Chapitre III.
Mobilité culturelle
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Un grand nombre de jeunes
Wallons vivent dans l'ignorance de ce qu'est et ce que fut leur région
d'appartenance, de cet espace géo-politique et socio-culturel qui s'étend de
Tournai à Verviers et de Wavre à Arlon. Ils connaissent à peine le passé et
l'histoire propres à cette région; ils sont peu familiarisés avec sa culture;
ils n'en ont pas visité les villes, vu les paysages. Et ceci doit être
particulièrement vrai, pour des raisons évidentes, de ceux qui appartiennent à
des milieux peu aisés. Beaucoup de jeunes n'ont-ils pas une expérience plus
immédiate de la Belgique non wallonne (Bruxelles, littoral, Bruges, Anvers) que
de la Wallonie elle-même? Par-delà une ignorance en soi surprenante, c'est d'une
véritable méconnaissance qu'il s'agit. C'est qu'au simple fait de ne pas savoir
se mêle insidieusement quelque chose d'autre, qui est de l'ordre du refus ou du
rejet. Pourquoi aurait-on ou ferait-on l'expérience d'une réalité qu'on discerne
à peine et qui, de toute manière, n'a jamais été mise en valeur à nos yeux? De
surcroît, la Wallonie est associée aujourd'hui à une série d'idées et d'images
en majorité négatives. Il en découle sans conteste une propension à la censure
"intime" ou à la dénégation qui est, on peut le penser, fort répandue.
Cette ignorance et cette
méconnaissance ne datent pas d'hier. Elles sont bien installées dans la
conscience collective et vécues comme naturelles. Les raisons qui peuvent en
rendre compte ne manquent pas :
-
Il y a ce fait wallon
d'un territoire et d'une appartenance l'un comme l'autre fortement morcelés
à l'intérieur d'un espace restreint (on y revient plus loin en d'autres
termes); en dépit du processus fédéraliste, la Wallonie est loin de se
présenter déjà comme une entité définie.
-
S'il existe bien des
vecteurs d'identification, ils ne semblent se manifester et agir que
sporadiquement, au gré des soubresauts et secousses de l'histoire (Affaire
royale, Grève de '60, Fourons...);
-
Joue encore son rôle
le dédain envers un pays qui s'est fait valoir par des traditions et des
qualités laborieuses et populaires plus que par des rapports plus
prestigieux; et, redoublant ce dédain, le malaise à l'endroit de ce même
pays dès le moment où il a été entraîné dans le déclin économique des
régions de vieille industrie.
-
Vont dans le même
sens l'occultation et la confiscation d'une histoire qui, toute morcelée et
incertaine qu'elle soit, n'en existe pas moins et est richement stratifiée;
la réalité wallonne n'a pas cessé d'être enfouie sous des représentations
institutionnelles que l'on peut qualifier d'externes, l'une belge et l'autre
française, sous l'action de deux centralismes concurrents, le centralisme
bruxellois et le centralisme parisien.
Le présent projet n'a pas
pour visée de susciter une adhésion patriotique ou nationaliste de la jeune
génération à sa région. Suspecte en son principe même, une telle adhésion serait
en outre bien peu opportune dans le contexte actuel, qui est un contexte
d'ouverture. On posera d'emblée que la relation que le Wallon entretient à son
pays n'a jamais été faite d'appropriation exclusive, encore moins de racisme. Il
est permis de dire que, pour lui, l'accueil aux autres n'est pas un vain mot. Il
n'y a donc aucune raison pour qu'une conscience de soi plus active prenne la
voie d'un nationalisme pur et dur ou encore d'un repli sur soi, que d'ailleurs
personne n'envisage.

Mais, de façon plus
souple ou plus dialectique, la relation du jeune wallon à son espace et à son
peuple mérite d'exister en tant que conscience et connaissance de soi et,
par-delà, en tant que fierté de son appartenance. C'est de ce point de vue que
l'on voudrait esquisser ici les grandes lignes d'un projet à destination des
générations montantes.
L'objectif très simple
est de renforcer le sentiment d'identité chez les jeunes Wallons. Non dans un
esprit d'idéalisme confus mais selon un rapport immédiat avec la réalité
concrète et avec l'action. Nous postulons ceci : le jeune Wallon n'est intéressé
à se connaître, à connaître son appartenance que dans la mesure où cette
connaissance renforce ses capacités de rencontrer et d'affronter les autres,
dans la mesure aussi où elle lui donne le pouvoir d'accroître son aire
d'expansion. A l'heure où la mobilité des jeunes Européens est favorisée de
toutes parts et où elle va devenir, qu'il s'agisse des études, du travail ou des
loisirs, une réalité de plus en plus prégnante, il est devenu indispensable
qu'un jeune homme ou une jeune femme de Namur, Mons ou Liège se trouvent en
mesure, lorsqu'ils dialoguent avec des jeunes d'autres pays, de dire d'où ils
proviennent, quel est le passé de leur région, quelles ont été et sont les
créations et les productions de cette dernière, quelles sont les particularités
de l'existence dans l'espace wallon. Il sera de plus en plus courant pour ces
jeunes, soit qu'ils se déplacent au dehors, soit qu'ils accueillent ici des
voisins, de devoir présenter leur carte d'identité "nationale'. Or, il faut bien
le dire, désormais la Belgique ne peut plus être la référence première : les
Flamands ont repris leurs biens. Il nous reste donc à opérer tout un travail
d'identification sur la réalité wallonne, à redécouvrir et à redéfinir un
ensemble territorial afin de pouvoir s'en réclamer face aux autres, qui ont
leurs propres références et parfois fortes comme on sait. Se dire wallon n'est
plus seulement un choix mais une nécessité.
Mais, par ailleurs,
savoir qui on est, mieux adhérer à sa collectivité, c'est aussi régler des
problèmes avec soi-même. Le rapport difficile que connaît aujourd'hui - ne
parlons pas d'hier - le wallon à la langue, à l'expression, à la créativité, à
l'esprit d'entreprise nous paraît passer par un doute considérable sur
l'identité collective. Cette identité, encore une fois, elle ne saurait être
"donnée" : il s'agit d'en rassembler les pièces et les morceaux, de la
construire, de s'engager, comme on l'a dit, dans un processus d'identification.
A cette fin, nous voulons
proposer deux instruments destinés en priorité aux jeunes et au public des
écoles mais également au grand public. Il s'agit de deux livres, assistés
éventuellement par d'autres supports informatifs : le premier portera sur
l'histoire de la Wallonie, une histoire conçue dans une perspective résolument
moderne et critique; le second aura pour objet les cultures de Wallonie conçues
dans une perspective thématique et dans l'esprit d'une identification. Ces deux
ouvrages sont largement à l'étude et font l'objet de notes séparées.

En appui de ce double
instrument de travail et d'action, il convient d'engager une politique
d'information et de communication correspondant à l'esprit défini ci-dessus.
L'hypothèse est que les jeunes Wallons circulent trop peu sur leur propre
territoire, pratiquent peu l'échange et méconnaissent les oeuvres et traditions
de leur pays. De la sorte, toute une culture, fort diverse et pas toujours mise
en valeur, est en quelque sorte en attente de ses utilisateurs naturels. Dans
l'esprit de renverser le mouvement, les trois projets suivants demandent à être
élaborés :
-
Il revient à la
Communauté française et/ou à la Région wallonne de développer tout un
programme de découverte des réalités culturelles auquel les écoles seront en
priorité associées. A la faveur de déplacements gratuits en chemin de fer,
écoliers et étudiants pourront régulièrement visiter les villes comme les
sites industriels et ruraux qu'ils ne connaissent pas mais aussi les musées,
les théâtres, les bibliothèques, etc. En particulier, les musées
"documentaires" seraient à repenser selon une conception plus didactique et
plus attrayante.
-
Sur le modèle
d'Erasmus, on peut envisager que les élèves des athénées et collèges
pratiquent l'échange de ville à ville et d'école à école pour des périodes
déterminées en cours d'années. Cela voudrait par exemple dire que quelques
rhétoriciens de Morlanwelz passent un trimestre à Verviers pendant que les
rhétoriciens de Verviers passent un trimestre à Morlanwelz, le cours des
études de chacun se poursuivant normalement.
-
Des intégrations
institutionnelles sont également à prévoir. Il s'agirait de les concevoir de
façon souple et non bureaucratique. Qu'il s'agisse d'université, de maison
de la culture, de radio-télévision, de musée encore, pourquoi chacun doit-il
rester vissé à son poste et est-il voué à un comportement figé et répétitif?
Il n'est pas normal qu'en un pays aussi exigu les changements de lieu
d'activité soient finalement si rares, la mobilité aussi réduite. Ici comme
dans le cas précédent mais sur des durées plus longues éventuellement, des
mutations temporaires devraient être envisagées, permettant par exemple à un
professeur de Liège de faire des cours à Mons et vice versa.
Education et
communication en Wallonie :
Eléments de réflexion
-
Nécessité de manuels
de littérature (ou de culture) et d'histoire wallonnes, de programmes
scolaires prévoyant l'étude de ces matières.
-
Plus grande publicité
des décisions de l'Exécutif, présentation des institutions politiques
wallonnes (télévision, conférences dans les écoles - on le fait déjà pour la
CEE).
-
Dynamiser les centres
régionaux de la RTBF, les mettre en étroite collaboration avec les TV
locales qui devraient développer leur fonction de relais de l'information
par des échanges de productions, de reportages.
-
Fixer un jour de fête
qui soit réellement wallon et non plus communautaire.
-
Initier, dès le plus
jeune âge, les enfants au "tourisme" en Wallonie, avec, bien entendu, des
infrastructures d'accueil et des conditions financières appropriées. Rôle de
la SNCB, redéfinition de la politique touristique, mise en valeur du
patrimoine culturel (pourquoi pas un musée Chavée ou Simenon plutôt qu'une
rue ou un fonds?).
(Octobre 1991)
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