3. Les campagnes - les
bassins
Jean Louvet
Auteur dramatique et Professeur
de français
.../...
Prendre une carte de
Wallonie, se pencher dessus permet très vite de constater que la région
s'articule autour du double axe mosan et hennuyer formant une courbe sur
laquelle s'étire, de Liège à Tournai, une immense agglomération. C'est là que
sont installées les industries, là que la population s'est rassemblée avec une
densité telle qu'on pourrait y aménager un métro. De part et d'autre de cet axe,
des plateaux fertiles et des plaines alluviales peu à peu grignotés par
l'immobilier et les nouvelles industries ont accueilli, de temps immémoriaux, de
nombreuses activités agricoles. Enfin, au sud du pays, une poche sombre et
relativement déserte renferme la vaste forêt des Ardennes.
Les campagnes, le rural
Le monde rural de la
Wallonie d'hier est une terre dont les tableaux contrastés ont été admirablement
dépeints par quelques grandes figures d'écrivains. Arsène Soreil décrit la vie
paysanne dans Dure Ardenne mais son niveau de conscience politique ne paraît
guère dépasser celui de la région envisagée. Il parle presque toujours du point
de vue de l'enfant qu'il a été, ne s'exprimant que très faible-ment sur
l'exploitation sociale et économique. Charles Plisnier, en revanche, que ce soit
dans Meurtres ou dans Le Pain noir, adopte résolument un point de vue plus
social. Ce tableau de la Wallonie d'hier pourrait également être complété par
des regards sur Le Coeur de François Rémy de Glesener ou Un Mâle de Lemmonier.
L'Affaire royale (1950)
et la Grève de 60-61 opèrent une coupure profonde entre la Wallonie verte et la
Wallonie industrielle. Mais il faut dépasser ce cliché qui a la vie dure.
D'après José Fontaine, il semble bien qu'à partir de 1962, les choses changent,
précisément à cause de la "grève du siècle" dont le modèle va inspirer les
agriculteurs. En mai 1987, par exemple, à Bruxelles, lors de la manifestation
des agriculteurs européens, les agriculteurs wallons sont très largement
représentés (80 %). Il est clair que les syndicats agricoles ont fait bouger le
monde rural, notamment contre l'hégémonie du Boerendbond. A ce propos, faut-il
rappeler que les arbres sont en Ardennes et que les meubles se fabriquent à
Malines?
Le Luxembourg belge,
terre pauvre et peu peuplée a d'abord, avec la forêt des Ardennes, hanté
quelques épopées médiévales. Les personnalités historiques issues de son sein
sont rares : Godefroid de Bouillon et Léon Degrelle. Le seul éclat intellectuel
qu'elle semble avoir connu, c'est au XVIIIème siècle lorsque les grands
imprimeurs Rousseau se sont installés à Bouillon. Cette terre s'est contentée
d'être pendant le premier siècle de l'histoire belge, un réservoir de
fonctionnaires et gendarmes pour Bruxelles. Il semble cependant que depuis
quelques années, nous assistions à une renaissance de la Wallonie verte : des
PME s'installent dans des zones semi-rurales, Redu est devenu le village du
livre et du centre aérospatial. Enfin, de nombreuses créations artistiques et
littéraires portent la marque de ce renouveau : que l'on considère seulement les
poèmes de Goffette, les romans de Hénoumont, les dessins de Comès et de Hausman,
ou encore, les films de Servais et d'Andrien...

Les bassins, le social
Au XIXème siècle, la
Wallonie relève de l'universel par deux événements importants. Si nous n'avons
pas eu d'idéologues au XVIIIème siècle, c'est en Wallonie, après l'Angleterre,
que le "Doctrinaire des arts et métiers" va trouver une extraordinaire
application. Et c'est sans doute par manque d'intellectuels que nous passons
souvent sur ce phénomène. En même temps, naît le socialisme : la volonté de la
bourgeoisie de geler l'héritage de la Révolution française, à savoir le mot
d'ordre d'égalité entre les hommes, est contrecarrée par une force prolétarienne
farouchement décidée à en découdre. Certaines régions de Wallonie, je pense au
Borinage, ont connu un véritable bain de sang, victimes d'une répression assez
rare en Europe à l'époque.
On dit souvent que la
Wallonie s'est faite sur six grèves générales. Si la "gréviculture" fut une
façon dérisoire d'expliquer le déclin wallon, il n'en reste pas moins que c'est
en Wallonie que va se forger cette arme redoutable du prolétariat, à la fois
instrument de lutte sociale, de lutte politique, de lutte théorique aussi, - ce
dont Rosa Luxembourg témoignera en attaquant violemment Vandervelde décidé à
neutraliser les initiatives de la base. Il faut insister sur cet aspect de la
Wallonie qui sera déterminant pour l'évolution de la Belgique unitaire. En
faisant un saut dans le temps, c'est la grève de 60-61 qui porte un coup mortel
à l'Etat belgicain en développant un fédéralisme de masse.
De l'affaire royale à
60-61, le peuple s'exprime, et il le fait dans la rue! La volonté de réparer
l'honneur perdu des Wallons et de faire sauter le carcan belge passe par la rue
d'abord. C'est encore dans la rue, pratiquement, que se recueilleront beaucoup
de signatures du MPW pour la révision de la Constitution. L'ombre de Renard
plane sur cette décennie qui va de 1954 à sa mort. Il faut mettre l'accent sur
ce point, car les jeunes ramènent souvent la coupure Flamands-Wallons à des
anecdotes. Ils ne comprennent pas ce qui s'est passé. La question nationale
passe au-dessus de leur tête.
Au XIXème siècle, les
grandes figures révolutionnaires, les grands événements ne sont pas en Wallonie
mais ailleurs : Bakounine, Blanqui, la Commune... Certes, mais nous avons été
une terre d'accueil pour tous les exilés. Par ailleurs, l'échec Degrelle, la
force de la Résistance, l'éviction de Léopold III, l'absence d'antisémitisme
manifestent des qualités antifascistes chez les Wallons. Nous n'avons pas eu
Versailles, nous sommes trois millions, nous ne sommes pas une nation
littéraire, mais nous avons des qualités démocratiques sûres. C'est un héritage
important qui produit ses effets dans l'intégration réussie des étrangers. Si on
ne peut faire l'impasse d'un racisme psychologique larvaire, il n'y a pas
d'effets objectifs du racisme. Et ce, dans une région menacée économiquement,
lieu par excellence de prolifération raciste. Il y a donc eu maîtrise de la
situation.
Parmi les oeuvres
littéraires et artistiques susceptibles d'illustrer cette section, devraient
figurer un extrait de Happe-chair de Camille Lemonnier et un autre de la Lettre
au Roi de Jules Destrée. J'y joindrais une photo d'une statue de Constantin
Meunier, inventeur de la statuaire "prolétarienne", ainsi qu'une autre du Grand
Hornu. L'affaire royale pourrait être représentée par une image du film de
Christian Ménil. L'Homme qui avait le soleil dans sa poche et la grève de 60-61
par une autre tirée de Hiver 60 de Thierry Michel.
(Octobre 1991)
.../...

|