Synthèse
(1)
Luc Maréchal
Conseiller à la Direction
générale de l'Aménagement du Territoire et
du Logement du Ministère de la Région wallonne
L'affirmation
selon laquelle les politiques du logement et de l'aménagement du
territoire étaient liées à celle de l'éducation s'imposerait comme
une évidence dès le début de la réflexion; toute la question était
toutefois de préciser les liaisons, de relever les modalités, sous
peine de rester dans des généralités peu porteuses de propositions.
Pour amorcer la
réflexion, il faut remonter aux sources, à savoir : la réforme de l'Etat trouve
son ultime fondement dans la plus grande maîtrise par les Wallons de leur
devenir. Au regard du thème du congrès, cette maîtrise pose que l'éducation doit
s'entendre également comme un processus d'augmentation de la capacité de
diagnostic et d'action des individus et des groupes de toute nature, qu'elle
soit associative ou institutionnelle.
Au préalable un détour
par l'institutionnel est indispensable. Cette maîtrise se réalise, s'exprime, en
effet dans un champ délimité notamment par les compétences régionales. A cet
égard, aménagement et logement ne sont pas dans la même situation.
L'aménagement a été, dans
les faits, régionalisé dès la phase de régionalisation provisoire. Le premier
comité ministériel des affaires wallonnes (CMAW) a mis en place des politiques
spécifiques à la Wallonie; ainsi : rénovation rurale et urbaine, décision
d'élaborer un plan régional d'aménagement pour l'ensemble de la Wallonie. La loi
d'août 1988 a amplifié comme on le sait le mouvement
Par contre le logement
est fractionné entre plusieurs niveaux de pouvoirs ou départements
ministériels : l'agrément technique aux Travaux publics, le bail à la Justice,
la fiscalité renvoie aux Finances, les politiques sociales liées à l'hébergement
à la Communauté, le logement en tant que bien physique à la Région avec le
logement public, les aides au particulier et l'urbanisme.
Analyser le secteur du
logement, celui-ci étant considéré non seulement comme un toit, un abri mais
aussi un habitat situé dans un espace (quartier, ville, village), sous l'angle
de la maîtrise individuelle du choix du logement conduit à constater que
nombreux sont les captifs du logement.
La connaissance du marché
n'est pas également répartie, elle est fonction de la richesse, des relations,
du bagage culturel. L'offre crée la demande - ce qui est en outre une des
raisons de la banalisation du paysage. L'analyse des conséquences d'une décision
est difficile. Ainsi le faible coût des terrains péri-urbains ont incité bon
nombre d'habitants à s'établir loin des équipements, ce qui induit de nombreux
et coûteux déplacements, et annihile ainsi l'avantage du faible coût foncier,
qui était souvent le motif du choix initial.
Cet accès restreint à
l'information et la faible capacité d'analyse sont amplifiés pour les faibles
revenus, qui en sus ont devant eux une offre peu diversifiée : logements
insalubres surexploités, offre publique largement monopolistique et anémiée (2).

Trois grandes
conclusions opérationnelles se dégagent :
-
Mettre en place des
systèmes d'aide à la décision individuelle et collective, qui vont au-delà
du conseil juridique ou administratif;
-
Produire une
information correcte et systématique sur le marché du logement, ce qui est
indispensable à la fois pour une politique du logement et pour une aide
telle que développée ci-dessus;
-
Développer une
intervention publique à la fois plus importante et plus diversifiée dans la
production du logement pour la population à faible revenu (on sort ici des
capacité d'analyse et d'action mais cette capacité ne peut se réaliser dans
la pénurie).
Enfin, le logement comme
matière personnalisante a été fortement mis en avant. Ce néologisme renvoie à
une nécessité et à un paradoxe.
-
Nécessité en ce que
le logement est un centre d'éducation, la transmission de modèles culturels,
alimentaires,...
La politique du logement (au sens compétence régionale) doit pouvoir être
couplée à des démarches d'accompagnement et de formation (maison d'accueil
des familles, hébergement provisoire, etc; maîtrise du crédit; développement
communautaire);
-
Paradoxe en ce que la
vie privée au sein du logement est protégée par notre droit (heureusement),
mais en même temps, le logement est littéralement envahi par les médias,
bombardé par des messages. Comment faire place dans ce contexte aux
politiques d'accompagnement?
Dans le secteur de
l'aménagement du territoire, celui-ci étant pris au sens large, toute une série
de politiques d'initiative régionale ont nécessité un effort de formation. Parmi
ces politiques, citons celle des Ministres Cools et Vanderbiest visant à
aménager la voirie communale en fonction non seulement du trafic routier mais de
l'ensemble des autres usagers. Celle du Ministre Liénard visant à créer des
Maisons de l'urbanisme et à développer les commissions consultatives communales
d'aménagement du territoire (il y a actuellement plus de 100 communes wallonnes
dotées d'une telle commission). Parallèlement, de nombreuses formations ont été
organisées pour le grand public, les membres des commissions, les professionnels
du secteur (ainsi plus de 40 % des communes wallonnes disposent d'un agent
communal qui a suivi un recyclage en urbanisme). Il y a donc eu un effort
manifeste et une mobilisation financière à cet effet.
Le bilan dressé par
l'atelier est le suivant :
-
Il y a une demande
forte de formation. Pour une part il s'agit de l'acquisition de
qualifications nouvelles pour les professionnels (agents communaux,
fonctionnaires provinciaux, régionaux, etc) ou de métiers nouveaux (les
éco-conseillers); pour une autre il s'agit de formations liées à une
intervention, de formations dans l'action (aménagement d'une place, avis à
rendre sur un plan d'aménagement, etc);
-
Il y a une inversion
dans la pédagogie de la formation, d'un exposé d'un expert suivi du jeu
habituel des questions et réponses, on passe à des études de cas, à des jeux
de rôles, même si les cours ex cathedra sont toujours nécessaires;
-
Les cycles de
formation ou des institutions comme les Maisons de l'urbanisme sont des
lieux de coordination, d'émergence de nouveaux partenariats, de
décloisonnement géographique ou institutionnel.
Cet effort de formation
est à un tournant. Il faut trouver des réponses à des problèmes générés par
cette politique indispensable :
-
la nécessité de
formaliser le statut des Maisons de l'urbanisme, qui sont les maisons de la
culture de l'aménagement et du cadre de vie;
-
la légitimation, par
un diplôme par exemple, des formations de professionnels; cette légitimation
n'est, par contre, pas demandée pour les formations liées à une action;
-
et surtout, la
complexité et la fragilité des filières de financement qui rendent difficile
la constitution d'équipes stables de formateurs, qui doivent par ailleurs
investir dans la mise au point de pédagogies actives.
Toutefois, cet effort de
participation et de formation doit s'accompagner d'une sensibilisation qui
touche l'ensemble de la population. Sensibilisation pour renverser une situation
qu'un participant à l'atelier décrivait en citant la phrase malheureusement
célèbre "la Belgique... le pays le plus laid au monde". Cette sensibilisation ne
peut concerner uniquement l'aménagement, l'urbanisme, le logement mais la
culture au sens d'un démarche active des individus et des groupes, d'une
production d'un ouvrage au sens premier du mot avec ce qu'il recèle de liberté
et de création. On doit donc viser à l'émergence d'une société culturellement
sensible à l'aménagement, à l'urbanisme et à l'architecture. Un large consensus,
fondé culturellement, est en effet, indispensable pour la mise au point par les
autorités politiques d'un projet d'aménagement de la région et des communes, qui
lutte contre la banalisation des paysages, la médiocrité du bâti et la
destruction du cadre naturel.

Dernières évocations à
propos de l'aménagement régional
L'aménagement est un
"savoir organiser collectivement le territoire" c'est-à-dire une démarche
collective d'édification d'un projet si du moins on fait choix d'une démocratie
adulte. Le premier échelon est la connaissance. On a à nouveau regretté le
manque d'informations disponibles pour établir un diagnostic : l'information
répétitive - la statistique classique - est lacunaire quant à l'occupation du
sol et à toutes les dynamiques qui agissent au sein du territoire wallon; par
ailleurs une forme nouvelle - présente dans d'autres pays - est également
absente : l'observatoire, c'est-à-dire la mesure systématique des effets d'une
politique.
La Région wallonne est de
plus en plus plongée dans l'espace européen où se mettent en place des
stratégies de développement à la fois complémentaires et concurrentes. Celles-ci
se manifestent par tout un vocabulaire géopolitique (les scénarios, les arcs,
les pôles ou pôles de toute nature, les axes, les bananes, ...). Le décodage de
ces stratégies renvoie tant à l'impératif de formation exposé ci-devant qu'à une
relance des recherches en sciences humaines (géographie, économie et sociologie
spatiale) sur tous les concepts liés à la territorialité.
En conclusion
a. L'effort de formation
doit, tant pour le secteur du logement que pour celui de l'aménagement du
territoire, être poursuivi et stabilisé (pour sortir du précaire), c'est notre
défi de l'éducation. A politique nouvelle, politique de formation tant des
professionnels que des usagers;
b. Ce défi ne peut être
relevé que s'il y a une visibilité, une transparence qui présupposent une
connaissance réelle, continue et sur une longue période du territoire et des
processus en jeu.
Observer pour agir (3).
Observer en agissant.
Agir ensuite observer !
Notes
(1)
La présente communication s'appuie sur : le rapport de synthèse introductif aux
réflexions de l'atelier, le travail en atelier le vendredi 4 octobre 1991 à
Nivelles, cinq communications écrites (voir ci-devant A. Verlaine, N. Martin, L.
Leduc, J. Henrottay, C. Dermonne et C. Blin, Ph. Doucet), trois communications
orales dont les textes paraîtront prochainement : Luc Laurent et Anne Quévit,
Le logement, une matière personnalisante, à paraître dans les Cahiers de
l'urbanisme; L. Maréchal, Aménagement du territoire wallon et
géopolitique, à paraître dans Toudi; J. Miller, Patrimoine bâti
et, renouveau des villes, une dynamique à recréer, à paraître dans l'Année
sociale de 1992, Revue de l'Institut de sociologie de l'ULB.)
Elle reprend quelques éléments du rapport introductif de façon à situer l'apport
de l'atelier; des conclusions opérationnelles dans le créneau de l'éducation;
les participants, par ailleurs, n'ayant pas remis en question ce rapport
introductif de synthèse.
Les texte élaborés pour l'atelier comportent de nombreux développements qui
n'ont pu être présentés en séance. Nous laissons le lecteur y puiser tout le
nécessaire pour la compréhension de ces conclusions et pour l'approfondissement
de celles-ci.
(2) On notera que la réunion en atelier a permis de débattre
d'innovations en ce domaine (par exemple l'expérience menée par l'asbl Gestion
logement Namur, aidée par la Région wallonne, visant à augmenter l'offre de
logement pour les plus démunis).
(3) Observer pour agir, Guide des partenaires du
développement, Paris, édition du STU, 1991, 140 p.

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