Les politiques de
formation professionnelle de l'Onem-Forem
en Belgique francophone 1980-1990
Christian Maroy
Chercheur à l'UCL, Institut des
Sciences du Travail et FOPES
Mon propos
reprendra les principales conclusions d'une étude approfondie des
politiques de la Formation professionnelle des adultes (FPA) de l'Onem
devenue depuis 1989 le Forem. Je reprendrai principalement les
questions suivantes : comment ont évolué les objectifs officiels de
l'institution? Quels ont été les principales évolutions des offres
de formation proposées? Quelles sont surtout les logiques d'action
des différents secteurs de formation de l'institution? Je terminerai
en mettant en évidence quelques-unes des questions politiques que
ces constats génèrent.
1. Les objectifs
officiels
La FPA, née après la
Deuxième Guerre mondiale, a rapidement mis en place des activités de
"réadaptation professionnelle" puis de "formation professionnelle accélérée"
dont les objectifs déclarés sont doubles : il s'agit simultanément de répondre
aux pénuries de main-d'oeuvre qualifiée, et de reclasser dans les circuits
productifs les chômeurs que leurs qualifications, leurs handicaps, la
conjoncture économique empêchent de poursuivre leur profession antérieure.
Au milieu des années 80,
ce double objectif officiel reste toujours à l'ordre du jour, alors qu'entretemps
il y a une série de changements importants, autant sur le plan des offres de
formation faites par l'institution que sur le plan du contexte économique.
2. Les offres de
formation dans les années 80
Depuis août 80, la FPA
est gérée de façon autonome dans chaque communauté. Quels sont alors les types
d'offres de formation faites du côté francophone?
Outre des formations
subsidiées dans des lieux de formation extérieurs à l'institution (environ
4600 formations terminées dans des centres agréés, des centres créés avec la
collaboration d'entreprises, de secteurs ou d'associations etc), la FPA organise
des formations pour plus de 12.000 stagiaires en Belgique francophone dans des
centres qu'elle gère en propre
(1). Ces
formations sont destinées aux chômeurs ou aux travailleurs occupés dans les
entreprises.
Les centres "en gestion
directe" sont regroupés au sein de trois secteurs principaux
(2). Les
centres de formation secondaires sont orientés vers des spécialités ou des
métiers "manuels" relevant le plus souvent du secteur de la construction ou de
secteurs comme les fabrications métalliques, la chimie, l'hôtellerie, les
transports.
Le secteur de
formation tertiaire organise, d'une part, des formations d'"employés
polyvalents" avec un apprentissage à la carte de la sténo-dactylographie, de la
comptabilité et des langues (au sein des centres polyvalents tertiaires). Il
organise, d'autre part, des formations à l'informatique ou aux diverses facettes
de la gestion d'entreprise au sein des Centres de perfectionnement en gestion et
en informatique (CPGI).
Un troisième secteur
de formation gère principalement deux types de formation :
-
d'une part, les
Cellules de Formation Reconversion et les Initiatives locales d'Emploi
qui sont des formations organisées pour des groupes de travailleurs
licenciés ou sans emploi; leur particularité est de se construire à partir
de projets de création d'entreprise.
-
d'autre part, il gère
les Centres d'Orientation et d'Initiation socio-professionnelle (COISP).
Ces COISP sont une
nouvelle présentation d'une action qui avait débuté en 1975 : les Centres
d'Observation et d'Orientation (COO). Ouverts pour faire face à la croissance du
chômage des jeunes, ces centres ont eu d'abord une mission d'orientation des
jeunes au travers d'une initiation à diverses spécialités techniques. Le jeune
s'essayait à diverses spécialités "manuelles" ou "tertiaires" et commençait par
la suite une première initiation. Pendant 6 semaines, les COO leur permettaient
ainsi de choisir une orientation professionnelle et de continuer dès lors
éventuellement une formation dans cette orientation, dans les autres secteurs de
formation de la FPA. Par la suite, une mission de socialisation et d'initiation
aux mécanismes économiques et sociaux quotidiens (l'initiation
socio-professionnelle) s'y est ajoutée. Les COO deviennent les COISP (1981) et
leur durée s'allonge. A partir de ce moment, les COISP ont explicitement un
objectif d'aide à l'insertion ou à la réinsertion de chômeurs peu employables.
Il s'agit de "permettre à une population (jeune essentiellement) que la crise
a écartée du milieu de travail, de garantir son potentiel et viser sa
réinsertion sociale et économique."
Quelles sont alors les
principales évolutions quantitatives de ces activités de formation ?
Tout d'abord, si on se
fie à l'indicateur imparfait du nombre de formations terminées, on constate une
hausse du nombre de formations terminées dans l'ensemble des trois grands
"secteurs" de formation de la FPA francophone, parmi les centres "en gestion
directe" (augmentation de 56 % entre 1981 et 1988). Cette hausse ne signifie
cependant pas un accroissement des moyens alloués à la formation; elle s'est
faite moyennant une diminution de la durée de certaines formations, la baisse
des allocations octroyées aux stagiaires, ou l'augmentation de la part relative
des stagiaires acceptés en tant que travailleurs dans les centres secondaires et
tertiaires (25 % en 84 contre 32 % en 88). Ensuite, on observe la croissance
importante des activités d'un des secteurs de formation de la FPA : le secteur
tertiaire qui devient progressivement le secteur principal au détriment du
secteur secondaire (5710 formations terminées en 1988 contre 3417 pour le
secondaire). Le secteur des COISP connaît un tassement du volume de ses
stagiaires entre 82 et 86, suivie par une forte reprise en 1987 (1138 formations
terminées en 1984 contre 3132 en 1988).
En observant à présent
l'évolution des formations directement gérées par la FPA dans ses centres en
gestion directe par rapport aux formations subsidiées, on observe que la part
relative des activités des centres en gestion directe ne fait que diminuer dans
l'ensemble des activités de formation de l'office. Elle passe de 89 %, en 1984 à
80 % en 1987, et 72 % en 1988. Autrement dit, et sous réserve de la fiabilité de
l'indicateur retenu, on peut avancer que la FPA collabore de plus en plus avec
d'autres acteurs ou organismes de formation, ces derniers pouvant être, d'une
part, des entreprises, secteurs d'entreprises, mais aussi quelques associations
ou institutions d'enseignement dans le cas des centres créés avec leurs concours
(art. 5). Les formations des centres agréés ( Centre de formation des soudeurs,
art. 6) et les formations individuelles en entreprises impliquent évidemment des
entreprises.
Concernant le volume de
chacune de ces formules de subsidiation de formations réalisées en principe en
dehors des centres de formation de la FPA, sur base de contenus, de publics
négociés avec les partenaires, il est intéressant de constater que les
formations individuelles en entreprises triplent de nombre entre 1984 et 1987,
alors que les centres créés en collaboration avec d'autres organisations (art 5)
augmentent à partir de 1987.
Si l'on compare à présent
les évolutions de la Communauté française à celles de la Communauté flamande
(tableaux 1 et 2 en annexe), force est de constater que, en 1984, la Communauté
flamande organise d'ores et déjà nettement plus de formations que la Communauté
française (20.490 contre 8648) Cette discordance ne fait que s'accentuer ensuite
: 42.000 contre 16.809. Cette disparité est cependant partiellement explicable
par la durée différente des formations de part et d'autre, notamment dans les
centres en gestion directe : la durée moyenne de formation dans la Communauté
française est de 500 heures environ en 1988 (cité in rapport annuel 1988). De
plus, les formations subventionnées ont une part plus importante en 1984 : 27 %
environ en Flandre contre 10 % en Communauté française. Cette évolution est
cependant tempérée par la suite, principalement par la mise sur pied en Flandre
de "projets de formation spécifiques" à destination de demandeurs d'emploi "infrascolarisés";
la part des formations subventionnées devient alors 15 %.

3. Les logiques d'action
de la FPA francophone dans les années 80
Si les actions de la FPA
se diversifient sur le plan des contenus et des publics touchés, peut-on penser
que toutes ces nouvelles actions continuent à poursuivre conjointement les
objectifs officiels qui sont toujours attribués à la FPA. On constate à l'opposé
que dans les années 80, il y a, au sein de la FPA francophone au moins,
plusieurs logiques d'action. Chacune tend à privilégier en pratique une des
missions officielles. Par logique d'action, nous entendons les objectifs qui se
dégagent de la pratique et des décisions concrètes d'une organisation dans son
ensemble ou de l'une de ses subdivisions. Il s'agit de la cohérence qui ressort
des pratiques d'une organisation et le sens qu'elles prennent, après coup, aux
yeux de l'observateur.
Ainsi, si on reprend la
division de la FPA en différents secteurs de formation, on peut avancer qu'en
pratique :
-
le secteur de
formation tertiaire mène des actions qui relèvent d'une logique d'action
économique. Il tend à privilégier en pratique l'objectif économique;
-
à l'opposé le secteur
des COISP, cellules de formation reconversion, et ILE ont des actions qui
révèlent une logique d'action sociale;
-
le secteur des
formations des centres secondaires tâche de combiner les deux types de
logiques.
1. La logique d'action
économique du secteur tertiaire dans les années 80.
La différence de logiques
d'action se donne d'abord à voir dans les brochures de présentation des divers
secteurs de la FPA francophone, brochures considérées comme un moyen concret
d'attirer des stagiaires.
Ainsi les centres
tertiaires sont ceux qui mettent le plus l'accent dans leur brochure sur le rôle
économique de la FPA, sur l'adaptation de la main-d'oeuvre aux exigences
professionnelles du marché en fonction des besoins perçus des entreprises
(objectif économique). Les centres tertiaires sont ainsi présentés comme
poursuivant l'objectif même de la FPA "à savoir, mettre, en un minimum de temps,
à la disposition du marché de l'emploi des personnes préparées de la meilleure
façon à répondre aux exigences professionnelles".
Cette définition de la
formation professionnelle insiste en fait sur le caractère accéléré de la
formation et sur le fait que cette formation rapide permette aux stagiaires
d'être embauchés parce que répondant aux "exigences professionnelles".
Parallèlement, les destinataires de la formation sont présentés comme des
entreprises devant "résoudre des problèmes de formation de leur personnel" et
comme des travailleurs à qui la formation est présentée comme "au service de
leur carrière". Dans l'ensemble de la brochure, le destinataire n'est, par
contre, jamais clairement un chômeur ou un travailleur sans emploi : la brochure
procède par ellipse, les travailleurs dont il s'agit peuvent être occupés dans
un emploi ou à la recherche d'un emploi. Si un objectif social est présent, il
s'agit surtout de promotion et non de reclassement.
Les actions de formation
du secteur tertiaire révèlent aussi une logique d'action économique du fait que
les choix des contenus de formation, les critères de sélection du
public doivent favoriser le placement des stagiaires, après une formation
qui doit toujours être accélérée. On constate ainsi que le secteur tertiaire a
tendu à élever dans les années 80 les critères de sélection à l'entrée de ses
"centres polyvalents ".

Tableau 1 : Evolution
des niveaux d'études des stagiaires des centres polyvalents tertiaires (en %)
Niveau d'études |
1984 |
1986 |
1988 |
Primaire |
6,4 |
2,5 |
25,0 |
Secondaire inférieur |
|
16,0 |
16,7 |
Secondaire supérieur |
40,0 |
38,9 |
37,4 |
Supérieur |
35,0 |
38,5 |
43,1 |
(source Rapports
annuels Onem, 1984,86,88)
La logique d'action
économique se marque encore à d'autres indicateurs. Le secteur de formation
tertiaire a tendu à développer ce qu'on appelle, dans le jargon Onem, des
formations complémentaires, lesquelles dépassent après 1984 les formations de
base parmi l'ensemble des formations tertiaires. Par ailleurs, la naissance et
le développement des Centres de perfectionnement en gestion et en informatique
(CPGI) destinés à spécialiser un public ayant au départ un niveau d'études
supérieur vont dans le même sens. Enfin, une autre forme d'expression de la
logique dominante des centres tertiaires est encore la place, parmi les
stagiaires acceptés en formation, des candidats stagiaires envoyés par les
entreprises par rapport à la faible place accordée aux candidats stagiaires
issus des COISP. Les premiers représentent en 1988, 10 % des stagiaires retenus,
contre 0,7 % pour les seconds. La logique est donc moins de tenter de reclasser
les moins formés des demandeurs d'emploi qui se retrouvent en COISP, que de
favoriser une formation d'un travailleur à la demande de son employeur. L'enjeu
est ici de savoir qui bénéficiera en priorité des ressources de formation : les
travailleurs ou les chômeurs et parmi eux qui ? les plus formés ou ceux qui ont
le moins de capital scolaire de départ ?
2. La logique d'action
des COISP, cellules et ILE.
Les COISP poursuivent
explicitement, on l'a vu, des objectifs sociaux d'insertion ou de reclassement.
Cet objectif se retraduit alors dans une absence relative de critères de
sélection des candidats aux formations, sinon les critères d'admissibilité
administrative de tous les stagiaires de la FPA (être demandeur d'emploi ou
travailleur par ex.) et la maîtrise de compétences de base minimales (savoir
lire et écrire par ex.). Ces centres ne sélectionnent pas leurs candidats en
fonction d'un souci du placement le plus rapide des stagiaires. Ce
placement est bien sûr l'objectif final mais, au vu de l'état du marché de
l'emploi et du souci de reclasser des chômeurs "marginalisés", il ne peut être
atteint de façon immédiate. Leur logique d'action est donc sociale au sens où
ils privilégient en pratique le souci de mener à bien l'objectif de reclassement
par rapport au souci de réponse aux besoins de main-d'oeuvre qualifiée des
employeurs, réponse mesurée par le placement rapide des stagiaires comme dans
les centres tertiaires. Cela se retraduit dans les niveaux de formation de leurs
centres, si on les compare par rapport aux centres tertiaires. (voir Maroy
1991).
En outre, les cellules de
formation-reconversion, les formules de collaboration des COISP avec
l'Enseignement de Promotion Sociale ou les CEHR sont aussi orientées vers un
public peu formé et peu qualifié. Les cellules de formation/reconversion
touchent ainsi, en raison de leur absence de sélection au départ, les groupes
issus de fermetures d'entreprises. Mise à part une cellule constituée de
travailleurs sociaux (cellule "OPJ 81"), les autres cellules comprenaient pour
la plupart des travailleurs manuels au niveau de formation comparable à ceux des
centres secondaires.(3)
3. Les centres
secondaires entre le social et l'économique
En outre, au sein même
des centres secondaires, on assiste à la mise en place d'une double
logique d'action. Il y a ainsi une diversification interne des publics touchés
selon qu'il s'agit de formations dites de base ou de formations complémentaires
ou de perfectionnement qui supposent une qualification technique préalable
(4). Dans leur
majorité, les actions des centres secondaires continuent à toucher un public peu
formé et/ou qualifié dans la mesure où il s'agit surtout des formations de base.
Cependant, depuis le début des années 80, la part des formations de base dans
les centres secondaires tend à diminuer par rapport aux formations de
perfectionnement. (voir graphique 6 en annexe). Une part au moins du public des
formations des centres secondaires tend donc à changer, du point de vue du
niveau de qualification et/ou de formation de départ
(5). En
définitive, la FPA francophone continue toujours officiellement à poursuivre de
façon conjointe ses deux missions sociale et économique. En pratique cependant,
on peut remarquer que chaque secteur de formation de la FPA poursuit une
logique d'action différenciée.
Je voudrais à présent
avancer quelques évaluations et m'interroger sur quelques points critiques des
évolutions ainsi dessinées.

4. Des effets
d'égalisation des chances ?
On peut tout d'abord se
réjouir que la FPA ait gardé dans le contexte de crise et de chômage massif une
préoccupation pour les sans-emploi marginalisés. Par ailleurs, en première
analyse, on peut aussi se réjouir que la FPA continue à se préoccuper de
répondre aux besoins de main-d'oeuvre des entreprises, dans un contexte de
restructuration économique et technologique. Cependant, la segmentation, la
bipolarisation des logiques d'action des centres de la FPA ne va pas sans un
certain nombre d'effets pervers.
Ainsi, au nom de la
logique économique, les centres tertiaires sont amenés à élever le niveau
d'études moyen de leurs stagiaires, à raccourcir les durées des formations, à
donner plus de place aux stagiaires envoyés par leur employeur qu'aux candidats
issus par exemple des COISP. Tout cela est légitimé par le fait que le taux de
placement est plus favorable et que, dès lors, on a répondu aux besoins de
main-d'oeuvre qualifiée des employeurs. Or cette équation entre placement et
réponse à une pénurie de main-d'oeuvre de l'employeur n'est pas forcément
vérifiée. On peut tout aussi bien défendre l'hypothèse que les effets des
centres de formations sur le marché du travail sont surtout d'affecter les
positions relatives de différents individus ou groupes en terme de chances
d'accès à l'emploi. On pourrait même avancer l'hypothèse que la bipolarisation
des logiques d'action de la FPA tend à augmenter les écarts d'employabilité
entre des chômeurs ou travailleurs déjà inégalement dotés au départ de
ressources scolaires ou sociales.
Pourquoi le placement ne
signifie-t-il pas régulation d'une pénurie ? Tout d'abord, le taux de placement,
un an par exemple après la sortie de formation, n'est jamais qu'un instantané
qui permet mal de mesurer les modalités du reclassement, de savoir par exemple
si l'emploi acquis est stable. Par ailleurs, cette mesure est le plus souvent
appliquée partiellement et on ne sait pas dans quelle profession le placement
est effectué, s'il s'agit d'un emploi "normal" ou d'un sous-statut, etc.
Plus fondamentalement, le
placement d'un stagiaire, même dans la profession apprise, ne signifie pas
automatiquement qu'une régulation entre l'offre et la demande d'emploi ait été
effectuée grâce à la formation. Ce placement peut se faire dans une profession
où par ailleurs, il n'y a pas ou presque pas d'offres d'emploi insatisfaites
(6). Le placement
n'a alors d'autre signification que le reclassement d'un demandeur d'emploi : ce
demandeur a pu être préféré à un autre détenteur de la même "qualification
technique", soit parce qu'il avait par ailleurs d'autres qualités dues à son
histoire antérieure, à son éducation familiale par exemple, soit encore parce
que les services de placement de l'Onem ont tout intérêt, pour des raisons
financières notamment, à placer des stagiaires sortis de la FPA (en raison de
remboursements de frais accordés par un service de la Commission des Communautés
européennes, le Fonds social européen). Dans un cas comme dans l'autre, il n'y a
pas d'effet de régulation réelle, car il n'y avait pas de décalage entre offre
et demande d'emploi. La FPA ne fait alors qu'agir sur les chances relatives des
différents demandeurs d'emploi d'accéder à un emploi; ces placements affectent
indéniablement le "marché du travail", mais pas toujours dans le sens de
l'aplanissement de tensions entre offre et demande.
Or on peut se demander à
ce stade si la cohabitation de logiques économiques et sociales au sein de la
FPA ne tend pas à avoir des effets d'augmentation des inégalités d'accès à
l'emploi plutôt que l'inverse. Une telle hypothèse, forte bien sûre, peut être
étayée si on a à l'esprit, d'une part, que les actions de formation les plus
sociales au sein de la FPA n'ont pas toujours les moyens d'arriver à réaliser le
reclassement qu'elles visent. D'autre part, on peut s'interroger sur les effets
réels de l'augmentation des niveaux de formation au sein des centres tertiaires
: plutôt qu'une hypothétique régulation des pénuries de main-d'oeuvre ne
s'agit-il pas d'un renforcement des atouts d'une partie des demandeurs d'emploi,
qui voient leurs ressources de départ renforcées ?
Ainsi, dans les COISP,
l'objectif social est pourvuivi mais on peut s'interroger sur sa réalisation
effective. En effet, les stagiaires issus de ces centres ont de moins en moins
de chances de pouvoir entrer dans les centres de formation professionnelle. Les
passages en centres de formation professionnelle semblent avoir diminué
(7). Un tel
débouché était pourtant logique (et prévu initialement) pour des centres chargés
d'orienter et de donner une première initiation technique et sociale à des
jeunes peu formés.
Signalons en outre que le
taux de placement global y est naturellement plus faible que dans les autres
types de centres directement après la formation, mais aussi après quelques mois,
même si on compte les stagiaires qui sont passés dans d'autres centres. Ces
différences sont très probablement dues aux caractéristiques de départ des
stagiaires, mais aussi à la nature même d'un travail d'orientation
(8). Sans vouloir
donc nier l'effet tendanciel de reclassement initié par les COISP, on peut
constater qu'il n'est pas fort encouragé par des passerelles internes à la FPA
alors même que ce reclassement est rendu difficile par les caractéristiques de
leurs stagiaires. Il est donc largement incertain. Par ailleurs, dans les
centres secondaires, on a noté la tendance à l'augmentation de la part des
formations de perfectionnement.
Mais, parallèlement,
l'élévation, sous des modalités diverses dans les années 80, des niveaux de
formation et/ou de qualification des publics touchés par les centres tertiaires
de la FPA conduit à émettre l'hypothèse que ces centres de formation constituent
une ressource de plus en plus importante pour les classes moyennes dans leurs
stratégies de recyclage ou de reconversion.
L'employabilité des mieux
dotés parmi les demandeurs d'emploi se verrait donc augmentée sans qu'on puisse
affirmer que, de cette façon, la FPA rencontre les "besoins de main-d'oeuvre"
des employeurs; l'effet de régulation paraît non démontré dans les années 70-80
comme le montre une étude de B. Lux (1984)
(9).
Dans les années 60, le
public de la FPA était principalement un public des fractions les moins
qualifiées de la classe ouvrière et la FPA servait surtout à leur promotion ou
stabilisation professionnelle, tout en répondant à de réelles pénuries de
main-d'oeuvre créées par les "golden sixties". La bipolarisation des logiques
d'action des années 80, signifie que le rôle de remodelage des qualifications,
depuis longtemps dévolu à la FPA, tend à ne plus s'accompagner d'un effet
d'équilibrage des chances d'accès à l'emploi. La FPA exerce moins un effet de
réduction des différences d'employabilité entre les différentes catégories de
main-d'oeuvre et au delà entre les catégories sociales; au contraire, elle les
accentue sans doute.
(Octobre 1991)

Notes
(1)
Les tableaux 1 et 2 ne reprennent pas toutes les activités de la FPA francophone
ou néerlandophone : en particulier les activités du CNFEP, les activités de
formation financées par les Régions (art. 76 formation dans le cadre de l'aide à
la création, à l'extension, à la reconversion de l'entreprise), ainsi que, pour
1988 en Communauté française, les formations collectives dans le cadre
d'établissements scolaires ou entreprises (1635 activités d'observation et 7
formations en entreprise).
(2) Je passe sous silence l'activité du Centre national de
formation pédagogique (CNFEP) qui effectue essentiellement un travail de
formation des formateurs des autres secteurs de formation.
(3) On peut cependant noter que les cellules et les ILE
poursuivent un objectif économique : mettre sur pied des projets économiques
marchands ou non marchands. Cet objectif ne correspond cependant pas à
l'objectif économique "classique" dans l'institution : combler les besoins de
main-d'oeuvre qualifiée insatisfaits.
(4) Les premières sont plus longues (30 semaines en
moyenne), plus polyvalentes et visent à donner la "base " d'un métier. Les
autres donnent une spécialisation (ex. : Commande numérique pour un ouvrier sur
machine-outils) ou une formation complémentaire par rapport à la qualification
qu'on possède déjà (coffrage pour un maçon). Ces formations sont plus courtes (5
à 10 semaines). Les premières tendent à toucher des personnes moins formées ou
qualifiées que les secondes.
(5) Cette évolution est plus nette encore en Flandre.
(6) Si on considère que ce dernier indicateur est un moyen
de mesurer objectivement le décalage entre les besoins des employeurs et les
demandeurs d'emploi disponibles. On pourrait évidemment considérer que toute
déclaration d'une insatisfaction de la part des employeurs quant à la
main-d'oeuvre disponible est un indice suffisant d'une inadéquation entre
l'offre et la demande d'emploi. On tend à oublier dans cette optique que le
rapport entre l'offre et la demande d'emploi est un rapport social, en l'occurence
un rapport salarial. La notion d'inadéquation, ou de décalage entre offre et
demande d'emploi risque alors de recouvrir des cas où les déclarations des
employeurs tendent non pas à recouvrir des inadéquations "techniques" mais
constituent une manière de peser sur les rapports entre l'offre et la demande
d'emploi , notamment sur les termes de l'échange du point de vue du salaire.
(7) Pour 1986, 1 % seulement des stagiaires des centres
tertiaires viennent des COISP. (rapport annuel Onem 1986). Cependant, les COISP
de leur côté, sur base d'une enquête par questionnaire (décembre 86) auprès de
stagiaires sortis de CO depuis un mois minimum et 8 mois maximum, annoncent que
20 % des répondants
poursuivent une formation à la FPA, 20 % dans une autre institution. Par
ailleurs, le pourcentage de stagiaires dirigés vers les centres de formation de
la FPA était dans la Communauté française de 37,3 % en 1986 pour 55 % environ en
82, 83, 84. (Sources rapports annuels). Le nombre de stagiaires qui entrent dans
les centres FP est comme on le voit beaucoup plus faible que le nombre de
stagiaires dirigés vers la FP.
(8) Les COISP, sur base de la même enquête, annoncent que
31,1 % de stagiaires avaient trouvé un emploi (10 % à durée indéterminée). Il
s'agit cependant d'emplois obtenus "soit immédiatement après le cycle
d'orientation soit après avoir suivi une formation professionnelle " (Rapport
annuel 1986). Pour 1985, le secteur tertiaire annonce lui 65 % de placement, 6
mois après la formation; environ 35 % de placement immédiat après la formation
pour 86. Nous n'avons pas de chiffre global pour le secteur secondaire.
(9) LUX B., La formation professionnelle par l'Onem,
6ème Congrès des économistes de langue française, CIFOP, Charleroi, novembre
1984. - MAROY C. Chômage et formation professionnelle, Ciaco et Presses
de Namur, 1991.

|