Une comptabilité
régionale pour la Wallonie
Groupe COREG
La
comptabilité régionale est l'instrument privilégié de diagnostic de
la santé économique d'un pays. En effet, c'est dans les comptes
nationaux que les économistes trouvent la plus grande partie des
informations factuelles qui permettent de suivre l'évolution
économique d'un pays ou de chercher à mieux comprendre les
phénomènes. Ainsi, les travaux sur la comptabilité régionale,
élaborés par le groupe de recherche interuniversitaire COREG, dotent
la Wallonie d'une outil précieux d'évaluation.
L'élaboration d'une
comptabilité nationale procède d'une double préoccupation.
D'une part, son objectif
est de mesurer l'activité économique de la nation (Produit national). Plus
précisément le produit de la nation peut être estimé selon trois optiques.
-
la première observe
l'origine du produit national; le Département d'Economie appliquée de
l'Université libre de Bruxelles (DULBEA) reconstitue celui-ci par agrégation
des valeurs ajoutées des différents secteurs productifs sur le territoire de
la Région wallonne.
-
La deuxième considère
la répartition du produit national; le Service de macro-économie (GREA) de
la Faculté Warocqué de l'Université de Mons enregistre l'ensemble des
revenus primaires perçus par les unités résidant en Wallonie.
-
La troisième analyse
l'affectation du produit national; le Groupe d'Economie wallonne (GEW) des
Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur estime le produit
national brut par agrégation des dépenses de consommation (privée et
publique) et d'investissement (intérieur et extérieur).
D'autre part, la
comptabilité nationale répertorie les flux entre agents macro-économiques à
travers les comptes. Les Services d'Economie publique de l'Université de Liège
élaborent ainsi les comptes régionaux de l'Etat, des particuliers et du reste du
monde.
La base de données ainsi
constituée sur la période 1973-1989, met en évidence les performances
économiques de la région en termes de croissance et de spécialisation
d'activité, de formation et de répartition des revenus et des dépenses, de
finances publiques, de balance extérieure, d'investissements, d'épargne...

A. Le produit régional
de la Wallonie
Quelle est l'origine du
produit régional wallon?
Du point de vue du
diagnostic général, la part relative de la valeur ajoutée wallonne dans le total
national a diminué de manière continue jusque 1986, la Wallonie se
caractérisant, par rapport au reste du pays, par un taux de croissance annuel
moyen structurellement inférieur à celui observé dans le reste du pays. Depuis
1986, les différentiels de croissance moyens s'amenuisent, voire même se
renversent au profit de la Wallonie en 1987 et 1988.
Le produit intérieur brut
est réparti non par agent (entreprises, Etat, ménages), mais par branches ou
secteurs d'activité. Ainsi, au niveau national, les secteurs qui contribuent le
plus à la valeur ajoutée sont respectivement les services, le commerce et les
transports. Les fabrications métalliques arrivent en quatrième position. Il est
par ailleurs utile d'observer une contribution nettement moins grande de la
sidérurgie et un poids beaucoup plus important des services financiers en
Belgique comparativement à la situation qui prévaut en Wallonie. Parmi les
autres secteurs de l'activité industrielle de l'économie wallonne, la
marginalisation des secteurs textiles, vêtements et chaussures, bois et meubles
s'est fortement renforcée au cours des quinze dernière années. Il en est de même
pour le secteur des métaux non ferreux. Bien que la spécialisation wallonne au
sein du secteur des minéraux non métalliques subsiste, la contribution de ce
secteur à la valeur ajoutée a cependant fortement diminué au cours de la
période. Quant au secteur chimique, s'il maintient plus au moins sa contribution
à la valeur ajoutée nationale, il voit par contre son rôle au sein de l'économie
wallonne se renforcer. Enfin, on remarquera l'évolution particulièrement
favorable de la contribution à la valeur ajoutée wallonne du secteur de l'eau,
gaz et électricité.
Quelle est la
répartition du produit régional wallon?
La présentation comptable
distingue les revenus des trois agents nationaux, à savoir: les particuliers,
les entreprises et l'Etat.
Le revenu primaire des
particuliers comprend les salaires, les rémunérations des indépendants et les
revenus de la propriété.
Quant aux revenus
primaires des entreprises, ils sont constitués des bénéfices réservés des
sociétés privées et publiques autonomes et des impôts directs des sociétés de
toute forme juridique.
Le seul revenu primaire
perçu par l'Etat est le revenu de la propriété qui comprend les loyers imputés,
les intérêts, dividendes et bénéfices perçus par l'Etat.
La part du revenu des
particuliers wallons dans le total des revenus est supérieure à la part
nationale des revenus des particuliers belges et ce sur l'ensemble de la période
considérée. A l'inverse, la part du revenu des entreprises wallonnes est
inférieure à celle du revenu des entreprises nationales dans le revenu total.
Toutefois, la part du revenu des particuliers wallons semble diminuer depuis
1986 au profit du revenu des entreprises. Remarquons encore qu'au cours des ces
dernières années, le différentiel entre les niveaux des parts wallonne et
nationale du revenu des entreprises tend à disparaître; il est de l'ordre de 10
%.
Quant au revenu primaire
de l'Etat, les maigres entrées des revenus de la propriété et de l'entreprise
échéant à l'Etat, ne compensent nullement les intérêts de la dette publique
auxquels doivent faire face et l'Etat wallon et l'Etat central.
Comment le revenu
régional des wallons est-il dépensé?
En toute généralité, le
revenu régional est affecté à l'achat de biens de consommation ou à l'épargne.
L'épargne est à son tour investie. Les biens de consommation prennent la forme
de biens privés et publics.
Le solde, quant à lui,
est investi :
-
soit, sous la forme
d'actifs physiques à l'intérieur du territoire; c'est la formation
intérieure brute de capital;
-
soit, sous la forme
d'actifs monétaires et financiers détenus sur le reste du monde; c'est
l'investissement extérieur de la région.
Structurellement, en
Wallonie, nous consacrons une part plus importante de nos dépenses à des biens
de consommation. En moyenne, sur la période 1973-1989, un revenu régional de 100
francs est affecté en Wallonie à raison de 72 francs à l'achat de biens privés,
et à raison de 20 francs à la consommation de biens publics. Les valeurs
correspondantes en Belgique sont respectivement de 64 francs et de 17 francs.
Corollairement, nous
affectons, dans notre région, une fraction moindre du revenu à des dépenses
génératrices d'un accroissement de notre richesse. Si, sur la même période, 19 %
des dépenses wallonnes sont destinées à l'investissement intérieur, soit un
effort semblable à celui observé au niveau du royaume, le solde commercial du
sud du pays fait apparaître un déficit de quelque 11 % du PNB régional exprimant
un endettement structurellement croissant. A l'opposé, la balance commerciale
belge vis-à-vis de l'étranger est proche de 0.
Si la nation, au cours de
la période 1973-1989, consacre 19 % de son revenu à des dépenses accroissant la
valeur brute du patrimoine, la région, en revanche, n'en destine que 8 %.

B. Les comptes régionaux
des agents macro-économiques
Le compte de l'Etat
Les travaux accomplis par
le groupe COREG font référence à un "Etat régional wallon" qui ne correspond
nullement à la construction institutionnelle née de la réforme belge de l'Etat.
Le concept d'Etat régional wallon, développé par COREG, est représentatif de
l'ensemble des administrations publiques
-
prestant tous les
services, notamment d'enseignement ou de défense nationale;
-
organisant les
transferts au profit des ménages (en particulier de sécurité sociale) et des
entreprises.
L'exercice attribue dès
lors au secteur public wallon l'ensemble des activités qui échoiraient à ses
administrations si la Région était un Etat autonome, entièrement séparé du reste
du pays. L'Etat wallon, ainsi construit, gère donc la totalité des matières qui
relèvent institutionellement de la Région, de la Communauté et de la Nation et
qui sont attribuables au sud du pays.
Le tableau des opérations
courantes de l'Etat estimé par COREG montre l'importance croissante de la
désépargne de l'Etat wallon. Toutefois, il nous faut constater que la désépargne
de l'Etat belge est supérieure à celle de l'Etat wallon, ce qui signifie que les
administrations publiques des autres régions connaissent également un processus
de désépargne, et ce depuis 1978. Cependant, la désépargne wallonne représente
sur les dernières années étudiées, 1987 à 1989, une part relativement importante
de la désépargne nationale; ceci s'explique par une décroissance plus rapide du
niveau de désépargne nationale par rapport à une désépargne wallonne qui ne
décroît pas voire même s'accroît encore en 1989.
Le compte des
particuliers
Par définition, le revenu
disponible des particuliers est composé du revenu primaire (salaires et
traitements, revenus des entrepreneurs individuels et revenu de la propriété
échéant aux particuliers) et des transferts courants nets (en provenance et à
destination des pouvoirs publics et de l'étranger). Le rapport de la
consommation privée au revenu disponible trace l'évolution, de la propension
moyenne à consommer des particuliers. Les estimations COREG nous permettent
ainsi de dire que cette propension moyenne à consommer a augmenté jusqu'en 1984
et par la suite, n'a cessé de diminuer. Toutefois, elle reste élevée, de l'ordre
de 85 % en 1989. Il faut encore faire remarquer que pendant toute la période
considérée, les Wallons ont une propension à consommer plus importante que celle
du reste du pays, l'écart actuel étant d'environ 7 %.
Si l'épargne des
particuliers, au niveau national et régional, est restée positive tout au long
de la période, elle représente une part de moins en moins importante par rapport
aux revenus disponibles en Wallonie. Cela est probablement dû au fait que les
consommateurs wallons ont préféré maintenir leur niveau de vie au détriment de
leur épargne.
Le compte du reste du
monde
Pour rappel, la balance
commerciale vis-à-vis de l'étranger était positive au niveau national de 1973 à
1976, elle l'est de nouveau depuis 1983. Par contre, la balance correspondante
en Région wallonne est toujours déficitaire.
Le solde des transferts
vis-à-vis du reste du monde est lui aussi structurellement négatif de sorte que
la somme des deux balances, soit la balance courante, apparaît négative sur
toute la période. Elle exprime un endettement annuel vis-à-vis de l'étranger ou
encore une diminution de nos avoirs nets.
De la sorte, sur le plan
du seul patrimoine financier, le diagnostic posé pour la Wallonie exprime un
appauvrissement net en Wallonie et un enrichissement net dans le reste du pays
sur la totalité de la période.
Le compte des opérations
de capital
L'épargne régionale
s'investit soit en actif réel et accroît le patrimoine réel de la Région : soit
en actif financier, il s'agit alors du prêt net au reste du monde. Le patrimoine
réel a toujours progressé, c'est l'investissement intérieur. Il s'élevait à
quelque 19 % du produit régional quoique une fraction de l'investissement n'ait
comme seule finalité que de compenser l'usure du stock d'équipement existant,
soit un amortissement de l'ordre de 18 % du produit national. Aussi, le
patrimoine réel a-t-il seulement augmenté, chaque année, à raison d'un montant
égal à plus au moins 11 % du produit national.
Dans le même temps, le
patrimoine financier vis-à-vis du reste du monde dimimuait, en moyenne par an,
de quelque 12 %. Ainsi au total, cette période a enregistré un appauvrissement
global de la région wallonne alors que le reste du pays s'enrichissait.
(Octobre 1991)

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