Les habitants, le logement et
l'aménagement du territoire
Jacqueline Miller
Chargée de cours Institut de
Sociologie, ULB
Luc Maréchal
Conseiller à la Direction
générale de l'Aménagement du Territoire et
du Logement du Ministère de la Région wallonne
Cinq axes de réflexion
La réforme de l'Etat
trouve son ultime fondement dans une plus grande maîtrise par les Wallons de
leur devenir. La question qui se pose est double : tout d'abord, évaluer le
niveau de maîtrise atteint actuellement, puis à partir de ce diagnostic
s'efforcer de tracer les chemins d'une plus grande maîtrise.
Le propos est ambitieux
mais il s'impose car les transformations institutionnelles ainsi que les mises
en place de nouveaux organismes ne prennent sens qu'à cette condition. En tenant
compte des échanges de vues, des propositions d'intervention et des
contributions déjà reçues, nous nous efforcerons de poser quelques jalons dans
le champ de travail du présent atelier.
1. De la cellule
familiale, au macro-espace régional
Dans quelle mesure
l'habitant maîtrise-t-il les éléments qui composent son cadre de vie? Et tout
d'abord son logement? Logement qui est une réponse à un besoin fondamental (la
protection, "le toit"), qui est l'insertion dans un mode de vie à travers
l'organisation interne du logement et la façon de le meubler. Logement qui est
aussi une façon de se situer sur le territoire dans les différentes
collectivités territoriales de toutes natures (rurale, urbaine, péri-urbaine,
etc) et de tous niveaux (quartiers, villes, pays, régions, etc). On passe ainsi
de se loger à habiter.
A une autre extrémité,
l'aménagement du territoire est la démarche d'une collectivité en vue
d'organiser, selon des critères qu'elle se donne, son territoire et de le mettre
en relation avec les territoires limitrophes. Il ne peut également se réfléchir
qu'à partir de cette recherche de plus grande maîtrise d'un devenir. A cet
égard, le contexte dans lequel se situe cette démarche a fondamentalement
changé. L'espace européen, d'un territoire géographique de référence, devient un
espace de décision (la CEE). Il se forge ainsi une aire socio-politique où les
acteurs économiques agissent sur des champs de plus en plus vastes et où les
effets de frontière liés aux états diminuent. A ce niveau, la capacité de
maîtrise de la Région doit se déployer dans un espace qui s'est démultiplié.

2. Entre ces deux pôles,
l'environnement quotidien, le quartier, la commune...
Entre ces deux pôles,
entre l'espace de la cellule familiale et le macro-espace régional, voire
européen, se déploie tout l'espace de l'habiter, c'est-à-dire l'environnement
quotidien, le quartier, la commune. C'est à ce niveau intermédiaire que la
maîtrise de l'habitant sur son territoire doit et peut s'affirmer le plus
fortement.
C'est à ce niveau
également qu'intervient notamment, comme une promesse possible, "l'école des
CCAT", outil potentiel d'apprentissage collectif à la perception de l'espace et
à la maîtrise du cadre de vie. Un tiers des communes wallonnes se sont à présent
dotées d'une commission consultative communale d'aménagement du territoire,
outil qui pourrait constituer la forme élémentaire et de base, de citoyenneté
responsable. A condition que les citoyens - et leurs élus - s'en saisissent et
décident collectivement de maintenir cet outil dans la sphère de la société
civile et de considérer que celui-ci n'épuise pas toute la participation.
3. Nouveaux moyens
d'action, risques et enjeux régionaux
Par ailleurs, la réforme
de l'Etat en ses phases successives a fourni à la Région les moyens pour exercer
plus valablement sa capacité d'organisation. Certes, il est des moyens qui
échappent encore à la sphère régionale. Ce sont en quelque sorte des territoires
institutionnels à conquérir!
L'aménagement du
territoire doit se réaliser dans l'espace de référence européen, et dans une
région qui met en place ses institutions et ses outils. Il doit donc arbitrer
entre les différentes forces internes de cette région. Ici, le principal risque
est peut-être la banalisation : banalisation des paysages et de l'espace bâti
sur un modèle méga-néo-bureaucratique, détaché de toute référence culturelle
locale, wallonne et même européenne. L'enjeu est donc de définir un projet
d'aménagement du territoire : comment répartir les activités et les équipements,
comment dans un espace qui se banalise maintenir à la fois l'identité paysagère
et du bâti de la région et assurer son insertion dans cet espace européen.
Tant pour l'habitant pris
isolément que pour les groupes constitués, les mouvements associatifs et les
instances politiques, tant dans la sphère du logement que dans l'aménagement du
territoire, existe une double exigence : celle d'une capacité d'analyser et de
diagnostiquer, soit pour émettre un choix individuel, soit pour assurer une
capacité d'établir un projet et les politiques y afférentes.
En matière de capacité
d'analyse, le constat est clair et irrévocable. On ne dispose pas des
informations nécessaires, l'appareil statique adéquat est absent. Il y a une
dissymétrie flagrante entre la profusion (peut-être justifiable en soi) des
données pour certaines matières et leur absence pour d'autres.
Les problématiques du
logement et de l'aménagement du territoire sont à cet égard à la même enseigne,
il n'y a quasiment rien. L'atelier propose donc comme ligne d'action : mettre en
place d'une part l'appareil statistique classique et d'autre part les systèmes
d'observation des politiques menées (observatoire).

4. Les "captifs" du
secteur logement : nécessité d'une intervention redistributrice.
Autre ligne d'action
proposée : le niveau de connaissance pour évaluer une situation et à partir de
là, définir un mode d'agir pour les choix individuels, une politique pour les
collectivités.
A cet égard, il faut
reconnaître que vis-à-vis du logement, comme dans les processus de participation
en aménagement du territoire, tous ne sont pas égaux. Dans le secteur du
logement, certains maîtrisent mieux le marché en terme de connaissance, si ce
n'est même en terme de pouvoir dans ce marché. En ce domaine, nombreux sont les
captifs. Ainsi, c'est l'offre de logement qui crée la demande, l'offre précède
la demande ... C'est une des raisons de la banalisation du paysage. Par
ailleurs, les modèles proposés et le faible coût des terrains péri-urbains ont
incité bon nombre d'habitants à se situer loin des équipements, ce qui a induit
de nombreux et coûteux déplacements, et annihilé ainsi l'avantage du faible coût
foncier.
Captifs également sont
les titulaires de faibles revenus qui, ne bénéficiant pas d'une offre
diversifiée, sont soit, dans le rets des logements insalubres surexploités, soit
en face d'une offre publique à la fois largement monopolistique et anémiée.
La première étape est
donc de rééquilibrer la situation par un accès à l'information d'une part et par
une aide aux choix des personnes concernant le logement.
Par ailleurs, il est
nécessaire qu'il y ait dans le secteur du logement une intervention publique
plus importante et plus diversifiée que celle qui existe actuellement, sans pour
autant retomber dans une intervention hégémonique au sein du marché public telle
que celle du logement social; à cet égard, l'aide locative du Fonds du Logement
malgré le petit nombre de logements qu'elle offre, a été un élément de
restructuration du marché.

5. L'aménagement du
territoire, lieu de rencontre des différents groupes d'acteurs pour un projet
d'organisation collectif
L'aménagement du
territoire est produit par une somme de décisions individuelles et collectives
dans un système où se rencontrent les trois groupes d'acteurs qui constituent
cette collectivité : la population, dans ses structures de décision et
d'influence familiales, associatives, etc...; les acteurs économiques et
sociaux; les décideurs politiques.
L'aménagement est avant
tout un grand dessein politique pour une collectivité : "un savoir - s'organiser
en commun" pour assurer un développement culturel, économique et social, qui
présuppose un débat à tous les niveaux pour que ce projet soit porté par le plus
grand nombre d'acteurs : mouvements, communes, associations professionnelles,
partis, etc ...
Sans entrer dans la
nature précise du projet en tant que tel, l'atelier, comme pour le logement,
veut définir les conditions d'émergence d'un tel projet à partir d'une analyse
des capacités de diagnostic et d'action.
Le diagnostic suppose des
informations sur la situation réelle (un état des lieux). En effet, l'action qui
est ici production d'un projet d'aménagement au niveau communal et au niveau
régional implique la mise au point de procédures de débat où chacun des
participants, individus ou groupes, bénéficie en chacun des lieux des
informations et des moyens matériels en temps et en hommes pour être acteur du
processus de participation (on songe ainsi aux commissions consultatives
régionales et communales instaurées par les pouvoirs publics).
L'élaboration d'un projet
implique également que le pouvoir, qui in fine statue, accepte dès le départ
qu'il lui revient d'opter, de faire des choix, d'arbitrer entre différents
points de vue à l'issue du débat, et de ne pas être seulement le greffier
d'arbitrages faits ailleurs.
Une capacité de
diagnostic n'a de fondement que si elle inscrit dans une volonté de capacité
d'action.
A partir de ces deux
leitmotivs - capacité de diagnostic et d'action - constamment répétés, les
participants à l'atelier seront invités à émettre des propositions précises.
Pour alimenter la réflexion, une série de contributions individuelles seront
présentées lors de courts exposés introductifs au débat. L'ambition n'est pas
d'explorer toutes les problématiques, mais d'envisager certaines qui sont soit
centrales soit susceptibles d'ouvrir le débat au sein du réseau.

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