Nouvelles conceptions
dans l'aménagement
des voiries de nos villes et nos villages
André
Verlaine
Ministère de la Région
wallonne, Direction générale des Pouvoirs locaux
Depuis la
dernière guerre, l'aménagement de la voirie a surtout été dominé par
des préoccupations d'ordre technique et par les besoins du trafic
motorisé. Les raisons de revoir cette conception d'aménagement d'une
voirie ne manquent pas et, sans m'y attarder trop longuement, je
voudrais en rappeler quelques unes.
En premier lieu, il y a
l'insécurité routière qui, déjà préoccupante au niveau national (la Belgique se
situe parmi les pays européens les moins sûrs) l'est encore plus en Wallonie. En
1988 : 26 135 victimes dont 760 tués et 6 412 blessés graves, deux catégories de
victimes où la Wallonie dépasse nettement la moyenne nationale
proportionnellement à sa population : 2 198 victimes par million d'habitants en
Wallonie pour 1 977 en Belgique. Les catégories d'usagers où la différence est
marquante sont surtout les piétons (jeunes surtout) et les automobilistes. La
gravité des accidents va dans le même sens : 41 décès sur 1 000 accidents
corporels en Wallonie pour 32 en Belgique.
La part que représente
ces accidents sur la voirie communale wallonne (55 000 km en Wallonie) est
importante. La part des accidents corporels y est de 43 %, celle des tués et
blessés graves de 35 %. Le problème de la sécurité sur les voiries communales
n'est donc pas négligeable par rapport aux voiries régionales ou aux
autoroutes : il est sérieux et, étant donné son caractère diffus, peut être
difficile à résoudre. Enfin, ces accidents ont surtout lieu dans les
agglomérations : 25 % sur les 35 % des tués et blessés graves et 34 % sur les
43 % d'accidents corporels ont lieu sur la voirie communales en agglomération.
L'ampleur du phénomène,
son coût et les réactions de plus en plus nombreuses des habitants ont fait que
cette situation n'est plus systématiquement considérée, comme par le passé,
comme une fatalité ou un tribut à payer à l'automobile.
Une deuxième raison est
la pollution atmosphérique et les nuisances acoustiques dues à l'augmentation de
la circulation automobile et des vitesses trop importantes relevées sur
l'ensemble du réseau routier.
Une troisième raison est
enfin que les agglomérations européennes, souvent composées d'un tissu urbain
ancien, ont de plus en plus de difficulté d'absorber les flux de circulation
rendant ainsi l'automobile incapable de répondre à son propre objectif qui est
la facilité des déplacements.
Ces aspects négatifs, et
il y a d'autres, de l'automobile comme moyen généralisé et privilégié de
transport doivent être corrigés à court terme et des acteurs tels que les
pouvoirs publics (ministère des Communications, gendarmerie) ou l'industrie
automobile elle-même, s'y emploient.
Mais les gestionnaires de
l'infrastructure routière ont aussi leur part de responsabilité dans cette
situation et dans les mesures à prendre pour y remédier. Deux objectifs doivent,
à mon sens, être mis en oeuvre rapidement : d'une part réduire les vitesses des
véhicules motorisés et d'autre part, diminuer en zone agglomérée, tout au moins,
l'importance du trafic automobile. Ces deux objectifs se rejoignent dans la
mesure où permettre aux usagers non motorisés (piétons, cyclistes, ...)
d'utiliser la voirie en toute sécurité, c'est-à-dire dans la rue où les vitesses
des véhicules automobiles sont suffisamment faibles, c'est participer au
dégagement des villes et à la diminution de la densité du trafic automobile.
Concevoir l'aménagement
de la voirie d'une autre façon, c'est, sans négliger les aspects techniques, ne
plus se limiter à eux. Cette démarche ne peut isoler les aspects techniques des
aspects trafic, de sécurité routière, d'embellissement de la voirie ou du cadre
bâti auquel la voirie, prise dès lors au sens d'un véritable espace public, est
intimement liée. Envisager ces différents domaines isolément conduirait à des
dysfonctionnements soit en matière d'aménagement du territoire, soit en matière
de sécurité routière.
Cette évolution des idées
coïncide, en effet, avec la constatation - analysée dans différents pays - de la
convergence entre la prévention des accidents de la route et la prise en compte
de l'environnement, du milieu, dans lequel se déroule la voirie. Cet élément
retiendra spécialement notre attention car les études les plus récentes en
matière de perception de la voirie par l'usager - la lisibilité de la route -
relient concrètement les aspects de sécurité routière et la qualité urbanistique
de l'aménagement des espaces publics.

Ce principe
particulièrement bien étudié par Madame G. Dubois-Taine, ingénieur français,
repose sur la constatation que l'aménagement peut favoriser la sécurité des
déplacements si le message visuel adressé au conducteur l'informe, le guide,
l'incite à prêter l'attention voulue aux autres usagers et aux discontinuités de
son itinéraire (Institut belge pour la Sécurité routière).
D'une ségrégation totale
des espaces réservés à certains usagers, d'une application aveugle de normes, il
s'agit, dans cette perspective, d'aller vers une ségrégation beaucoup moins
forte ou même une mixité partielle et vers l'élaboration de recommandations de
base à partir desquelles des solutions multiples peuvent effectivement répondre
à des besoins. (par exemple en matière de largeur de chaussée - vitesse).
Cette prise de conscience
a progressivement été soutenue par la réglementation. Ainsi en 1978,
l'introduction dans le code de la route des zones résidentielles visait
explicitement à améliorer la qualité de la vie dans les villes et villages mais
elle n'a pas rencontré le succès que l'on pouvait espérer et qu'elle a
d'ailleurs rencontré dans d'autres pays comme les Pays-Bas, d'où l'idée est
partie, ou la France. Ce demi-succès trouve sans doute son origine dans la
difficulté de modifier des mentalités bien ancrées en Belgique. Mais des
explications plus précises sont sans doute à trouver.
Les impositions en
matière d'aménagement on été souvent perçues par les gestionnaires comme très
contraignantes et coûteuses. Les expériences réalisées ont parfois été
considérées comme très formelles, sans vision globale en matière d'aménagement
ou de sécurité routière. Enfin, les dispositions relatives à la priorité des
piétons sur les automobilistes sont apparues à beaucoup comme pouvant aboutir
par l'imprécision du texte, à des difficultés en matière de responsabilité
civile pouvant entraîner des sanctions pénales.
Le texte a cependant le
mérite d'avoir constitué, il y a dix ans, une étape essentielle dans une
nouvelle approche de l'aménagement des rues et d'avoir permis certaines
réalisations intéressantes, en Flandre surtout.
En 1983, les
ralentisseurs de trafic font officiellement apparition dans le code
essentiellement pour normaliser leur dimension.
Enfin en 1988, paraît
l'arrêté royal créant des zones qui limitent la vitesse à 30km/h. Manifestement,
l'objectif de cette réglementation rejoint des préoccupations à la fois en
matière de sécurité routière et d'amélioration du cadre de vie des communes, il
s'agit ainsi de modérer les vitesses, mais sans utiliser uniquement des
dispositifs qui risqueraient d'être mal perçus par les automobilistes, comme les
ralentisseurs de trafic par exemple.
Les arrêtés de zone 30
rejoignent ainsi l'esprit des arrêtés concernant les zones résidentielles
adoptés dix ans auparavant, mais d'une part, ils ne s'adressent pas
nécessairement aux mêmes types de voirie et d'autre part, les inconvénients - ou
perçus comme tels - des zones résidentielles, ont été manifestement évités.
L'arrêtés royal fixant les conditions d'aménagement est simple et clair :
habitat prépondérant, routes non prioritaires, passage occasionnel des véhicules
de secours. Les dispositifs incitant à limiter la vitesse à 30 km/h., devront
prévoir des interruptions de tronçons rectilignes, ne gêneront pas les véhicules
de transport en commun et ils devront être ouverts, permettant aux gestionnaires
des voiries de prendre des initiatives.
Parallèlement à cette
réglementation, l'Institut belge pour la Sécurité routière publiait une brochure
intitulée Nouvelle Approche de l'aménagement des rues - Inventaire des
réalisations en Belgique destinée à inventorier et à promouvoir une conception
de voirie intégrant sécurité routière et urbanisme. Cette publication mettait en
évidence le retard de la réflexion dans ce domaine en Wallonie car sur 247
réalisations inventoriées, 15 étaient situées en Wallonie et sur les 76
sélectionnées, 3 étaient wallonnes.
L'Exécutif régional
wallon, à la fois comme maître d'ouvrage (routes régionales) et comme pouvoir
subsidiant (voiries provinciales ou communales), a pris conscience de ce
problème et dégagé des budgets importants en 1990, 91 et 92 dans le cadre du
programme plus.
En ce qui concerne les
voiries communales et provinciales A. Cools, Ministre des Travaux subsidiés, a
lancé, en 1989, 10 opérations pilotes destinées à tester et à chiffrer ces
aménagements en vue de les généraliser en Wallonie.
Le 22 juin 1990, Alain
Van der Biest, Ministre des Affaires intérieures pour la Région wallonne,
poursuivait l'objectif de son prédécesseur et faisait adopter par l'Exécutif
régional wallon un arrêté qui permet à la Région wallonne de subsidier à 80 %
deux types d'investissements : tout d'abord les constructions de dispositifs mis
en oeuvre dans l'aménagement d'une zone 30, mais aussi, de façon plus générale,
toute mesure - ponctuelle ou intégrée - qui vise à réduire la vitesse automobile
sur la voirie communale ou provinciale.

En préambule, alors que
j'ai insisté sur la nécessité de prendre en compte l'espace public dans tous ses
aspects sans se limiter à ceux qui concernent la technique routière, la
présentation de l'arrêté, qui cite une série de dispositifs, pourrait faire
croire que l'on préconise essentiellement des éléments techniques d'amélioration
de la chaussée. Il n'en est rien, cette présentation est essentiellement due à
la technique de subsidiation. Le commentaire de l'arrêté de même que le recours
à un comité d'accompagnement pluridisciplinaire, qui pourrait conseiller les
communes, vont bien dans le sens d'une démarche plus globale.
L'arrêté cite 6 exemples
de mesures qui pourraient contribuer à limiter les vitesses de circulation.
La première citée est la
surélévation locale de chaussée. C'est le cas du ralentisseur de trafic ou dos
d'âne. Ce dispositif que l'on a fini par normaliser est indéniablement la
solution la plus efficace mais aussi la plus contraignante et la plus agressive.
Il n'est pas conseillé sur des voiries à grande circulation (supérieur à 2 000
véhicules par jour) ou recevant un trafic régulier de poids lourds, ni sur des
voiries parcourues par des transports en commun ou des véhicules de secours. Il
ne doit pas surprendre l'usager et n'est finalement intéressant qu'intégré dans
un ensemble de mesures qui amènent l'usager à une conduite lente inférieure à 30
km/h. Souvent plus urbanistiquement intéressant est le plateau que l'on appelle
aussi placette ou place traversante. C'est une surélévation plus longue que le
dos d'âne mais qui vise en outre à faciliter des traversées piétonnes. Il sera
souvent surélevé au niveau d'un trottoir et son emplacement sera choisi au droit
de passages piétons privilégiés ou d'un carrefour où il dispense de canaliser
les piétons et donc permet des traversées libres. Sa construction n'est pas
incompatible avec des trafic de transit plus importants ou avec des passages de
poids lourds ou de transports en commun à condition d'adapter la pente d'accès
en conséquence.
La deuxième mesure
reprise dans l'arrêté concerne les revêtements différenciés. Le changement de
revêtement en travers de la chaussée, même sans surélévation, permet d'alerter
l'automobiliste, de l'avertir qu'il traverse un espace différent.
Une troisième mesure
proposée est la création ou l'élargissement de terre-plein, de trottoirs ou de
zones de stationnement destinés à rétrécir la chaussée. La largeur de la
chaussée est l'exemple type d'élément dont la normalisation n'est pas
souhaitable. Elle est fonction en effet de la nature du trafic (voitures, poids
lourds, vélos, stationnement, ...) de la nature de la voirie (voirie de transit,
de desserte, locale, ...), mais aussi de la vitesse admise sur la voirie ou des
caractéristiques du site dans lequel elle se trouve. Le rétrécissement de la
chaussée peut se réaliser par des îlots séparateurs dans l'axe de la chaussée
plus ou moins franchissables occasionnellement, continus ou entrecoupés aux
carrefours; ils sont plus adaptés à des voiries de grande circulation dont la
traversée piétonne est ainsi rendue plus facile (en deux temps). Le
rétrécissement peut se réaliser par avancée de trottoirs d'un côté ou de deux
côtés de la chaussée. Ces aménagements peuvent se combiner avec l'interruption
de zone de stationnement permettant aux piétons d'avancer vers la chaussée avant
de la traverser. Dans des voiries locales, le rétrécissement peut aller jusqu'à
la création d'un passage alterné. Le rétrécissement peut également être un
élément préexistant de l'environnement ou du bâti, il peut également
matérialiser l'entrée ou la porte d'une agglomération.
Quatrième mesure : les
déplacements de l'axe du tracé ou les chicanes. Elles peuvent se matérialiser de
différentes façons : par du mobilier urbain, par des terre-pleins franchissables
ou non, plantés ou non, par du stationnement, .... Elles se réalisent par
décrochement latéral et se combinent éventuellement avec un rétrécissement de
chaussée. Leur dimension sera fonction de la vitesse souhaitée. Elles permettent
souvent de briser les lignes droites incitant à la vitesses ou de fermer des
perspectives lorsqu'elles peuvent être plantées.
Cinquième mesure : la
création de ronds-points. Essentiellement conçue pour des carrefours, la
construction de ronds-points s'est fortement développée en France où, avec la
priorité à l'anneau, ils ont contribué sensiblement à réduire les vitesses
automobiles sur des voiries à grande circulation. Le rond-point peut ponctuer
d'une image forte un carrefour important ou une entrée d'agglomération. Lui
aussi peut être plus ou moins franchissable. A la limite de plus petits
ronds-points légèrement surélevés peuvent être totalement franchissables
occasionnellement : de tels giratoires peuvent supporter des trafics allant
jusqu'à 3 000 véhicules par heure et les vitesses descendre sous 45 km/h.
Enfin, des aménagements
de type paysager tels que plantations, mobilier urbain et éclairage peuvent
aussi compléter les mesures citées ou constituer en eux-mêmes des mesures
d'avertissement ou d'intégration dans l'environnement bâti ou non de la voirie.
Les plantations permettent de créer une ambiance soit citadine, soit villageoise
ou briser la monotonie d'un paysage, fermer une perspective ou signaler l'entrée
dans une agglomération.
En matière d'éclairage
public, il semble intéressant de compléter l'éclairage général par un éclairage
spécifique sur les dispositifs réducteurs de vitesse pour permettre non
seulement de les visualiser pendant la nuit (si le trafic le nécessite) mais
aussi de participer esthétiquement à l'aménagement du dispositif.
Il est évident que les
auteurs de projets, les bureaux d'études, les services techniques communaux ou
provinciaux sont encore souvent démunis face à une démarche nouvelle, moins
technicienne, plus urbanistique et où les recommandations, les images, les
exemples sont encore peu nombreux. Un programme de formation destiné aux
fonctionnaires communaux ou provinciaux a été mis sur pied en 1991 et il
rencontre un réel succès.
Il semble que les moyens
permettant de modifier les espaces publics wallons dans le sens d'une plus
grande sécurité par une approche globale d'aménagement se mettent en place et je
pense qu'il y a lieu de s'en réjouir.

|