L'avenir de l'Enseignement
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Gilbert De Landsheere
Professeur émérite de Sciences
de l'Education de
l'Université de Liège (ULg)
.../...
La formation des
enseignants
A un moment de l'histoire
où leur rôle est déterminant, les enseignants se trouvent dans une situation
très insatisfaisante en ce qui concerne leur formation, leur recrutement, leur
rémunération et la reconnaissance sociale dont ils sont l'objet. N'est-il pas
dramatique que bien des conceptions actuelles relatives aux enseignants et aux
institutions éducatives proviennent directement du XIXème siècle? La hiérarchie
statuaire et scientifique qui subsiste entre les institutrices maternelles, les
instituteurs de l'enseignement primaire, les régents, les licenciés-agrégés en
est un criant témoignage.
La profession
d'enseignant est en crise psychologique et sociale profonde. Ses membres ont
perdu leur pouvoir social en passant du statut de notables, de membres d'une
élite intellectuelle, à celui de techniciens, de travailleurs comme les autres :
leur rôle d'éducateur passe ainsi au second plan. (G. Fourez).
Les tensions
constitutives du métier (A. Van Haecht)
Tout enseignant est
confronté à la tension entre une représentation de son rôle centré sur
l'ineffable vocationnel, - l'art est la référence -, et une autre représentation
centrée sur la technicité, - l'expertise est la référence.
L'art d'enseigner,
surtout dans le fondamental, renvoie plutôt aux qualités morales de la personne
(mélange d'exigence et d'attente à l'égard de l'enfant), mais, depuis une
vingtaine d'années, la capacité instrumentale tend à prendre le dessus (tension
entre enseigner et éduquer).

Une identité
professionnelle difficile (A. Van Haecht)
I. Avec Derouet,
A. Van Haecht retient trois modèles :
-
Le modèle civique :
l'enseignant est un fonctionnaire dont l'identité s'inscrit dans un espace
national. Le professeur conduit vers des diplômes nationaux et fait ainsi
entrer l'individu dans un espace ouvert à la mobilité sociale (la
méritocratie ou son illusion).
-
Le modèle domestique
: il correspond à une représentation familiale du rôle de l'enseignant.
-
Le modèle industriel
: l'enseignant est représenté comme un expert en techniques pédagogiques.
II. Avec
Hirschlorn, A. Van Haecht souligne que l'évaluation actuelle de la position
sociale des enseignants suppose l'examen de la nature des biens auxquels ils
donnent accès. Or, si les enseignants sont devenus des intermédiaires obligés
pour gagner des diplômes dont on ne peut plus se passer, divers éléments
affaiblissent cette position selon la situation particulière qui est la leur.
Avec "l'inflation des titres", ils apparaissent, en effet, à certains niveaux du
cursus scolaire, dans certaines orientations d'études, comme les dispensateurs
d'un bien dévalué, [...]. La considération accordée aux dispensateurs de
services scolaires se mesure donc à l'aune de la qualité de ces services
(rentabilisation possible du titre et importance de la discipline pour la
formation recherchée).
III. Les
enseignants constituent un groupe professionnel composite et atomisé. Cela tient
à la diversité de leur formation, universitaire ou non.
IV. La
dévalorisation sociale de leur métier tient à des éléments sur lesquels les
enseignants n'ont aucune prise, par exemple, l'élévation générale de la
qualification de la population active.
Une chose est sûre : la
profession d'enseignant doit muter. Elle doit quitter l'état préscientifique
dans lequel elle se trouve encore. En d'autres termes, les enseignants doivent
eux aussi devenir de vrais "professionnels", c'est-à-dire, au sens actuel du
terme exercer un métier qui présente les caractéristiques suivantes (Lemosse,
1989, p. 57) :
-
Etre une activité
intellectuelle qui engage la responsabilité individuelle.
-
Cette activité est
savante, et non de nature routinière, mécanique ou répétitive.
-
Elle est pourtant
aussi pratique, puisqu'elle se définit comme l'exercice d'un art; elle n'est
donc pas purement théorique ou spéculative.
-
Elle doit s'apprendre
au cours d'une longue formation, comme c'est le cas pour les autres
"professionnels".
-
Elle doit être
fortement organisée et présenter une grande cohérence interne.
-
L'activité déployée
doit être de nature altruiste en rendant un service précieux à la société.
Il ne s'agit donc pas d'exercer la profession en simple technicien.

Ajoutons, avec G. Fourez
:
-
que les enseignants
doivent être familiarisés avec l'approche multidisciplinaire de problèmes
concrets;
-
qu'ils doivent
acquérir le sens de l'histoire de leur discipline;
-
que la philosophie et
la sociologie de l'éducation sont des composantes nécessaires de leur
formation.
D'évidence, un long
chemin reste à parcourir pour que l'ensemble de la profession enseignante
réponde à tous ces critères. Il faut pourtant y arriver et la première mesure à
prendre est de faire des enseignants des universitaires à part entière.
L'objection, usée jusqu'à la corde, selon laquelle l'Université formerait des
théoriciens sans pouvoir les initier valablement à la pratique doit être rejetée
une fois pour toutes. Si elle le veut - et pourquoi ne le voudrait-elle pas? -
l'Université peut les deux. Elle le prouve quotidiennement en formant, des
médecins, des vétérinaires, des ingénieurs, des architectes, des agronomes, des
avocats, ...
Pour tous les
enseignants, de la maternelle à la fin du secondaire, jouissant alors d'un même
niveau de formation supérieure, le traitement de base serait le même; il
évoluerait non seulement en fonction de l'ancienneté, mais aussi des efforts de
perfectionnement répondant à des critères à définir. Aussi longtemps que ces
conditions ne sont pas remplies, on ne peut espérer une revalorisation de la
profession.
Pourtant, une formation
universitaire ne résout pas tout. "La considération, la reconnaissance, le
prestige reconquis passent par une meilleure formation, un meilleur salaire, des
conditions de travail moins inconfortables. Mais tout cela ne sauvera jamais
ceux qui n'ont ni culture, ni éthique" (A. Van Haecht).
Faire exister la
recherche en éducation
Alors que les
investissements immatériels, à commencer par la recherche et le développement,
sont maintenant reconnus comme la clé du progrès, la recherche en éducation est
restée jusqu'à présent, dans notre pays, dans un état de sous-développement
funeste. Alors que, depuis longtemps, la cible minimale à atteindre a été
estimée à 2% du budget de l'Education, nous en sommes dramatiquement éloignés.
En 1990, alors que le budget de l'enseignement de notre Communauté était de
quelque 133 milliards, les ministères de l'Education et le Fonds National de la
Recherche Scientifique réunis n'ont même pas consacré un dixième de pour cent de
cette somme à la recherche pédagogique.
Quelle grande entreprise,
quelle armée survivraient dans pareilles conditions? Il n'est donc pas
surprenant que la pédagogie demeure un domaine dans lequel les opinions tiennent
souvent lieu de savoir et fondent des décisions ou des actions dont la nation, à
commencer par sa jeunesse, subit les conséquences.
Comment les historiens de
l'avenir pourront-ils comprendre que les membres les plus éclairés de notre
Communauté, ceux-là mêmes qui, conscients de la mutation culturelle
contemporaine, ne font pas tout ce qui est en leur pouvoir pour fonder celle-ci
sur des bases expérimentalement éprouvées?
Aussi longtemps que les
ressources humaines et matérielles données à la recherche en éducation et en
formation ne dépasseront pas un seuil critique lui permettant de travailler à
l'échelle indispensable pour exercer une influence significative et durable sur
le système éducatif global, nous continuerons à accumuler les pertes et à rater
des occasions d'expansion et de progrès.

Piloter le système
éducatif
Autre aberration : on
dénonce périodiquement la baisse de niveau des apprentissages de nos élèves,
alors qu'il n'a presque jamais été mesuré effectivement.
N'est-il pas étrange
aussi que l'on adopte des programmes scolaires, que l'on introduise des réformes
dans l'enseignement sans vérifier vraiment si les changements désirés se sont
effectivement produits?
N'est-il pas surprenant
que, pour l'essentiel, on n'évalue pas systématiquement ce que les élèves ont
effectivement appris, qu'on ne connaisse pas quel pourcentage des jeunes
atteignent l'excellence dans des compétences déterminées?
De nouveau, quelle
entreprise moderne pourrait se passer mutatis mutandis des réponses à des
questions du même ordre? Une gestion pédagogique plus rigoureuse s'impose.
Un dispositif de pilotage
doit établir en priorité si le système éducatif répond à trois exigences : la
cohérence, la qualité et l'équité.
La cohérence existe :
-
si les objectifs
poursuivis répondent aux besoins des individus et aux options majeures de la
société;
-
si le curriculum
implanté - ce qui se fait en classe - est en harmonie avec les objectifs
visés;
-
si la nature et les
modalités de l'évaluation sont commandées par les objectifs poursuivis.
La qualité de notre
système éducatif doit être au moins égale à ce que l'on trouve de meilleur dans
les pays les plus favorisés, et répondre en même temps à l'essentiel de notre
projet éducatif propre : servir pleinement l'épanouissement de chaque homme et
de chaque femme, et préparer des citoyens responsables en les aidant à acquérir
les compétences nécessaires pour vivre activement dans une démocratie de la
participation, pour la défendre et la faire toujours progresser.
L'équité consiste à
offrir les mêmes chances de réussite à tous. Tous les biais, qu'ils soient
socio-économiques ou socio-culturels, sexuels, ethniques, géographiques,
philosophiques, ..., doivent être décelés et combattus.
Enfin, il importe que,
pour une large diffusion, les résultats des évaluations soient présentés en un
langage accessible au plus grand nombre.

L'incontournable
question du pluralisme
L'aspect philosophique
(G. Fourez)
Dans les pays
industrialisés, il devient de plus en plus évident que le pluralisme est vécu
comme une valeur : nos éthiques, qu'elles se situent dans les traditions
chrétiennes ou laïques, exigent que nous apprenions à vivre, et à bien vivre,
avec les autres, qu'ils soient chrétiens, laïcs, juifs, musulmans ou autres. Et
les récentes grèves ont montré que les enseignants ne tenaient plus à se laisser
diviser autour de frontières traditionnelles auxquelles sont parfois encore
attachés certains appareils institutionnels. Les jeunes aussi estiment qu'une
éthique qui ne les invite pas à dépasser ces lignes de démarcation est, pour
eux, insatisfaisante.
Il me semble donc qu'une
sortie de la crise actuelle de l'enseignement implique une solution à cette
question du pluralisme. Non pas une solution technocratique qui éviterait
l'échange en s'appuyant sur les idéologies de la scientificité. Ni non plus une
approche qui conduirait à l'indifférence par rapport au sens de l'éthique. Mais
une idéologie qui obligerait à la communication de personnes qui reconnaissent
leurs différences, tout en appréciant la possibilité de se retrouver unis dans
certains projets et dans certaines valeurs.
Le pluralisme fait
désormais partie de notre culture et de nos éthiques. Mais il importe encore de
mieux le définir, d'en éviter certains effets pervers, et de le vivre malgré des
intérêts parfois divergents.
L'aspect économique
Une politique hardie, des
investissements nouveaux s'imposent d'urgence dans le domaine de l'éducation.
Les pays qui nous entourent l'on bien compris et agissent en conséquence. Or
nous nous trouvons pratiquement dans une situation de blocage budgétaire.
Puisque d'importantes
dépenses nouvelles sont indispensables, il faut les exiger comme on n'hésite pas
à faire pour d'autres secteurs, lorsque des intérêts majeurs sont en jeu.
Mais, parallèlement, des
économies, des rationalisations sont nécessaires. Le pluralisme philosophique
qu'appelle notre temps devrait faciliter aussi des accords entre réseaux
d'enseignement, susceptibles de réduire significativement les dépenses.

Conclusion
La Wallonie est, de
longue tradition, pays d'éducation. Cela lui a valu la place de choix qu'elle
occupe tant dans le domaine de l'économie que dans celui de la culture.
Nous traversons
actuellement une période difficile. La restructuration politique de notre pays a
absorbé beaucoup d'énergie et le long processus qui y a conduit n'a pas permis
de prendre à temps, en particulier pour l'éducation, des décisions scientifiques
et administratives urgentes.
Le retard pris ainsi est
alarmant et, s'il s'accentuait encore, il pourrait entraîner des décrochages et
des pertes d'une gravité extrême.
La chance veut que les
connaissances nécessaires à l'élévation généralisée de la qualité de l'éducation
et de sa productivité arrivent à maturité. On dispose ainsi d'éléments solides
pour fonder les décisions et mettre en oeuvre une politique éducative qui nous
permette d'entrer avec assurance dans le XXIème siècle.
Toute décision en matière
d'éducation est indissociable de jugements de valeur et des réalités économiques
et sociales. Ne fût-ce que par réalisme, les options humanistes et démocratiques
s'imposent, car seuls ces deux idéaux sont garants de progrès et donnent
l'espoir d'éviter des mouvements sociaux qui pourraient se solder par un
désastre.
En revanche, si la raison
et la justice triomphent, la civilisation nouvelle qui émerge pourrait dépasser
en qualité et en noblesse tout ce que l'humanité a connu jusqu'à présent.
Références
CASPAR P.,
L'Investissement immatériel, Paris, Université Paris-Dauphine, Séminaire
Compétence et compétitivité, mars 1989.
LEMOSSE M., Le "Professionnalisme" des enseignants : le point de vue
anglais, Recherches et formation, 1989, 6, 55-60.
PETRELLA R., L'Homme et l'outil : les valeurs qui basculent, Le Monde
diplomatique, 20 septembre 1987.

Propositions relatives à
l'enseignement
1. Techniques et
finalités.
L'éducation en Wallonie
doit allier une grande technicité par rapport aux manières d'enseigner à une
intentionnalité visant à créer une culture dont les valeurs principales
pourraient être la convivialité des individus et des groupes, la capacité
d'intégrer les sciences et les techniques dans des projets dont on a appris à
négocier la dimension et les finalités humaines, et l'autonomie des individus.
2. Investissements dans
l'éducation.
Faire des dépenses sur
l'éducation des nouvelles générations est probablement une des formes
d'investissements les plus productives que l'on puisse prévoir pour la Wallonie.
3. Au delà des individus
et de leur famille, la société.
Les individus étant
membres d'une société au delà de leur famille, et cette société étant plus qu'un
agrégat d'individus, il revient aux pouvoirs publics d'avoir un rôle important
dans le fonctionnement du système éducatif.
4. Une école pour tous
les individus et pour la collectivité.
Deux critères seront
particulièrement à privilégier pour évaluer ce rôle :
-
la capacité du
système à donner à chacun(e) - et spécialement aux moins privilégiés - une
éducation permettant aux individus d'être à la fois autonomes et intégrés
dans la vie sociale, et,
-
la capacité du
système à fournir à la collectivité les savoirs et les capacités nécessaires
pour piloter efficacement et humainement le développement des technologies
et de l'économie.
5. Au delà de
l'accumulation des savoirs, le sens.
L'enseignement ne peut
pas se contenter simplement de faire accumuler aux élèves un certain nombre de
connaissances; il doit viser à leur donner la capacité d'utiliser ces
connaissances dans les situations rencontrées individuellement et
collectivement. Autrement dit, les connaissances doivent toujours être reliées
aux contextes (les projets, les situations, les négociations, les
interrogations, les décisions à prendre, etc.) qui leur donnent du sens.
6. Diminuer les matières
au programme.
Les programmes actuels en
Wallonie sont bâtis sur le principe d'une accumulation de matières à enseigner.
Il importe de changer cette perspective pour se centrer sur l'acquisition des
savoirs de base - pratiques, théoriques et culturels - nécessaires pour pouvoir
se situer d'une manière autonome dans la société. En sciences, notamment, une
telle perspective liée au concept d'alphabétisation (ou d'acculturation)
scientifico-technique (scientific and technological literacy) implique la
suppression d'une partie importante des intitulés des "matières" à voir d'après
le programme. L'enseignement doit plus viser la capacité d'apprendre et de
modéliser des situations qu'à l'accumulation des connaissances.

7. La culture générale.
L'enseignement doit
donner aux jeunes une culture générale. Par ce concept - au delà des importantes
attitudes d'ouverture d'esprit, de curiosité et de désir de comprendre, ou
encore au delà de la familiarité avec des thèmes culturels importants - nous
désignons, avant tout, la maîtrise des représentations théoriques de base
permettant de se débrouiller dans notre société.
8. Vers un pluralisme
non purement technocratique.
Dans le contexte
économique et culturel de la Wallonie, le choix du pluralisme s'impose sans
doute. Mais il faut éviter que ce ne soit qu'un pluralisme purement
technocratique qui négligerait les échanges et les débats relatifs au sens de ce
que l'on vit. Il faudrait au contraire que ce soit un pluralisme voulu
positivement et favorisant la connaissance des autres, la communication,
l'apprentissage aux négociations interpersonnelles et sociales, la recherche du
sens et de ses expressions verbales ou symboliques, le respect et l'écoute des
diversités, l'ouverture aux enrichissements pouvant provenir dans les conflits
gérés par le droit et la non-violence, ainsi que d'autres valeurs favorisant une
vie humaine aussi profonde que possible.
9. Les dimensions
techniques et politiques de l'école.
L'école doit être
envisagée selon deux dimensions. La première, principalement technique, est
celle de la transmission d'un certain nombre de savoirs, de savoir-faire et de
savoir-être. La seconde, à dimension politique dans le sens le plus noble du
mot, est relative aux projets de l'institution. Ceux-ci ne peuvent être dictés
par les techniques ou une soi-disant analyse des besoins; ils sont le résultat
de négociations d'un certain nombre d'acteurs liés au système scolaire.
10. Retrouver le
politique (et non la politique) à l'école.
L'école doit être
repolitisée, dans le sens le plus noble du mot, c'est-à-dire qu'elle doit être
vue comme un lieu où familles, enseignants, organisations sociales, entreprises,
élèves, représentants politiques, etc., négocient les structures et les projets
d'une institution dont personne ne peut se considérer comme propriétaire. Ces
négociations doivent être un des moyens de pression pour que l'école s'adapte
aux demandes sociales.
11. Profiter de la
diversité des fonctions et éviter leur cumul.
Pour que les négociations
conduisant aux décisions qui détermineront les orientations de l'école se
fassent de la manière la plus ouverte possible, il importe que soit respectée la
diversité des acteurs sociaux intéressés par l'école (par exemple, enseignants,
parents, directions, inspecteurs, formateurs de formateurs - de l'université ou
des écoles normales - producteurs de manuels, décideurs de programme, membres
des centres PMS, etc..), des fonctions qui leur sont confiées, et des intérêts
qu'ils représentent. De manière à éviter des blocages institutionnels, il
importe d'éviter, autant que possible, le cumul de ces fonctions.
12. Au delà du court
terme et des lois du marché.
L'école ne peut être part
intégrante à la société marchande où elle se réduirait à devenir une entreprise
vendant des services d'éducation à des individus : elle a des objectifs
sociétaux à long terme qui ne peuvent être garantis par les intérêts à court
terme déterminant le marché.
13. Entre la
rationalisation et la décentralisation.
Un compromis doit être
trouvé pour l'école entre les rationalisations et les choix politiques qui
engendrent inévitablement une certaine centralisation et les aspirations à une
société civile décentralisée où les décisions seraient laissées aux échelons
locaux.
14. Ne pas s'enfermer
dans la logique de la concurrence.
Des mécanismes
organisationnels doivent être mis en place pour que la diversité des
établissements d'enseignement et une saine émulation entre eux ne dégénèrent
plus en une concurrence effrénée et une chasse aux élèves qui ne favorise pas
toujours les finalités de l'institution. Il faut donc que la pression du public
puisse se faire d'une autre manière.
15. Savoir évaluer les
réponses de l'offre aux "demandes".
Même si les écoles ne
peuvent se gérer purement et simplement selon les lois d'un marché
concurrentiel, elles ne peuvent échapper totalement aux pressions des demandes
des divers usagers et acteurs sociaux intéressés (lesquels ne peuvent être
réduits aux familles). Un système d'évaluation des écoles devrait aussi être mis
au point, similaire aux évaluations que doivent faire les écoles américaines
pour être accréditées.
16. Une formation à
triple visée pour les enseignants.
La formation des
enseignants doit les familiariser avec les savoirs qu'ils auront à transmettre,
avec les méthodes pour le faire efficacement en tenant compte des contraintes,
et avec les analyses de société qui permettent de discerner les significations
et finalités de l'enseignement. En d'autres termes, pour apprendre les
mathématiques ou le latin à John, il faut non seulement connaître ces matières
(Cf. les savoirs scientifiques), mais il faut aussi connaître John (Cf. la
psychopédagogie) et surtout aussi connaître pourquoi, pour quoi et pour qui,
dans cette société, on est prêt à imposer cet apprentissage (Cf. l'analyse de
société).
17. Une formation à
l'histoire et à l'épistémologie.
De manière à ce que la
formation des jeunes dépasse un endoctrinement peu critique, la formation des
enseignants doit les ouvrir aux dimensions historiques, épistémologiques et
sociales relatives à leur discipline. La dimension historique devra avoir deux
dimensions : celle de l'historicité des concepts et des modèles scientifiques
utilisés et celle du contexte socio-historique de leur construction.
18. Donner leur place
aux sciences de l'éducation.
Même si l'enseignement
restera toujours en partie un art, il n'est plus possible de l'envisager sans
tenir compte des développements récents des sciences de l'éducation qui doivent
devenir le bagage indispensable des enseignants.
19. Donner sa place à la
recherche en éducation.
Une recherche de haut
niveau est nécessaire au développement et au pilotage de l'éducation en
Wallonie. Pour donner à l'éducation la dimension scientifique qu'on peut
attendre d'elle, il importe que tous les formateurs de formateurs soient aussi
des chercheurs.

20. Une formation
initiale aussi pour le long terme.
Les objectifs de la
formation initiale des enseignants dépassent les visées à court terme liées aux
premières années de pratique professionnelle (même si ces objectifs à court
terme sont aussi nécessaires). Il s'agit de leur donner les outils essentiels
qui leur permettront d'apprendre toujours plus sur le terrain, même pendant les
années où les pressions du début, les obligations familiales et autres, les
empêcheront de consacrer beaucoup de temps à leur formation ou à des études en
profondeur. C'est pourquoi la formation initiale doit apporter une ouverture à
des domaines de base qui risqueraient autrement d'être négligés dans le feu de
l'action : les développements récents des sciences de l'éducation, la dimension
historique de leur discipline, la dimension sociétale de l'école,
l'épistémologie, etc.
21. Une formation
continué(e) pour le court et le long terme.
La formation continu(é)e
(qui devrait être obligatoire) doit viser des objectifs à court terme et à long
terme. A court terme, elle doit donner aux enseignants les connaissances et la
formation nécessaire pour mettre à jour ou améliorer directement ses cours. Mais
elle doit aussi comporter des moments de formation assez long pour pouvoir
s'initier à des dimensions qui, dans le feu de l'action, ne paraissent pas
absolument nécessaires mais le sont à long terme (Cf. ce qui en a été dit à
propos de la formation initiale). Dans cette perspective, il importe que les
formateurs de formateurs accordent une place à ces objectifs à long terme (même
si certains enseignants - ou même certains inspecteurs ou chefs d'établissements
- ont plus tendance à favoriser l'immédiatement utile).
22. Place des
technologies dans l'enseignement.
Actuellement,
l'enseignement secondaire général ne donne pratiquement pas de place aux
technologies. De plus, celles-ci sont souvent présentées comme des recettes et
non comme des modélisations théoriques complexes de situations. L'enseignement
des technologies - dans les traditions de l'architecture, de la médecine, de
l'art de l'ingénieur, etc. - doit avoir sa place dans l'enseignement général.
23. Formation des
professeurs de sciences aux technologies.
Aujourd'hui, les
enseignants des sciences et des mathématiques n'ont pratiquement aucune
formation aux technologies. Il faudra leur donner une formation leur faisant
connaître le courant technique de la pensée scientifique. Ils devront aussi
apprendre à savoir intégrer, dans un problème concret, des éléments
scientifiques provenant de différentes disciplines scientifiques, des éléments
juridiques, éthiques, écologiques, politiques, économiques, etc.
24. Le mouvement STS.
Le mouvement appelé
"Sciences, Technologies, Sociétés" vise à promouvoir l'intégration des sciences
et des techniques aux décisions des individus et des groupes et aux débats
éthiques ou politiques. Il vise à présenter une science ne se retirant pas sur
une tour d'ivoire. Ce mouvement doit être encouragé.
25. Pédagogie par
projets intégrés.
Pour mettre les contenus
d'enseignement en relation avec leurs significations pour les individus et dans
la société, les élèves doivent, au cours de leur formation, être périodiquement,
et selon leur niveau scolaire, amenés à résoudre des problèmes abordés dans leur
globalité, par des projets intégrés. Il faut leur apprendre à dépasser les
prescriptions de recettes pour construire des îlots de rationalité autour des
situations abordées.
26. Développer le
"capital social" dans le système éducatif.
L'éducation ne peut être
considérée uniquement comme un processus de transmission des savoirs. C'est
aussi un apprentissage aux négociations de la vie sociale. Il importe donc que
le système éducatif que la société wallonne met en place mette le jeune dans un
réseau d'organisations et d'institutions grâce auxquelles le jeune se sentira
part de la société. L'école ne peut donc être réduite à être seulement un lieu
d'apprentissage des savoirs.
27. Rester fidèle à une
tradition occidentale de démocratisation.
L'Occident a valorisé
l'attention aux plus démunis de la société. Cette tradition a été reprise aussi
bien par les groupes s'inspirant du christianisme que par les traditions laïques
de démocratisation des études. Dans cette perspective, le système d'éducation en
Wallonie doit refuser, par choix politique, toute dualisation ou tout système à
deux vitesses (une pour les "battants", une pour les autres). Le principe de
solidarité a un double fondement, l'un éthique basé sur les traditions
précitées, l'autre pragmatico-politique basé sur les coûts humains, sociaux et
économique des systèmes dualisés et sur les risques d'instabilité et d'insécurisation
qu'ils comportent
(Octobre 1991)
Note
(1)
Le texte de la discussion générale, dont l'ossature est due à G. de Landsheere,
intègre des apports d'A. Van Haecht, de G. Fourez, et de J-P Pourtois et Madame
Houx, Assistante du Professeur Pourtois, à la Faculté de Psycho-pédagogie de
l'Université de Mons-Hainaut.

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