Néanmoins, cette nouvelle vision des choses et l'accent mis sur la
création d'emplois dits de proximité - idée chère à M. ROCARD, a de quoi
intéresser la Région wallonne. Ces emplois, rémunérés aux salaires minima
barémiques à relever, seraient régis par le droit du travail et de nature à
détourner les jeunes des allocations de chômage ou des minimex.
Les considérations
sévères qu'émet J.M. Berger ne peuvent, à ce propos, laisser aucun responsable
indifférent.
La lente montée des
régimes d'assistance en matière de protection sociale sape, petit à petit, les
digues de l'assurance.
Garantir à chacun le
droit au minimum de ce que sa sécurité d'existence requiert, c'est là chose
normale pour un pays civilisé. Mais par ce biais, démotiver les jeunes, les
vouer à l'oisiveté, à la vacuité mentale et, pour tout dire, en faire quasi des
proies pour les exploiteurs de tout acabit, voilà qui est irresponsable, fût-ce
involontairement.
Analysant les tâches
multiples qui leur sont confiées, on pourrait même dire abandonnées par les
Pouvoirs, il observe : les Centres publics d'aide sociale constatent qu'ils sont
de fait de plus en plus confinés dans le traitement social de la pauvreté; ils
sont confrontés avec effroi non seulement à l'accroissement de leur clientèle,
non seulement à sa diversité, mais surtout à la participation de fait de leur
institution - incroyable perversité du système social - à la mise sur la touche
définitive d'un nombre croissant de jeunes... - fin mai 1991, la Région wallonne
comptait 13.684 aidés contre 3.203 bruxellois et 7.737 flamands, selon le
bulletin du Ministère de la Région wallonne.
Les montants du minimex
ne sont pas dérisoires, ils sont incitatifs à ne pas perdre son droit au minimex,
ils ne sont incitatifs à rien d'autre.
Cruel constat qui ne fait
qu'illustrer ce que je viens d'écrire.

D'accessoire ou
résiduaire, l'aide sociale est devenue principale sans que le législateur n'ait,
contrairement aux pays voisins, cure des moyens que cette politique imposée
parce que plus aisée, requiert. La jurisprudence des Cours et Tribunaux du
travail est, à cet égard, fort laxiste, ce qui dénature le minimex auquel les
CPAS sur le terrain, s'efforcent de rendre un sens : celui d'une intervention
résiduelle, celui d'un moyen d'insertion et non d'exclusion.
La création d'activités
précaires rémunérées par le biais du minimex désarçonnent les CPAS qui ne
comprennent pas par quel phénomène collectif le minimex s'est transformé en
rente viagère pour une vie sans vie.
Assurément des solutions
existent mais, selon J.M. Berger, elles ne se situent plus à l'échelon des CPAS
mais requièrent la croyance en une autre politique économique et sociale en
s'écartant de la philosophie économique basée sur le sous-emploi - cf. ci-avant
P. Fabra, et en se mettant à l'écoute des jeunes eux-mêmes.
Il faut, tout d'abord,
que l'Etat prenne en charge le financement du minimex à concurrence de 75% (et
non plus seulement de 50%) et limite son intervention à l'égard des candidats
réfugiés à ce même pourcentage (et non plus 100% comme actuellement) afin de
donner, aux pouvoirs locaux, les moyens de l'action sociale et de mettre fin à
toute discrimination entre bénéficiaires de l'aide sociale.
Ensuite, au point de vue
des hiérarchies salariales et d'allocations, il ne devrait plus, sauf
indexation, y avoir une augmentation du minimex tant que l'ensemble des
prestations de sécurité sociale n'ont pas dépassé ou égalé le minimex.
Enfin, c'est tout le
statut du jeune sans emploi et sans formation adéquate, qu'il soit chômeur
indemnisé ou bénéficiaire du minimex, qui devrait faire l'objet d'un statut
approprié et similaire, à défaut d'être identique.
Et de préconiser, à son
tour, que soient adoptées des mesures positives d'insertion des jeunes qui
pourraient être éventuellement sanctionnées par les juridictions du travail. la
proposition de loi L. Onkelinx - DP Chambre 1990-1991, 18 avril 1991 N. 1574,
mérite de retenir l'attention de chacun.
J.M. Berger rompt une
lance en faveur de l'attractivité ou mieux de la compétitivité des
établissements publics qui s'occupent de la santé ou de l'aide sociale. C'est la
seule façon de faire face à la concurrence et au règne de la privilégiature.
Le libre choix du patient
et le droit de tous aux meilleurs soins sont les paravents du mercantilisme où
la solidarité est collective quant à sa charge mais seulement quant à sa charge.
Parmi les remèdes des
maux qui minent ce qui reste le meilleur système du monde, il faudrait surtout
mettre fin à toute politique de concurrence déloyale, miser sur la transparence
à l'égard du personnel et des usages, rémunérer adéquatement les actes
intellectuels et mettre fin à toute surconsommation, ce qui implique des budgets
prévisionnels décents, permettant de supporter la route, oser "les numerus
clausus" et les programmations impératives.
Par ailleurs, les CPAS
sont des employeurs en quête de personnel de qualité. Pourquoi ne pas créer
entre ses fonctionnaires et les autres agents de la Communauté française, de la
Région, des provinces et des communes une mobilité généralisée. Les transferts
de fonds, les transferts de moyens financiers, c'est bien, les transferts de
personnes, c'est encore mieux.
Et Berger termine par une
conclusion éthique en témoignant en faveur du non-marchand, ce qui est hors
commerce et qui donc n'a pas de prix.
Alain Gueritte,
observateur privilégié du quotidien d'une ville de moyenne importance... située
dans une région économiquement défavorisée... au passé riche mais à l'avenir
incertain, en l'occurrence Saint-Ghislain, ne pense pas autrement.
Cherchant les pistes
qu'un esprit "novateur" pourrait tracer dans pareil environnement, il estime que
la restauration du travail comme valeur morale pourrait constituer l'adjuvant
nécessaire à l'épanouissement du citoyen.
Il suggère donc la
création dans chaque ville moyenne d'une agence locale de l'emploi aux
compétences élargies de façon à ne plus être l'antichambre du bureau de pointage
mais un service décentralisé d'information-formation sur tout ce qui touche au
travail et qui pourrait même coordonner les initiatives existantes.
Rien cependant ne sera
possible sans la liaison entre l'emploi, la formation et la solidarité.
Parmi les autres pistes,
il ne voit finalement que celles de nature à débloquer les habitudes, à changer
les mentalités pour engendrer le renouveau.
Heureusement, la volonté
de travailler est dominante et le Wallobaromètre récemment sorti de presse, tend
vers un ciel moins perturbé - WALLOBAROMETRE, les Wallons jugent leur Région,
CLEO et FAR, 1991, 36 pages.
Gisèle CAPRASSE démontre,
à ce propos, combien est difficile de prendre en charge sa condition de femme
libérée, autonome dans sa quête de travail mais en difficulté dès lors qu'il
s'agit d'assumer son maternage.

A travail admis, parents
admis et enfants admis, proclame-t-elle résolument. Or, vérité d'évidence, il
n'y a pas de politique globale de la petite enfance francophone. Invoquer le
manque de crédits est fallacieux dès lors que les Caisses familiales dégagent un
boni de 10 milliards grâce à la double cotisation des couples travailleurs et
que des passerelles financières permettraient de mener une VRAIE politique
GLOBALE de l'enfance. Pour ce faire, il faudrait notamment disposer de crèches
en nombre suffisant et aussi aménager leurs horaires en fonction des exigences
des parents qui travaillent - voir art. 183 de la Convention des droits de
l'Enfant, adoptée par l'ONU en 1989 et ratifiée par la Belgique.
Cette politique "globale"
nécessiterait une adaptation de nos équipements collectifs de nature à ce que
puisse se vérifier sérieusement l'égalité des sexes prônée par la législation
sociale pour autant qu'existe l'égalité des sexes dans les foyers à travers la
prise de responsabilités des hommes dans la garde des enfants et dans les tâches
ménagères - voir exemple suédois.
La garde des enfants et
leur éducation ne peuvent être dissociées. Au contraire, une politique cohérente
d'accueil jusque 10 ou 12 ans minimum devrait être organisée en planifiant les
moyens tant nationaux - Fonds des équipements collectifs de l'ONAFTS, que
régionaux. A ce dernier propos, pourquoi n'envisagerait-on pas l'établissement
d'un département wallon du bien-être social impliquant et subsidiant les
Pouvoirs locaux selon des formules de financement et d'organisation de caractère
public ou mixte?
Dans la mesure où le
social est à l'économique, ce que l'économique est au social, il faut intéresser
les employeurs à la création de conditions favorables à la famille qui permette
aux couples de travailleurs de s'adonner pleinement à leur emploi parce que
tranquillisés par l'encadrement socio-culturel dont disposent leurs enfants.
Et G. Caprasse de
préconiser un ensemble de mesures déjà proposées par les organisations
syndicales du commerce à la Commission paritaire compétente pour que dans la
partie des 0,25% de la masse salariale réservée à la promotion de l'emploi des
groupes à risques, une proportion soit réservée à des actions en faveur des
travailleuses.
Parmi ces mesures, la
prise en charge d'une partie des frais de garde des enfants de travailleurs
devrait être solidarisée par le biais de l'ONAFTS. C'est un moyen important de
réaliser l'égalité des chances compromise lors de la survenance d'un enfant, ce
que Beveridge entendait pallier par l'octroi d'allocations familiales
précisément.
L'auteur estime que la
création de crèches à l'entreprise est loin d'être une panacée même s'il s'agit
là d'une idée de plus en plus répandue - voir la proposition de loi instaurant
la déductibilité des frais relatifs à l'établissement ainsi qu'au fonctionnement
des crèches en entreprise, déposée le 14 juin 1991 par MM. L. Michel et M.
Forêt, DP. Chambre 1160/1-90/91.
Cette solidarisation de
la prise en charge ci-dessus décrite pourrait idéalement se réaliser à travers
une sorte d'assurance équipement collectif. En attendant et pour en déterminer
le coût, serait nécessaire une évaluation des besoins et de leur coût. Rien
n'existe à ce sujet en Communauté française.
Mais il est d'autres
systèmes que celui des crèches et notamment des solutions de garde qui
pourraient être généralisées et dont G. Caprasse donne 6 exemples.
Cependant rien ne servira
à rien si ne sont pas aménagées ou favorisées les conditions de travail de la
maman par des mesures de flexibilité positive d'absences rémunérées et
l'adoption de solutions concertées entre les différents niveaux de Pouvoirs pour
qu'existe réellement une politique wallonne de prise en charge à la fois des
enfants et, à l'autre bout du chemin, des personnes âgées.
Est particulièrement
démonstratif de la thèse de G. Caprasse, le travail effectué par D.P. Decoster
qui, forte de son expérience professionnelle au Cabinet de l'échevin de la santé
carolorégienne, démontre où le bât blesse dans les divers systèmes de garde des
enfants.
D.P. Decoster analyse ces
systèmes qui sont autant de services : celui des crèches - à ce propos, Monsieur
le Député Klein a eu l'amabilité de me communiquer la brochure qu'il avait fait
rédiger sur les crèches lorsqu'échevin, il en assumait la charge : celui des
gardiennes encadrées, celui des maisons communales d'enfants et celui des
ateliers créatifs.
Mais, conclut-elle, la
pierre angulaire du problème de garde reste les difficultés pécuniaires
éprouvées par les pouvoirs publics. Devraient être recherchées des formules de
mixité financière telles que le financement d'une partie des infrastructures
d'accueils par les entreprises alimenté par un pourcentage à prélever sur la
masse salariale, comme cela se fait pour subventionner le fonds pour la
formation.
Ces cris d'alarme lancés
par des gestionnaires sociaux d'une métropole à la reconversion industrielle
difficile justifient les préoccupations des chercheurs du "projet-ville" déjà
cité.
Cette projection
futuriste développe des idées tous azimuts, certainement bénéfiques à moyen
terme.

Mais pour l'heure, il
s'avère urgent de radicaliser, en fait, le sauvetage. Car il s'agit de sauvetage
puisqu'il est question de naufrage.
A ce propos, Christian
Renard insiste sur des problèmes intimement liés au non travail qui est hélas le
lot de trop de jeunes mal préparés, abandonnés à eux-mêmes et en état d'errance.
Ces problèmes tiennent à la sécurité dans la ville, à la lutte contre la drogue
et la prostitution. Par delà la volonté des municipalistes de contrôler et
d'endiguer ces fléaux, il est nécessaire de leur donner les moyens de leur
politique.
Tel était l'état des
réflexions qui ont pu m'être communiquées en ce tristounet mois de juillet 1991.
Que le lecteur ne s'imagine surtout pas que ce caractère a rendu l'équipe morose
ni que celle-ci s'est adonnée tristement à la vérification d'un sujet énoncé de
façon quasi vichyssoise, la solidarité triomphant heureusement des principes
nationalistes les plus conservateurs et réactionnaires. Néanmoins, le constat
n'est pas réjouissant car presque tout reste à faire et les chantiers ouverts
doivent être rapidement menés à bien.
Ne nous berçons cependant
pas d'illusions. Le changement des mentalités à travers les mailles d'un
indispensable et adéquat projet éducatif, requiert avant tout un effort
personnel bien évidemment assisté. Dans la recherche d'un hypothétique équilibre
entre l'agencement des aises familiales et conjugales d'un côté, et un certain
épanouissement professionnel de l'autre, surgissent des tabous à détruire et des
barrières à lever. Ceci pour combattre la déviance laquelle peut s'expliquer par
l'hiatus constaté entre les idéaux culturels proposés aux acteurs du théâtre de
la vie et les modèles légitimes de conduite, eux-mêmes confortés par la norme
juridique. Alors à celle-ci à s'adapter par décrets, en cherchant à rencontrer
ce problème épineux en Région wallonne sans perdre de vue cependant la nécessité
d'envisager la raréfaction du travail disponible. Celle-ci doit inciter à
considérer sa disparition comme fondement de l'activité humaine ou, à tout le
moins, de le répartir équitablement.
Reste heureusement
l'esprit humain à façonner par l'éducation permanente, pour inciter au savoir, à
la réflexion et finalement à une prise de responsabilité consciente.
La pensée commence
quand le désir de savoir s'épure de toute compulsion à la domination.
Elevons nos enfants dans la vergogne de raison, pour qu'ils en éprouvent la
pudeur. Entendons par raison la proportion...
Michel SERRES, Le
Tiers-Instruit, Ed. F. Bourin, 1991, p. 186.
Marcinelle, le 24 juillet
1991.

Apport du travail de
l'atelier thématique tenu à Tournai le 4 octobre
Mr. Berger insiste sur la
nécessité de bénéficier d'une seule instance pour gérer le système de
l'assistance (CPAS) soit les juridictions du travail.
Il estime que le but de
la réglementation n'est pas de créer des assistés "à vie" et qu'il y aurait lieu
de trouver les moyens de les sortir d'une spirale dérisoire. Il fait remarquer
qu'un problème se pose quant à la mesure des rémunérations minimales de certains
travailleurs.
Un intervenant pose la
question de savoir si une solution ne réside pas dans l'augmentation de ces
rémunérations plutôt que dans le fait de modaliser le minimex.
Un autre intervenant
estime que des pistes devraient être trouvées au niveau de l'enseignement, de
l'éducation, de la famille dans le développement des contrats d'insertion
professionnelle ou même dans le cadre de certaines entreprises en vue de la
réinsertion des assistés sociaux comme l'a organisé la sécurité sociale
d'Allemagne fédérale plutôt que dans une réorganisation des conditions d'octroi
d'allocations.
En ce qui concerne
l'exposé de Monsieur Gueritte, Madame Decoster fait remarquer qu'il y a lieu de
distinguer la notion de travail de la notion d'emploi; qu'il précise que
certains types de travail ne sont pas protégés, comme par exemple celui de la
femme au foyer; qu'en cas de séparation, notamment, un système de paiement
d'allocations devrait être prévu de manière à pouvoir prendre en considération
le travail effectué gratuitement pendant des années.
(Octobre 1991)
Ce texte est extrait de
: QUEVIT Michel (sous la direction de), La Wallonie au Futur, Le défi de
l'éducation, Actes du Congrès, Institut Jules Destrée, Charleroi, 1992.

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