L'Enjeu des Médias et
des Industries culturelles
Jean-Philippe Art
Directeur régional RTBF
Charleroi
Les médias,
leur place dans la société wallonne, leur développement, leurs
fonctions constituent, sans nul doute, une des préoccupations
essentielles pour l'avenir de la région.
Le sujet, dans toute son
ampleur, est cependant vaste, très vaste, trop vaste pour être rapidement cerné.
Dans le souci de réaliser
un travail en profondeur, afin d'éviter toute superficialité, il a semblé
préférable de n'envisager qu'un seul aspect des médias à savoir la Télévision.
La radio aurait sans
doute constitué un thème d'étude intéressant et riche, mais le paysage
radiophonique actuel est certainement trop mouvant, trop incertain pour pouvoir
en dégager dès aujourd'hui des lignes directrices, pour pouvoir définir des
orientations à prendre. La situation doit encore se décanter.
A la concurrence qui
existe depuis plusieurs années entre la RTBF et les radios libres s'ajoute un
nouvel opérateur, Bel RTL, qui pourrait modifier sensiblement la situation. Dans
quelques années, celle-ci sera probablement plus stable et plus claire.
On aurait pu s'intéresser
également au cinéma et à la presse écrite. Il a toutefois paru préférable de ne
pas se disperser parmi des sujets ayant chacun leur problématique propre.
Dans un premier temps,
c'est donc la télévision qui a fait l'objet des préoccupations du groupe de
travail. Le paysage télévisuel est certainement en mouvement, voire en mutation,
mais il paraît possible d'en discerner les orientations et de dégager par
conséquent des axes de réflexion.

I. Les acteurs en
présence
Ils sont parfaitement
connus et aisément identifiable(1) :
-
Une chaîne de service
public de la Communauté française de Belgique (la RTBF);
-
Une chaîne privée de
la Communauté française de Belgique (RTL TVi);
-
Des télévisions
locales,
-
Des établissements
d'enseignement spécialisés formant aux métiers de la radio et de la
télévision;
-
Des maisons de
production en très petit nombre;
-
Un réseau de
télédistribution très dense (+/- 97 % de la population est desservie) qui
fait entrer en Belgique; De multiples chaînes étrangères de toute nature
(francophones et non francophones, publiques et privées, émettant par
satellite ou par réseau terrestre,...).
Quelles sont les
articulations entre ces différents acteurs; ont-ils des liens, ont-ils organisé
des interactions, quels sont les développements à donner à leurs relations et
dans quel sens ?
Autant de questions qui
ne peuvent être résolues qu'en tenant compte des compétences et des capacités
d'action de la Région wallonne.
La survie des médias
propres à la Communauté française ou à la Wallonie est une question qui, dans ce
contexte doit être posée avec beaucoup d'acuité à l'avenir.

II. Les compétences et
les capacités d'action
C'est la Communauté
française, et non la Région wallonne, qui est compétente dans l'ensemble des
domaines de l'Audiovisuel et de l'Enseignement. C'est donc elle qui a priori est
susceptible d'organiser ou de modifier le paysage audiovisuel, tant en Wallonie
qu'à Bruxelles.
La RTBF, RTL, les radios
locales, la Télédistribution, la création, ainsi que l'Enseignement relèvent de
ses compétences.
Celles-ci sont toutefois
limitées par l'interventionnisme croissant de la Communauté européenne qui
entend instaurer une libre circulation des programmes de télévision considérés
par elle comme des services. Cela réduit considérablement les capacités d'action
de la Communauté française qui ne peut notamment s'opposer à l'introduction en
Belgique de chaînes étrangères dont les programmes sont conformes à la directive
sur la télévision sans frontières intégrée à présent dans notre législation par
le décret voté le 20 juin 1991 par le Conseil de la Communauté française.
Par ailleurs, ces
dernières années ont vu, de manière tout à fait générale en Europe, l'émergence
de deux courants dans le monde de la télévision : l'internationalisation et la
privatisation.
La puissance de certains
groupes internationaux, le fait qu'ils soient installés à l'étranger, le
libéralisme pratiqué par la CEE, autant d'éléments qui rendent difficile
l'élaboration, dans un petit pays comme la Belgique et a fortiori dans une
région, d'une véritable politique des médias.
III. Les capacités
d'action de la Région wallonne
Elles ne sont apparemment
pas très étendues :
-
La Région ne possède
aucune compétence directe (celle-ci étant dévolue à la Communauté française
ou à la CEE),
-
Elle est confrontée à
des acteurs qui par leur puissance et leur lieu d'implantation, échappent à
tout contrôle,
-
Sa taille réduite
n'est pas faite pour arranger les choses.
Et pourtant, des choses
se font en Wallonie. Et pourtant, des compétences peuvent être trouvées en
abordant le problème par le biais économique.

IV. Agir là ou c'est
possible
Sans nécessairement
parler d'une modification des compétences institutionnelles dont l'impact serait
de toute manière limité en raison de l'interventionnisme croissant de la CEE, il
paraît possible de développer en Wallonie un certain nombre de pôles d'action.
a. La RTBF
Elle est, comme on le
sait, décentralisée. Sont installés en Wallonie deux Centres Radio à Mons et à
Namur, un Centre TV à Charleroi, un Centre Radio-TV à Liège.
Ensemble, ils occupent un
peu plus de 600 personnes et disposent d'un budget de 576.288.000 pour la radio
et d'un budget de 583.500.000 pour la télévision.
Cela représente 41.13 %
du budget total de la radio et seulement 18.63 % du budget de la télévision.
Les centres sont
compétents, non seulement pour développer des émissions et des actions
régionales, mais aussi et surtout pour produire des programmes destinés à
l'antenne nationale.
Les centres wallons, avec
des fortunes diverses, ont joué le rôle qui leur était imparti en occupant
globalement une place substantielle dans la grille des programmes de RTBF1, de
Radio Une, de Radio Deux et dans une moindre mesure de Radio Trois. C'est sans
nul doute un atout pour la Wallonie.
Mais les prises de
décisions de stratégie générale de la RTBF échappent à la Wallonie. Celle-ci
n'est pas représentée comme il se doit au sein du Conseil d'administration et du
Comité permanent de l'institution.
Un développement plus
important de la régionalisation, conforme au poids de la Wallonie à l'intérieur
de la Communauté française, ne peut se faire que moyennant une représentation
adéquate de la Région wallonne à l'intérieur des structures centrales de
décision de la RTBF. C'est certainement le moment d'y penser. Le Conseil
d'administration devra en effet être revu au lendemain des élections
législatives.
En aval, un poids plus
grand des directions régionales dans les structures de direction centrale
devrait s'imposer. Des organes qui fonctionnaient autrefois (par exemple le
collège général de direction) ne jouent plus aujourd'hui le rôle qui leur était
imparti, à savoir permettre l'association des régions à l'élaboration de la
politique générale. Celle-ci est maintenant traitée au sein d'instances
réunissant des fonctionnaires généraux sans représentation régionale. Le Collège
général n'est plus convoqué que pour la forme, alors qu'il a autrefois joué un
rôle important.
On aurait évidemment pu
imaginer la création d'une télévision wallonne s'articulant autour des centres
de production et disposant d'un réseau d'émetteurs (par exemple, celui de Télé
21).
Cette hypothèse ne paraît
pas souhaitable. A l'échelon européen, la RTBF peut déjà être considérée comme
une télévision régionale qui aura du mal à survivre dans de bonnes conditions
face aux géants qui l'entourent. Un repli sur soi de la part de la Wallonie ne
ferait qu'aggraver cette situation.
Mais ce qui importe, ce
qu'il faut revendiquer avec insistance et fermeté, c'est un accroissement
substantiel du poids wallon à l'intérieur de la RTBF, c'est une participation
aux prises de décisions de politique générale, tant au niveau des organes de
gestion (Conseil d'Administration et Comité permanent) qu'au sein des structures
de direction.

b. RTL TVI
RTL TVI est installé à
Bruxelles.
Les accords conclus entre
la CTL et Audiopresse ont favorisé l'existence d'équipes de reportage en région
(à Charleroi avec la Nouvelle Gazette, à Liège avec Gazette de Liège la Meuse, à
Namur avec Vers l'Avenir). Ces équipes permettent une présence wallonne dans les
journaux télévisés de RTL.
Quelles peuvent être, au
delà, les collaborations entre la chaîne privée et la région ? Il n'y en n'a
guère, si ce n'est un développement éventuel de la production de programmes
télévisés qui serait confiée à des maisons installées en Wallonie.
Il y a là sans doute une
piste à explorer : RTL TVI, par son cahier des charges, est obligé de passer des
commandes à des maisons de production indépendantes, et de conclure des
co-productions en Communauté française. La Wallonie ne possède actuellemnt pas
d'infrastructures lui permettant de tirer parti de cette situation.
c. Les télévision
locales.
Au nombre de 10 en
Wallonie, elles ont connu des développements divers.
Créées initialement en
vue de permettre une meilleure participation des citoyens à la vie locales,
créées également dans un souci d'éducation permanente, elles ont progressivement
réorienté une part non négligeable de leurs activités vers l'information locale
et la production de programmes audiovisuels de toute nature.
Quel doit être leur rôle
à l'avenir, quel développement leur donner ?
Les subventions dont
elles disposent venant de la Communauté française sont sans nul doute
insuffisantes pour assurer leur viabilité à terme. Celle-ci ne peut être assurée
que moyennant une intervention croissante d'autres instances (pouvoirs locaux et
provinciaux, voire la région)
Les télévisions locales
disposent en outre de ressources propres (publicité, parrainage, télétexte).
Elles concluent entre elles ou avec d'autres partenaires des contrats de
coproduction. L'ensemble de leurs recettes constitue néanmoins un tout
insuffisant pour leur permettre de se développer efficacement.
Même si elles existent
fortement dans leur région respective, même si des accords de complémentarité
peuvent être recherchés auprès de la RTBF, le rôle qu'elles pourraient jouer est
considérablement limité tant que leurs ressources ne sont pas augmentées.

d. L'enseignement
spécialisé.
Il est difficile en ce
domaine de dissocier la Wallonie de Bruxelles. Certaines écoles telles que l'IHECS
étant d'ailleurs passées d'un site wallon à une implantation bruxelloise.
On peut relever qu'en
Communauté française existent de établissement d'enseignement spécialisé de très
haut niveau (IAD, INSAS, IHECS, INRACI) formant aux nombreux métiers de la
Télévision. De ces écoles sortent des professionnels qui font très rapidement
leurs preuves dans leurs disciplines respectives. Il y a là sans conteste une
richesse à exploiter.
Mais les débouchés sont
relativement limités, même si l'on prend en considération l'ensemble de la
Communauté française : les chaînes de Télévision, les maisons de production
privées, les milieux de la publicité et du film d'entreprise.
Que dire alors des
débouchés en Wallonie et des possibilités d'expression qu'offre notre région à
ces jeunes diplômés dont le talent et la formation sont souvent incontestable ?
e. La Télédistribution
Depuis une quinzaine
d'années, le réseau de télédistribution est devenu le moyen normal (95 %)
d'accès de la population aux programmes de télévision et de radio FM.
Plus de 20 programmes, en
langues diverses, sont ainsi disponibles et leur nombre est amené à augmenter
dans le futur, d'autant plus que la directive européenne sur la libre
circulation transfrontière des programmes entre en application le 3 octobre
1991.
Une autre directive
européenne, en cours d'approbation, concerne les normes de transmission des
programmes visant à augmenter la qualité de l'image, et à défendre l'industrie
électronique européenne en face des développements japonais et américains.
Elle se traduira pour les
réseaux câblés par une nouvelle nécessité d'accroître la capacité de
transmission des réseaux.
Avant même que les
réseaux ne soient financièrement amortis (les câbles sont placés pour 25 ans),
les réseaux devront donc être transformés et des moyens financiers nouveaux
devront être mis à la disposition des télédistributions pour faire face à ces
investissements supplémentaires.
L'opportunité se
présente, dès lors que cette adaptation est indispensable, de profiter de
l'occasion pour que la nouvelle structure des réseaux puisse être utilisée à des
services nouveaux et complémentaires, notamment dans le domaine de la formation.
La Région wallonne, en
favorisant l'action des télédistributions dans ce domaine, pourrait disposer
d'une infrastructure publique de communications qui, associée au réseau
téléphonique, permettrait de satisfaire aux besoins toujours croissants de
transport d'informations de la région, pour de nombreuses années, en attendant
un éventuel Réseau numérique à Intégration de Services.
Ce réseau de
communication constituerait un facteur de développement économique que la Région
wallonne pourrait maîtriser , alors qu'elle ne dispose d'aucune compétence à
l'égard de la RTT.

f. Les maisons de
production
En Wallonie, c'est la
grande misère.
Sur 173 sociétés de
production répertoriées dans l'annuaire audiovisuel 22 seulement sont situées en
Wallonie.
Peu de structure de
production privées. Les raisons en sont simples.
-
Bruxelles regroupe la
grande majorité des différents services et prestataires de services de la
Communauté française et flamande. (personnel de réalisation et technique,
matériel de tournage et montage, laboratoires de développement ou de
duplication...).
-
Les budgets de
productions, les financements potentiels sont pratiquement tous situés à
Bruxelles (télévision, ministères...).
Deux asbl partiellement
subventionnées par la Communauté française, le WIP (Wallonie Image Production)
et Dérives sont installées en Wallonie :
-
Le WIP est une asbl
qui aide à la production audiovisuelle de documentaires et oeuvres de jeunes
réalisateurs.
Fondée en 1982 et subventionnée par la Communauté française, WIP donne des
aides en liquidité et en matériel au titre de coproducteur de projets
acceptés par son Conseil d'administration. WIP participe à l'élaboration
d'un projet (aide à l'écriture ou aux repérages), à la production, et
surtout à la promotion et à la diffusion. WIP est présent annuellement dans
les grands marchés des télévisions (MIP, MIPCOM) et ses films sont
sélectionnés dans environ 40 festivals internationaux.
WIP ne bénéficie d'aucune aide de la Région wallonne, alors que le CBA, son
équivalent bruxellois, est aidé par la Région de Bruxelles.
-
Asbl partiellement
subventionnée par la Communauté française, DERIVES assure la production
déléguée de réalisation propres, et de projets de quelques autres cinéastes.
Les perspectives de
développement ne sont guère brillantes :
-
Les subventions de la
Communauté française permettant un financement (partiel) de projets de
création - de fiction ou de documentaire - représentent un montant
dérisoire, face à l'investissement qu'il serait indispensable de faire si
l'on voulait développer une véritable industrie de l'audiovisuel. Il suffit
de comparer les différents types d'aides possibles en France et en Belgique.
De plus, vu les difficultés budgétaires de la Communauté française, il n'est
pas prévu d'augmentation substantielle de ces subventions.
-
Les cahiers de
charges imposés aux télévisions en vue de développer la production
indépendante ne sont généralement pas respectés et sont de plus mis en cause
par la directive des Communautés européennes.
-
Aucun système
d'incitation fiscale (tax shelter) n'a été organisé, malgré la demande des
professionnels.
-
Aucun de ces systèmes
n'est prévu de manière spécifique pour des productions en Wallonie.

V. Les perspectives
La situation globale ne
paraît guère brillante. Le poids de la Wallonie à l'intérieur de la RTBF est
insuffisant. Elle ne tire guère parti du fonctionnement d'une télévision privée
en Communauté française. Ses télévisions locales manquent de ressources. Son
réseau câblé joue un simple rôle de transporteur de programmes. Ses maisons de
production sont peu nombreuses.
Ce constat, à première
vue affligeant, ne doit pas inciter à la morosité. La qualité du réseau
d'enseignement spécialisé, l'existence d'opérateurs publics et privés jointe à
une politique volontariste et dynamique est susceptible de faire évoluer
favorablement la situation.
Somme toute, la Wallonie
doit tirer parti de l'existence prochaine d'un grand Marché européen. Elle doit
faire valoir ses atouts :
-
une main-d'oeuvre
qualifiée de très haut niveau professionnel,
-
des créateurs,
-
des coûts de
production inférieurs à ceux de nos voisins,
-
des opérateurs,
petits à l'échelle européenne, mais présentant quand même une puissance
suffisante pour être à la base de commandes et coproductions.
Pour ce faire, des pistes
d'action et de réflexion peuvent être tracées. On en retiendra principalement
trois.
-
Revendiquer et
obtenir un poids plus important dans les organes de gestion et de direction
de la RTBF.
-
Créer un cadre
favorisant l'éclosion et le développement de structures de production. Cela
peut se faire par des aides directes, par des incitants fiscaux ainsi que
par l'obligation pour les opérateurs de passer des commandes aux maisons de
production installées en Wallonie. Cela peut surtout se faire si les
financiers sont convaincus de l'opportunité d'investir dans ce secteur.
-
Profiter de
l'existence d'un réseau de télédistribution dense pour créer une
infrastructure de communication moderne permettant la mise en oeuvre de
services nouveaux vecteurs de développement économique.
(Octobre 1991)
Notes
(1)
On pourrait y ajouter Canal +, chaîne de télévision à péage.

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