Enseignement
professionnel et marché de l'emploi
Jean-Emile
Charlier
Chargé de cours à la FUCAM
A. Les
constats statistiques
La tendance à
l'allongement de la scolarité, qui s'est manifestée bien avant que la loi ait
rendu l'enseignement obligatoire jusqu'à 18 ans, a eu pour effet de gonfler les
effectifs de l'école secondaire. La forme d'enseignement qui a le plus profité
de cette évolution est le professionnel qui, de 1976 à 1986, a vu sa popularité
croître de 44 %.
Le succès du
professionnel va de pair avec le recul tant en chiffres absolus qu'en termes
relatifs du technique, un léger gonflement du général. Ces tendances sensibles
dès avant la loi du 29 juin 1983 indiquent un déplacement important à
l'intérieur des publics visant une formation à finalité professionnelle.
Une analyse plus fine des
données statistiques disponibles suggère que l'augmentation du nombre d'élèves
inscrits dans le professionnel est avant tout due à leur maintien dans le
système scolaire. Ils abandonnent moins rapidement leurs études que par le
passé, cherchent à en atteindre le terme. Les problèmes d'emploi, la pression
mise sur les jeunes pour les inciter à se former ont conforté le mouvement
spontané d'allongement de la scolarité.
On doit malheureusement
constater que la proportion des diplômés du professionnel n'a fait que croître
dans les statistiques du chômage. En d'autres termes, les groupes socialement
les plus fragiles qui ont supporté un investissement culturel et scolaire
important n'ont pas gagné pour autant l'accès à l'emploi. Les pertes massives de
postes de travail manuel expliquent pour une large part l'affaiblissement de la
position relative des détenteurs d'un titre professionnel.
Comme élément explicatif
complémentaire, on peut avancer que l'enseignement professionnel connaît une
certaine inertie, n'est pas doté des moyens matériels et humains qui lui
permettraient de s'adapter aux demandes du marché, c'est-à-dire de les
anticiper, voire de les susciter. L'incapacité des entreprises à prévoir leurs
besoins à moyen terme n'est bien entendu pas étrangère à ces difficultés
d'adaptation.

B. Les logiques
d'acteurs
L'analyse des logiques
des différents acteurs, issus des entreprises ou de l'enseignement, confirme que
les liens entre la formation et l'emploi sont complexes et évolutifs. La
solution du problème du sous-emploi des jeunes les moins qualifiés ne pourra dès
lors être trouvée par de simples ajustements mécaniques.
Le patronat, derrière un
discours apparemment unanime où domine le souhait de réaliser une flexibilité
maximale, développe divers types de pratiques.
-
Les grandes
entreprises dont la survie et la croissance dépendent de l'introduction des
technologies nouvelles donnent elles-mêmes la formation technique de pointe
aux jeunes qu'elles engagent. Elles attendent donc de l'école qu'elle mette
l'accent sur les apprentissages de base sur lesquels peuvent se greffer les
acquisitions ultérieures.
-
Les grandes
entreprises dont les méthodes de production n'exigent pas que les
travailleurs aient une formation technologique avancée sont globalement
satisfaites de l'école. Concrètement, le marché de l'emploi est tel qu'elles
recrutent sans peine des jeunes ayant toutes les qualifications culturelles,
sociales et techniques voulues.
-
Les PME voudraient
engager des travailleurs immédiatement opérationnels. Elles reprochent à
l'école de ne pas développer la personnalité des jeunes, d'être coupés de la
réalité des entreprises.
L'examen des pratiques de
recrutement et de formation des entreprises montre la diversité de leurs
attentes. Chacune, en fonction de critères cohérents par rapport à ses objectifs
et aux contraintes auxquelles elle doit faire face, développe des attentes qui
ne sont pas généralisables à l'ensemble du système. Le marché de l'emploi
apparaît dès lors segmenté en de multiples sous-ensembles relativement
autonomes.
Face à la diversité de la
demande, certaines écoles ont choisi de tenter de collaborer avec des
entreprises, d'orienter leur enseignement en fonction d'une demande prévisible.
L'atomisation du marché de l'emploi se renforce alors, la prétention à
l'universel de l'école peut être abandonnée au profit d'une logique de service à
une organisation privée.
(Octobre 1991)

|