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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
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Les politiques de formation professionnelle de l'Onem-Forem
en Belgique francophone 1980-1990

Christian Maroy
Chercheur à l'UCL, Institut des Sciences du Travail et FOPES

 

Mon propos reprendra les principales conclusions d'une étude approfondie des politiques de la Formation professionnelle des adultes (FPA) de l'Onem devenue depuis 1989 le Forem. Je reprendrai principalement les questions suivantes : comment ont évolué les objectifs officiels de l'institution? Quels ont été les principales évolutions des offres de formation proposées? Quelles sont surtout les logiques d'action des différents secteurs de formation de l'institution? Je terminerai en mettant en évidence quelques-unes des questions politiques que ces constats génèrent.

 

1. Les objectifs officiels

La FPA, née après la Deuxième Guerre mondiale, a rapidement mis en place des activités de "réadaptation professionnelle" puis de "formation professionnelle accélérée" dont les objectifs déclarés sont doubles : il s'agit simultanément de répondre aux pénuries de main-d'oeuvre qualifiée, et de reclasser dans les circuits productifs les chômeurs que leurs qualifications, leurs handicaps, la conjoncture économique empêchent de poursuivre leur profession antérieure.

Au milieu des années 80, ce double objectif officiel reste toujours à l'ordre du jour, alors qu'entretemps il y a une série de changements importants, autant sur le plan des offres de formation faites par l'institution que sur le plan du contexte économique.

 

2. Les offres de formation dans les années 80

Depuis août 80, la FPA est gérée de façon autonome dans chaque communauté. Quels sont alors les types d'offres de formation faites du côté francophone?

Outre des formations subsidiées dans des lieux de formation extérieurs à l'institution (environ 4600 formations terminées dans des centres agréés, des centres créés avec la collaboration d'entreprises, de secteurs ou d'associations etc), la FPA organise des formations pour plus de 12.000 stagiaires en Belgique francophone dans des centres qu'elle gère en propre (1). Ces formations sont destinées aux chômeurs ou aux travailleurs occupés dans les entreprises.

Les centres "en gestion directe" sont regroupés au sein de trois secteurs principaux (2). Les centres de formation secondaires sont orientés vers des spécialités ou des métiers "manuels" relevant le plus souvent du secteur de la construction ou de secteurs comme les fabrications métalliques, la chimie, l'hôtellerie, les transports.

Le secteur de formation tertiaire organise, d'une part, des formations d'"employés polyvalents" avec un apprentissage à la carte de la sténo-dactylographie, de la comptabilité et des langues (au sein des centres polyvalents tertiaires). Il organise, d'autre part, des formations à l'informatique ou aux diverses facettes de la gestion d'entreprise au sein des Centres de perfectionnement en gestion et en informatique (CPGI).

Un troisième secteur de formation gère principalement deux types de formation :

  • d'une part, les Cellules de Formation Reconversion et les Initiatives locales d'Emploi qui sont des formations organisées pour des groupes de travailleurs licenciés ou sans emploi; leur particularité est de se construire à partir de projets de création d'entreprise.

  • d'autre part, il gère les Centres d'Orientation et d'Initiation socio-professionnelle (COISP).

Ces COISP sont une nouvelle présentation d'une action qui avait débuté en 1975 : les Centres d'Observation et d'Orientation (COO). Ouverts pour faire face à la croissance du chômage des jeunes, ces centres ont eu d'abord une mission d'orientation des jeunes au travers d'une initiation à diverses spécialités techniques. Le jeune s'essayait à diverses spécialités "manuelles" ou "tertiaires" et commençait par la suite une première initiation. Pendant 6 semaines, les COO leur permettaient ainsi de choisir une orientation professionnelle et de continuer dès lors éventuellement une formation dans cette orientation, dans les autres secteurs de formation de la FPA. Par la suite, une mission de socialisation et d'initiation aux mécanismes économiques et sociaux quotidiens (l'initiation socio-professionnelle) s'y est ajoutée. Les COO deviennent les COISP (1981) et leur durée s'allonge. A partir de ce moment, les COISP ont explicitement un objectif d'aide à l'insertion ou à la réinsertion de chômeurs peu employables. Il s'agit de "permettre à une population (jeune essentiellement) que la crise a écartée du milieu de travail, de garantir son potentiel et viser sa réinsertion sociale et économique."

Quelles sont alors les principales évolutions quantitatives de ces activités de formation ?

Tout d'abord, si on se fie à l'indicateur imparfait du nombre de formations terminées, on constate une hausse du nombre de formations terminées dans l'ensemble des trois grands "secteurs" de formation de la FPA francophone, parmi les centres "en gestion directe" (augmentation de 56 % entre 1981 et 1988). Cette hausse ne signifie cependant pas un accroissement des moyens alloués à la formation; elle s'est faite moyennant une diminution de la durée de certaines formations, la baisse des allocations octroyées aux stagiaires, ou l'augmentation de la part relative des stagiaires acceptés en tant que travailleurs dans les centres secondaires et tertiaires (25 % en 84 contre 32 % en 88). Ensuite, on observe la croissance importante des activités d'un des secteurs de formation de la FPA : le secteur tertiaire qui devient progressivement le secteur principal au détriment du secteur secondaire (5710 formations terminées en 1988 contre 3417 pour le secondaire). Le secteur des COISP connaît un tassement du volume de ses stagiaires entre 82 et 86, suivie par une forte reprise en 1987 (1138 formations terminées en 1984 contre 3132 en 1988).

En observant à présent l'évolution des formations directement gérées par la FPA dans ses centres en gestion directe par rapport aux formations subsidiées, on observe que la part relative des activités des centres en gestion directe ne fait que diminuer dans l'ensemble des activités de formation de l'office. Elle passe de 89 %, en 1984 à 80 % en 1987, et 72 % en 1988. Autrement dit, et sous réserve de la fiabilité de l'indicateur retenu, on peut avancer que la FPA collabore de plus en plus avec d'autres acteurs ou organismes de formation, ces derniers pouvant être, d'une part, des entreprises, secteurs d'entreprises, mais aussi quelques associations ou institutions d'enseignement dans le cas des centres créés avec leurs concours (art. 5). Les formations des centres agréés ( Centre de formation des soudeurs, art. 6) et les formations individuelles en entreprises impliquent évidemment des entreprises.

Concernant le volume de chacune de ces formules de subsidiation de formations réalisées en principe en dehors des centres de formation de la FPA, sur base de contenus, de publics négociés avec les partenaires, il est intéressant de constater que les formations individuelles en entreprises triplent de nombre entre 1984 et 1987, alors que les centres créés en collaboration avec d'autres organisations (art 5) augmentent à partir de 1987.

Si l'on compare à présent les évolutions de la Communauté française à celles de la Communauté flamande (tableaux 1 et 2 en annexe), force est de constater que, en 1984, la Communauté flamande organise d'ores et déjà nettement plus de formations que la Communauté française (20.490 contre 8648) Cette discordance ne fait que s'accentuer ensuite : 42.000 contre 16.809. Cette disparité est cependant partiellement explicable par la durée différente des formations de part et d'autre, notamment dans les centres en gestion directe : la durée moyenne de formation dans la Communauté française est de 500 heures environ en 1988 (cité in rapport annuel 1988). De plus, les formations subventionnées ont une part plus importante en 1984 : 27 % environ en Flandre contre 10 % en Communauté française. Cette évolution est cependant tempérée par la suite, principalement par la mise sur pied en Flandre de "projets de formation spécifiques" à destination de demandeurs d'emploi "infrascolarisés"; la part des formations subventionnées devient alors 15 %.

 

3. Les logiques d'action de la FPA francophone dans les années 80

Si les actions de la FPA se diversifient sur le plan des contenus et des publics touchés, peut-on penser que toutes ces nouvelles actions continuent à poursuivre conjointement les objectifs officiels qui sont toujours attribués à la FPA. On constate à l'opposé que dans les années 80, il y a, au sein de la FPA francophone au moins, plusieurs logiques d'action. Chacune tend à privilégier en pratique une des missions officielles. Par logique d'action, nous entendons les objectifs qui se dégagent de la pratique et des décisions concrètes d'une organisation dans son ensemble ou de l'une de ses subdivisions. Il s'agit de la cohérence qui ressort des pratiques d'une organisation et le sens qu'elles prennent, après coup, aux yeux de l'observateur.

Ainsi, si on reprend la division de la FPA en différents secteurs de formation, on peut avancer qu'en pratique :

  • le secteur de formation tertiaire mène des actions qui relèvent d'une logique d'action économique. Il tend à privilégier en pratique l'objectif économique;

  • à l'opposé le secteur des COISP, cellules de formation reconversion, et ILE ont des actions qui révèlent une logique d'action sociale;

  • le secteur des formations des centres secondaires tâche de combiner les deux types de logiques.

 

1. La logique d'action économique du secteur tertiaire dans les années 80.

La différence de logiques d'action se donne d'abord à voir dans les brochures de présentation des divers secteurs de la FPA francophone, brochures considérées comme un moyen concret d'attirer des stagiaires.

Ainsi les centres tertiaires sont ceux qui mettent le plus l'accent dans leur brochure sur le rôle économique de la FPA, sur l'adaptation de la main-d'oeuvre aux exigences professionnelles du marché en fonction des besoins perçus des entreprises (objectif économique). Les centres tertiaires sont ainsi présentés comme poursuivant l'objectif même de la FPA "à savoir, mettre, en un minimum de temps, à la disposition du marché de l'emploi des personnes préparées de la meilleure façon à répondre aux exigences professionnelles".

Cette définition de la formation professionnelle insiste en fait sur le caractère accéléré de la formation et sur le fait que cette formation rapide permette aux stagiaires d'être embauchés parce que répondant aux "exigences professionnelles". Parallèlement, les destinataires de la formation sont présentés comme des entreprises devant "résoudre des problèmes de formation de leur personnel" et comme des travailleurs à qui la formation est présentée comme "au service de leur carrière". Dans l'ensemble de la brochure, le destinataire n'est, par contre, jamais clairement un chômeur ou un travailleur sans emploi : la brochure procède par ellipse, les travailleurs dont il s'agit peuvent être occupés dans un emploi ou à la recherche d'un emploi. Si un objectif social est présent, il s'agit surtout de promotion et non de reclassement.

Les actions de formation du secteur tertiaire révèlent aussi une logique d'action économique du fait que les choix des contenus de formation, les critères de sélection du public doivent favoriser le placement des stagiaires, après une formation qui doit toujours être accélérée. On constate ainsi que le secteur tertiaire a tendu à élever dans les années 80 les critères de sélection à l'entrée de ses "centres polyvalents ".

 

Tableau 1 : Evolution des niveaux d'études des stagiaires des centres polyvalents tertiaires (en %)

Niveau d'études 1984 1986 1988
Primaire

6,4

2,5

25,0

Secondaire inférieur  

16,0

16,7

Secondaire supérieur

40,0

38,9

37,4

Supérieur

35,0

38,5

43,1

(source Rapports annuels Onem, 1984,86,88)

La logique d'action économique se marque encore à d'autres indicateurs. Le secteur de formation tertiaire a tendu à développer ce qu'on appelle, dans le jargon Onem, des formations complémentaires, lesquelles dépassent après 1984 les formations de base parmi l'ensemble des formations tertiaires. Par ailleurs, la naissance et le développement des Centres de perfectionnement en gestion et en informatique (CPGI) destinés à spécialiser un public ayant au départ un niveau d'études supérieur vont dans le même sens. Enfin, une autre forme d'expression de la logique dominante des centres tertiaires est encore la place, parmi les stagiaires acceptés en formation, des candidats stagiaires envoyés par les entreprises par rapport à la faible place accordée aux candidats stagiaires issus des COISP. Les premiers représentent en 1988, 10 % des stagiaires retenus, contre 0,7 % pour les seconds. La logique est donc moins de tenter de reclasser les moins formés des demandeurs d'emploi qui se retrouvent en COISP, que de favoriser une formation d'un travailleur à la demande de son employeur. L'enjeu est ici de savoir qui bénéficiera en priorité des ressources de formation : les travailleurs ou les chômeurs et parmi eux qui ? les plus formés ou ceux qui ont le moins de capital scolaire de départ ?

 

2. La logique d'action des COISP, cellules et ILE.

Les COISP poursuivent explicitement, on l'a vu, des objectifs sociaux d'insertion ou de reclassement. Cet objectif se retraduit alors dans une absence relative de critères de sélection des candidats aux formations, sinon les critères d'admissibilité administrative de tous les stagiaires de la FPA (être demandeur d'emploi ou travailleur par ex.) et la maîtrise de compétences de base minimales (savoir lire et écrire par ex.). Ces centres ne sélectionnent pas leurs candidats en fonction d'un souci du placement le plus rapide des stagiaires. Ce placement est bien sûr l'objectif final mais, au vu de l'état du marché de l'emploi et du souci de reclasser des chômeurs "marginalisés", il ne peut être atteint de façon immédiate. Leur logique d'action est donc sociale au sens où ils privilégient en pratique le souci de mener à bien l'objectif de reclassement par rapport au souci de réponse aux besoins de main-d'oeuvre qualifiée des employeurs, réponse mesurée par le placement rapide des stagiaires comme dans les centres tertiaires. Cela se retraduit dans les niveaux de formation de leurs centres, si on les compare par rapport aux centres tertiaires. (voir Maroy 1991).

En outre, les cellules de formation-reconversion, les formules de collaboration des COISP avec l'Enseignement de Promotion Sociale ou les CEHR sont aussi orientées vers un public peu formé et peu qualifié. Les cellules de formation/reconversion touchent ainsi, en raison de leur absence de sélection au départ, les groupes issus de fermetures d'entreprises. Mise à part une cellule constituée de travailleurs sociaux (cellule "OPJ 81"), les autres cellules comprenaient pour la plupart des travailleurs manuels au niveau de formation comparable à ceux des centres secondaires.(3)

 

3. Les centres secondaires entre le social et l'économique

En outre, au sein même des centres secondaires, on assiste à la mise en place d'une double logique d'action. Il y a ainsi une diversification interne des publics touchés selon qu'il s'agit de formations dites de base ou de formations complémentaires ou de perfectionnement qui supposent une qualification technique préalable (4). Dans leur majorité, les actions des centres secondaires continuent à toucher un public peu formé et/ou qualifié dans la mesure où il s'agit surtout des formations de base. Cependant, depuis le début des années 80, la part des formations de base dans les centres secondaires tend à diminuer par rapport aux formations de perfectionnement. (voir graphique 6 en annexe). Une part au moins du public des formations des centres secondaires tend donc à changer, du point de vue du niveau de qualification et/ou de formation de départ (5). En définitive, la FPA francophone continue toujours officiellement à poursuivre de façon conjointe ses deux missions sociale et économique. En pratique cependant, on peut remarquer que chaque secteur de formation de la FPA poursuit une logique d'action différenciée.

Je voudrais à présent avancer quelques évaluations et m'interroger sur quelques points critiques des évolutions ainsi dessinées.

 

4. Des effets d'égalisation des chances ?

On peut tout d'abord se réjouir que la FPA ait gardé dans le contexte de crise et de chômage massif une préoccupation pour les sans-emploi marginalisés. Par ailleurs, en première analyse, on peut aussi se réjouir que la FPA continue à se préoccuper de répondre aux besoins de main-d'oeuvre des entreprises, dans un contexte de restructuration économique et technologique. Cependant, la segmentation, la bipolarisation des logiques d'action des centres de la FPA ne va pas sans un certain nombre d'effets pervers.

Ainsi, au nom de la logique économique, les centres tertiaires sont amenés à élever le niveau d'études moyen de leurs stagiaires, à raccourcir les durées des formations, à donner plus de place aux stagiaires envoyés par leur employeur qu'aux candidats issus par exemple des COISP. Tout cela est légitimé par le fait que le taux de placement est plus favorable et que, dès lors, on a répondu aux besoins de main-d'oeuvre qualifiée des employeurs. Or cette équation entre placement et réponse à une pénurie de main-d'oeuvre de l'employeur n'est pas forcément vérifiée. On peut tout aussi bien défendre l'hypothèse que les effets des centres de formations sur le marché du travail sont surtout d'affecter les positions relatives de différents individus ou groupes en terme de chances d'accès à l'emploi. On pourrait même avancer l'hypothèse que la bipolarisation des logiques d'action de la FPA tend à augmenter les écarts d'employabilité entre des chômeurs ou travailleurs déjà inégalement dotés au départ de ressources scolaires ou sociales.

Pourquoi le placement ne signifie-t-il pas régulation d'une pénurie ? Tout d'abord, le taux de placement, un an par exemple après la sortie de formation, n'est jamais qu'un instantané qui permet mal de mesurer les modalités du reclassement, de savoir par exemple si l'emploi acquis est stable. Par ailleurs, cette mesure est le plus souvent appliquée partiellement et on ne sait pas dans quelle profession le placement est effectué, s'il s'agit d'un emploi "normal" ou d'un sous-statut, etc.

Plus fondamentalement, le placement d'un stagiaire, même dans la profession apprise, ne signifie pas automatiquement qu'une régulation entre l'offre et la demande d'emploi ait été effectuée grâce à la formation. Ce placement peut se faire dans une profession où par ailleurs, il n'y a pas ou presque pas d'offres d'emploi insatisfaites (6). Le placement n'a alors d'autre signification que le reclassement d'un demandeur d'emploi : ce demandeur a pu être préféré à un autre détenteur de la même "qualification technique", soit parce qu'il avait par ailleurs d'autres qualités dues à son histoire antérieure, à son éducation familiale par exemple, soit encore parce que les services de placement de l'Onem ont tout intérêt, pour des raisons financières notamment, à placer des stagiaires sortis de la FPA (en raison de remboursements de frais accordés par un service de la Commission des Communautés européennes, le Fonds social européen). Dans un cas comme dans l'autre, il n'y a pas d'effet de régulation réelle, car il n'y avait pas de décalage entre offre et demande d'emploi. La FPA ne fait alors qu'agir sur les chances relatives des différents demandeurs d'emploi d'accéder à un emploi; ces placements affectent indéniablement le "marché du travail", mais pas toujours dans le sens de l'aplanissement de tensions entre offre et demande.

Or on peut se demander à ce stade si la cohabitation de logiques économiques et sociales au sein de la FPA ne tend pas à avoir des effets d'augmentation des inégalités d'accès à l'emploi plutôt que l'inverse. Une telle hypothèse, forte bien sûre, peut être étayée si on a à l'esprit, d'une part, que les actions de formation les plus sociales au sein de la FPA n'ont pas toujours les moyens d'arriver à réaliser le reclassement qu'elles visent. D'autre part, on peut s'interroger sur les effets réels de l'augmentation des niveaux de formation au sein des centres tertiaires : plutôt qu'une hypothétique régulation des pénuries de main-d'oeuvre ne s'agit-il pas d'un renforcement des atouts d'une partie des demandeurs d'emploi, qui voient leurs ressources de départ renforcées ?

Ainsi, dans les COISP, l'objectif social est pourvuivi mais on peut s'interroger sur sa réalisation effective. En effet, les stagiaires issus de ces centres ont de moins en moins de chances de pouvoir entrer dans les centres de formation professionnelle. Les passages en centres de formation professionnelle semblent avoir diminué (7). Un tel débouché était pourtant logique (et prévu initialement) pour des centres chargés d'orienter et de donner une première initiation technique et sociale à des jeunes peu formés.

Signalons en outre que le taux de placement global y est naturellement plus faible que dans les autres types de centres directement après la formation, mais aussi après quelques mois, même si on compte les stagiaires qui sont passés dans d'autres centres. Ces différences sont très probablement dues aux caractéristiques de départ des stagiaires, mais aussi à la nature même d'un travail d'orientation (8). Sans vouloir donc nier l'effet tendanciel de reclassement initié par les COISP, on peut constater qu'il n'est pas fort encouragé par des passerelles internes à la FPA alors même que ce reclassement est rendu difficile par les caractéristiques de leurs stagiaires. Il est donc largement incertain. Par ailleurs, dans les centres secondaires, on a noté la tendance à l'augmentation de la part des formations de perfectionnement.

Mais, parallèlement, l'élévation, sous des modalités diverses dans les années 80, des niveaux de formation et/ou de qualification des publics touchés par les centres tertiaires de la FPA conduit à émettre l'hypothèse que ces centres de formation constituent une ressource de plus en plus importante pour les classes moyennes dans leurs stratégies de recyclage ou de reconversion.

L'employabilité des mieux dotés parmi les demandeurs d'emploi se verrait donc augmentée sans qu'on puisse affirmer que, de cette façon, la FPA rencontre les "besoins de main-d'oeuvre" des employeurs; l'effet de régulation paraît non démontré dans les années 70-80 comme le montre une étude de B. Lux (1984) (9).

Dans les années 60, le public de la FPA était principalement un public des fractions les moins qualifiées de la classe ouvrière et la FPA servait surtout à leur promotion ou stabilisation professionnelle, tout en répondant à de réelles pénuries de main-d'oeuvre créées par les "golden sixties". La bipolarisation des logiques d'action des années 80, signifie que le rôle de remodelage des qualifications, depuis longtemps dévolu à la FPA, tend à ne plus s'accompagner d'un effet d'équilibrage des chances d'accès à l'emploi. La FPA exerce moins un effet de réduction des différences d'employabilité entre les différentes catégories de main-d'oeuvre et au delà entre les catégories sociales; au contraire, elle les accentue sans doute.

(Octobre 1991)

 

Notes

(1) Les tableaux 1 et 2 ne reprennent pas toutes les activités de la FPA francophone ou néerlandophone : en particulier les activités du CNFEP, les activités de formation financées par les Régions (art. 76 formation dans le cadre de l'aide à la création, à l'extension, à la reconversion de l'entreprise), ainsi que, pour 1988 en Communauté française, les formations collectives dans le cadre d'établissements scolaires ou entreprises (1635 activités d'observation et 7 formations en entreprise).
(2) Je passe sous silence l'activité du Centre national de formation pédagogique (CNFEP) qui effectue essentiellement un travail de formation des formateurs des autres secteurs de formation.
(3) On peut cependant noter que les cellules et les ILE poursuivent un objectif économique : mettre sur pied des projets économiques marchands ou non marchands. Cet objectif ne correspond cependant pas à l'objectif économique "classique" dans l'institution : combler les besoins de main-d'oeuvre qualifiée insatisfaits.
(4) Les premières sont plus longues (30 semaines en moyenne), plus polyvalentes et visent à donner la "base " d'un métier. Les autres donnent une spécialisation (ex. : Commande numérique pour un ouvrier sur machine-outils) ou une formation complémentaire par rapport à la qualification qu'on possède déjà (coffrage pour un maçon). Ces formations sont plus courtes (5 à 10 semaines). Les premières tendent à toucher des personnes moins formées ou qualifiées que les secondes.
(5) Cette évolution est plus nette encore en Flandre.
(6) Si on considère que ce dernier indicateur est un moyen de mesurer objectivement le décalage entre les besoins des employeurs et les demandeurs d'emploi disponibles. On pourrait évidemment considérer que toute déclaration d'une insatisfaction de la part des employeurs quant à la main-d'oeuvre disponible est un indice suffisant d'une inadéquation entre l'offre et la demande d'emploi. On tend à oublier dans cette optique que le rapport entre l'offre et la demande d'emploi est un rapport social, en l'occurence un rapport salarial. La notion d'inadéquation, ou de décalage entre offre et demande d'emploi risque alors de recouvrir des cas où les déclarations des employeurs tendent non pas à recouvrir des inadéquations "techniques" mais constituent une manière de peser sur les rapports entre l'offre et la demande d'emploi , notamment sur les termes de l'échange du point de vue du salaire.
(7) Pour 1986, 1 % seulement des stagiaires des centres tertiaires viennent des COISP. (rapport annuel Onem 1986). Cependant, les COISP de leur côté, sur base d'une enquête par questionnaire (décembre 86) auprès de stagiaires sortis de CO depuis un mois minimum et 8 mois maximum, annoncent que 20 % des répondants poursuivent une formation à la FPA, 20 % dans une autre institution. Par ailleurs, le pourcentage de stagiaires dirigés vers les centres de formation de la FPA était dans la Communauté française de 37,3 % en 1986 pour 55 % environ en 82, 83, 84. (Sources rapports annuels). Le nombre de stagiaires qui entrent dans les centres FP est comme on le voit beaucoup plus faible que le nombre de stagiaires dirigés vers la FP.
(8) Les COISP, sur base de la même enquête, annoncent que 31,1 % de stagiaires avaient trouvé un emploi (10 % à durée indéterminée). Il s'agit cependant d'emplois obtenus "soit immédiatement après le cycle d'orientation soit après avoir suivi une formation professionnelle " (Rapport annuel 1986). Pour 1985, le secteur tertiaire annonce lui 65 % de placement, 6 mois après la formation; environ 35 % de placement immédiat après la formation pour 86. Nous n'avons pas de chiffre global pour le secteur secondaire.
(9) LUX B., La formation professionnelle par l'Onem, 6ème Congrès des économistes de langue française, CIFOP, Charleroi, novembre 1984. - MAROY C. Chômage et formation professionnelle, Ciaco et Presses de Namur, 1991.

 


 

 

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