La loi de financement
des régions et
des communautés ou la contrainte financière (2/2)
Giuseppe Pagano
Assistant au Département d'Etude
du Secteur public de l'Université de Mons-Hainaut
.../...
III. La Région wallonne
Comme nous l'avons
signalé dans l'introduction générale, le co-financement régional des dépenses
d'enseignement est déjà une réalité. Cependant, pour en comprendre les limites
éventuelles, il convient d'analyser la situation financière de la Région
wallonne, telle qu'elle découle structurellement de la loi du 16.01.1989. Les
conséquences budgétaires de cette loi pour la Région wallonne ont déjà fait
l'objet de nombreuses études
(12). Nous nous
limiterons donc ici à exposer les
principes contenus dans la loi de financement et les principaux résultats
auxquels conduisent quelques scénarios "réalistes"
(13).
III.1 Les principes
Le mécanisme de
financement des régions - le calcul des montants que l'Etat ristournera aux
régions en vue de financer leurs compétences - est certainement trop complexe
pour être exposé ici dans le détail. Cependant, les principes sur lesquels il se
fonde sont eux relativement simples.
D'une façon générale, le
mécanisme se fonde sur les principes de responsabilité et de
solidarité.
Le principe de
responsabilité présente deux aspects. D'une part, il implique l'autonomie
décisionnelle soit l'aptitude des régions à accroître - ou éventuellement à
réduire - leurs moyens d'action par une forme de prélèvement fiscal propre, et à
affecter ces moyens en toute autonomie. En contrepartie, il implique, d'autre
part, que le montant ristourné par l'Etat soit lié à l'impôt des personnes
physiques (IPP) perçu sur le territoire de la région concernée. Ainsi, une
région qui globalement contribuerait deux fois plus qu'une autre à l'IPP se
verrait ristourner par l'Etat central un montant également double qu'elle
pourrait affecter en toute autonomie.
La logique de la
responsabilité financière ne pouvait cependant être appliquée intégralement et
sans délai. En effet, le passage brutal du système de dotations en vigueur avant
la réforme, au financement exclusif par les ressources de l'IPP régional, aurait
eu pour conséquence que la part de la Flandre dans le total des ressources
allouées aux régions serait passée de 52.5 % à 58.6 %, celle de Bruxelles de 8.7
% à 11.4 % et celle de la Wallonie de 38.8 % à 30.1 %. La loi a donc prévu
explicitement à la fois un mécanisme réversible destiné à sauvegarder une
certaine solidarité nationale (Art. 48), ainsi qu'une période transitoire
(Art. 12 à 32) destinée à permettre à chaque région d'adapter progressivement
ses dépenses à ses nouveaux moyens.
Au delà de ces deux
principes généraux, c'est la situation délicate des finances nationales qui a
justifié le transfert partiel aux régions de la charge de la dette publique
nationale; les régions ne recevant pas immédiatement l'ensemble des moyens
qui auraient dû leur être ristournés. A noter, enfin, que l'Etat compensera pour
partie et avec un certain retard les charges qui en résulteront pour les
régions.

III.2. Les résultats
A. Le scénario de
référence
Le scénario généralement
retenu comme référence est celui du Document parlementaire
(14).
En ce qui concerne les
moyens ristournés aux régions - c'est-à-dire leurs recettes -, il se fonde sur
une série d'hypothèses relatives à l'environnement macro-économique et plus
particulièrement à la croissance (2 % en termes réels), l'inflation (2 %), les
taux d'intérêt des emprunts d'Etat (7.75 %) et l'élasticité de l'IPP par rapport
à la croissance en termes réels (1.6).
En ce qui concerne les
dépenses, une première approche consiste à indexer les montants de base,
c'est-à-dire les dépenses qui auraient été affectées aux politiques concernées
en 1989 si elles étaient restées de la compétence du pouvoir national. Les
résultats de cette simulation sont repris au Tableau III.1.
Tableau 3.1. Le
scénario de référence (Région wallonne, millions de francs courants)
Années |
Moyens |
Dépenses |
Soldes |
1990 |
65664,2 |
84560,0 |
-18895,7 |
1991 |
69557,7 |
90524,4 |
-20966,8 |
1992 |
74722,2 |
92334,9 |
-17612,7 |
1993 |
79975,3 |
94181,6 |
-14206,3 |
1994 |
85318,8 |
96065,3 |
-10746,5 |
1995 |
90754,4 |
97986,5 |
-7232,1 |
1996 |
96284,1 |
99946,3 |
-3662,2 |
1997 |
101909,7 |
101954,2 |
-35,5 |
1998 |
107633,1 |
103984,1 |
3649,0 |
1999 |
113456,3 |
106063,8 |
7392,5 |
B. Commentaires
Ce tableau appelle
plusieurs commentaires puisqu'il s'agit d'une simulation à politique
inchangée, par rapport à laquelle deux types d'effets sont possibles, l'un
exerçant une influence positive, l'autre une influence négative.
Il est clair, d'abord,
que les responsables régionaux peuvent prendre des mesures en vue de réduire les
déficits qui apparaissent en début de période. Cela s'est d'ailleurs
effectivement produit puisque le solde net à financer de 1990 (13 499.8) et 1991
sont inférieurs à ceux prévus par la simulation. En outre, il semble que les
montants prévus au titre de la solidarité nationale (11 441.2 millions en 1990,
13 673.3 millions en 1999) soient sous-estimés par la simulation en raison des
hypothèses particulièrement strictes sur lesquelles elle est basée. Ainsi, le
transfert effectif de 1990 (11 784.5 millions) représente déjà quelque 340
millions de plus que simulé et il est possible que cette tendance se poursuive à
l'avenir.
Cependant, d'une façon
générale et à long terme, ce scénario doit être considéré comme plutôt
optimiste. D'une part, il postule que les dépenses n'augmenteront pas plus vite
que l'inflation; ce qui, sur une période aussi longue, paraît difficilement
tenable ne fût-ce qu'en raison des augmentations salariales déjà réalisées ou
prévues dans la fonction publique. D'autre part, il postule également que les
charges d'intérêt liées aux déficits des premières années seraient entièrement
compensées par une réduction des autres dépenses de façon à ce que les dépenses
totales respectent l'évolution prévue. Si, à ce jour, la Région wallonne n'a pas
encore dû emprunter pour couvrir ses déficits, il n'est évidemment pas exclu
qu'elle doive le faire à l'avenir avec les nouvelles dépenses que cela implique.
En définitive, ces deux
effets pouvant se compenser, on peut retenir les résultats de la simulation
comme une indication raisonnable en termes d'ordres de grandeurs, des tendances
en matière de finances régionales.
Pour en revenir à notre
question principale, à savoir la possibiblité d'une contribution régionale au
financement des dépenses communautaires d'enseignement, il est important de
remarquer que la simulation ne dégage pas d'excédents avant 1998. La
Région wallonne dispose certes d'autres possibilités de financement : la
possibilité d'imposition propre et un important patrimoine industriel dont on
peut logiquement attendre un certain revenu. On voit mal, cependant, la région
lever un impôt destiné à financer une politique qui n'est pas directement de sa
compétence. Quant au rendement du patrimoine industriel, on sait combien il peut
être variable d'une année à l'autre.
En conclusion, il est
évidemment possible que la Région wallonne contribue au financement des dépenses
communautaires d'enseignement pour des montants annuels de l'ordre de quelques
milliards. Mais il paraît irréaliste d'en attendre davantage au moins à court
terme, c'est-à-dire tant que la Région ne se trouvera pas elle-même dans une
position structurellement équilibrée et même excédentaire.

IV. La Redevance
Radio-Télévision
Le transfert intégral de
la RRT a été décidé dans le cadre des traditionnelles discussions budgétaires de
juillet. Pour comprendre l'importance des montants qui seraient ainsi dégagés,
il convient d'analyser le mécanisme d'attribution de la RRT aux communautés.
L'Art. 37 de la loi
spéciale de financement prévoit, en effet, l'attribution aux communautés d'une
partie de la redevance radio et télévision (RRT). C'est d'abord le Conseil
des ministres qui détermine le pourcentage du total de la RRT qui sera versé aux
communautés. A remarquer, cependant, que ce pourcentage ne peut diminuer d'une
année à l'autre
(15). La répartition inter-communautaire du montant ainsi obtenu se fait sur
la base suivante : la Flandre perçoit la partie ristournée de la RRT payée en
Flandre ainsi que 20 % de la partie ristournée de la RRT payée par la Région
bruxelloise. La Communauté française reçoit la partie ristournée de la RRT payée
en Wallonie ainsi que 80 % de la partie ristournée de la RRT payée en Région
bruxelloise. Ainsi, on peut établir le Tableau IV.1.
Tableau 4.1. La
répartition de la RRT
(16)
(prévisions pour 1990, en millions de francs)
Montant global |
Part totale
ristournée |
Communauté flamande |
Communauté française |
Communauté
germanophone |
19629,5 |
14115,6
(=71,90 %) |
9009,5
(=63,83 %) |
5024,7
(=35,60 %) |
81,3
(=0,58 %) |
On peut alors estimer que
la ristourne intégrale de la redevance radio et télévision rapporterait environ
3 519.36 millions F à la Communauté flamande, 1 962.78 millions F à la
Communauté française et 31.76 millions F à la Communauté germanophone.
V. La révision de la loi
spéciale de financement
V.1 Introduction
Enfin, la dernière mesure
pour un refinancement de l'enseignement est évidemment la révision de la loi
spéciale de financement. D'une façon générale, les "suggestions" qui circulaient
dans les milieux francophones avant juillet 1991 avaient pour point commun de
lier la dotation d'enseignement non à la seule hausse des prix, mais, selon les
cas, à l'accroissement du produit national brut ou aux rémunérations dans la
fonction publique.
Cette solution présentait
cependant deux types d'inconvénients. Au plan politique, elle plaçait les
francophones dans une position difficile puisqu'ils apparaissaient comme les
demandeurs même si l'enseignement flamand aura peut-être à terme besoin de
moyens supplémentaires, comme l'indique le Tableau II.2. Au plan économique,
il est clair que les montants supplémentaires versés aux communautés devaient
être prélevés sur les ressources de l'Etat national dont la situation financière
reste difficile.
En fin de compte, cette
solution n'a pas été retenue et c'est plutôt par l'octroi aux communautés d'un
pouvoir fiscal propre
que le refinancement de l'enseignement a été rendu possible.
V.2 Le principe
L'accord de juillet 1991
prévoit que les communautés pourront, comme les régions, imposer des centimes
additionnels à l'impôt des personnes physiques. L'octroi du pouvoir fiscal
propre aux communautés présente le double avantage de ne pas placer les
francophones dans une position de demandeurs et de ne pas obérer davantage les
finances de l'état national. Cependant, il se heurtait à l'inévitable question
bruxelloise puisque les habitants de la Région bruxelloise ne sont pas
"répartis" en francophones et néerlandophones; il paraissait donc impossible de
préciser qui serait soumis aux centimes additionnels imposés par l'une ou
l'autre Communauté.
La difficulté a pu être
contournée en adoptant le principe suivant. Se basant sur la répartition
"théorique" des Bruxellois entre les deux communautés
(17), il a été
décidé que tous les contriubuables de la Région bruxelloise seront soumis à 80 %
des centimes additionnels imposés par la Communauté française et 20 % de
centimes additionnels imposés par la Communauté flamande. La somme totale ainsi
récoltée sera ultérieurement répartie entre les deux communautés à raison de 80
% pour les francophones et 20 % pour les néerlandophones.

V.3 Les conséquences
Sur cette base et en
retenant les hypothèses du Document parlementaire
(18) , on peut
estimer le rendement d'un additionnel de 1 % imposé par la seule Communauté
française.
Tableau 5.1. Rensement
pour la Communuaté française d'un additionnel de 1 % (millions de francs)
Années |
IPP wallon (a) |
IPP bruxellois (b) |
Recette C. F. (c) =
1 % (a) + 0,64 % (b) |
1992 |
253332,3 |
95695,8 |
3145,8 |
1993 |
266667,8 |
100733,2 |
3311,4 |
1994 |
280705,1 |
106035,8 |
3485,7 |
1995 |
295481,5 |
111617,5 |
3669,2 |
1996 |
311035,6 |
117493,1 |
3862,3 |
1997 |
327108,5 |
123677,9 |
4065,6 |
1998 |
344643,3 |
130188,3 |
4279,6 |
1999 |
362785,3 |
137041,4 |
4464,6 |
2000 |
381882,3 |
144255,3 |
4742,1 |
2001 |
401984,6 |
151848,9 |
4991,7 |
2002 |
423145,1 |
159842,2 |
5254,4 |
2003 |
445419,5 |
168256,3 |
5531,0 |
2004 |
468866,3 |
177113,3 |
5822,2 |
2005 |
493547,5 |
186436,6 |
6128,7 |
2006 |
519527,8 |
196250,6 |
6451,3 |
2007 |
546875,7 |
206581,2 |
6790,9 |
2008 |
575663,3 |
217455,6 |
7148,3 |
VI. Conclusion
Existe-t-il en fin de
compte une marge financière pour une politique d'enseignement en Région wallonne
?
La réponse à cette
question me paraît devoir être négative, dans l'état actuel des choses. En
effet, la dotation prévue par la loi spéciale de financement paraît insuffisante
même pour maintenir inchangées les politiques actuelles. A fortiori, elle ne
laisse aucune marge pour un développement éventuel de ces politiques. A court
terme, le transfert de la redevance radio-télévision et l'aide de la Région
wallonne suffiront peut-être à couvrir les engagements qui ont déjà été pris. A
plus long terme, l'aide de la Région wallonne pourrait être accrue.
Enfin, l'imposition
communautaire propre, admise en juillet 1991, donnera à la Communauté française
la maîtrise de ses recettes. Cependant, la couverture des déficits prévisibles
par ce seul moyen nécessiterait rapidement l'imposition d'un additionnel
communautaire dont l'ordre de grandeur serait de 4 % en 2008.
En conclusion, une marge
de manoeuvre pour une politique d'enseignement en Wallonie ne pourra être
dégagée que par l'utilisation conjointe des "instruments" auxquels nous avons
fait référence ci-dessus : imposition communautaire, collaboration régionale,
redevance radio-télévision, ainsi que d'autres à définir.
(Octobre 1991)
Notes
(12)
Voir, d'abord, le Document parlementaire, Op. cit., ainsi que, pour une
analyse détaillée du scénario de référence, INSTALLE M., PEFFER M., et SAVAGE
R., Le Financement des Communautés et des Régions; Courrier
hebdomadaire du CRISP n° 1240-41, 1989. Enfin, pour une analyse de certaines
hypothèses particulières voir PAGANO G., Les Effets des disparités
inter-régionales de croissance sur le financement des régions, dans
le Bulletin de Documentation du Ministère des Finances, Bruxelles, 08.1991,
(à paraître).
(13) Ces résultats proviennent, pour l'essentiel, de notre
communication au récent 9ème Congrès des Economistes belges de Langue française;
Voir ESCARMELLE J.F. et PAGANO G., La répartition des compétences et la marge
de manoeuvre financière pour une politique de développement régional dans le
cadre de la Belgique fédérale. Rapport préparatoire (Commission 3), CIFoP,
Charleroi, novembre 1990.
(14) Op. cit.
(15) Art. 10, § 2.
(16) Source : BOON A., De begroting 1990, dans le
Bulletin de Documentation du Ministère des Finances, mars - avril 1990.
(17) La répartition couramment utilisée dans les
négociations politiques est de 80 % de francophones et 20 % de néerlandophones.
Il semble cependant que la réalité serait plus proche de 90 % - 10 % que de 80 %
- 20 %.
(18) Op. cit.

|